Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Pierre Ganne

  • La Bonne Nouvelle annoncée aux pauvres (5)

    (...) [45]       SENS FONDAMENTAL DE LA PAUVRETE

    En ne comprenant pas que la pauvreté est d'abord et fondamentalement une option portant sur l'avenir des hommes, au coeur des conflits historiques où se heurtent les puissances, il ne nous est pas possible de saisir le sens de la pauvreté évangélique et des béatitudes. Il ne reste plus  qu'à reléguer au dépotoir des illusions, des besoins [46] soi-disant "mystiques"  ou des idéologies plus ou moins intéressées à l'exploitation des consciences humaines.

    En prenant et en comprenant la pauvreté à l'envers, par le petit bout, par ses conséquences dans l'avoir et dans l'usage des biens du monde, nous nous condamnons à ne plus comprendre ces conséquences et cet usage. Nous aboutissons inévitablement à des condamnations abstraites de l'avoir, de la technique ou de l'argent, qui demeurent ambiguës tant que la pauvreté ne se réfère pas à l'avenir absolu de l'homme. (....)

    [48] Or l'avenir n'est humain que s'il est vraiment choisi et voulu. 

    Malheureusement on peut arriver à faire croire à l'homme qu'il choisit librement ce qui, en réalité, lui est imposé. Les propagandes, les publicités, les idéologies, toutes les séductions, les moyens de conditionnement, les procédés de "viol des foules" visent à se substituer à la décision libre. "En douce", par la bande, on arrive à chloroformer le patient  afin d'obtenir de lui une adhésion  infantile qui ne vient pas de lui, de sa liberté, mais de ses passions et de ses pulsions, de ses besoins et de ses rêves. (...)

    [43] (...) les pauvres de Yahvé [voir la note ci-dessous] n'ont pas accepté que leur avenir soit défini par les puissants de ce monde qui veulent toujours se justifier, s'imposer aux esprits et aux consciences. Aux hommes qu'elles dominent, ces grandes violences tiennent toujours à peu près ce langage : " C'est nous l'avenir, c'est nous votre avenir ; d'ailleurs, notre puissance est telle qu'elle s'étendra indéfiniment et deviendra universelle. Bref, nous sommes le "sens de l'histoire", de votre histoire (...) Ceux qui ne marcheront pas et qui résisteront sont opposés évidemment à l'avenir des hommes, et, à notre grand regret, nous serons obligés de les liquider."

    Eh bien, les pauvres de Yahvé, éclairés par la lumière de la Parole de Dieu, ont opposé un refus catégorique à des propositions de ce genre ; ils ont dit "non", un non conscient et résolu aux prétentions des puissants. "Non, affirment-ils l'avenir véritable des hommes n'est pas en votre pouvoir, il ne dépend pas de vous, malgré toutes les apparences. Vous usurpez un pouvoir qui ne vous appartient pas. Nous savons, nous, de quel côté se trouve l'avenir, ce qui le garantit, ce qui permet de l'attendre et de l'atteindre sans déception, par quels moyens nous pouvons le réaliser, sur quelle puissance nous appuyer pour le construire. (...) [44] Sans limites et inépuisable, c'est la puissance même du Créateur qui nous est donnée. A elle et à elle seule, nous avons voué notre foi, notre espérance et notre amour. Toute autre puissance ne peut être qu'une idole, une séduction ou une illusion, une ruse ou un mensonge."  

    Pierre Ganne - Le pauvre et le prophète - Ed. Anne Sigier 2003

     

     Note : "pauvres de Yahvé" est un terme utilisé dans l'Ancien Testament. On pourrait utiliser - depuis la venue du Christ parmi nous - le terme de "pauvres de Jésus Christ", ou pauvres "selon les béatitudes". Pierre Ganne  nous invite à ne pas confondre "pauvreté" et "misère". Note du rédacteur de ce blog.]   

  • La Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres (4)

    [26]

    Elle dénonce l'idolâtrie en manifestant qu'une société, qui parfois se proclame chrétienne, a placé l'avenir véritable des hommes dans l'argent, dans la puissance, dans le développement et dans le progrès, en tout, sauf dans le règne de Dieu et sa justice.

    Elle accuse l'hypocrisie et le mensonge d'une société qui fait croire que la pauvreté n'est pas la décision existentielle, l'option d'un homme libre, mais une condition, un conditionnement, une fatalité, masquant ainsi et caricaturant la Bonne Nouvelle.

