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Traversées christiques - Page 32

  • Prier les Psaumes (4) : toute la Sainte Ecriture

    83.

    (suite)

    Dans leur humaine et nue littéralité, les psaumes sont à la fois poésie et prière : prière sans doute, mais sous forme de poème. Leur force vitale cependant ne vient pas que de l'homme. Dieu lui-même se sert de la parole du psaume et la profère. Elle est inspirée non seulement par le souffle de vie d'un homme, fût-il un poète de génie, mais par le souffle de Dieu qui est Esprit créateur. L'expérience qu'il traduit et communique est finalement l'expérience que Dieu lui-même crée dans les coeurs qui l'écoutent et qui s'ouvrent devant Lui.

    Aussi, plus que toute parole, toute poésie humaines, la Parole de Dieu est-elle insondable et inépuisable. Celui qui tente de la saisir ne peut que la réduire à ce qu'il est capable d'en percevoir. Car la Parole de Dieu s'élève au-dessus de tout ce que l'homme peut en saisir dans l'aujourd'hui. Elle a sa vie propre et son histoire. Toute Parole de Dieu ne pourra être mesurée qu'à la plénitude des temps. Elle ne cesse jamais d'accompagner l'Amour de Dieu pour le monde et de L'accomplir toujours à nouveau. C'est pourquoi la signification de la Parole de Dieu ne peut être établie une fois pour toutes. Cette parole est pleine de vie et elle engendre la vie en celui qui l'écoute. Dans sa Parole, Dieu est constamment en train de créer. En chaque liturgie, Il construit son Eglise convoquée autour de la Parole. En chaque croyant qui Lui ouvre son coeur et son esprit, Il creuse un abîme insoupçonné de connaissance et d'amour.

    Dans ce processus les psaumes occupent une place à part. Dans les Écritures inspirées, Dieu adresse Sa Parole à l'homme. Dans les Psaumes, au contraire, Dieu met dans la bouche de l'homme la Parole que celui-ci Lui donnera en réponse. Mais ce ne sont jamais des paroles neuves ni étrangères. A y regarder de plus près, ce sont les paroles mêmes de la Bible, mais haussées au niveau de la poésie et de la prière. La Bible, par exemple, contient des livres historiques ; il y a de même des psaumes historiques ; 85 des livres de sagesse et des psaumes de sagesse ; des livres prophétiques et des psaumes prophétiques. On peut retrouver toute la Bible dans les psaumes, mais comme poésie et prière. Dans la parole des psaumes la Bible atteint un sommet de vivante actualité et de force créatrice. A l'abbé Philémon dont la Philocalie a conservé le Logos askètikos (1, 241-252), on demandait pourquoi il trouvait tant de saveur au livre des psaumes, plus qu'en tout autre texte de l'Ecriture. Il répondit : "Je peux vous assurer que Dieu a imprimé dans mon pauvre coeur la force des psaumes, comme il est arrivé au prophète David. Sans la douceur des psaumes je ne pourrais plus vivre, ni sans la contemplation sans limites que les psaumes renferment. Les psaumes en effet contiennent toute la Sainte Ecriture".

    Oui, les psaumes contiennent toute la Sainte Ecriture. Ils n'en sont pas seulement un résumé : ils sont une réponse vivante de l'homme à la Parole de Dieu. Une réponse qui ne vient pas de l'homme seulement, mais qui est suscitée dans son coeur par la Parole même de Dieu.

                                                                  A suivre...

     

     

     

    André Louf - Seigneur apprends-nous à prier - Ed. Lumen Vitae - ISBN 2-87324-000-8

  • Introduction générale aux Psaumes : 03. Les Psaumes instruments de la Parole

    La Parole de Dieu n'est pas seulement un énoncé. Elle est un acte ; elle tend à réaliser un dessein ; elle porte en elle une puissance de transformation de l'homme.

    Les Psaumes ne sont donc pas seulement un miroir, ils sont un instrument aux mains de Dieu, un instrument efficace. Ils tendent à créer en l'âme qui s'initie au dessein de Dieu des orientations profondes, des courants spirituels dans le sens du salut. 

    De ces orientations on peut énoncer quelques aspects. 

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  • Introduction générale aux psaumes : 02. Les Psaumes miroirs de la Parole

    Les Psaumes sont la réponse même que Dieu met sur nos lèvres à sa propre question. 

    Ce principe fondamental dit assez quelle sera la matière des Psaumes.

    La réponse ne peut que refléter la question. 

    Au-delà de descriptions complexes, il faut donc apprendre à reconnaître et à retrouver dans les Psaumes la Révélation tournée en prière : toute la Bible en ses divers aspects ; tout le dessein de Dieu dans les impulsions qu'il veut communiquer à l'âme. 

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  • Prier les psaumes (3) : une parole d'hommes

    82.

    (suite)

    La parole du psaume a mûri en premier lieu dans un coeur d'homme et elle est née sur des lèvres humaines. Les sentiments qu'elle éveille ne nous sont pas étrangers, même s'il arrive que le langage imagé où elle s'exprime ne soit pas immédiatement intelligible. C'est tout de même l'homme qui s'y révèle, comme en toute poésie, l'homme au-delà des races, des frontières, des époques, l'homme éternel qui sommeille dans notre coeur et que nous ne laissons monter à notre conscience que progressivement, et encore seulement en partie.

    Ici réside pour une part la force mystérieuse de la parole poétique des psaumes, qui saisit tout homme avec tant d'impétuosité. Elle ne s'adresse pas seulement, en nous, à l'homme devenu conscient ; au plan de l'inconscient, elle peut remuer les terres encore inexplorées de sa personnalité plus profonde, au point où il s'exprime librement mais encore inconsciemment, face aux autres hommes et face à Dieu. Pour autant, nous n'acceptons pas tout ce que le psaume ébranle en nous et éveille à la vie. Le psalmiste est un homme blessé par le péché et qui clame sa souffrance et son désespoir devant Dieu. Il crie son angoisse, sa désespérance, sa colère, sa haine, et n'éprouve visiblement aucune envie de dissimuler ces sentiments. Le lecteur, vingt siècles plus tard, n'est généralement pas conscient que son coeur abrite encore toutes ces passions. Plus il s'identifie aux normes courantes du groupe où il vit - surtout si ces normes sont évangéliques - plus il éprouve de difficulté à se reconnaître  dans ces sentiments païens. Plus rarement il a confessé son péché devant Dieu, plus insupportables sont ces mots trop humains qui brûlent ses lèvres.

