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pharisiens

  • Les récits de la Passion 03

    Textes tirés du livre du P. Raymond E. Brown - " Lire les Évangiles pendant la Semaine sainte et à Pâques " - Cerf 2009

     

    15 Les causes de la mort de Jésus

    L'exacte responsabilité des autorités juives dans la mort de Jésus est une question compliquée. La tradition juive ancienne du Talmud de Babylone admet sans ambages la responsabilité juive dans la "pendaison" de Jésus, la veille de la pâque, "parce qu'il égarait Israël" (Sanhedrin 43a). Cependant des écrivains juifs modernes ont rejeté tout ou partie d'un implication juive dans la crucifixion. On avance fréquemment l'argument suivant : la procédure légale du Sanhédrin décrite dans les évangiles ne concorde pas avec la loi juive exposée dans la Michna et ne peut refléter la réalité. Mais la Michna, qui date des environs de 200 de notre ère, est la codification écrite de la loi orale des Pharisiens ; or au temps de Jésus, ce sont les prêtres sadducéens, et non les Pharisiens, qui avaient la haute main sur le Sanhédrin et ils rejetaient la loi orale, prétendant s'appuyer sur la seule loi écrite de l'Ancien Testament. Le procès de Jésus tel que le racontent les évangiles ne violent pas la lettre de la loi écrite. On ne peut donc pas si 16 facilement nier pour des raisons techniques toute responsabilité juive. En tout cas, cela nous remet en mémoire que si, durant son ministère, Jésus a été en discussion avec les Pharisiens, les Juifs qui ont le plus directement participé à sa condamnation à mort sont les prêtres, peut-être mis en colère par ses critiques prophétiques du Temple. 

    On peut fouiller plus avant, recherchant de quelle façon et jusqu'à quel point les prêtres et le Sanhédrin furent impliqués. Un distingué commentateur juif, Paul Winter, a voulu donner la priorité au récit lucanien (évangile de Luc) du procès de Jésus parce que, à la différence de Marc et de Matthieu, Luc  ne rapporte aucune convocation de témoins et aucune condamnation à mort de Jésus par des Juifs. Mais le fait que Luc ne rapporte pas de sentence de mort ne signifie nullement que, dans son esprit, les chefs juifs fussent dégagés de toute responsabilité dans la mort de Jésus, car ailleurs, il parle de leur rôle avec insistance (Ac 2,36 ; 4,10 ; 5,30 ; 7,52 ; 10,39 ; 13, 27-29). Cependant, à la différence du jugement en bonne et due forme par le Sanhédrin réuni dans la nuit, comme le rapportent Marc et Matthieu (ce dernier précisant que le Grand Prêtre était Caïphe), en Luc il n'y a que des questions informelles posées par le Sanhédrin dans la matinée. Quant à Jean, il ne rapporte aucune session du Sanhédrin après l'arrestation de Jésus, mais seulement un interrogatoire de police, dirigé par le Grand Prêtre Hanne (18,19-24).

    17 Confusion supplémentaire : Jean 18, 3.12 indique que, parmi ceux qui avaient arrêté Jésus, il y avait, outre des policiers juifs envoyés par le Grand Prêtre, des soldats romains avec leur tribun. Les soldats romains n'auraient pas pris part à cette action sans l'ordre ou au moins la permission du préfet ; ainsi donc, si l'information de Jean est exacte, Pilate devait savoir d'avance qu'on arrêtait Jésus et peut-être même l'avoir ordonné. 

    Il n'est pas impossible que Pilate ait entendu des rumeurs selon lesquelles Jésus serait le Messie (le roi oint de la maison de David, que beaucoup de Juifs attendaient) et qu'il ait aidé les autorités juives du Sanhédrin à l'arrêter, voulant qu'elles fassent une enquête sur lui. Certains, faisant partie de ces autorités, auraient déjà nourri des inquiétudes religieuses et de l'hostilité à l'égard de Jésus (craignant par exemple qu'il ne soit un faux prophète). Mais ils auraient pu expliquer qu'ils ne faisaient  qu'obéir aux ordres en remettant Jésus aux autorités romaines qui décideraient, parce que Jésus, interrogé, n'avait pas nié être le Messie. (Notez bien que je dis " n'avait pas nié " ; la réponse de Jésus à la question " es-tu le Messie ?" diffère d'un évangile à l'autre : " Je le suis ", en Marc ; " Tu le dis" en Matthieu ; " Si je vous le dis, vous ne me croirez pas" en Luc ; voir Jn 10, 24-25) De tout temps, les gens religieux ont obtenu ce qu'ils voulaient par l'intermédiaire des autorités séculières agissant pour leurs propres intérêts. 