    Elle condamne l'imposture d'une société qui a tout misé sur l'avoir, parfois sous le couvert de l'Evangile, ce qui empêche ainsi beaucoup d'hommes de reconnaître le sens de leur existence d'hommes, en tant qu'humaine, dans la révélation du Christ, leur faisant croire que tout se joue sur le seul plan de la croissance et de l'avoir.

                                                                                  A suivre...

     

    Pierre Ganne - Le pauvre et le prophète - Ed. Anne Sigier 2003

  • La Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres (3)

    [24] Dans ce contexte faussé, il n'est pas étonnant qu'un homme comme Proudhon, par exemple, athée mais respectueux de l'Evangile, se soit interrogé sur la portée d'un projet de suppression de la misère. L'Académie des sciences morales et politiques avait posé la question suivante : " Quelle influence les progrès et le goût du bien-être exercent-ils sur la moralité du peuple ?" Proudhon répond, dans son ouvrage Philosophie de la misère paru en 1846  [ce livre est édité dans la collection 10/18] :

    Nous avons affaire à une société qui ne veut plus être pauvre, qui se moque de tout ce qui lui fut autrefois cher et sacré, la liberté, la religion et la gloire, tant qu'elle n'a pas la richesse ; qui, pour l'obtenir, subit tous les affronts, se rend complice de toutes les lâchetés ; et cette soif ardente de plaisir, cette volonté irrésistible d'arriver au luxe, symptôme d'une nouvelle période de civilisation, est le commandement suprême en vertu duquel nous devons travailler à l'expulsion de la misère : ainsi dit l'Académie. Que devient après cela le précepte de l'expiation et de l'abstinence, la morale du sacrifice, de la résignation et de l'heureuse médiocrité ? Quelle méfiance des dédommagements promis pour l'autre vie et quel démenti à l'Evangile ! Mais surtout quelle justification d'un gouvernement qui a pris la clé d'or pour système ! Comment des hommes religieux, des chrétiens, des Sénèque ont-ils proféré d'un seul coup tant de maximes immorales ?

    Il est clair que Proudhon confond l'Evangile avec la religion de l'au-delà systématisée, sinon inventée, par le déisme du XVIII e siècle, ou avec ce "platonisme pour le peuple " dont parlera Nietzsche. Il était excusable : beaucoup de chrétiens ne voyaient pas l'Evangile sous une autre lumière. Il nous est dès lors possible  d'entrevoir [25] la profondeur des malentendus qui pesaient sur la problématique des questions inévitables et urgentes au sujet des pauvres et de la signification de la pauvreté. Tel est le contexte culturel du XIX e siècle, très schématiquement évoqué, qui nous marque aujourd'hui encore de façon le plus souvent inconsciente.

    Au contraire, dans la tradition biblique et dans la révélation chrétienne, la misère n'est, en aucune manière sacralisée. Aucune auréole de béatitude ne vient la cerner. Depuis les prophètes et jusqu'au coeur de l'Evangile, la misère est dénoncée, aussi nettement que possible et parfois violemment, comme le fruit du péché de la société, comme le péché collectif du peuple de Dieu, comme le symptôme le plus clair que, malgré les manifestations d'un culte prospère, malgré des pèlerinages, des jeûnes et des sacrifices, ce peuple a rompu avec le vrai Dieu que, par ailleurs, "il honore des lèvres". Tous ces soi-disant croyants ont plus ou moins consciemment brisé et rejeté l'Alliance avec le Créateur, en dehors de laquelle toute leur religion n'a aucun sens. Bien loin d'être nimbée d'une lumière de béatitude, la misère est révélée sous la lumière sinistre de la colère de Dieu, de la justice et du châtiment aussi inévitable que le développement d'un cancer dans l'organisme qui en a accueili le virus et ne se défend plus contre son action destructrice. La présence massive de la misère dans une [25] société est une dénonciation, une accusation, une condamnation. 

                                                                                   A suivre.... prochain post 

     Le pauvre et le prophète"  de Pierre Ganne - éd. Anne Sigier, 2003 ISBN 2-89129-438-6 

  • La Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres (2)

    (suite du post précédent)  : NON, LA MISERE N'EST  PAS  SACREE  !

    "Quoi qu'il en soit de cette complexe histoire, la question de la pauvreté évangélique s'est posée dans une certaine confusion romantique, avec des ambiguïtés et des équivoques dont nous ne sommes pas encore sortis aujourd'hui. Il eût fallu procéder à une élaboration théologique solide, allant droit à l'essentiel. Mais cette tâche n'a pas été possible. C'est pourquoi il s'est produit un phénomène inquiétant que j'appellerai la sacralisation de la pauvreté : la sentimentalité qui se déversait déjà dans la piété individualiste a envahi également le domaine social. Pauvres et riches ont été enveloppés [22] dans cette aura religieuse que beaucoup ont confondu avec la lumière de l'Evangile. Les pauvres ne sont-ils pas les privilégiés des béatitudes et du royaume de Dieu ? Les riches ne sont-ils pas au contraire condamnés et maudits ? 

