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Bernard Rey

  • J'ai renoncé au Dieu tout puissant

    J'ai renoncé au Dieu tout-puissant de ma foi sereine, mais c'est pour retrouver le Dieu partageant la passion de l' l'humanité, au sein de laquelle il reste le Vivant, celui en  qui je mets mon espérance. Dès maintenant, il m'invite à inscrire la vie là où est la mort, car telle est la destinée qu'il a promise à sa création : un avenir de vie quand toute mort sera détruite. Comme le révèle le mystère pascal, Dieu se tait parce qu'il me laisse la parole, parce qu'il me confie sa Parole : son silence, il nous revient de le rompre.

    Pourquoi Dieu, qui a ressuscité Jésus, a-t-il renoncé à intervenir pour faire cesser le mal ? La question est souvent posée en ces termes. Mais,  en définitive, sommes-nous certains que Dieu ait renoncé à intervenir ? Il n'intervient pas à la façon des puissants de ce monde, trop souvent guidés par leurs intérêts, parce que sa force est celle de l'amour. Peut-on affirmer qu'il n'intervient pas, quand on voit le centurion se convertir au pied de la Croix ? quand on contemple Jésus se faisant auprès du Père l'avocat de ses ennemis ? En exprimant cette prière : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font », Jésus dit sa foi et son espérance car il exprime sa certitude que le Père est capable d'intervenir, non pas en le faisant descendre de la croix, mais en transformant le cœur de ceux qui sont en train de le mettre à mort. En cet instant ultime de sa vie sur terre, Jésus affirme encore l'amour du Père pour tous les hommes, et il en est le témoin tragique en versant son sang pour la multitude.

    Cette méditation révèle combien est tenace l'image d'un Dieu fort, perçu comme celui qui dépanne. Par cette représentation, nous donnons à penser que Dieu est oisif quand il n'y a pas de secours à déclencher quelque part. Mais est-ce là le Dieu dont Jésus est venu témoigner? En le sommant d'agir, nous nous comportons comme si nous avions oublié qu'il est par excellence le Vivant qui de toute éternité et à chaque instant agit car il est le Créateur et le Sauveur.

    Autrement dit, notre véritable problème n'est pas tant de faire intervenir Dieu, que de nous ouvrir à son action, y compris au sein de notre liberté et à sa présence toujours offerte : dans les Écritures, dans le silence de la prière, auprès de tous ceux qui sont en quête de solidarité et de fraternité. Dieu a besoin de personnes pour rencontrer et soulager les démunis, à visage découvert. Encore faut-il qu'il y ait de par le monde des hommes et des femmes de bonne volonté pour l'accueillir en leur cœur.

    Ce n'est pas Dieu qui nous manque, c'est nous qui lui manquons. En nous donnant son Fils et son Esprit, il nous a tout donné : il s'est donné à nous. A nous de l'accueillir, en nous remettant entre ses mains, tout en tendant les nôtres à nos frères dans le besoin. Souvent d'ailleurs ces deux gestes se confondent, s'il est vrai que ce qui est fait au plus petit d'entre les siens, c'est à lui que nous le faisons  (Mt 25,40).

    Bernard Rey - La discrétion de Dieu - Cerf  1997, pp.139-141

     

  • Qui est Jésus ?

    Jésus s'oppose aux divers systèmes sociaux qui, à son époque, faisaient des exclus. Comme Dieu rempli de compassion pour son peuple opprimé en Égypte - J'ai vu la misère de mon peuple, dit-il à Moïse dans le Buisson-, il se solidarise avec tous les pauvres: il se rend proche des malades, fait leur place aux enfants à qui l'on ne donne pas la parole ou qu'on rabroue, attire l'attention sur le geste de la veuve indigente qui donne de son nécessaire. Dans les Béatitudes, il fait même des pauvres les premiers bénéficiaires du Royaume de Dieu. Bien plus, il s'identifie à eux: toute action en faveur de celui qui est nu, affamé, isolé, rejeté, rejoint directement le Fils de l'homme, comme l'affirme la parabole du Jugement dernier (Mt 25, 31-46).