    Il faut faire attention à de telles subtilités de peur que la lecture liturgique des récits de la Passion ne soit à l'origine d'accusations simplistes de culpabilité. Comme je le signalerai en étudiant les récits l'un après l'autre, Matthieu ("tout le peuple", 27,25) aussi bien que Jean ("les Juifs", tout du long) généralisent de façon hostile, de sorte que la participation à l'exécution de Jésus va au-delà même de l'ensemble des autorités juives. A partir de là, quelques théologiens chrétiens célèbres (Augustin, Jean Chrysostome, Thomas d'Aquin, Martin Luther) ont émis des déclarations sur le devoir des chrétiens de haïr ou de 18 châtier les Juifs parce qu'ils ont tué le Seigneur ! Les craintes modernes d'un antijudaïsme qui serait la conséquence des récits de la Passion ne sont donc pas sans fondement. Une des solutions proposées a été de retirer les passages "antisémites" des lectures liturgiques  de la Passion ; c'est une sorte de réaction à la "ne pas dire du mal, ne pas voir le mal, ne pas entendre le mal". Mais retirer les passages choquants est une façon de faire dangereuse qui permettra aux auditeurs de la version expurgée d'accepter sans réfléchir tout ce qui est dans la Bible. Les récits "améliorés" par excision perpétueront l'idée fausse que tout ce qu'on entend dans la Bible doit toujours être imité parce que c'est "révélé" par Dieu et que tout ce que fait ou pense un auteur sacré est garanti par l'inerrance. A mon avis, il vaut mieux continuer à lire les récits de la Passion entiers pendant la Semaine sainte, sans les soumettre aux coupures qui nous semblent bonnes, et faire suivre cette lecture d'une prédication qui explique avec force que semblable hostilité entre chrétiens et Juifs ne peut se poursuivre aujourd'hui, qu'elle est contraire à notre compréhension fondamentale du christianisme. Tôt ou tard, les chrétiens auront à affronter les limitations qu'imposent aux Ecritures les conditions dans lesquelles elles ont été écrites. Ils devront bien comprendre que certaines attitudes dont témoignent les Ecritures sont certainement explicables à leur époque mais ne peuvent être acceptables si on les adopte aujourd'hui. Ils doivent tenir compte du fait que Dieu a donné sa révélation dans des mots humains. Les chrétiens rassemblés qui écoutent la lecture de la Passion, pendant la Semaine sainte, n'en auront conscience que si on prend la peine de le leur préciser. Lire les passages  qui  ont une consonance antijuive 19  sans les commenter est irresponsable et détourne d'une juste compréhension de la mort de notre Seigneur.

    A suivre...

  • On demande des pécheurs 12

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [77]

    Voir ce qui est

    (...) En nous appelant à partager son amitié, Dieu ne nous appelle pas à l'illusion. Toute vie avec Dieu ne peut naître et exister que dans le désir de la lumière, parce que c'est une vie fondée sur un amour. Entrer en amitié avec Dieu, ce sera accepter qu'il prenne au sérieux l'éducation de notre bonheur et donc qu'il veuille nous faire sortir de l'illusion qui, à chaque instant, nous menace. Si le Christ, tout Fils de Dieu qu'il était, a commencé sa vie par la lutte, par le combat de la vérité dans les tentations au désert, et s'il l'a terminée par la bataille, par l'agonie, comment en serait-il autrement pour nous ?