    Il est vrai que les riches se résignent assez bien à cette malédiction et à leur malheur spirituel. D'autant mieux que, tout en s'enrichissant par tous les moyens, il est possible de se dédouaner envers le ciel par la pratique des "bonnes oeuvres" en faveur des miséreux. Au fond, ces pauvres, il ne faut pas les tirer hors de la béatitude évangélique dont ils sont nimbés. S'ils n'apprécient guère, ou pas du tout, leur bonheur, c'est sans doute qu'ils ne sont pas suffissamment évangélisés, l'Eglise ayant un peu oublié, malgré l'éloquence de Bossuet et de quelques autres, qu'elle était d'abord  " l'Eglise des pauvres". Evangélisation difficile : surtout depuis que des méchants, des athées, ont fait croire aux miséreux qu'ils n'étaient pas bienheureux mais exploités par les riches, dont beaucoup sont chrétiens et dont l'Eglise ne dédaigne pas toujours les suffrages et l'argent. 

    D'ailleurs, les gens de bien, des honnêtes gens, compétents en économie politique, pensent que les structures sociales qui déterminent l'existence des pauvres et des riches, et tout d'abord la structure de la propriété, sont inscrites dans la nature des choses. Elles sont naturelles et, puisque Dieu est l'auteur de la nature, elles sont du même coup providentielles, de droit divin, comme le sont la monarchie et l'autorité. N'est-ce pas d'ailleurs une confirmation de la parole de Jésus : " Vous aurez toujours des pauvres parmi vous" ? Et l'on en revient [23] à cette conviction : il n'est pas possible de supprimer la misère. Cette tentative équivaudrait à arracher le froment avec l'ivraie. Ce serait en même temps attenter à la "nature des choses" par la révolution qui ne peut venir que du diable. Mais il faut absolument soulager cette misère et remédier aux excès du fonctionnement de la machine sociale, et de là résulte un double avantage : obéir à l'Evangile et éloigner la menace de la révolution. Cet accord merveilleux entre l'Evangile et les intérêts bien compris, "entre le capital et le travail", n'est-ce pas le signe même de la vérité ?

    Ce qui montre bien que l'on a affaire à une sacralisation de la misère, et non pas précisément à une intelligence de la pauvreté dans la foi, c'est que les structures qui engendrent la misère ne sont l'objet   d'aucune appréciation morale, tandis que les jugements moraux pleuvent sur les miséreux : ils sont paresseux, fainéants, ivrognes, menteurs, etc. C'est tout juste s'ils ne sont pas les véritables exploiteurs ! Et il faudra plusieurs générations pour élaborer lentement une morale sociale qui jugera non plus les "misérables", mais les structures de misère et de paupérisation. Paradoxalement - mais le paradoxe s'explique -, l'athéisme scientifique de Karl Marx, qui inclut une désacralisation relative, sera plus avancé moralement - en ce qui concerne le jugement porté sur l'argent, sur la misère et sur ses causes - que la foi (?) de beaucoup de croyants englués dans l'amalgame politico-religieux de l'idéologie libérale.  

                                                                                                  A suivre...

    " Le pauvre et le prophète"  de Pierre Ganne - éd. Anne Sigier, 2003 ISBN 2-89129-438-6 

  • La Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres (1)

    [20] Au XIX e siècle, la révolution industrielle a engendré le prolétariat, la misère des taudis et des conditions de travail inhumaines. Les prolétaires ont été livrés sans défense à la machine capitaliste qui ne pouvait pas fonctionner sans écraser et avilir les hommes qu'elle employait. L'idéologie libérale avait hérité de l'individualisme de la législation de 1789 qui, entre autres choses, avait en 1791 aboli les corporations. Les prolétaires ne pouvaient donc pas s'organiser légalement pour se défendre : ni droit au travail ni droit syndical, aucune législation sociale. La conquête de ces droits élémentaires ne pourra s' obtenir que par une lutte longue et sanglante. En attendant, partisans et adversaires de cette société libérale ne pouvaient pas ne pas se poser la question des pauvres et de la pauvreté. Et les uns et les autres ne pouvaient guère éviter de la poser en référence à l'Evangile.