    Cela ne veut pas dire que Jésus limite ses solidarités à la seule catégorie sociale de ceux que nous appellerions aujourd'hui les défavorisés.Il fut reçu à la table de personnes influentes, compta parmi elles des sympathisants - pensons à Nicodème -, et fut enterré dans le tombeau d 'un homme riche devenu son ami, Joseph d'Arimathie. Loin de mépriser les riches, Jésus entend s'adresser aussi à eux pour en faire ses disciples (voir Mc 10, 17-23). Il sait aussi se montrer attentif à l'égard de ceux dont la vie se pervertit dans l'injustice du fait de l'argent, comme les publicains qui exploitaient souvent les gens en percevant les impôts (pensons à Zachée, Lc 19). Bref, Jésus refuse toute exclusion, y compris celle de l'hérésie, comme en témoignent ses rapports avec les Samaritains, car il reconnaît en tout homme un égal et un frère, puisqu'il est né du même Dieu Père.

    L'ouverture de Jésus à tous ne l'empêche pas de prendre parti et d'une façon telle que cela inquiète les dirigeants qui redoutent son influence et le tiennent pour dangereux. Jésus ne préconise donc pas un universalisme douceâtre qui laisse tout faire ou conduit à la résignation devant l'état des choses. Prenant le parti des petits, il dénonce les systèmes qui oppriment, y compris celui d'une application rigoureuse et systématique de la Loi de Dieu. Jésus ne méprise pas cette Loi ; il en suit les prescriptions, participe aux célébrations du sabbat, fréquente le Temple, etc. Parce qu'il s'adresse à des communautés où vivent de nombreux judéo-chrétiens, Matthieu met particulièrement en valeur le respect de Jésus pour la sainte Torah. Ce que Jésus rejette c'est une pratique de la Loi qui refuse à certaines personnes toute possibilité d'entrer en relation avec Dieu dans le cadre de la vie religieuse d'Israël. En effet, certains légistes de l'époque accordent tellement d'importance à la pureté rituelle que beaucoup de personnes se trouvent exlues de la vie du peuple de Dieu ; du fait même de leurs occupations les plus quotidiennes, elles se trouvent en effet en contact avec des populations païennes, ce qui les rend religieusement impures si bien que les rigoristes les considèrent comme des "pécheurs" . Certains pharisiens se scandalisent de ce que Jésus mange avec ces gens, - ainsi après l'appel de Lévi, un publicain -, parce qu'ils estiment que ses fréquentations qui rendent impur manifestent de façon trop voyante une solidarité qui les choque.

    La Loi est pour l'homme, non l'homme pour la Loi, et Jésus dénonce l'emprise d'un système religieux qui, dans certaines de ses déformations, peut faire oublier à qui il est destiné. C'est le cas dans l'épisode des vendeurs chassés du Temple (Mc 11, 15-19 et par.), c'est aussi l'un des messages de la parabole du bon Samaritain : dans la crainte de devenir impurs, les desservants du sanctuaire s'écartent du blessé, laissé pour mort au bord de la route (Lc 10, 1 30-32).

    Bernard Rey - La discrétion de Dieu - Cerf 1997, pp.54-56

  • Est-il le Messie promis ?

    Le Dieu dont Jésus témoigne n'est plus menaçant. Jean annonçait un Dieu qui punit, Jésus, lui, manifeste un Dieu de compassion et de miséricorde. La différence est telle que dans sa prison le Baptiste s'interroge : Jésus est-il vraiment celui que Dieu a promis? est-il l'Attendu? On perçoit à cette interrogation combien Jésus bouleverse les idées reçues. Il se veut le témoin non d'un Dieu qui exige, mais d'un Dieu qui propose ; non d'un Dieu lointain, accessible par le truchement de médiations complexes, telles la Loi ou les coûteux sacrifices du temple de Jérusalem, mais d'un Dieu qui s'invite; non d'un Dieu qui condamne, mais d'un Dieu qui fait grâce, d'un Dieu qui aime et protège toute vie sortie de ses mains. Nous le voyons, dès le début des évangiles tout est dit du Dieu, révélé par Jésus, son Fils. Il apparaît discrètement  au milieu des pécheurs, puis se met en route pour les trouver et les sauver. C'est cette même discrétion que nous allons observer dans son action, où se manifeste la puissance divine, mais sans contrainte. Cette discrétion ne nous présente pas un Dieu faible; tout le paradoxe est là : Dieu se manifeste dans la faiblesse, mais il reste un Dieu fort. Sa force n'est pas celle prônée par les pharisiens, les sadducéens, les esséniens, les violents, ni même par Jean-Baptiste. Il s'agit bien d'un règne qui vient, mais autrement qu'on l'imagine. S'il est un Dieu qui pardonne, il se manifeste au milieu d'un groupe de pécheurs qui se convertissent. S'il est bien le Maître qui accomplit toute justice, c'est comme disciple qu'il entre en scène.