    [83]

    Le malaise que le lecteur moderne éprouve en priant certains psaumes se situe en partie à ce niveau. Chaque génération a ses tabous propres, qui se déplacent régulièrement. L'irritation avec laquelle l'homme moyen réagit à tel ou tel thème de prière dans les psaumes, elle aussi se déplace.

    La question se pose de savoir si le procédé qui consiste à refouler tous ces sentiments, et par conséquent à en biffer l'expression dans les psaumes, est psychologiquement sain. La dynamique interne qui s'exprime dans les psaumes par ces sentiments ne doit peut-être pas se perdre. Ne peut-on mieux l'orienter et même s'en servir au profit d'une croissance saine de l'homme et de son développement positif ? Bien sûr, ces sentiments révèlent d'abord le pécheur que chacun reconnaît en soi et avec lequel il doit se réconcilier. Mais cette réconciliation une fois obtenue entre l'homme et lui-même, entre l'homme aussi et Dieu, la dynamique de ces sentiments ne peut-elle être infléchie et orientée vers le bien ? Si oui, les antiques paroles des psaumes, qui jadis exprimaient des sentiments par trop primitifs, peuvent évoluer avec l'homme et acquérir un sens nouveau et plénier. D'ailleurs ce que le poète humain chante dans le psaume n'est pas le dernier mot de celui-ci, car le souffle de vie qui inspire ses paroles lui vient finalement d'ailleurs et de plus grand que lui.  

                                                                                      A suivre...

    André Louf - Seigneur apprends-nous à prier - Ed. Lumen Vitae - ISBN 2-87324-000-8

  • Introduction générale aux psaumes : 01. Position des Psaumes

    L'Eglise aime les Psaumes ; l'Eglise en use inlassablement. Les aimons-nous autant qu'elle ? Leur faisons-nous la même place ? 

    Ces simples interrogations obligent à s'avouer un problème, et elles demandent de nous un acte de foi. Nous ne pouvons pas, en effet, ne pas désirer nous accorder à Dieu et à son Eglise : il faut donc regarder en face le problème. Mais il faut avoir confiance en l'Eglise : si elle nous dit qu'il faut, c'est donc que nous pouvons. 

    C'est dans cet esprit que toute réflexion doit être menée, si l'on veut en espérer la lumière. 

    Ce que l'Eglise pense des Psaumes, quelques constatations suffisent à le faire entendre. 

    Les Psaumes ont porté la prière et l'espérance des siècles.

    De cette espérance, saint Paul, saint Pierre, après l'Evangile, nous apportent un écho puissant : " C'est dans la foi qu'ils moururent tous, sans avoir vu s'accomplir pour eux les promesses, mais après les avoir aperçues et saluées de loin et s'être qualifiés d'étrangers et de voyageurs sur la terre. Ceux qui parlent ainsi montrent bien qu'ils sont à la recherche d'une patrie. S'ils avaient entendu par là celle d'où ils étaient sortis, ils auraient bien trouvé l'occasion d'y retourner ; mais non, c'est à une patrie bien meilleure qu'ils aspirent, la patrie céleste " (Hébr 11, 13-16) 

    "Le salut de vos âmes dont vous êtes sûrs et qui vous fait tressaillir de joie... c'est lui qui a fait l'objet des recherches, des méditations des prophètes qui ont prédit la grâce qui vous était destinée. Ils cherchaient à découvrir l'époque et les circonstances indiquées par l'Esprit de Dieu... Ce n'était pas pour eux-mêmes, mais pour vous qu'ils étaient les ministres de ces mystères..." ( 1 Pierre 1,10-12)

    "Je vous le dis en vérité, bien des prophètes et des justes ont désiré voir ce que vous voyez et ne l'ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l'ont pas entendu " (Math. 13,17). 

    De toute cette prière et de toute cette espérance, nous saisissons l'expression dans sa parfaite pureté et sa définitive ferveur, à l'heure où elles atteignent enfin leur but, dans le Magnificat de Notre-Dame ou le Benedictus de Zacharie. 

    Les Psaumes ont porté aussi la prière du Seigneur. 

    Ce fait, sensible en particulier dans les cris de la Passion, se passe de commentaire. 

    Les Psaumes portent aujourd'hui la prière officielle de l'Eglise.

    Dès ses plus anciennes formes et dans celles qui se sont conservées en vue des heures plus solennelles de la vie de l'Eglise, comme la Semaine Sainte, la prière de l'Eglise apparaît comme une composition "d'un type fixé une fois pour toutes... elle présente toujours le même rythme ternaire : leçons bibliques, répons psalmodiques, prière silencieuse que conclut l'oraison dite Collecte... La psalmodie conduit à tirer de la Bible l'enseignement vivant qu'on doit y trouver... L'ensemble des lectures dont sont rapprochés les passages du Psautier  fournit aux formules ... de celui-ci la plénitude de leur signification..." (P. Louis Bouyer, Bible et Vie chrétienne, n°10, p. 23-24). 

    L'office du moine comme celui du prêtre, c'est avant tout la récitation du Psautier, et la liturgie de la Messe lui emprunte de quoi former sa prière. 

    Les Psaumes portent la prière des Saints.

    On a pu dire d'un saint Bernard par exemple que sa pensée ne puisait pas seulement dans ces sources mais qu'elle y "baignait". 

    Pourquoi cette place unique accordée aux Psaumes ? 

    C'est le sens même de la Révélation qui est ici en cause. 

