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H. de Lubac

  • paradoxes 24

    Il fut et il demeure  indispensable, contre les illusions d'un apostolat en l'air, faussement surnaturel, aussi bien que contre le pharisaïsme des privilégiés, d'insister sur les conditions économiques et sociales sans lesquelles il serait vain de prêcher à la masse la pratique des vertus chrétiennes. Plus profondément, il est bon de réagir contre certaines structures sociales qui déshumanisantes, sont les ennemies naturelles de toute foi.  - Mais qu'on ne pense point que la foi et les vertus chrétiennes fleuriront automatiquement dans une société dont ces obstacles seraient écartés ! Un germe vivace fructifie dans le sol le plus ingrat, et, sans semence, le meilleur terrain sera toujours stérile. La question du germe sera donc toujours la question essentielle. Le problème religieux, partout et toujours, est essentiellement un problème d'ordre spirituel. Les causes profondes de déchristianisation et les facteurs profonds de rechristianisation seront toujours d'ordre spirituel. 

    C'est quand le germe spirituel perd de sa vigueur, quand le principe religieux se dérobe, que la théorie marxiste de religion devient vraie. Aux époques de moindre vitalité religieuse, même si la religion tient en surface une place importante, elle est plus vraie que toute autre. La vie spirituelle est une création continue : dans la mesure où elle fléchit, les explications matérialistes ont raison contre elle. 

     

    Henri de Lubac - Paradoxes - Cerf 2007

  • paradoxes 23

    Humaniser avant de christianiser ? - Si l'entreprise réussit, le christianisme viendra trop tard : la place sera prise. Et pense-t-on que le christianisme n'ait point valeur humanisante ?

     

    Henri de Lubac - Paradoxes - Cerf 2007

  • paradoxes 22

    Nous ne voulons pas d'une religion qui soit " à côté  de la vie ". C'est très bien. Mais qu'est-ce que la vie ? Il faut la prendre tout entière. Quelle vie serait digne de notre amour et de nos soins, qui n'irait rejoindre la vie éternelle ? Nous voulons une religion "incarnée", et c'est encore très bien. Nous la voulons tout entière, en toutes ses démarches, sous le signe de l'Incarnation. Ne soyons pas logiques à demi, mais suivons jusqu'au bout la voie où l'Incarnation nous engage. Ne brisons pas le rythme des mystères chrétiens qui s'appellent et s'enchaînent l'un l'autre. Le Verbe de Dieu, en s'incarnant, pose le premier acte d'une série infrangible, qui se poursuit par la mort, la résurrection et enfin l'ascension. Incarnée, installée en pleine vie humaine, notre religion, si elle veut être fidèle au Christ, doit donc y planter la croix pour y introduire la mort, la résurrection et enfin l'ascension. Incarnée, installée en pleine vie humaine, notre religion, si elle veut être fidèle au Christ, doit donc y planter la croix pour y introduire la mort vivifiante sans laquelle il n'est pas de résurrection glorieuse. Mais comme nous sommes terriblement et presque incurablement charnels, la résurrection  même du Sauveur risquait d'être par nous mal comprise. A la résurrection succède donc l'ascension, destinée à nous en montrer le sens et à nous forcer enfin à porter nos regards en haut, à dépasser l'horizon terrestre et tout ce qui est de l'homme en son état naturel. Ainsi, la leçon de l'ascension ne contredit pas la leçon de l'incarnantion : elle la prolonge, elle l'approfondit. Elle ne nous place pas en deçà ou à côté de la vie humaine : elle nous oblige à l'accomplir en nous faisant viser au-delà.

    Henri de Lubac - Paradoxes - Cerf 2007

  • paradoxes 21

    Si Jésus n'était pas vraiment homme, conçu et né de la femme, il ne serait pas vraiment notre Sauveur. Mais s'il n'était pas aussi vraiment mort et ressuscité, alors notre foi en lui serait vaine et nous ne serions point sauvés. La mort et la résurrection ne détruisent pas l'oeuvre de l'incarnation : elles la consomment. Elles ne reviennent pas en arrière, opérant une désincarnation : elles acheminent vers le but en spiritualisant jusqu'à la chair. Ainsi un christianisme spirituel, un christianisme qui met sur toute chose le signe de la croix et qui n'accepte aucune valeur humaine sans souci de la transformer, n'est pas un christianisme désincarné : c'est le seul christianisme authentique, le seul dont l'incarnation ne soit pas un leurre.

    Henri de Lubac - Paradoxes - Cerf 2007

  • paradoxes 20

    Un christianisme qui se dérobe aux tâches urgentes de charité envers les plus misérables et les plus délaissés, un christianisme qui se refuse au témoignage en consentant à mettre en veilleuse le point précis du Credo qui se trouve actuellement menacé : voilà un christianisme désincarné. Le reste est verbiage.