    Au reste, si Jésus n'avait pas manifesté un Dieu fort, il n'aurait pas fait peur aux puissants et l'on n'aurait pas cherché à l'éliminer. Il n'est donc pas nécessaire de faire un tri dans les évangiles pour parler de la discrétion de Dieu. D'un bout à l'autre c'est bien le même Dieu qui se révèle. Sa discrétion n'invite pas à la résignation ou a une douceur mièvre. Elle désoriente pour nous fait découvrir que la force de Dieu est autre que ce que nous pensons, et se manifeste ailleurs que là où nous l'attendons. 

    Bernard Rey - La discrétion de Dieu - Cerf 1997, pp. 52-53

  • Les évangiles ne sont pas des reportages

    Pour le dire de façon un peu abrupte : sauf en de très rares exceptions, les évangélistes s'intéressent peu aux sentiments personnels de Jésus. Leurs récits ne sont pas des reportages, tels qu'on peut en lire aujourd'hui dans les magazines, mais des œuvres théologiques, destinées à édifier la foi des communautés, en leur présentant le dessein sauveur de Dieu, réalisé dans la vie, la mort et la résurrection du Christ.

    Les détails, apparemment croqués sur le vif, ont une signification théologique et sont destinés non à alimenter notre curiosité mais notre vie spirituelle. Quelques exemples suffisent à le montrer. - Quand les récits de la multiplication des pains précisent qu'il y a de l'herbe (Mc 6, 39 par.) voyons dans ce détail non le souvenir d'un témoin, mais une référence au psaume 22 (Le Seigneur est mon berger) où il est écrit : "Sur des prés d'herbe fraîche il me fait reposer". La mention de l'herbe verte selon saint Marc, propose une lecture messianique de l'épisode. - De même, quand Jean précise que les pains  sont d'orge , comprenons qu'il établit une relation entre cet épisode et la multiplication des pains réalisée par Élisée où, effectivement, il est question de pains d'orge (2 R 4,42)    - Donnons un dernier exemple, tiré cette fois des récits de la Passion. Lors de la comparution de Jésus devant Pilate, Jean écrit que Pilate fit asseoir Jésus sur le tribunal (Jn 19,13). C'est exactement le sens de la phrase grecque. Des traducteurs ont trouvé cela historiquement invraisemblable. On lit ainsi dans  la Traduction œcuménique de la Bible (TOB) : "Pilate le fit asseoir sur l'estrade" (le tribunal est changé en estrade, ou tribune selon d'autres). Sœur Jeanne d'Arc traduit de son côté : "Pilate s'assoit sur le tribunal" (on garde "tribunal" mais on change "faire asseoir" en s'asseoir). La Bible de Jérusalem a heureusement conservé le sens  du grec (Pilate le fit asseoir sur le tribunal). C'est historiquement invraisemblable, mais logiquement d'une grande vérité. Pour Jean, qui veut situer ses lecteurs à ce niveau , le véritable juge, au cours de ce procès, c'est Jésus  car il est le  Fils de l'homme (Mt 16, 27, etc) Voilà une lecture en profondeur dont Jean a le secret et qu'il exprime ici par un retournement de situation : la Passion de Jésus met en jugement le monde et ceux qui condamnent Jésus. (...)

    Bernard Rey - La discrétion de Dieu - Cerf 1997, pp. 76-77

  • Sens du miracle

    " Va, ta foi t'a sauvé."