    Il s'agit d'être réaliste. Le médecin, qui sait pourtant tout d'une maladie par ses symptômes extérieurs, a cependant besoin que le malade s'en explique, que le malade dise ce qu'il ressent, et qu'il en prenne conscience. 78 Que voulez-vous que fasse un médecin en face de celui qui ne veut pas se savoir malade ? Que peut faire un sauveur en face de celui qui ne veut pas sortir de sa prison ? Jamais le Christ ne cherche, dans ses rencontres avec les hommes, à dissimuler ce qui est faiblesse, péché, maladie. La première venue de Dieu dans une vie commence toujours par accroître la lucidité. Le Christ ne peut pas venir sans révéler ce qui est, simplement ce-qui-est. Comme la lumière, elle n'ajoute rien, mais elle fait voir la réalité. Il ne cache pas à la Samaritaine, à Pierre, à Marie-Madeleine, à Matthieu, au publicain, ce qu'ils sont : des êtres faibles et pécheurs. Quelle action de grâces qui est la sienne devant le centurion ou Zachée, quand ils acceptent la lumière ! Mais quelle déception devant les pharisiens qui ont des alibis !

    Le Christ n'est reçu que de ceux qui ont reconnu leur impossibilité à organiser seuls leur existence, c'est-à-dire de ceux qui ont admis que leur vie est dominée par la loi du péché et la loi du progrès. Nous ne sommes pas seulement des adolescents qui ont besoin d'apprendre à devenir des hommes, mais aussi des infirmes blessés, incapables, par conséquent, non seulement de trouver le salut, non seulement d'atteindre sans un long délai leur accomplissement d'une foi adulte, mais encore d'utiliser les moyens de leur guérison.

    Et Dieu pour nous guérir - merveilleuse délicatesse - propose de nous rééduquer, de nous sauver au cœur même de notre mal. Il ne tient pas compte du péché, il nous propose simplement de reconnaître, comme nous le pouvons, avec nos limites, ce qui a été. Reconnaître ce qui est, voilà l'aveu

    Dans la confession, Dieu nous demande simplement d'apprendre, en vérité, à quel point nous avons besoin de salut, car nous ne le savons jamais assez. Nous éduquer à voir ce qui est, voilà ce que vient faire la [79] confession. Et l'aveu nous oblige à faire naître en nous une humilité décidée à opérer des actes même peut-être très simples, aussi simples que, pour Naaman le général syrien, de se baigner dans le Jourdain, de se baigner dans la lumière de Dieu, de prendre Dieu et la vérité au sérieux.

    A suivre...

                  P. Bernard Bro, o.p

     

  • Confession ou psychanalyse (5)

    Suite de la conférence de François Varillon (S.J) sur la confession. Je vous recommande de lire les textes 1 à 4 avant d'entreprendre la lecture de ce post, du moins pour se pénétrer de toute la richesse de cet enseignement. (Retranscription à partir d'un enregistrement).

    ---------------------------------------------------------------------------------

    [reprise dernière phrase]

    Mais Osée, toujours sur l'ordre de Dieu, donne des noms, dont le sens symbolique laisse présager que le malheur va s’appesantir à la fois sur la vie conjugale d'Osée et sur le destin d'Israël. En effet, Gomer ne tarde pas à quitter son mari et à se prostituer de nouveau. Peut-être va t-elle exercer, au service d'un sanctuaire, la prostitution que les païens considéraient comme sacrée. Alors dans sa colère et dans sa souffrance, Osée continue d'aimer la femme infidèle. Elle s'est vendue. Il la rachète. Si, pendant un temps d'épreuve, elle consent à rester fidèle, tranquille au foyer, sans se prostituer, sans se livrer à aucun homme, Osée pardonnera tout et un jour Gomer, purifiée, aura de nouveau son rang d'épouse. Evidemment Osée ne peut pas réintroduire Gomer en son foyer en acceptant qu'elle continue à se prostituer : ce ne serait plus de l'amour, ce serait de la mauvaise complaisance. Ce serait une complaisance indigne. De même, Dieu ne peut pas pardonner à Israël en fermant purement et simplement les yeux sur son idolâtrie, sur sa débauche, sur son injustice. Il faut que Gomer soit éprouvée. Il faut qu'elle réfléchisse et qu'elle renonce librement à la volupté adultère.

    Elle le fait, et Osée rend à Gomer, purifiée et amendée, la joie du premier amour. C'est la prodigieuse révélation du pardon dans l'Ancien Testament. Ce n'est pas la première, il y avait déjà l'histoire de Joseph pardonnant à ses frères dans le livre de la Genèse.