    D'un côté, les chrétiens, confondus en masse avec la société bourgeoise libérale, n'allaient tout de même pas oublier que "la Bonne Nouvelle est annoncé aux pauvres". Mais que faire, théologiquement parlant, de ces prolétaires, de ces pauvres, victimes d'une société dont les chrétiens bourgeois étaient partie prenante ? Le Christ n'a-t-il pas béatifié les pauvres, ces mêmes [21] pauvres dont la condition est intolérable ? Comment dès lors supprimer, sans précautions et sans nuances, une condition que l'Evangile semble auréoler de sa lumière ? D'autre part, tenter de transformer radicalement, "révolutionnairement", cette situation revient à scier la branche sur laquelle on est assis. Faut-il détruire une société dont on ne peut tout de même pas dire que tout est pourri ? La présence même de l'Eglise, de la religion, au sein de ce monde interdit ces dispositions extrêmes.

    De l'autre côté, les adversaires, les révolutionnaires, les "socialistes" voyaient l'Eglise et les chrétiens enkystés dans l'idéologie  et les structures libérales. Les uns, qui se réclamaient d'une inspiration chrétienne, tels certains socialistes utopiques, ont tenté de ressaisir l'Evangile en dehors de l'Eglise, ou contre elle. D'autres ont opté pour la voie radicale de l'athéisme, rejetant à la fois l'Eglise et l'Evangile. 

                                                                                      A suivre....prochain post

     " Le pauvre et le prophète"  de Pierre Ganne - éd. Anne Sigier, 2003 ISBN 2-89129-438-6 

  • désaxé

    182 Une humanité qui n'a pas la certitude d'être aimée est malheureuse. Il n'est pas obligatoire que l'aventure humaine se fasse à travers tant de catastrophes, de misères, de souffrances et de meurtres. Ce n'est pas nécessaire du tout. Mais si on cherche à fabriquer un "homme nouveau" à coups d'idéologie, de pouvoir, de sciences, ce soi-disant homme nouveau ressemblera aux vieilleries du monde, aux vieilleries mythologiques.

    182 Ce qui nous empêche de nous en apercevoir, c'est peut-être que notre foi n'est pas grosse comme un grain de sénevé. Alors, cette expérience de foi reste médiocre et fragile. Elle ne se révèle pas à nos propres yeux, dans sa propre logique, dans sa propre vérité. Et cette médiocrité nous tue. Alors que le plus grand pécheur du monde, s'il garde cette certitude d'être aimé de Dieu, peut être un témoin de l'amour de Dieu. Il en sera témoin dans son péché même. Mais le médiocre, celui qui est inconsistant comme un brouillard, n'aura pas la certitude d'être aimé, tout en cherchant frénétiquement cette certitude comme si c'était son oeuvre propre.

    182 Cette certitude, on ne la trouve que dans une relation qui nous engage. " Ta foi t'a sauvé", dit le Christ, qui ne dit jamais : "Je t'ai sauvé". Ce sont nos faux dieux qui nous disent : " Je t'ai sauvé, alors sois-moi reconnaissant."

    (...)

    186 Quelquefois, nous entendons la question : " Quel est le spécifique de la foi chrétienne" ? On doit répondre : " C'est que Dieu est amour". Cette certitude est à reconnaître personnellement, dans l'initiative de Dieu. Alors, elle nous libère à la source (...)

    Pierre Ganne - " Etes-vous libre ?" Ed. Anne Sigier 2008 - ISBN 978- 2 - 89129 - 556 - 7

  • Avant Freud, déjà

    (...) Pourquoi parler de redécouverte dans le cas des théories freudiennes ? Parce que Freud a fini par prendre conscience que d'autres avant lui avaient exploré cet aspect méconnu de la psyché. Au cours de ses recherches, il s'est documenté et s'est alors aperçu qu'il n'était pas tout seul à penser ainsi. Il s'est alors intéressé aux "possédés de Loudun" et a écrit à un de ses correspondants que la façon dont le père Surin s'y était pris pour essayer de libérer ses malades faisait de lui le véritable inventeur de la psychanalyse : " Ce n'est pas moi, c'est le père Surin", écrit Freud.

    S'il était remonté plus haut, il aurait trouvé d'autres inventeurs. Il aurait découvert que, depuis bien longtemps avant Ignace de Loyola, on parlait de "discernement des esprits". Selon cette expression, on ne s'occupe pas des "esprits", mais des états d'esprit que sont les pulsions, les passions qui nous travaillent dans un sens ou dans l'autre. Une certaine agitation des esprits qui nous tire tantôt d'un côté, tantôt d'un autre.