    Cette phrase est étonnante à un double titre. Jésus ne dit pas: Ta foi t'a guéri, mais Ta foi t'a sauvé, ce qui montre bien que la santé du corps est le signe d'un relèvement de la personne tout entière. En atteignant les corps, Jésus rejoint les cœurs. Il ne s'agit pas seulement de l’intervention d'un guérisseur plein de compassion, mais de l'action du Sauveur qui rétablit la personne non seulement dans son intégrité physique mais dans sa relation aux siens et à Dieu.

    C' est pourquoi une telle action ne peut se faire sans la libre décision de celui qui en est le bénéficiaire. D'une façon étonnante, l'expression « Ta foi t'a sauvé» présente aussi l'homme guéri comme l'auteur de son salut. Jésus s'efface, il attribue la guérison non à lui-même mais à celui qui a cru, car il discerne dans ce qui vient de se passer l'action de son Père partageant sa force à celui qui croit. On retrouve ici l'effet, si je peux dire, de la discrétion de Dieu. Elle nous situe dans une perspective d'alliance: elle appelle et suscite la foi qui permet au croyant d'entrer en relation et en communion avec Dieu, et Dieu lui partage sa vie et le rend participant de sa force.

    Tel est l'un des messages des miracles évangéliques. Les circonstances rendent parfois très difficile l'acceptation de ce message car, si la foi peut beaucoup, il lui est parfois aussi beaucoup demandé.

     Bernard Rey - La discrétion de Dieu - Cerf 1997, p.68   

  • Il est né parmi nous

    Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? demandent les mages venus d'Orient. Quand le Fils éternel du Père vient vivre avec nous, on ne peut pas dire qu'il force les portes : sur notre terre, sa première condition est celle d'un petit émigré dont on ne veut pas à la maison ; Il est venu chez les siens et les siens ne l'ont pas reçu. Si nous avions dû mettre en scène l'incarnation d'un Dieu qui parle aux hommes, nous l'aurions sans doute située au temple ou dans un palais royal, comme l'imaginaient les mages venus d'Orient. Les Évangiles nous le présentent à Bethléem, loin de ces fastes, dès le début mis à l' écart dans un abri de bergers. Pourquoi cela ?

    Si le Fils de Dieu était apparu dans la gloire d'un sanctuaire, nous aurions sans doute cru qu'il était d'abord venu pour les prêtres et tout ce qui touche de près ou de loin au monde religieux, comme certains le pensent encore. S'il  avait parlé du haut d'un trône royal, il aurait laissé croire  qu'il venait pour les grands de ce monde - et Dieu sait  qu'au long de l'histoire beaucoup d'entre eux ont prétendu asseoir sur lui leur puissance. Mais les choses ne se sont pas passées ainsi. Dieu s'est manifesté dans la vie de gens très ordinaires et pauvres, déplacées par décret, comme tant de familles côtoyées de nos jours. Il a même définitivement lié son visage à celui d'un nouveau-né, couché dans une mangeoire, et les textes précisent sans ambages : Voilà le signe qui vous est donné. Oui, tel est le lieu où Dieu se donne à reconnaître. C'est un comble, du jamais vu !

    Par là, Dieu annonce clairement et de façon indiscutable que sa Parole devenue chair est destinée à tout homme et que son amour ne connaît aucune frontière. Comprenons-le : le Très-Haut se révèle au plus bas, car il ne veut exclure  personne. Pour n'être récupéré ni par le clergé, ni par les princes, ni par quelque caste que ce soit, il s'identifie aux plus petits. Et pour être absolument sûr qu'on ne trouve pas plus petit que lui, il devient le « Très-Bas » (Christian Bobin), et se place au-dessous de l'échelle humaine,  puisqu'il choisit comme gîte la mangeoire d'un animal. De cette façon, il est assuré de pouvoir rejoindre tout le monde, jusqu'au plus démuni d'entre les démunis, jusqu'au plus désemparé. Le Créateur qui, avec amour, a façonné l'homme et la femme à son image, nous donne en 1 Jésus un sauveur qui se tient au plus proche de ceux dont la condition est fragile, sous-humaine, de ceux dont la vie risque de se perdre.