    Mais je voudrais vous proposer de réfléchir à un autre texte de l'Ancien Testament. C'est le livre de Jonas. S'il faut vingt minutes pour lire Osée, il faut vingt-cinq minutes pour lire le livre de Jonas. Je pense que ça vaut la peine. Combien de temps passez-vous à lire Paris-Match ou l'Express ou d'autres hebdomadaires ? Nous avons un examen de conscience à faire vous savez, sérieux. Et c'est prodigieux le livre de Jonas. C'est une fable. Quand on pense que les enfants apprennent les Fables de La Fontaine, et ce sont des chefs-d'oeuvre, et les éducateurs chrétiens n'ont pas songé à leur faire étudier la fable de Jonas, comment ça se fait ? Alors on pourra bien composer des problèmes sur le sacrement de pénitence, on ignore la base, le fondement.

    Le Livre de Jonas c'est une fine satire ou une sorte d'apologue contre les Juifs qui étaient scandalisés par la patience de Dieu à l'égard des païens. Au fond, les Juifs sont ennuyés que Dieu aime Ninive. Mais Dieu aime Ninive. Ninive, la grande capitale. Alors un jour, Dieu dit à Jonas : je te donne l'ordre d'aller à Ninive, et là-bas, tâche de leur faire un beau sermon. Tu leur diras : les amis, il y a beaucoup trop de péchés dans votre ville, si elle ne se repend pas, Dieu fera éclater sa colère.

    Mais Jonas, au lieu d'aller à Ninive, prend la direction opposée. Au lieu de prendre le bateau pour Ninive, il prend le bateau pour Tarsis. Exactement comme si Dieu me donnait l'ordre de prendre le train pour Paris et que je prenais le train pour Lyon !

    Une tempête effroyable survient. Le capitaine qui est un "bien-pensant" demande à tous les passagers de prier. Et Jonas qui n'a pas la conscience tranquille - parce qu'il n'a pas obéi à Yahvé - va se cacher au fond de la cale. On finit par le trouver et on lui dit : pourquoi tu ne pries pas toi ? Alors les mariniers se disent les uns aux autres : on va jeter le sort afin de savoir d'où vient le mal. Il y a un coupable parmi nous. Il est responsable de la tempête. Et le sort tombe sur Jonas et on jette Jonas à la mer.

    Dieu fit venir un gros poisson, un poisson qui engloutit Jonas. Dans le ventre du poisson, Jonas fait oraison. Il a le temps ! [rires de l'auditoire]. Et Jonas demande pardon à Dieu de lui avoir désobéi. Et Dieu lui pardonne. Dieu dit alors deux mots au poisson et le poisson crache Jonas sur la terre. Alors Dieu dit à Jonas : tu vois, je t'ai pardonné. Est-ce que tu vas maintenant m'obéir ? Je te réitère l'ordre d'aller à Ninive et d'y faire un grand sermon pour annoncer ma colère s'ils ne font pas pénitence. Alors cette fois Jonas obéit. Mais on sent bien qu'il est inquiet. Il voudrait se dérober. Visiblement, ce sermon  qu'il a à faire l'ennuie. Enfin, il fait son grand sermon dont voici le résumé : il y a beaucoup de péchés dans votre ville : encore quarante jours et Ninive sera détruite. A ce moment-là grand branle-bas dans la capitale. Tout le monde se met à jeûner, à se revêtir d'un sac du plus petit jusqu'au plus grand. Le roi lui-même enlève son manteau royal, se couvre d'un sac, quitte son trône, s’assoit sur la cendre, et il fait publier un décret ordonnant une pénitence générale.

    Qu'est-ce que vous voulez que Dieu fasse ?

    Naturellement Il pardonne à Ninive. Il ne met aucune de ses menaces à exécution. Alors Jonas est furieux et il dit à Dieu : je savais bien que tu allais passer. C'est toujours la même histoire ! Vous m'envoyez faire des sermons ; vous voulez que de votre part je profère des menaces, que je parle de votre colère. Croyez-vous que je ne commence pas à vous connaître ? Vous êtes un Dieu miséricordieux, vous pardonnez, vous êtes clément. C'est bien pour ça que je me suis enfui la première fois. De quoi est-ce que j'ai l' air ? J'annonce des choses terribles de votre part et puis, rien, vous pardonnez !  J'en ai assez de faire l'imbécile.

    Dieu lui dit : Jonas, as-tu raison de t'irriter ? Tu as tort d'être furieux !  