    Ignace de Loyola avait attiré l'attention là-dessus. Car quelqu'un qui essaie de se recueillir, de reprendre conscience de lui-même, de se désaliéner s'aperçoit qu'il n'est pas sur un terrain neutre où il n'a qu'à se mettre en roue libre ! Il s'aperçoit qu'il est sur un terrain mouvementé, un terrain qui n'est autre que sa propre personne. Quand un retraitant se met en silence, quand il est en retraite, les pulsions qui l'habitent prennent un relief extraordinaire et c'est le silence qui lui fait prendre conscience du bruit.

    Le retraitant est agité par divers esprits, il est le siège de pulsions dont il n'est pas  maître. Et c'est normal, justement. Ignace de Loyola dit que si ce retraitant n'est pas agité par des esprits, il faut le renvoyer, il n'est qu'un caillou inerte, mais que, s'il est agité par les esprits, il y a une genèse possible, à condition d'interpréter.

    Au départ, saint Ignace voit le jeu des pulsions dans deux sens qui s'opposent :

    - la désolation,

    - ou la consolation

    (...)

    De tout temps, des spirituels dans le monde, y compris les Pères du désert, ont fait des analyses selon la même méthode. Ils s'efforçaient de décrypter, par une relation à l'autre, par l'amitié, par un lien de confiance mutuelle entre deux êtres, la capacité de chacun à aider l'autre à s'unifier, à devenir lui-même. Aujourd'hui, on s'imagine que c'est l'autre qui nous unifie, alors qu'on ne fait ainsi qu'un transfert. C'est plutôt l'être humain qui s'auto-unifie. Sinon, on est dans la dépendance de l'autre, et le jour où on s'en rend compte, la reconnaissance risque de se changer en haine !

    Si le directeur de conscience est impérialiste - et il y en a -, il pourrait bien se dire : " C'est moi qui vais unifier cette personne, c'est moi qui vais la guérir" ! C'est un danger terrible, auquel le retraitant peut facilement s'exposer s'il n'a pas le courage de se retrouver par lui-même. (...) Ignace de Loyola n'a jamais parlé de "diriger les âmes". Pour lui, l'important était d'aider l'autre à s'unifier lui-même. Parce que, s'il ne s'unifie pas lui-même, c'est une catastrophe. 

      

    Pierre Ganne - Etes-vous libre ? - Ed Anne Sigier 2008 p. 161-64. ISBN 978-2-89129-556-7

  • la vie spirituelle

    La vie spirituelle ne s'oppose pas à une autre vie qui ne le serait pas. La vie spirituelle, c'est la vie tout court. C'est un chemin quelque peu tortueux. La vie spirituelle, c'est l'homme rendu à lui-même, dans son coeur, dans son être profond. C'est l'homme qui n'est plus étranger à sa propre existence d'homme. (Alors que, dans notre monde, beaucoup d'aspects de notre existence restent étrangers à notre vie humaine.) C'est un homme libre qui ne se précipite pas tête baissée dans sa profession. C'est un homme qui ne devient pas un personnage. C'est un homme que sa liberté immunise contre la peur, la peur insensée, cette peur qui crée une sorte de révolte instinctive ou une triste résignation ! C'est un homme qui assume son existence à partir de son coeur, de sa liberté.

    Voilà tout ce que sous-tend une saine vie spirituelle.

    Pierre Ganne - Etes-vous libre ? - Ed Anne Sigier 2008 p. 154. ISBN 978-2-89129-556-7

  • cocréateurs

    La création, c'est Dieu qui nous dit : " Tu es responsable de ton existence, dans le temps et dans l'éternité." Cette responsabilité nous exprime tout l'amour de Dieu, qui veut que nous soyons comme lui, créateurs. 

    Pierre Ganne, op. cit. p.146 

  • là se joue votre vie

    Qu'est-ce que les gens découvraient en Jésus Christ pour le suivre, pour suivre un type que les autorités n'avaient pas reconnu ? Ils découvraient en lui une puissance absolument pure de toute domination qui les séduisait, parce qu'une telle puissance est aimable. Mais pour l'accueillir et aller vers elle, pour y adhérer, il fallait aller contre toutes les pressions sociales. C'est pourtant avec un esprit libre de ce genre qu'on fait des hommes ! Et il a fallu beaucoup de courage aux apôtres du Christ pour s'engager à sa suite.