    Ainsi quiconque, quelles que soient son histoire, sa situation, ses déchirures, est assuré que Dieu veut non seulement lui parler mais se faire proche et partager son existence. Le signe de Dieu à Bethléem est un enfant emmailloté et couché dans une mangeoire (Lc 2, 12). Jésus se manifeste dans la pauvreté, les mains vides, il est emmailloté comme un cadeau offert, parce qu'il n'a rien d'autre à donner que lui-même. Mais en lui est la vie, écrit saint Jean (1, 4). De la sorte, par lui et en lui, la vie même de Dieu pénètre l'histoire humaine, l'histoire de chacun: Le Verbe était la vraie lumière qui en venant dans le monde illumine tout homme (Jn 1, 9)

     Bernard Rey - La discrétion de Dieu - Cerf 1997, pp.41-43   

  • Confiance dans la Parole

    Quand tout va mal, Dieu est accusé de silence et il est remplacé ;  quand tout va bien, il est oublié car on n'en a plus besoin. Dans les deux cas, on renonce à la Parole, ne lui laissant pas le temps de prendre racine, quitte à reprocher à Dieu, plus tard, de garder le silence. En réalité, les hommes ne l'écoutent plus:

    Ils m'abandonnent, moi, la source d'eau vive, pour se creuser des citernes, des citernes fissurées qui ne retiennent pas l'eau. [Jr 2, 13.]

    La Bible et notre propre histoire nous apprennent où peut mener un tel oubli de Dieu. Ayant perdu l'écoute de la Parole de l'Autre qui révèle le sens de toutes choses - et ce sens se situe en dehors de l'humanité qui n'est pas sa propre source -, beaucoup se centrent sur eux-mêmes  et entendent maîtriser la totalité de leur destinée. Ils lui vouent leur cœur, leur vie et leur pouvoir. Mettant tout au  service du profit et de leur propre bonheur personnel, ils n'hésitent pas à asservir leurs frères à leurs propres desseins, comme Adam et Ève voulant se situer par eux-mêmes à l'origine du bien et du mal, comme Caïn jaloux d'Abel et l'éliminant, comme Abraham lui-même, reniant son épouse et la laissant partir comme sa sœur dans la maison de Pharaon, comme nous si souvent et ceux qui nous entourent.

    Par la foi, celui qui entend et accepte l'appel de Dieu choisit de faire confiance à sa Parole sans autre garantie que l'engagement de celui qui la dit. Cette décision  est à prendre et à reprendre : avec lucidité car le croyant a ses faiblesses, et avec une confiance radicale car celui auquel il s'en remet l'a façonné avec amour. La voie que Dieu propose est difficile, exigeante, nous l'avons vu, mais le croyant a l' assurance que celui qui l'a appelé ne lui manquera pas. 

    Bernard Rey - La discrétion de Dieu - Cerf 1997, pp.30-31   

  • la création du monde

    L'approfondissement de l'idée de création est le fait d' exilés, dépouillés de tout et qui n'ont pas oublié leur origine lointaine. D'une multitude d'esclaves, Dieu a fait un peuple en les libérant d'Égypte, voilà pourquoi maintenant des « rescapés des nations» (Is 45, 20), il peut faire une colonne en marche pour un nouvel exode vers la terre les ancêtres. Le peuple vit avec la mémoire vive que de la mort et du chaos, Dieu peut « appeler à l'existence ce qui n'existe pas » (Rm 4, 17). Et pourquoi cela? Parce qu'il est le Dieu vivant souverainement libre: il n'a pas besoin de l'univers pour être Dieu, s'il crée c'est parce qu'il aime. 

    Quand ils écrivent le premier chapitre du livre de la Genèse, les rédacteurs sont habités par cette foi. Pour évoquer la création de l'univers, ils utilisent alors le verbe créer - en hébreu bara' - que le prophète de l'Exil avait utilisé pour annoncer le renouveau de son peuple. Ce verbe, traduit habituellement par créer, signifie littéralement faire du nouveau, de l'inattendu. A lui seul, il exprime la liberté du Créateur qui de rien peut faire du neuf, et cela « pour rien », si l'on peut dire, gratuitement. Il s'ensuit que notre monde ne détient pas en lui-même la clé de sa destinée ultime : les savants peuvent nous dire de mieux en mieux « comment il marche », mais ils se refusent à dire pourquoi et pour quoi il existe. On ne peut donc déchiffrer le sens de la création en la contemplant. Prétendre lire dans le monde les intentions secrètes de Dieu sur lui, ce serait lier nécessairement le Créateur à sa création, ce serait nier son altérité par rapport au monde et porter atteinte à sa transcendance. 