    Dieu  s'adresse à nous ; il nous adresse sa Parole, la Parole du salut qu'il nous appartient d'accueillir. Cette Parole ne veut être que le premier terme d'un dialogue : le cercle se fermera par notre réponse, par une prière. Mais cette prière ne pourra être formée en nous que par Dieu même. C'est Dieu qui nous la donnera, ou bien elle ne sera jamais : " Nous ne savons pas prier comme il faut ; l'Esprit lui-même intercède pour nous..." (Rom. 8,26). Une prière chrétienne authentique ne saurait être en son fond autre chose que la prière inspirée : la prière où c'est Dieu lui-même dans la bouche des hommes qui répond à Dieu. " La prière chrétienne est une prière où l'homme n'a pas l'initiative, mais Dieu ; une prière où ce n'est pas l'homme qui cherche peu à peu, en tâtonnant dans les ténèbres, à démasquer un Dieu muet, mais où c'est Dieu qui cherche l'homme et où celui-ci n'a qu'à se livrer à l'appel entendu en écoutant de mieux en mieux... Non seulement la Parole doit susciter une réponse, comme une parole humaine une autre parole humaine, mais elle doit vraiment la créer. Car la Parole divine est toujours la Parole créatrice et sa suprême création, c'est la recréation du cœur de l'homme selon le cœur de Dieu... C'est pourquoi un livre entier de la Bible... n'est fait que de prières, c'est le Livre des Psaumes... et c'est pourquoi ce même Psautier demeure comme le noyau de l'Office divin, c'est-à-dire de cette partie de la liturgie qui est proprement la prière de l'Eglise " (P. Louis Bouyer, Maison-Dieu, n° 33, p.10-11)

    On peut trouver bien d'autres explications à cette faveur de l'Eglise pour les Psaumes. Mais toutes les réponses, même valables, s'éclipsent devant cette réponse fondamentale. 

    Certes les Psaumes ne sont pas l'unique réponse possible à la Parole de Dieu ; ils ne sont même pas l'unique réponse inspirée ; mais ils en sont la forme exceptionnelle et privilégiée. 

     

    Le problème demeure donc avec toute sa brutalité : comment se fait-il que cette prière, qui est si parfaitement celle de l'Eglise, soit en fait si peu celle de chacun des membres de l'Eglise ? En réalité, l'absence des Psaumes dans la prière de chacun est moins totale qu'il ne semblerait au premier abord : chaque chrétien use des Psaumes du moment qu'il prie avec l'Eglise, même s'il n'a pas toujours conscience de ce qu'il doit, par le fait même, à cette prière. 

    Il y a cependant un " désaccord ", qu'il serait malhonnête de nier. De ce désaccord, les causes sont nombreuses. Les unes sont d'ordre assez théorique et elles peuvent être sur le même plan assez vite résolues. On peut invoquer l'archaïsme des formes d'expression qui sont celles des Psaumes : cette poésie n'est pas la nôtre. On peut invoquer l'archaïsme des sentiments : l'Evangile a passé par là et certaines attitudes spirituelles dont témoignent les Psaumes sont devenues pour nous étrangères, voire choquantes. 

    Il y aurait bien à dire sur tous ces points, en particulier sur le dernier, et l'on peut se demander si la répugnance que nous éprouvons à l'égard de certains traits des Psaumes ne signifie pas en profondeur une méconnaissance de l'Evangile. La charité chrétienne est bien autre chose qu'une simple douceur facile : elle entre dans le monde au prix d'une véritable guerre contre un ennemi qui ne désarme pas, qu'il s'appelle le monde ou le démon. C'est la pratique à la fois des Psaumes et de l'Evangile qui résoud progressivement de telles difficultés. 

    Il y a des explications plus profondes, d'ordre subjectif. Notre prière, en dépit du Pater, reste dans une large mesure une prière individuelle : or les Psaumes sont faits pour être dits dans une autre clé. Notre prière reste également dans une large mesure une prière tournée vers l'homme, " anthropocentrique" : or les Psaumes sont toujours à quelque degré une prière de louange, un acte d'adoration.

    Il suffit d' avoir noté ces deux discordances fondamentales pour comprendre bien des choses. 

    Mais finalement, si les Psaumes ne sont pas dans l'usage du fidèle devenus plus familiers, c'est faute de savoir. Une initiation est nécessaire, les fidèles ne peuvent pas connaître ce qu'on ne leur a pas appris, pratiquer ce à quoi on ne les a pas initiés. 

    L'effort du pape Pie XII pour réduire les difficultés de surface en brisant la convention d'un texte traditionnel et vénéré, mais souvent inexact, est à cet égard une indication. 

    Dans la voie que le Souverain Pontife ouvrait ainsi, il faut avec courage entrer. 

                                                               

    Mgr Garonne, archevêque de Toulouse (+) Les Psaumes, prière pour aujourd'hui - Ed. Tardy. 1963 

     

     

     

     

     

  • Prier les psaumes ? (2) une Parole vivante

    81 (suite) Dans la plupart des cas cependant, cette profondeur cachée a peu d'importance. Pour plus de clarté, il est même souhaitable que les tonalités inconscientes du mot vibrent le moins possible. Mais dans d'autres cas c'est le contraire qui s'impose. Le mot doit retrouver sa pleine richesse. Il ne remplit son rôle, on voudrait dire sa vocation, qu'en surprenant l'auditeur avec toutes ses nuances possibles, conscientes et inconscientes. Celui-ci doit être investi de fond en comble par le mot, se laisser toucher et interpeller à tous les niveaux de son être humain. C'est le cas par excellence dans la poésie. En poésie, chaque mot atteint la plénitude de sa force vitale. Il est chargé, à en éclater, du souffle d'une expérience humaine dont il rend témoignage et qu'il transmet. Il ne s'agit nullement d'interpréter et de peser des concepts. Le mot prégnant de vie est en effet capable de susciter une vie nouvelle en quiconque lui prête une silencieuse docilité.

    Le poète est un vrai faiseur, au sens étymologique du mot, un créateur. Il se tient tout près du Créateur. Dieu a créé par sa Parole. Chaque poète, en donnant à chaque mot humain sa pleine vigueur, est appelé à achever la création de Dieu dans les choses dont il parle, ou dans les hommes pour qui il parle. Parce que toute parole d'homme a quelque chose à faire avec la parole créatrice, tout poème est proche de la prière. Toute parole est ainsi appelée à devenir prière. "Je voudrais aimer si profondément les mots que chacun me devînt une prière" (Pierre Emmanuel). Le dernier fruit, le fruit le plus mûr d'une parole, loin au-delà de tout poème, c'est finalement une prière.

                                                                                   A suivre...