    " Le Christ, c'est l'homme pour les autres ", dit-on parfois. C'est d'abord l'homme pour son Père, et il n'est l'homme pour les autres que parce qu'il est d'abord l'homme pour son Père." (p.134)


    " Qu'est-ce une culture ? " la réponse devrait être simple. Selon moi, la culture d'un homme, la culture humaine, porte d'abord sur le jugement de l'homme. Le jugement nous sert à conduire notre vie. On peut multiplier les formules à l'infini, mais, essentiellement, un homme cultivé, c'est celui qui, sur une question, va droit au coeur du sujet. Il s'agit d'une culture du jugement. (...) Dans les Evangiles, le conflit entre le Christ et les pharisiens porte justement sur cette question. Le Christ reproche aux pharisiens de manquer de jugement. Leur culture de la foi est déficiente. Ils ne savent plus où est l'essentiel. Alors, ils ne peuvent plus se conduire et encore moins conduire les autres. (P.138)

    (...) Saint Paul ne discute pas de ce qui divisait les Corinthiens. Il leur dit : " Le Christ et la connaissance du Christ, la rencontre personnelle du Créateur dans le Christ, c'est là que se joue votre vie et c'est là l'essentiel." L'existence de l'Eglise, sa vie quotidienne, dépend de la foi formée de ceux qui adhèrent à l'Eglise. Il n'y a pas de foi par procuration. Et quand Jésus dit : " Ta foi t'a sauvé ", il ne peut s'agir que d'une foi approfondie.
    Nous devons prendre conscience de notre responsabilité de chrétiens. nous ne pouvons pas faire jouer cette responsabilité dans une pouponnière où chacun pense qu'il n'est pas responsable de l'Eglise, qu'il y a des curés pour cela et qu'ils sont responsables pour moi. (P.142)

     

    Pierre Ganne - " Etes-vous libre ?" Ed. Anne Sigier 2008 - ISBN 978- 2 - 89129 - 556 - 7

  • Qui me voit

    " Qui me voit voit le Père " ( Jn 14,9). Qui me voit en croix voit le Père qui lui dit, dans sa Parole, qu'il n'a aucun dessein de domination sur lui. C'est même le seul dessein dont on peut être sûr. Il est tout de même libérateur de penser que notre existence repose sur une relation pure de toute domination, sur une relation qui n'a aucun projet de domination sur nous. Est-ce la caractéristique des relations que nouent entre eux les chrétiens ? C'est à eux de le dire. Mais si c'était vraiment le cas, cela se saurait. Hélàs ! je crois que nous en sommes encore à une vision esclavagiste des relations humaines et des relations que nous avons avec le Créateur. Si nous en libérions notre coeur, tout pourrait commencer différemment. 

    (...)

    Si nous nous mettons à aimer Dieu, nous ne pourrons pas lui faire l'injure de l'accueillir, lui absolument aimable, et, en même temps, d'avoir avec les autres des relations qui nient cette puissance démunie de toute domination. Nous ne pouvons pas faire à Dieu l'injure de rêver avec lui de cette relation pure de toute domination, et de vivre une relation pleine de domination avec les autres. "Ayez les mêmes sentiments que le Christ Jésus". (...)

    (...), il ne s'agit cependant pas de tomber dans le culte de l'impuissance. Il ne faudrait pas que des chrétiens plus ou moins masochistes s'orientent dans cette direction-là. Il s'agit plutôt de découvrir la puissance capable de faire éclore la liberté, parce que c'est cela la création. (...)

    Pierre Ganne - Etes-vous libre ? - Anne Sigier , 2008 pp. 119-121    

  • S'ils se réveillaient !

    Si les chrétiens se réveillaient, s'ils se réveillaient  tous avec cette pauvreté du coeur, quel courant d'air frais ce serait dans le monde ! Devant eux, les idoles seraient mises à bas de leur socle ! Etre chrétien, c'est être libre devant les puissances aussi bien matérielles qu'idéologiques, celles qui n'ont de cesse qu'elles se soient emparées de l'esprit de l'homme, de la conscience de l'homme. Pour ces raisons et pour beaucoup d'autres, parler de liberté, c'est parler de pauvreté. Mais on ne sait plus ce qu'est la pauvreté ! Et pourtant, comprendre la nature véritable de la pauvreté est décisif et essentiel, et toute l'intelligence de l'Evangile en dépend.

    (Pierre Ganne ajoute en note : d'une certaine façon, l'Evangile ne s'enseigne pas de façon abstraite. Un tel enseignement serait très dangereux. En même temps qu'il s'enseigne, il faut une formation du coeur, de la conscience, de l'intelligence, car il appelle à une responsabilité. Sinon, il demeurerait séduisant, certes, mais il deviendrait tout de même une idéologie.)