    Alors Jonas se met à bouder, et il va s'asseoir dans la banlieue, à côté des fortifs. Alors Dieu pousse la bienveillance jusqu'à faire pousser un ricin pour donner de l'ombre à Jonas. Mais à l'aube un ver pique le ricin  et le ricin sèche. Jonas est de plus en plus furieux. Il est en plein soleil. Il attrape la migraine. Et il dit : décidément la mort vaut mieux que la vie. Alors Dieu lui dit : fais-tu bien de t'irriter à cause de ce ricin ? Tu t'affliges au sujet d'un ricin pour lequel tu n'as pas travaillé et que tu n'as pas fait croître ; qui est venu en une nuit et qui a péri en une nuit. Et tu voudrais que moi je ne m'afflige pas au sujet de Ninive, la grande ville dans laquelle il y a plus de cent vingt mille hommes qui ne savent pas distinguer leur droite de leur gauche. Et des animaux en grand nombre. Et tu voudrais que je ne les aime pas ? Et tu voudrais que je ne leur pardonne pas ?

    C'est admirable. C'est admirable !

    Le péché de Jonas c'est de n'avoir pas participé à la joie de Dieu. La joie de pardonner.

    C'est le péché des pharisiens dans l’Évangile qui consiste à ne pas se réjouir avec Dieu du pardon accordé à Ninive repentie.  

    Moralité de tout cela : le cœur de Dieu est plus grand et plus large que le cœur de l'homme. Et c'est tout cela que nous retrouvons dans le Nouveau Testament  avec les trois paraboles du chapitre quinzième de saint Luc.

                                                                                  A suivre....

                                                            François Varillon  S.J

  • Scandale chez Lévi

    [33]  cf. évangile selon Marc, chapitre 2, versets 13 à 17 (Mc 2, 13-17)

    En sortant donc de Capharnaüm pour se rendre sur la rive du lac, Jésus passe devant l'octroi où se tient Lévi. Lévi est un employé chargé de percevoir, pour le fisc du roi Hérode Antipas, les taxes sur les marchandises qui passent la frontière voisine. Le système douanier d'alors n'était pas minutieusement réglementé comme celui d'aujourd'hui. Une sorte de "fermier général", comme on disait en France sous le règne de Louis XIV, avait acheté au roi Hérode le droit de percevoir les taxes, et il déléguait à des subalternes comme Lévi le soin de récupérer le capital engagé, avec une marge correspondant au service rendu. 

    Etait-ce parce qu'ils cédaient à une pression exercée par l'employeur ou à la tentation de profiter d'une position de force, toujours est-il que Lévi et ses collègues avaient la triste réputation de s'enrichir indûment. Ils en étaient alors d'autant plus détestés et méprisés. 

    De plus, manipulant de l'argent qui passe de main en main, de l'argent païen, ils étaient classés dans la catégorie des "impurs", c'est-à-dire des gens qui n'ont pas accès à Dieu, des gens par conséquent, avec qui on ne fraie pas, des gens qu'on laisse en marge, qu'on ne salue pas et qu'on n'inviterait sûrement pas à sa table. 

     (...)

    En passant devant l'octroi, Jésus voit Lévi. Il ne se contente pas d'enregistrer sa présence, il le voit. On peut imaginer que Jésus arrête un instant son regard sur Lévi, peut-être même que  leurs regards se croisent. Et Jésus saisit tout de suite sa condition de paria. Alors chose impensable pour Lévi et scandaleuse   pour les témoins bien-pensants de la scène, Jésus lui adresse la parole. Mieux, il l'appelle, lui [34] Lévi le méprisé et le rejeté, lui le "pauvre type", lui le "sale type". Il l'appelle à entrer dans le groupe des disciples, de ces gens qui accompagnent Jésus et partagent son existence errante, pour découvrir sous sa direction les mystères du Règne de Dieu.

    Jésus va même jusqu'à se laisser inviter chez Lévi, en compagnie d'autres gens du même acabit.

    (...)

    Les gens sérieux, "respectables" comme dit la traduction en français courant, lui en font pourtant le reproche : on ne se commet pas, protestent-ils, avec des gens qui se placent ouvertement en marge de la volonté de Dieu, des gens qui n'observent pas les règles élémentaires du pur et de l'impur, des gens qui ignorent délibérément la loi de Dieu. Bien pire : en acceptant de frayer avec eux, on se rend soi-même impur, on se situe donc volontairement dans le camp des adversaires de Dieu, dans le camp des "pécheurs", comme on disait.