    André Louf - Seigneur apprends-nous à prier - Ed. Lumen Vitae - ISBN 2-87324-000-8

  • Prier les psaumes ? (1) une réponse à la Parole

    79. Le processus décrit dans le chapitre précédent, et qui se déroule entre le coeur et la Parole, a depuis longtemps porté ses fruits dans les psaumes. Dans ce chapitre-ci, une étude à part sur l'origine et sur la prière des psaumes en fournira la meilleure illustration.

    Ce sera aussi la réponse devenue difficile de nos jours : comment, aujourd'hui encore, prier les psaumes ?

    Depuis l'Eglise primitive, les psaumes occupent dans la prière des croyants une place privilégiée, que cette prière soit liturgique ou privée. Cette prédilection pour les psaumes est passée, sans problème, du judaïsme au christianisme et a traversé de nombreux siècles. Même dans le bréviaire renouvelé, les psaumes occupent toujours une place importante. Mais ce privilège n'est plus incontesté. Beaucoup éprouvent des difficultés à prier les psaumes. Si fortement même que certains y voient le problème le plus grave de l'office actuel.

    On peut parler à coup sûr d'une crise : elle était devenue inévitable depuis que nous avons de la peine à sentir la force spirituelle contenue dans les mots des psaumes. Tant que nous récitions les psaumes 80. en latin, la difficulté n'était pas immédiatement évidente. Derrière le rideau de la langue morte , bien des choses pouvait se cacher.

    Avec l'irruption de la langue vivante, le rideau a été levé et le psaume soudain réveillé. Du moins en partie, dans la rudesse assez brutale de sa parole humaine. Le psaume nous a été restitué à neuf, et cette nouveauté inattendue a offusqué. La langue frappe si peu, les images rendent un son étrange ou suranné, les sentiments sont si frustres et si grossiers. De l'Eglise, il n'est pas question ; de l'Esprit, si peu ; et pas du tout de Jésus et de sa résurrection. Pour se familiariser de nouveau avec la prière des psaumes , il ne suffit pas d'adapter les mots, images et langage, aux normes d'aujourd'hui. Cette adaptation est certes très souhaitable, mais on en reste à un arrangement superficiel, à une retouche de l'aspect extérieur de la Parole. On reste toujours accroché au "vêtement de la lettre", au risque de laisser échapper le souffle de vie de la Parole, son pneuma. On travaille sur le brou, tandis que l'amande reste hors d'atteinte.

    Toute parole humaine est une parole vivante. Le mot le plus humble, proféré par un homme, naît d'une expérience vitale, et demeure inspiré par le souffle de vie de celui qui l'a prononcé. Aussi est-il élastique et souple. Le même mot peut exprimer des nuances diverses et nous interpeller à plusieurs niveaux. Dans le langage ordinaire et surtout dans le langage scientifique, chaque mot évoque une seule signification, précise et bien circonscrite. Mais en soi, de par sa nature, chaque mot est insondable. Il  81 possède une profondeur qui ne peut être que progressivement explorée et communiquée.

                                                                        A suivre...

    André Louf - Seigneur apprends-nous à prier - Ed. Lumen Vitae - ISBN 2-87324-000-8

  • cette belle science des approches

    (...) Qu'on l'admette ou non, l'union de l'homme avec Dieu, les conditions et les exigences de cette union constituent une science. Il faut donc consentir à se laisser enseigner quelques petites principes normatifs et intangibles relatifs à cette science. Il ne servirait de rien de vouloir tout inventer par soi-même. En outre, dans la vie spirituelle, comme dans le travail manuel ou le sport, posséder un peu de technique relève l'intérêt qu'on y porte et procure plus de sécurité. On ne peut aller à la recherche de Dieu par n'importe quels moyens, ni dans n'importe quelle direction. Or, il y a présentement une mésestime vis-à-vis de la spiritualité comme science, au profit de l'étude quasi exclusive de la Bible. Essayons de raisonner le cas.

    J'ai commencé à lire quotidiennement l'Ecriture sainte bien des années avant que cette pratique ne se répande. Durant vingt-cinq ans, je l'ai lue annuellement d'un bout à l'autre. J'ai reçu de cette lecture, cela va sans dire, des bienfaits, des encouragements et des connaissances, autant que j'en peux porter. Néanmoins, je suis arrivé  aux deux constations que voici : d'abord l'Ecriture sainte ne peut, à elle seule, fournir le léger support dont a besoin l'oraison non discursive. Ensuite, l'Ecriture sainte ne suffit pas pour nous instruire de tout ce qu'il est nécessaire de savoir touchant la vie intérieure. Bien des notions indispensables ne peuvent s'acquérir que par la théologie dogmatique et la doctrine des maîtres spirituels. Pour les décisions à prendre au cours d'une vie de prière, et pas seulement dans les débuts, notre esprit à besoin de principes clairement formulés, que d'autres esprits ont tirés de leur expérience et de leur réflexion. Précisément, les plus qualifiés parmi les amis de Dieu, aidés, sans aucun doute, par un charisme divin, nous ont laissés d'excellentes cartes routières, et d'utiles notices d'entretien pour les différents types de voitures. Faute de connaître ces notices et ces cartes, nous ne saurons jamais assez explicitement le voyage que Dieu veut nous faire faire, ni comment et par quels chemins le suivre. Aussi risquerions-nous bien des retards, des accidents de route, et surtout, le pire de tous : abandonner en plein parcours (...)

    (...) C'est pourquoi je vous souhaite de désirer ce beau savoir, cette belle science des approches de Dieu et de son amitié.  

     

    Père Jérôme, Écrits monastiques, Editions  du Sarment, 2002

  • Durer dans la prière

    "Ce fantastique effort de la prière de tous les jours" (Saint-Exupéry, Carnets).

    Vous, Antoine de Saint-Exupéry, qui avez écrit cette phrase, faisiez-vous donc partie des amis de la prière ? En tout cas, merci pour ce mot si compréhensif. Mais pourquoi "fantastique effort" ? Parce que ce n'est pas une petite chose que de durer, par ce moyen qui ne rassasie pas notre sensibilité, dans un amour pour un objet qui, lui-même, ne touche en aucune manière notre sensibilité. Seule la grâce divine de la charité théologale nous attache à Dieu. Or, ce n'est pas une mince affaire que de rester attentif, chaque jour, pour demander cette grâce, et pour l'accueillir.