    Henri de Lubac - Paradoxes - Cerf 2007

  • paradoxes 19

    Car si le christianisme est éternel, nous ne lui sommes jamais définitivement acquis. Par une pente naturelle, nous ne cessons jamais de le perdre. Comme Dieu lui-même, il est toujours là, présent tout entier, mais c'est nous qui toujours, lui sommes plus ou moins absents. Il nous échappe dans la mesure où nous croyons le posséder. L'accoutumance et la routine ont une force incroyable de gaspillage et de destruction.

    Mais comment retrouver le christianisme sinon en remontant à ses sources, en tâchant à le ressaisir dans ses époques de vitalité explosive ? Comment retrouver le sens de tant de doctrines et d'institutions qui tendent toujours en nous vers l'abstraction morte et le formalisme, sinon en cherchant à rejoindre la pensée créatrice dont elles sont l'aboutissement ? Que d'explorations dans les lointains de l'histoire une telle recherche suppose !

    Henri de Lubac - Paradoxes - Cerf 2007

  • paradoxes 18

    Il n'y a de " paroles d'évangile " que les paroles de l'Evangile. Les paroles des encycliques sont paroles d'encyclique : chose assurément très digne, très importante, mais autre chose.

    Henri de Lubac - Paradoxes - Cerf 2007

  • paradoxes 17

    Lorsque j'enseigne mon frère, ce n'est pas moi qui l'enseigne en réalité, mais nous sommes tous deux enseignés de Dieu. La vérité n'est pas un bien que je possède, que je manipule et distribue à mon gré. En le donnant, il faut que je le reçoive encore ; en le faisant trouver, que je le cherche encore, en l'adaptant, que je continue de m'y adapter.

    Henri de Lubac - Paradoxes - Cerf 2007

  • paradoxes 16

    Si l'on ne vit, pense et souffre avec les hommes de son temps, comme un des leurs, c'est en vain qu'on prétendra, le moment venu de leur parler, adapter son langage à leur oreille.

    Henri de Lubac - Paradoxes - Cerf 2007

  • paradoxes 15

    Tout le monde peut constater que l'incroyance et l'indifférence, malgré quelques vents contraires, se répandent un peu partout. Parmi les causes d'un tel fait, songe-t-on souvent que chaque année, par une série de drames obscurs, au fond des khagnes de province ou de Paris, ou dans tels milieux analogues, une part importante de l'élite de notre jeunesse perd la foi en découvrant un univers où le christianisme semble n'avoir point de place ? Demain, ce seront les éducateurs de la jeunesse, les maîtres de l'opinion, les écrivains favoris du public. Alors, on tentera contre eux, tardivement, maladroitement, timidement, quelques essais de réfutation ; (...) on improvisera contre eux une apologétique à visées de vulgarisation, comme il le faudra bien, puisque c'est la masse qui subira leur action corrosive. Cependant qu'au fond de khagnes semblables la même histoire recommencera...

    Henri de Lubac - Paradoxes - Cerf 2007

  • paradoxes 14

    Lu dans un "questionnaire" : " Bienheureux ceux qui sont doux...Comment cette béatitude peut-elle être adaptée aux temps présents, où les violents étendent leur domination sur la terre ? " L'auteur de la question penserait-il vraiment qu'au temps du Christ les doux l'emportaient plus naturellement qu'aujourd'hui sur les violents ? Croirait-il qu'en ce temps-là il était naturellement agréable de pleurer, d'être pauvre, voire de souffrir persécution ? Estimerait-il enfin que nous n'aurions plus à recevoir l'enseignement des Béatitudes au même sens que jadis et que le temps serait venu " d'adapter " l'Evangile ?

    Il ne s'agit pas d'adapter le christianisme aux hommes, mais d'adapter les hommes au Christ. 

      

    Henri de Lubac - Paradoxes - Cerf 2007

  • paradoxes 13

    On se demande comment être adapté. Il faut d'abord savoir comment être.

     

    " Comment présenter le christianisme ? Comment l'adapter à ceux que je dois évangéliser ?" Souci légitime et nécessaire. Mais s'il se fait jour trop vite, s'il prend trop vite le pas chez l'apôtre sur le souci de sa formation personnelle et de sa propre évangélisation, il peut receler beaucoup d'orgueil naïf, même lorsque la seconde de ces interrogations fait place à celle-ci, plus orthodoxe : " Comment m'adapter ?" La question essentielle doit être toujours : Qu'est-ce que le christianisme ? Qu'en ai-je compris ? Comment me l'exprimer à moi-même ?  Comment lui ouvrir toutes les régions de mon esprit ? etc. Et à de telles questions, on a jamais fini de répondre. Le christianisme n'est pas un objet que nous tiendrions en main : c'est un mystère en face duquel nous sommes toujours ignorants et profanes.

    Henri de Lubac - Paradoxes - Cerf 2007

  • paradoxes 12

    Il y a partout, disséminés dans le monde, des mystiques en puissance ou à l'état sauvage. C'est avant tout ceux-là qu'il faut atteindre. Ceux-là, par définition, ne font partie d'aucun "public". Cor ad cor loquitur.