    Des pécheurs : le grand mot est lâché. (...) Ainsi pour ces pharisiens qui s'appliquent à observer scrupuleusement les commandements divins, la loi de Dieu est devenue un moyen de juger : un moyen de se juger soi-même en règle (ou non) avec Dieu, mais aussi un moyen de juger les autres et de condamner ceux qui n'ont pas fait le même choix. s'arrogeant ainsi au nom de la loi divine le droit de juger les autres, ils se mettent à la place de Dieu, le seul juge. Ils sont si bien persuadés d'être en règle avec lui, d'être des justes, qu'ils ne peuvent s'imaginer que Dieu ait un autre point de vue que le leur. (...)

    [35] Une fois de plus Jésus surprend tout le monde par la position qu'il prend. Lui ne juge pas, il vient guérir et guérir en particulier les dégâts causés par les pharisiens et leurs émules de tous les âges et de toutes les civilisations. Au lieu de condamner et d'exclure, il appelle. A Lévi il fait cet honneur inouï de l'inviter à venir avec lui.

    Vous le remarquerez, pour prendre le contre-pied des pharisiens, Jésus ne passe pas dans le camp opposé, il ne prend pas le parti des collecteurs de taxes et des "pécheurs". Il ne leur donne pas raison contre les pharisiens. (...) Si les uns ont tort, les autres n'ont pas forcément raison. Pour Jésus (...) la solution ne consiste pas à prendre le parti opposé à ceux qu'il conteste. Jésus n'est jamais contre, il est avec. (...) Là où nous autres humains avons construit des murs infranchissables, Jésus ouvre des portes, une porte, la porte du Règne de Dieu.

    Suis-moi, dit-il ainsi à Lévi, le laissé-pour-compte. Cet appel est aussi simple et bref que chargé d'avenir pour celui qui l'entend. C'est le même appel auquel ont déjà répondu Simon et André, puis Jacques et Jean....

    Suivre Jésus, c'est d'abord devenir son élève, en étant là pour écouter ce qu'il dit et voir ce qu'il fait. Je pense que tout lecteur assidu de l'évangile est quelqu'un qui commence à suivre Jésus. Mais suivre Jésus, c'est aussi l'accompagner sur la route surprenante et imprévue du Règne de Dieu et partager avec lui non seulement les aléas de son existence, mais les  risques de son choix. C'est s'exposer, en particulier, à être rejeté - et peut-être condamné - comme lui par ceux qui n'admettent pas d'autre choix que celui qu'ils ont fait eux-mêmes ; par tous ceux qui détiennent une vérité et qui en font la vérité ; par tous ceux qui découpent l'humanité en deux camps, le leur et celui des méchants ; par tous ceux qui ne supportent pas d'être mis en cause, même par la troisième voie, celle du Règne de Dieu que Jésus vient suivre lui-même et proposer à tous. (...)

    [36] Il se leva, raconte l'évangile, et le suivit. Jusqu'alors Lévi était assis, immobile à la place qu'il avait choisie ou que les circonstances lui avait imposée, peu importe, assis en tout cas dans une situation où les autres le tenaient enfermé. Et puis Jésus est passé, et Lévi s'est levé. (...)

    Jean-Marc Babut - Actualité de Marc - Edition du Cerf, 2002, coll. lire la Bible

  • là se joue votre vie

    Qu'est-ce que les gens découvraient en Jésus Christ pour le suivre, pour suivre un type que les autorités n'avaient pas reconnu ? Ils découvraient en lui une puissance absolument pure de toute domination qui les séduisait, parce qu'une telle puissance est aimable. Mais pour l'accueillir et aller vers elle, pour y adhérer, il fallait aller contre toutes les pressions sociales. C'est pourtant avec un esprit libre de ce genre qu'on fait des hommes ! Et il a fallu beaucoup de courage aux apôtres du Christ pour s'engager à sa suite.