    Fantastique effort, cette prière qui continue, alors que les sentiments et aspirations de l'âme se dessèchent. Fantastique, cette patience de l'homme contre le silence de Dieu. Fantastique, cette poursuite d'un amour qui ne vient pas, et qui semble ne jamais vouloir venir. Fantastique, ce pauvre boiteux qui ne quitte pas le Tout-Puissant, et marche du même pas.

    Fantastique effort, que de supporter ce poids des stations à genoux ! Mais non, ne parlons pas de cela, et n'exagérons pas ! Si nous ne portions jamais d'autre poids que celui-là, quelle allégresse ! Nous irions sûrement à l'extrême de nos possibilités, et les mélodies chanteraient d'elles-mêmes dans notre âme !

    "Et maintenant, dit le Seigneur, si tu aimes le fantastique, tu sais, enfant, ce qu'il te reste à faire ?" Hélas ! mon Seigneur et Maître, si vous m'attirez dans cette voie, vous allez me rendre bizarre dans mon propre milieu !" Accepte, enfant, le ridicule attaché à une vie de grandes prières. Sache seulement apprécier, selon les certitudes de la foi, les possibilités secrètes que t'offre une telle vie. J'aime les cœurs qui choisissent. Et pour t'aider à choisir, écoute la leçon d'un petit apologue (adapté d'après Les Sentences des Pères du désert) . "Voici un chien qui aboie et galope avec ardeur sur une piste où il a vu et senti le gibier. d'autres chiens des fermes voisines, voyant courir leur congénère, se mettent derrière lui en aboyant et galopant de confiance. mais ceux-ci n'ont ni vu ni senti le gibier, et, très vite, ils se demandent ce qu'ils font là, derrière cet enragé, et ils abandonnent. Seul le premier poursuivra jusqu'au bout, jusqu'à la saisie, parce qu'il a une expérience qui manque aux autres. Ce chien te paraît-il ridicule dans sa poursuite ? Alors toi, demande-toi qui donc, dans ton aventure personnelle, joue le rôle de gibier".

    Puisqu'il s'agit de durer dans la prière, pratiquons soit la prière vocale, lentement répétée (oraisons, chapelet), soit l'oraison contemplative, ou un libre mélange des deux. Seules, en effet, ces formes de prière peuvent obtenir le résultat recherché : exciter la vertu de foi juste assez pour lui permettre  de veiller, supporter sans perte les longues étapes, exercer l'amour peu senti, infusé par Dieu. Les autres formes de prière (oraison discursive, énumération de demandes) ne servent guère, si même elles ne gênent pas. (...)

    Lorsque la prière personnelle atteint une certaine fréquence, il n'y a plus lieu de chercher si elle est fervente ou non. Assiduité signifie ferveur; et fidélité sauve tout.

    Je mène ma vie de prière bien mal ? Peu importe, je continue. Mieux vaut continuer qu'abandonner. J'aime Dieu bien mal. Continuez. Mieux vaut continuer que cesser. (...)

    Lorsqu'on connaît la pauvreté de sa propre prière, on éprouve le besoin d'y mettre au moins la quantité. Et lorsqu'on y met la quantité, on commence à obtenir vraiment ce qu'on espère. Quel que soit le moment de votre existence où vous êtes arrivé, il vous est encore possible d'ajouter un moment de prière à ceux que vous avez déjà faits, fussent-ils innombrables. Vous avez ainsi toujours devant vous une oeuvre essentielle, une possibilité, la plus ferme des diverses possibilités dont je vous entretiens dans ces pages.  

    Père Jérôme, Écrits monastiques, Editions  du Sarment, 2002

  • Car toujours dure longtemps

    (...) Écoutons le reproche adressé par le Seigneur à ceux qui se prétendent ses fidèles :

    "Votre amour ressemble à la nuée matinale,

    A la rosée qui se dissipe de bonne heure." (Osée 6,4)

    Autrement dit : vous commencez, et vous ne durez pas ; vous venez, et vous repartez. Assiduité d'un matin, ou tout au plus d'un jour !

    Il n'est pas difficile, en effet, de dire : " Je t'aime." La difficulté commence quand on dit : "pour toujours", et surtout lorsqu'il s'agira de le réaliser. Car "toujours" dure longtemps. Tant que l'attrait exercé par l'aimé demeure vif, on reste attaché à lui sans effort ni peine. Mais pour que l'attrait ne diminue pas à mesure que se révèlent "les réalités de l'existence", celui qui aime devrait pouvoir le renouveler, pour le maintenir au moins dans sa teneur initiale. Artifice de l'amour ? Non, mais tout simplement vérité. Car ce qui hier vous attirait avec raison mérite de vous attirer encore aujourd'hui, si vous avez la force de vous élever du caprice à la fidélité, des récriminations aux mélodies.

    Personne ne voudrait dire : " Je ne puis aimer "; mais chacun risque d'en arriver, un jour  ou l'autre, à dire : "Je ne puis plus l'aimer." Car, pour aimer toujours un même objet, il faut avoir une source au fond de l'âme. Il faut, à la fois, la force de se souvenir et la force de créer. Il faut inventer chaque jour ce qui doit durer chaque jour. Aimer peut être, parfois, une faiblesse; mais durer dans l'amour ou l'amitié est toujours une générosité, une victoire.

    "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu " : ce précepte n'ordonne rien de particulièrement ardu. Mais que, durant toute la durée de notre existence, chaque jour il s'impose, toujours pareil, voilà qui devient un tour de force. Pour réussir ce tour de force, peut-être suffirait-il de très peu ? Comme il en faut très peu pour entretenir un feu de bois dans la forêt. Pourtant ce peu dépasse nos forces. Si donc l'attrait de l'amitié divine perd de sa vivacité, si la noire malice de la monotonie nous accable, il n'y a qu'un moyen de dépasser le plat et de se remettre dans la montée : la prière. Par conséquent, pour durer dans l'amitié divine, il faut durer dans la prière.

     

    Père Jérôme, Écrits monastiques, Editions du Sarment, 2002 

     

  • La prière du disciple (2)

    Si l'on aime et si l'on veut être aimé, avant tout il faut passer son temps près de l'ami, sous ses yeux, à portée de la voix. Face à face, ou côte à côte, mais tout proche. Vous direz : quand la proximité se prolonge, n'arrive t-il pas qu'elle déçoive et qu'elle lasse ? Les cœurs épais, peut-être, parce qu'ils ne savent ni créer ni offrir ; les cœurs qui ne savent que consommer. Mais ceux-là, qui viendraient-ils faire dans la vie contemplative ?