    Le contact du croyant avec l'incroyant doit prendre la forme du dialogue. Seule l'action toute-puissante de la sainteté pure en est dispensée, car elle échappe à toute loi. Mais le dialogue ne s'établira jamais s'il n'est d'abord dialogue avec soi-même.

    La souffrance est le fil dont l'étoffe de la joie est tissée. Jamais l'optimiste ne connaîtra la joie.

     

    Henri de Lubac - Paradoxes - Cerf 2007

     

  • paradoxes 11

    L'apôtre n'atteint le coeur de la foule qu'en parlant de l'abondance de son coeur. Il a le souci angoissé de la masse, mais ce qu'il voit en cette masse, c'est une série d'hommes concrets, d'images de Dieu, de personnes, qu'il voudrait pouvoir, comme Dieu même, appeler par leur nom, - par ce nom secret qu'eux-mêmes ne connaissent souvent pas, et qui les révèlerait à eux-mêmes.

    Henri de Lubac - Paradoxes - Cerf 2007

  • paradoxes 10

    L'idée de témoignage et l'idée de vocation sont soeurs. Que chacun témoigne selon sa vocation propre. Que le théologien rende un témoignage de théologien. Son témoignage n'est pas supérieur aux autres, mais il est le sien, celui dont il lui sera demandé compte, celui qu'il doit porter pour être fidèle. Celui que nul autre ne peut rendre à sa place.

    Si le théologien n'a pas à rester enfermé dans ses travaux de spécialiste, c'est en émergeant au-delà qu'il portera son témoignage propre, non en demeurant en de-cà. Ce n'est pas en les négligeant, ou en agissant à côté. Invoquer le besoin des âmes, ou la nécessité d'un langage adapté, ou la supériorité d'une parole concrète et vivante sur les abstractions et les technicités, pour se dispenser d'accomplir la tâche intellectuelle qui lui revient dans l'Eglise et qu'il est seul à pouvoir normalement accomplir, ce n'est point porter témoignage  : c'est trahir. Pour dissiper l'illusion, relire l'apologue de saint Ignace dans les Exercices spirituels, méditation des "trois classes".

    Henri de Lubac - Paradoxes - Cerf 2007

  • paradoxes 09

    On n'atteint pas vraiment les hommes si d'abord on n'atteint l'homme.

    Parce qu'ils ne sont pas de la nature, disait Péguy, ils croient qu'ils sont de la grâce. Parce qu'ils ne sont pas de leur temps, ils croient qu'ils sont de l'éternité. La science du spécialiste, la doctrine du théologien, le feu même du mystique ne suffisent pas pour porter au loin témoignage ; mais l'absence ou la mise à l'écart de ces dons suffit bien pour y rendre apte.  

     

    Henri de Lubac - Paradoxes - Cerf 2007

  • paradoxes 08

    La vérité trop fréquente, ne serait-ce pas que le dogme nous ennuie, que la spiritualité nous ennuie ? Nous remplaçons cela par un peu de dévotion sensible et, si nous sommes intellectuels, par quelques vues - que nous croyons volontiers profondes, personnelles et adaptées - de philosophie religieuse... Mais comme une telle religion n'est plus vivante, elle n'a plus pour elle-même aucune puissance de conquête. Alors nous nous épuisons à chercher des méthodes, des "industries"... Le témoignage et l'apostolat sont remplacés trop vite par le prosélytisme et par la propagande.

    Henri de Lubac - Paradoxes - Cerf 2007

  • paradoxes 07

    La vie éternelle n'est pas une vie future. Par la charité, nous entrons, dès ici-bas, dans l'éternité. Manet caritas.

    "Quand je vois venir mon meilleur ami, je ne me dis point : Comment vais-je faire pour le propagander ? " (Péguy)

    La profondeur d'une action spitituelle est directement proportionnelle à l'engagement de son auteur. Nullus potest aliquo testificari, nisi eo modo quo illud participat. (saint Thomas d'Aquin. In Jo., lect. 4, 1.)

    Les saints : " Ils n'ont qu'à exister : leur existence est un appel." (Bergson)

    La Vie attire, comme la Joie.

     

    Henri de Lubac - Paradoxes - Cerf 2007

  • paradoxes 06

    " Dieu est Charité", dit saint Jean. Nous pouvons retourner la proposition et dire : " La Charité, c'est Dieu." Celui donc qui est vraiment charitable, celui-là adhère à Dieu. Il possède en lui les trois vertus théologales. Ubi dilectio proximi, ibi necessario etiam dilectio Dei. (Saint Augustin, sermon 83 sur saint Jean)

    Henri de Lubac - Paradoxes - Cerf 2007

  • paradoxes 05

    " Soutenir la piété jusqu'à la superstition, disait Pascal, c'est la détruire." Soutenir l'orthodoxie jusqu'à l'intégrisme, c'est aussi la détruire.

    Les rationalistes de toute espèce donnent aux hommes des pierres en guise de pain. N'arrive-t-il pas que des théologiens et des hommes d'Eglise changent en pierres le pain véritable qu'ils ont mission de distribuer.

     

    Henri de Lubac - Paradoxes - Cerf 2007