    Pierre Ganne - Etes-vous libre ? - Ed. Anne Sigier 1978 p. 76

  • les idoles de notre monde

    Dans l'Ancien Testament, en Israël, à peu près vers l'époque de l' Exil, quelques prophètes et leurs disciples étaient désignés par l'expression "les pauvres de Yahvé". C'était pendant la grande période prophétique (...) mais ce ne sont pas d'abord leurs conditions de vie qui en ont fait des "pauvres de Yahvé"  Cette pauvreté venait avant tout d'une décision du coeur, parce qu'ils avaient véritablement compris la parole de Dieu. (...) Ces hommes libres ont refusé d'être conduits par les puissances de ce monde non pas parce qu'elles sont mauvaises ou démoniaques, mais parce qu'elles dévient tout doucement et deviennent idolâtriques.

    Les pouvoirs politico-culturels de l'époque, les Assyriens, les Ninivites, même les Perses et les Grecs, pour Israël, étaient des puissances qui, par leur seule présence massive, leur emprise, leur domination, lui disaient : " Ton avenir dépend de moi ; alors sois gentil et obéissant, et nous arriverons à un modus vivendi , car ta destinée dépend de moi, comme ton bonheur."

    Dans notre monde actuel, certaines puissances politico-culturelles nous tiennent le même langage. (...) Elles nous disent : " Ton avenir dépend de moi." (...) C'est cela, l'idolâtrie.

    Les idoles d'aujourd'hui n'ont rien à voir avec les statues qu'on adorait autrefois. (...)

    C'est ainsi que l'argent (mais pas lui seul) peut devenir une idole, quand un être humain décide que sa destinée se résume à gagner le plus d' argent possible, à bénéficier de la puissance que l'argent donne, de l'influence qu'il permet, etc.  (...)

    La question décisive : sur quoi fonder mon espérance ?  (pp. 67-71)

    P. Ganne - Etes-vous libre ?  - Ed Anne Sigier 2008 - ISBN 978-2-89129-556-7.

  • l'inessentiel

    Dans l'Evangile, Jésus dénonce le mal qui tue l'Evangile dans les coeurs. Ce mal, ce n'est pas nos péchés, c'est plutôt le mal pharisaïque, dont l'hypocrisie n'est qu'une conséquence. Le pharisien ne joue pas la comédie. S'il joue la comédie, ce n'est qu'un menteur. En fait, le pharisien ne sait pas qu'il est pharisien, et c'est son malheur. Le pharisien est devenu incapable de discerner l'essentiel dans le rapport à Dieu et aux autres , dans l'existence. C'est cela qui tue l'Evangile. Au chapitre 23 en Matthieu, Jésus dit : " Vous acquittez la dîme... mais vous oubliez l'essentiel : la justice, la miséricorde, la droiture du coeur, la droiture de la conscience." Quand il s'agit de notre vie, de notre existence, ne plus savoir l'essentiel, c'est être radicalement "paumé". Et c'est un grand malheur parce que c'est à partir de l'essentiel que tout le reste se met en place.

    Nous devons retrouver l'essentiel, et le reste sera donné par surcroît. (...) La foi est une intelligence de la vie. La foi est une espérance dans laquelle la vie trouve sens. (...)

    Aujourd'hui, alors que sévit ce qu'on appelle "la déprime", la dépression psychique, des êtres humains gaspillent leur vie bêtement en cédant leur intelligence à l'inessentiel. Ils tombent dans le vide, dans le vertige, dans le dégoût de vivre.

    (...)

    Avec les béatitudes, Jésus nous dit que l'essentiel de la vie commence par l'esprit de pauvreté et que l'essentiel de la vie se décide là. (pp 64-67)

     

     

    P. Ganne - Etes-vous libre ?  - Ed Anne Sigier 2008 - ISBN 978-2-89129-556-7

  • quand la vérité devient répressive

    (...) il nous faut éviter ce divorce catastrophique du couple vérité-liberté. Et cela  nous concerne personnellement. La vérité de l'homme ne peut se trouver que dans une relation de liberté avec les autres et avec Dieu, une relation de liberté où se révèle la vérité. C'est la définition même de la foi évangélique : "La vérité vous rendra libres." On peut aussi dire : " La liberté vous rendra vrais, vraiment hommes."