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  • la prière du disciple (1)

    L' amitié comporte toujours une part réservée au seul ami, à l'exclusion de toute autre présence ; cela résulte de la profondeur des échanges mutuels. L'amitié est donc, nécessairement, pour une part, un monde clos. En cela elle se distingue de la camaraderie. Or cette loi régit également l'amitié de l'homme avec Dieu : cette amitié comporte nécessairement une part d'union personnelle, que rien de communautaire ne pourra jamais supplanter.

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  • A propos du dernier livre de Frédéric Lenoir

    Le dernier numéro du magazine "Le Monde des religions" de novembre-décembre 2010, pages 78 et suivantes, retranscrit le débat entre  Frédéric Lenoir (auteur d'un livre paru en avril 2010 et intitulé "Comment Jésus est devenu Dieu") et le théologien Bernard Sesboüé qui explique pourquoi il a publié le " Christ, Seigneur et Fils de Dieu" :

    Bernard Sesboüé : " J'ai d'abord voulu écrire ce livre en réaction à la médiatisation du vôtre [celui de Frédéric Lenoir]. J'ai trouvé cette dernière à la fois un peu facile et agressive, car la caricature de deux de vos affirmations y était mise en relief. Un : "Jésus n'a jamais prétendu être Dieu. Deux : s'il n'y avait pas eu les empereurs au IV ème siècle, le christianisme serait un peu vieille lune. Cela m'a rappelé le Da Vinci Code (...) "

    Voilà tout est dit. Je vous invite à lire cet échange très intéressant dans ce magazine.

    Personnellement je retiendrai de cet article la remarque (p.81)  du P. Sesboüé : " Le propre de la foi chrétienne consiste non pas à annoncer que Dieu existe mais à annoncer qu'il s'intéresse à l'homme ; que Dieu se penche sur lui et d'une manière particulièrement émouvante sous la forme d'un homme, qui affronte la condition humaine jusqu'à la mort. Au coeur de la foi chrétienne, il y a donc cette conviction que le Christ est le visage de Dieu. Voyant le Christ, nous voyons ce que c'est qu'être Dieu. Et à travers lui, nous sommes en communion avec Dieu. Si vous avez raison, et que Jésus n'est pas Dieu, l'édifice de la foi, l'édifice de notre communion avec Dieu s'effondre. Si Jésus n'est pas vrai Dieu, alors moi qui suis en communion avec Jésus, je ne suis pas en communion avec Dieu."

    Effectivement, chaque mot pèse très lourd quand on aborde la christologie. Et les conséquences sont infinies pour la foi des chrétiens.

    Chacun est libre d'écrire sa vie de Jésus-Christ mais il doit préciser que sa réflexion est strictement personnelle et n'est en aucun cas la Parole de l'Eglise sur le Christ. Seulement la parole d'un homme, en recherche.    

     

    Références des livres :

    "Christ, Seigneur et fils de Dieu" - Bernard Sesboüé, éd. Lethielleux 2010.

    autres livres du P. Sesboüé :

    http://search.alapage.com/search?a=15641648-0-0&s=bernard+sesbo%C3%BC%C3%A9&adv=0&x=54&y=3

    "Comment Jésus est devenu Dieu" - Frédéric Lenoir - éd. Fayard 2010

  • Charité et amitié

     Sans l'expérience de l'union avec Dieu, nous ne pouvons percevoir la différence qui existe entre nos sentiments naturels d'amitié et la charité surnaturelle. Pourtant, chacun croit savoir et pouvoir dire en quoi consiste la charité ; et ce faisant, on joue à celle-ci un mauvais tour. Pour vous mon frère, ne cherchez pas, pour en tirer satisfaction, en quoi consiste la charité, cherchez plutôt où elle se trouve, pour aller en prendre

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  • Règle de saint Benoît

    Comme je l'ai déjà noté, dès l'entrée en communauté, une ambiance nous saisissait, celle créée par une référence habituelle à la Sainte Règle, la Règle de saint Benoît. Et cette référence venait d'abord et naturellement du Père Abbé, Dom Chautard, dès le premier entretien avec lui, dès les premières auditions de ses allocutions au chapitre. Il ne présentait pas la Règle de saint Benoît comme un règlement de maison, mais comme le manuel fondamental de nos aspirations religieuses et des conditions de notre réussite, comme le livre où nous trouverions définitivement notre identité. En contrepartie, cette sainte Règle, inspiratrice de l'orientation de la communauté, conférait à tous, même aux plus novices, une dignité immédiate : celle de "chercheur de Dieu". Un jeune homme peut se faire moine "s'il cherche vraiment Dieu". Cette citation, tirée de la sainte Règle, je l'ai entendue de la bouche de Dom Chautard dès les premières heures de mon arrivée, et ensuite, un nombre incalculable de fois, mêlée à un nombre incalculable d'autres citations. Il citait d'ordinaire  le texte de la Règle en latin; et le latin de saint Benoît, en effet, abonde en formules qui décrivent, en trois ou quatre mots, une attitude spirituelle fondamentale et résolue. 

    Dom Chautard vivait, si j'ose dire, au cœur de la sainte Règle. Il se montrait, sincèrement, son serviteur et son admirateur, avant d'être, par fonction, son interprète. Aussi pour lui, comme pour nous ses fils, ce fut un digne couronnement de son enseignement et de ses exemples lorsque, en 1931, je crois, un moine, jeune encore, prieur de l'abbaye de Chimay, vint nous prêcher la retraite annuelle. Ce moine s'appelait Dom Godefroid Belorgey.

    A cette époque, les prédications se donnaient dans notre actuel scriptorium. Au milieu de la salle, il y avait une chaire surélevée de deux marches, et les religieux prenaient place devant cette chaire , sur des bancs disposés en travers, entre la chaire et le fond. Les prédicateurs aiment, paraît-il, avoir un auditoire bien rassemblé.