    " Le Christ, c'est l'homme pour les autres ", dit-on parfois. C'est d'abord l'homme pour son Père, et il n'est l'homme pour les autres que parce qu'il est d'abord l'homme pour son Père." (p.134)


    " Qu'est-ce une culture ? " la réponse devrait être simple. Selon moi, la culture d'un homme, la culture humaine, porte d'abord sur le jugement de l'homme. Le jugement nous sert à conduire notre vie. On peut multiplier les formules à l'infini, mais, essentiellement, un homme cultivé, c'est celui qui, sur une question, va droit au coeur du sujet. Il s'agit d'une culture du jugement. (...) Dans les Evangiles, le conflit entre le Christ et les pharisiens porte justement sur cette question. Le Christ reproche aux pharisiens de manquer de jugement. Leur culture de la foi est déficiente. Ils ne savent plus où est l'essentiel. Alors, ils ne peuvent plus se conduire et encore moins conduire les autres. (P.138)

    (...) Saint Paul ne discute pas de ce qui divisait les Corinthiens. Il leur dit : " Le Christ et la connaissance du Christ, la rencontre personnelle du Créateur dans le Christ, c'est là que se joue votre vie et c'est là l'essentiel." L'existence de l'Eglise, sa vie quotidienne, dépend de la foi formée de ceux qui adhèrent à l'Eglise. Il n'y a pas de foi par procuration. Et quand Jésus dit : " Ta foi t'a sauvé ", il ne peut s'agir que d'une foi approfondie.
    Nous devons prendre conscience de notre responsabilité de chrétiens. nous ne pouvons pas faire jouer cette responsabilité dans une pouponnière où chacun pense qu'il n'est pas responsable de l'Eglise, qu'il y a des curés pour cela et qu'ils sont responsables pour moi. (P.142)

     

    Pierre Ganne - " Etes-vous libre ?" Ed. Anne Sigier 2008 - ISBN 978- 2 - 89129 - 556 - 7

  • chemin de pardon (1)

    (...) Cette conscience du pardon de Dieu apparaît tout particulièrement dans l'étrange récit de la guérison du paralytique au début le l'évangile selon saint Marc (cf. Mc 2, 1-12). Un homme, porté sur une civière, est introduit auprès de Jésus par le toit à l'intérieur d'une maison bondée. Cet épisode donne lieu à une déclaration de celui-ci sur le pardon des péchés qui provoque intérieurement l'accusation de blasphème de la part des pharisiens. Cette même accusation sera reprise par le grand prêtre au moment du procès lorsque Jésus se présentera comme le Juge véritable, « le Fils de l'Homme siégeant à la droite du Tout-Puissant » (Mc 14,64). Représentons-nous un peu la scène: Jésus se trouve à Capharnaüm dans la maison de Pierre où s'entasse une foule compacte. Le moment est solennel: il annonce la Parole. Voilà quatre hommes portant un paralytique qui percent le toit en torchis d'un trou suffisamment large pour faire descendre un brancard. Nous pouvons imaginer le temps que cela a pris, la quantité de poussière et de matériaux reçue par les auditeurs de Jésus et sans doute par Jésus lui-même, le mouvement de cette foule qui se voit contrainte de réceptionner l'infirme et de lui faire une place. Durant tout ce temps, Jésus est interrompu dans sa proclamation de la Parole. Il voit cependant dans cette véritable intrusion le signe d'une confiance admirable. Il déclare alors à l'infirme: « Tes péchés sont pardonnés. » Ce n'était pas vraiment ce que celui-ci attendait, mais Jésus ne s'en soucie pas. Il lit dans la pensée de ses adversaires l'accusation de blasphème et justifie alors son acte en guérissant l'infirme par sa seule parole: « Lève-toi; prends ton brancard et rentre chez toi. »

    Jésus ne proclamera un tel pardon des péchés qu'une seule autre fois dans les évangiles. Saint Luc rapporte en effet un épisode dont le contexte est à nouveau celui d'une intrusion provocante (cf. Lc 7,36-50). Un pharisien offre dans sa maison un repas à Jésus, voici qu'entre une prostituée. Elle se tient derrière le Maître et arrose ses pieds de ses pleurs. Elle les essuie avec ses cheveux, les couvre de baisers, puis les inonde d'un parfum précieux. Jésus, pour d'autres motifs que dans l'épisode précédent, a dû avoir quelques difficultés à poursuivre la conversation avec son hôte. Là aussi, il discerne les pensées secrètes de ce dernier: « Si cet homme était prophète, il saurait que cette femme est une pécheresse ! » Après un habile dialogue avec celui-ci pour justifier son acte, il fait à la femme cette déclaration qui étonne les témoins: « Tes péchés sont pardonnés ! » Les bénéficiaires d'un pardon explicite de la part le Jésus sont donc à deux reprises des personnes qui ont osé une intrusion spectaculaire auprès de lui.