    Dans notre monde, le divorce entre la vérité et la liberté est poussé très loin. Et quand il s'installe dans le coeur d'un homme, celui-ci est complètement déshumanisé. Alors la vérité devient répressive. Le concile de Vatican II a justement fait réfléchir et a favorisé l'élaboration de textes sur la liberté de conscience. Des résistances, il y en a eu ! Elles venaient d'une conception de la vérité conçue indépendamment de la liberté et sous des formes naïves qui ont subsisté pendant longtemps dans l'Eglise. Le pape Jean-Paul I er disait qu'il avait été, au départ, un peu réticent et presque scandalisé par certains textes conciliaires parce qu'il vivait de cette conception  très répandue selon laquelle la vérité a tous les droits, tandis que l'erreur n'a pas de droits. Elle n'a pas le droit de s'exprimer puisqu'elle est l'erreur !

    Mais la vérité et l'erreur ne sont pas sujets de droits, ce sont la femme et l'homme qui sont sujets de droits. Dire que la vérité a tous les droits ne veut rien dire. La vérité n'est pas un sujet juridique ni même un sujet à quelque titre que ce soit. Le sujet, c'est l'homme. C'est dans le coeur de l'homme que la vérité se concrétise et se déploie, grâce à la liberté, et c'est la liberté qui rend vrai. Sinon, tous nos beaux discours aboutissent à des conclusions totalitaires.... (pp 56-57)

    P. Ganne - Etes-vous libre ?  - Ed Anne Sigier 2008 - ISBN 978-2-89129-556-7

     

  • notre adhésion à l'Eglise

    (...) Notre adhésion de foi à l'Eglise peut comporter des parasites, des virus, qui l'infectent. Nous formons alors une Eglise d'irresponsables, une masse de chrétiens irresponsables, la responsabilité étant réservée à certains membres de l'Eglise, regroupés au sein du clergé. Ce système-là, le clérical, est celui de tous les totalitarismes (car il y a aussi des cléricalismes politiques). Comment sortir de cette situation ? Ce n'est pas en l'inversant simplement, comme font certains laïcs qui jouent au curé et qui ne sortent pas du cléricalisme en entretenant un ressentiment contre le clergé.

    Cet infantilisme peut parasiter un immense groupe comme celui que forme l'Eglise. Les déperditions sont alors terribles. Il faudrait faire l'histoire de l'irresponsabilité organisée dans l'Eglise - des historiens et des sociologues l'ont déjà d'ailleurs tentée. Nous demandons souvent à l'Eglise de nous décharger de nos responsabilités, justement. Nous lui demandons des réponses toutes faites qui nous tireraient automatiquement de l'angoise existentielle. Or, l'angoise d'exister peut-être positive si j'y réponds par moi-même, ce qui ne veut pas dire par moi seul.

    (...)

    Il peut y avoir une adhésion à l'Eglise pour participer à une puissance collective. Il n'est pas douteux que dans le passé, les Eglises ont été des puissances du monde, des puissances culturelles et des puissances politiques, directement ou indirectement. Le contraire aurait été étonnant. Du fait de son existence dans le monde, un groupe énorme a nécessairement une influence politique et culturelle. La question se pose : "Que fait-on de cette puissance ? La considère t-on comme l'essentiel ? Ne fonde-t-on pas son espérance sur cette puissance ?" - ce qu'il ne faut jamais faire car c'est de l'idolâtrie.

    Or, beaucoup de chrétiens, dans leur inconscient, adhéraient à l'Eglise parce qu'ils avaient la satisfaction de participer à un groupe puissant et qu'ils interprétaient cette puissance comme une puissance politique, ou comme une puissance culturelle, ce qui fait plus "distingué" que le politique, mais ne vaut guère mieux dans la mesure où il s'agit de domination. (...)

    La "chrétienté" aussi possède le pouvoir de créer l'illusion. Quand un groupe chrétien est assez considérable, assez massif dans une région ou un pays (comme c'est arrivé dans les siècles passés où presque tout le monde était chrétien, ceux qui ne l'étaient pas faisant parfois semblant de l'être pour avoir la paix), on se dit, implicitement : "Voilà, l'avenir de la foi est assurée !" Tous les gestes sont chrétiens dans les églises, dans les familles, dans les relations...Or, il s'agit dans les faits d'une illusion de chrétienté, une illusion assoupissante qui nous fait oublier que l'éducation de la foi est une éducation de la liberté, dans le rapport à Dieu et aux autres, et qu'une éducation de la liberté ne peut se faire par le seul conditionnement. (pp. 50-53)

    Pierre Ganne - " Etes-vous libre ?" Ed. Anne Sigier 2008 - ISBN 978- 2 - 89129 - 556 - 7