    Lorsque je vis, assis dans cette chaire, ce moine de belle prestance, noblement drapé dans une belle coule blanche, ce qui nous changeait des jésuites  en soutane noire que nous avions entendus les années précédentes, lorsque je le vis promener sur nous un regard tranquille et faire face à notre auditoire, avec la perspective de trois instructions par jour pendant une semaine, je devinai que quelque chose d'essentiel allait se passer. Et, en effet, il y en eut beaucoup plus et beaucoup mieux que tout ce que j'attendais. J'avais appris déjà que la Règle de saint Benoît est une source de doctrine spirituelle  ; et voilà qu'elle devenait un océan. 

    Il y avait, à cette époque, dans l'abbaye de Chimay, un véritable renouveau de la spiritualité enseignée par saint Benoît, et sous l'égide de l'Abbé, Dom Anselme Le Bail, ce renouveau s'exprimait dans une doctrine   et devenait ainsi communicable. Ce furent les thèmes et les consignes de cette doctrine que nous ont transmis, avec une conviction et un talent émouvants, le Prieur  de Chimay. 

    Je suppose qu'il dut commencer par commenter le texte qui, selon l'école de Chimay, donne la clef de toute la spiritualité bénédictine, cette première parole de Dieu à celui qui fut son premier ami en la terre, le patriarche Abraham : " Marche en ma présence, et tu seras parfait" ; c'est-à-dire : " Marche en ma présence", et tout est dit ; car dès 143. lors, tout se mettra en sa juste place, tout ira vers ton Bien  suprême : tes espoirs, tes désirs, tes actions; ta capacité d'aimer. Que Dom Belorgey était passionnant à écouter, et persuasif ! Quelle harmonie profonde entre son enseignement et ses aspirations monastiques de toujours !

    A l'issue de la conférence dans laquelle il avait expliqué le quatrième degré d'humilité, c'est-à-dire l'aridité dans l'oraison, sa signification, sa valeur d'épreuve et de grâce, et la nécessité de la persévérance, Dom Chautard attendit que le prédicateur eût quitté la salle, puis, se levant, il nous dit à tous d'une voix grave et pénétrée d'émotion : " Voilà ce que j'attendais depuis longtemps. Mes enfants, voilà ce qu'il faut retenir et pratiquer. Tout le sens de notre vie est là." Pareille approbation est unique dans la carrière de Dom Chautard. (...)

    Je ne puis exposer ici cet enseignement immense et attirant, mais je puis dire l'effet que j'en ressentis, en écoutant Dom Belorgey : la conviction et la joie de bénéficier d'une merveilleuse aubaine. Si la Règle de saint Benoît possède pareille plénitude, si elle enseigne cette spiritualité-là, celle que montrait Dom Belorgey, c'est pour moi une chance inestimable d'être instruit et guidé par elle. (...)

    Bien souvent, depuis, j'ai pu comparer, par des lectures, cette doctrine de saint Benoît avec d'autres doctrines spirituelles. Celles-ci présentent volontiers une prédominance psychologique : analyse du moi, de ma sensibilité, de mes égoïsmes et de mes conflits. Analyse culpabilisante. Pitié ! ne faisons pas de la vie intérieure un complexe de plus ! Cette psychologie ne fait pas avancer d'un pas vers notre grand Dieu. Nous avons bien plutôt besoin de regarder le chemin qui mène à Lui, et pour cela qu'on nous montre ce chemin. "En avant ! Allons, faites ce petit parcours, sous le regard de Dieu. Voilà, c'est bien ! Voyez comme c'est facile sous le regard de Dieu. Et voilà l'esprit de saint Benoît : faire du chemin vers Dieu et avec Dieu, du chemin, et encore du chemin. (...)

    (...) Une règle religieuse, qui prétend guider la vie spirituelle doit remplir plusieurs conditions : elle doit se fonder sur les Saintes Écritures; elle doit être ferme; elle doit conduire jusqu'au but; elle doit enfin avoir la garantie de l'expérience des anciens, et donc avoir, sans faillite, traversé les siècles. Ces conditions ne sont-elles pas remplies par la règle de saint Benoît ? Vraiment, aucune règle de vie ne m'aurait aussi profondément engagé et soutenu, cette règle telle qu'elle fut si efficacement expliquée par des maîtres comme Dom Chautard et Dom Belorgey.

     

    Père Jérôme, Écrits monastiques, Editions du Sarment, 2002 

  • comme un saumon hors de l'eau

    Frère, un saumon qui frétille au soleil, transpercé par le harpon qui le maintient hors de l'eau, ne se demande pas si le harpon est tenu ou non par une main, et par quelqu'un qui est plus puissant que lui. Durant de longues années j'ai été comme ce saumon, et je sais bien que ce n'est pas une puissance créée qui tenait le harpon, ni le hasard qui menait avec moi un jeu si bien calculé.

    Depuis, je suis revenu au bon gros régime de la foi : la marche avec les solides brodequins cloutés. Je sais aussi que, tout compte fait, ce régime constitue la plus grande des grâces. Ceux qui n'ont pas connu la situation du saumon s'ennuient parfois de la marche à pied : ils ont bien tort...! Et pourtant !

    Petit frère, je ne me gonfle pas ; surtout pas devant vous. Je suis bien médiocre, et j'en ai vive conscience. Mais je ne veux que répondre à votre poème, non me confesser. En gros, j'ai tenu dans cette intimité certaine, par une prière, rarement facile, mais fidèle. J'étais construit pour la fidélité. Bien sûr, et cela fait une différence énorme, je sais que ma prière ne tombe jamais dans le mou, je sais que mes stations à l'église ne sont jamais inutiles ; je sais qu'il y a, de la part de Dieu vivant, attention, intérêt envers ma prière, et, si je puis dire, oeuvre commune à Lui et à moi, pour le règne de Dieu. Ma persévérance va de soi, elle est facile, encourageante; bien que ma prière soit une suite d'efforts pour répéter mes quelques formules, et que j'aie, tous les soirs, bien mal aux genoux. Je sais que, selon les habitudes du Seigneur, je ne dois plus recevoir les grâces par grosses vagues déferlantes comme autrefois ; au régime ordinaire, je dois pouvoir tenir.

    Par une réaction naturelle, je cherche à entrer en rapport avec d'autres, qui ont vécu de telles aventures. j'en ai rencontré. Il suffit de peu de paroles pour être merveilleusement encouragé.