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB, 2008 pp.99-100

     

  • Rendez-vous de nuit (1)

    Qui était Nicodème ? C'était une des plus importantes personnalités du pays, très en vue, docteur de la Loi, l'un des principaux de la secte des pharisiens. La Loi d'Israël avait une autorité absolue, ayant été donnée à Moïse par Dieu lui-même. Au nom de la Loi, dont ils s'étaient institués les gardiens, les pharisiens assuraient dans tout le pays le rôle de censeurs de ce qui se pensait, de ce qui se disait, de ce qui se faisait. Accablante et redoutable tâche, redoutée de tous en effet.

    Donc après mille précautions, ce Nicodème se ménage auprès de Jésus un rendez-vous de nuit. Cela commence bien. Dès le début de sa vie publique, Jésus est un personnage suspect. Un notable important ne peut pas le rencontrer seul à seul au grand jour sans encourir les plus grands risques pour sa réputation, pour son prestige, pour sa liberté, peut-être pour ses biens. Jésus est un homme qu'il n'est pas du tout convenable de rencontrer seul. Diable ! c'est déjà grave, une telle situation. Dans une nation essentiellement religieuse, Jésus rencontrera toujours contre lui la secte des pharisiens, gardien de la Loi, pour tenter de lui barrer la route : à la fin, ce sont eux qui auront sa peau (...)

    Donc Nicodème, pharisien éminent, avec une surface sociale importante, rencontre Jésus de nuit, après s'être assuré qu'il n'était pas suivi. Ceux qui l'accuseraient de lâcheté n'ont pas connu les terreurs de la clandestinité et les précautions de la résistance intérieure.

    A l'époque, Israël était un pays occupé par deux occupants, et des deux l'occupation étrangère était la moins pesante. Rome était puissance occupante. Mais la secte des pharisiens s'était attribué dans la nation le rôle d'une Inquisition féroce. Ces deux puissances tyranniques, Rome et les pharisiens, ne s'accorderont qu'un seul jour sur un seul point, le meurtre juridique de Jésus, et dans la circonstance, c'est plutôt Rome qui traînera les pieds. 

    Donc Nicodème vient voir Jésus de nuit. Sans révéler encore toute l'étendue de son enseignement, Jésus va tout de suite à l'essentiel. Cet essentiel est, il restera toujours, fondé sur la véracité inébranlable de son témoignage personnel : s'il parle, c'est parce qu'il a autorité pour parler. Et cette autorité découle du fait que lui, il sait. La foi, que tout au long de l'Evangile réclame de tous ceux qui l'approchent, est tout le contraire d'une crédulité, c'est le contraire de la "foi du charbonnier". Déjà, dans son Prologue, Jean avait dit : 

    Dieu, nul ne l'a jamais vu. Le Fils, l'Unique, qui est dans le sein du Père, nous en a fait la narration

    Pauvre Nicodème ! Qu'est-il venu faire dans cette maison ? Jésus le secoue, comme on secoue un prunier pour en faire tomber les fruits.

    Vous refusez notre témoignage ! Si je vous raconte les choses terrestres et que vous restiez incrédules, comment croirez-vous quand je vous parlerai des choses célestes ?

    Jésus dit à peu près ceci : Moi, qui sais, je vous affirme que l'homme est plus que ce qu'il est dans son être terrestre, il est appelé à de futures et imminentes transfigurations. Croyez-m'en et prenez-en le risque. Mais quoi ! je ne peux rien contre votre volonté libre. Si déjà vous refusez de me croire quand je vous parle de votre vocation immédiate, comment ne resteriez-vous pas incrédule quand je vous parlerai de votre demain et de votre transfiguration céleste ? Le Christ nous sollicite de devenir qui nous sommes véritablement.

    R.L Bruckberger - "La Révélation de Jésus-Christ" - Grasset 1983