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comme un saumon hors de l'eau

Frère, un saumon qui frétille au soleil, transpercé par le harpon qui le maintient hors de l'eau, ne se demande pas si le harpon est tenu ou non par une main, et par quelqu'un qui est plus puissant que lui. Durant de longues années j'ai été comme ce saumon, et je sais bien que ce n'est pas une puissance créée qui tenait le harpon, ni le hasard qui menait avec moi un jeu si bien calculé.

Depuis, je suis revenu au bon gros régime de la foi : la marche avec les solides brodequins cloutés. Je sais aussi que, tout compte fait, ce régime constitue la plus grande des grâces. Ceux qui n'ont pas connu la situation du saumon s'ennuient parfois de la marche à pied : ils ont bien tort...! Et pourtant !

Petit frère, je ne me gonfle pas ; surtout pas devant vous. Je suis bien médiocre, et j'en ai vive conscience. Mais je ne veux que répondre à votre poème, non me confesser. En gros, j'ai tenu dans cette intimité certaine, par une prière, rarement facile, mais fidèle. J'étais construit pour la fidélité. Bien sûr, et cela fait une différence énorme, je sais que ma prière ne tombe jamais dans le mou, je sais que mes stations à l'église ne sont jamais inutiles ; je sais qu'il y a, de la part de Dieu vivant, attention, intérêt envers ma prière, et, si je puis dire, oeuvre commune à Lui et à moi, pour le règne de Dieu. Ma persévérance va de soi, elle est facile, encourageante; bien que ma prière soit une suite d'efforts pour répéter mes quelques formules, et que j'aie, tous les soirs, bien mal aux genoux. Je sais que, selon les habitudes du Seigneur, je ne dois plus recevoir les grâces par grosses vagues déferlantes comme autrefois ; au régime ordinaire, je dois pouvoir tenir.

Par une réaction naturelle, je cherche à entrer en rapport avec d'autres, qui ont vécu de telles aventures. j'en ai rencontré. Il suffit de peu de paroles pour être merveilleusement encouragé.

Par contre, lorsque j'entends dire : " Ces oraisons prolongées, ça ne sert à rien", je sais que c'est  par là que tout commence et que tout se maintient, puisque Dieu veut une amitié, et que la Présence est la loi de l'amitié. (...) Notre vocation est de connaître Quelqu'un, de savoir lui parler, de pénétrer ses projets sur les hommes et de les faire nôtres. Or ce Quelqu'un ne se laisse pas traiter comme une chose ! Mais si on est généreux envers lui, il donne un bonheur personnel que rien d'autre ne donne. (...)

Lettre  du P. Jérôme au frère Nicolas (extrait) du 6 mars 1976

Père Jérôme, Écrits monastiques, Editions du Sarment, 2002 

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