    Par contre, lorsque j'entends dire : " Ces oraisons prolongées, ça ne sert à rien", je sais que c'est  par là que tout commence et que tout se maintient, puisque Dieu veut une amitié, et que la Présence est la loi de l'amitié. (...) Notre vocation est de connaître Quelqu'un, de savoir lui parler, de pénétrer ses projets sur les hommes et de les faire nôtres. Or ce Quelqu'un ne se laisse pas traiter comme une chose ! Mais si on est généreux envers lui, il donne un bonheur personnel que rien d'autre ne donne. (...)

    Lettre  du P. Jérôme au frère Nicolas (extrait) du 6 mars 1976

    Père Jérôme, Écrits monastiques, Editions du Sarment, 2002 

  • Sur le modèle d'un tableau de Picasso

    Picasso vient de mourir. On lui décerne déjà le titre de "grand" et je crois qu'il y a droit. Parce que grand artiste, il a "senti" la conformation de l'esprit moderne. L'homme moderne pense les choses, les reconstruit dans sa tête, d'une certaine façon, mais généralement inconsciente. Picasso a "rendu", sur toile, la façon de penser de nos contemporains. Et cette façon de penser déforme toutes les belles créations de Dieu !

    Car il n'y a pas de doute, c'est sur le modèle d'un tableau de Picasso que bien des époux imaginent leur foyer, que bien des professeurs organisent les études, que bien des intellectuels bâtissent leur philosophie, que des politiciens conduisent la politique, que des supérieurs religieux dirigent leurs communautés, que des théologiens enseignent la théologie ! Ce que je connais de l'oeuvre de Picasso - peu, il est vrai ; on lui attribue environ treize mille toiles ! - me la fait admettre comme une satire ou une mise en garde, tragique !

    [Extrait de la lettre du père Jérôme au frère Nicolas du 11 avril 1973]

     

    Père Jérôme - Écrits monastiques - Sarment 2002

     

     

  • Ne t'inquiète pas

    Ami, pour la vie d'union avec Dieu, il faut à la fois beaucoup compter sur Dieu - car tout, absolument tout, vient de lui, gratuitement - et agir avec beaucoup de ténacité - car les grâces ne sont données qu'aux généreux, aux sacrifiés, aux avides.

    Donc, toujours, à la fois, deux attitudes : premièrement, implorer avec soumission : " Sans vous, rien n'aura lieu, Seigneur !" (Saint Jean de la Croix) ; deuxièmement, déployer "cette obstination douce" en laquelle le cher abbé Brémond reconnaît une caractéristiques des vrais mystiques".

    Remarque très importante, très encourageante : les efforts qu'on fait en vue de l'intimité divine sont un signe que Dieu veut nous donner cette intimité ! C'est évident puisque ces efforts eux-mêmes nous sont donnés par Dieu. Chaque pas que nous faisons nous prouve que le chemin est déjà préparé par Dieu. Chaque acte de volonté par lequel nous choisissons l'union avec Dieu est un signe que nous sommes déjà désignés pour le divin privilège.

    C'est ce qu'exprime Pascal en une formule très solide : " Console-toi, tu ne me chercherais pas, si tu ne m'avais trouvé !" Ou la variante ci-après : " Tu ne me chercherais pas, si tu ne me possédais. Ne t'inquiète donc pas."

     

    Père Jérôme, Écrits monastiques, Editions du Sarment, 2002 

  • Mais il y a la prière...

    Le nœud du problème de l'homme, ce n'est pas l'homme lui-même ; c'est un Objet, infiniment beau, situé au-dessus de l'homme et qui rendra l'homme heureux dans un contact personnel, pour l'éternité. Et avant même cette éternité, aujourd'hui déjà ; et à la portée de quiconque cherche, il y a la douceur, l'innocence, l'apaisement, dans la vérité de Jésus-Christ. Pour tendre une main secourable aux perdus de l'amour, égarés sur de mini-objets, il faut se perdre soi-même dans l'amour pour Dieu, le véritable Objet.

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  • La seule chose qui compte

    (suite)

    32. (...) Enfin, face à l'apparente trahison de Dieu, je voudrais partager avec vous cette idée que j'ai trouvée dans le journal saisissant de Etty Hillesum (Une vie bouleversée...) à savoir que c'est nous qui pouvons aider Dieu 33. plutôt que Dieu nous aide. Cette jeune juive hollandaise, qui s'était portée volontaire dans un camp de transit afin de partager le sort de son peuple, fut finalement expédiée à Auschwitz où elle mourut le 30 novembre 1943. Dans les pires conditions du camp, elle écrit cette prière un dimanche matin de 1943 qui traduit une expérience très profonde qui est au-delà de la révolte et de la résignation. "Je vais t'aider, mon Dieu, à ne pas t'éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d'avance. Une chose cependant m'apparaît de plus en plus claire : ce n'est pas toi qui peux nous aider, c'est nous qui pouvons t'aider, et ce faisant, nous nous aidons nous-mêmes. C'est tout ce qu'il nous est possible de sauver en cette époque, et c'est aussi la seule chose qui compte : un peu de toi en nous, mon Dieu. Oui, mon Dieu, tu sembles assez peu capable de modifier une situation finalement indissociable de cette vie. je ne t'en demande pas compte, c'est à toi au contraire de nous appeler à rendre des comptes, un jour. Il m'apparaît de plus en plus clairement, à chaque pulsation de mon coeur, que c'est à nous de t'aider et de défendre jusqu'au bout la demeure qui t'abrite en nous."  Ce n'est pas Dieu qui peut nous aider, mais nous pouvons aider Dieu à faire en sorte que sa demeure, au sens de notre expérience de la présence gratuite de Dieu en nous, subsiste en nous.

    Dieu nous a-t-il trahis ? Vous voyez que je ne réponds pas simplement comme théologien, mais comme homme tout court et comme croyant. La réponse à cette question ne peut être que modeste. je ferais volontiers mienne la confidence d'Elie Wiesel quand il disait : "Parfois pour Dieu, souvent contre lui, et pourtant jamais sans lui."

     

    Claude Greffé dans "La religion, les maux, les vices" - Conférences de l'Etoile présentées par Alain Houziaux - Presses de la Renaissance, Paris 1998 - ISBN 2-85616-708-X