    Bernard Rey - La discrétion de Dieu - Cerf 1997, p.19   

  • Il nous a confié la terre

    Le Dieu qui se révèle et parle aux hommes est celui qui les crée. Bien que l' Ancien Testament ait peu utilisé cette expression, on peut dire qu'il est « le Père» de ceux à qui il s'adresse car il les a faits ! L'idée de création est familière aux peuples de l'Orient ancien. En Israël on vit aussi avec la certitude que Dieu est celui qui a façonné l'homme, comme le rapporte le récit de Genèse 2. Toutefois la réflexion sur Dieu, considéré comme le « créateur du ciel et de la terre » s'est effectuée à une époque relativement tardive de l'existence du peuple élu, puisqu'on la situe généralement au cours de l'Exil, avec, comme porte-parole privilégié, un prophète anonyme, dénommé « Second Isaïe » (parce que ses oracles ont été conservés dans le livre d’Isaïe aux chapitres 40 à 55).

    La situation est paradoxale. A ce moment-là, Israël vit une véritable mort, qui peut lui laisser penser que Dieu l' a définitivement abandonné. Il se trouve dépouillé de tout ce que le Seigneur lui avait promis et effectivement donné : une terre, une dynastie assurant sa pérennité, un sanctuaire où habitait parmi les siens la gloire du Très-Haut qui les avait délivrés de la main des Égyptiens. De cela, sur une terre étrangère, il ne reste rien. Et c'est dans ce chaos que  le prophète confesse de façon paradoxale et avec une foi extraordinaire que son Dieu est le Seigneur de l'univers:

    Jacob, pourquoi dis-tu, Israël, pourquoi affirmes-tu: «Mon chemin est caché au Seigneur, mon droit échappe à mon Dieu ? » Ne sais-tu pas? N'as-tu pas entendu ? Le Seigneur est le Dieu de toujours, il crée les extrémités de la terre. Il ne faiblit pas, il ne se fatigue pas ; nul moyen de sonder son intelligence, il donne de l'énergie au faible, il amplifie l'endurance de ce qui est sans forces. [Es 40, 27-29.]

    Cette foi, exprimée quand le peuple est privé de tout ce qu' il avait reçu, affirme, par son existence même, que la présence de Dieu ne doit pas être confondue avec ce qu'il donne : la possession d'une terre, le lien à une dynastie, l'existence d'un temple. Loin de Jérusalem, le prophète met en Dieu sa foi avec l'assurance qu'il demeure auprès de son peuple. Cette conviction est aussi celle du prophète Ézéchiel ; Dieu ne s'éloigne pas des siens :

    Ainsi parle le Seigneur Dieu : Oui, je les ai éloignés parmi les nations ; je les ai dispersés dans les pays étrangers, et j'ai été pour eux un sanctuaire. [Ez 11, 16.]  (...)

    Cette même conviction se trouve inscrite, dès les premiers versets de la Bible : Dieu est le Vivant qui du chaos fait jaillir la vie ! Par cette foi en la création, Israël marque ainsi sa différence avec les croyances des peuples environnants. En effet, affirmer que Dieu crée la lumière, les astres, la terre et tout ce qu'elle renferme, et finalement l'humanité, c'est désacraliser ces réalités : elles ne sont que des créatures contrairement aux croyances des autres peuples qui considéraient les astres comme des divinités, adoraient le soleil, voyaient dans le roi un être divin et représentaient les dieux sous la forme d'animaux. En confessant Dieu créateur, le peuple élu le distingue de tout l'ordre créé : il est totalement autre que sa création. Dès lors - et cela rejoint directement le sujet de notre réflexion -, le monde en tant que tel ne parle pas de Dieu, et sa contemplation ne permet pas de rejoindre son origine divine en remontant de cause en cause. Dieu n'appartient pas au temps ; il ne fait pas partie de notre monde, même pas à titre de causalité initiale. Avant que le monde soit, il existe! S'il crée le monde, celui-ci ne peut être que radicalement autre que lui.

    Bernard Rey - La discrétion de Dieu - Cerf 1997, pp.15-18