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Thérèse de Lisieux

  • Thérèse de Lisieux et la Grande Guerre - 09 suite et fin

    Textes tirés du livre :" Thérèse de Lisieux ou La Grande Saga d'une Petite Sœur "Auteurs : Bernard GOULEY - Rémi MAUGER - Emmanuelle CHEVALIER - Éditions Fayard 1997

     

    94-96

    L'exhumation est l'un des derniers actes de procédure et le procès apostolique peut être clos par Mgr Lemonnier le mardi 30 octobre 1917 dans la cathédrale de Bayeux.

    "Au bas du chœur, précise La Dépêche de Lisieux du 3 novembre, une grande table de chêne sculpté. Tout autour, 17 sièges au dossier de velours vert sont réservés aux membres du tribunal. A la croisée du transept, le grand séminaire et un certain nombre d'invités ; dans la grande nef, une centaine de fidèles viennent s'asseoir. C'est le public. La scène est curieuse et grandiose. Sous les hautes voûtes gothiques d'où la lumière blafarde descend à profusion, jamais pareil tribunal n'avait siégé...

    Il s'agit de juger la vie et les vertus de sœur Thérèse dont la gloire est devenue mondiale et qui, en cette guerre, a joué un rôle insoupçonné du grand public et pourtant affirmé par tant de témoins... C'est une morte qu'on juge. Devant les tribunaux laïques, le décès interrompt l'action judiciaire. Ici, c'est le contraire..."

    Dans cette cérémonie, il s'agit de vérifier et de sceller le dossier du procès - deux mille cinq cents pages ! - qui va être porté solennellement à Rome. La chose faite, Mgr Lemonnier précise, dans son allocution finale, qu'il a désiré que la séance de clôture ait lieu dans sa cathédrale, témoin depuis neuf cents ans des grands événements de la vie religieuse diocésaine. Et de conclure : "Il ne m'appartient pas d'appeler sœur Thérèse une "sainte" ; mais c'est tout au moins une âme fort agréable à Dieu. Qu'elle veuille employer son crédit auprès du Seigneur pour obtenir le progrès de la religion dans ce diocèse ! D'une manière toute spéciale je lui recommande  le recrutement et la formation de mon clergé, ainsi que la conservation, pour le corps et pour l'âme, de ceux de mes prêtres et de mes séminaristes que le malheur de cette terrible guerre retient si longtemps sous les armes..."

    Une semaine plus tard, le mardi 7 novembre 1917, Mgr Lemonnier quitte Paris pour Rome via Modane. Le 11 il est reçu en audience privée par Benoît XV. " Le Pape, annonce La Semaine religieuse de Bayeux, s'est montré très bienveillant, très affectueux pour l'évêque de Bayeux. Celui-ci n'a pas manqué, au cours de l'audience, de parler avantageusement de la France et d'appeler sur notre pays la sympathie, acquise d'avance d'ailleurs, du Souverain Pontife".

    A vrai dire, les appels répétés du Pape en faveur de la paix étaient l'objet de vives critiques en France. 1917, " l'année terrible", est l'année de la saignée du chemin des Dames, des mutineries de l'armée française, des procès pour trahison. Le pays est à bout de forces et parler de paix n'est pas bon pour le moral... D'où l'insistance de La Semaine religieuse à mentionner que le climat est au beau fixe entre Benoît XV et la France.

    Cinq jours après l'audience pontificale, Clemenceau est appelé à la présidence du Conseil. Il redressera la nation et la mènera à la victoire.

    Mgr Lemonnier visitera les cardinaux, s’entretiendra avec Camille Barrère, ambassadeur de France auprès du roi d'Italie (les relations diplomatiques entre la République et le Saint-Siège ne seront établies qu'après la guerre), remettra le dossier du procès à la Congrégation des rites, sera de nouveau reçu par le Pape, puis regagnera Bayeux, où il arrivera le mardi 20 novembre.

    Ainsi se termine la partie française du procès. Elle aura duré 10 ans et aura été remarquablement courte...tant la ferveur populaire aura pressé les procédures !

     

     

    Liens :

    Thérèse de Lisieux ou La Grande Saga d'une Petite Sœur : ici

    Nous les Poilus. Plus forte que l'acier (Éditions du Cerf, mai 2014)  : ici

     

     

     

     

  • Thérèse de Lisieux et la Grande Guerre (8)

    Textes tirés du livre : " Thérèse de Lisieux ou La Grande Saga d'une Petite Sœur " Auteurs : Bernard GOULEY - Rémi MAUGER - Emmanuelle CHEVALIER - Éditions Fayard 1997

     

     suite du post 7

     

    93-94

    La procédure exigeait, comme le premier procès, la "reconnaissance anatomique" des restes de Thérèse. La seconde exhumation eut lieu de vendredi 10 et samedi 11 août 1917. Bien qu'elle n'eut pas été annoncée publiquement, la foule envahit le cimetière : la rumeur s'était répandue dans la ville, des fossoyeurs et des menuisiers préparant la châsse ayant parlé. Mgr Lemonnier et les membres du tribunal, tous en habits de chœur, arrivèrent le vendredi en fin d'après-midi, sous une pluie d'orage, rythmée par le tonnerre et les éclairs. La tombe avait été ouverte jusqu'au mur de briques fermant le caveau. L'évêque fit constater que la sépulture n'avait pas été violée, enfin les fossoyeurs prêtèrent le serment d’exécuter fidèlement  leur travail et ouvrirent complètement le caveau. Avant de sortir le cercueil, le prélat fulmina au nom du Pape une sentence d'excommunication contre quiconque oserait "enlever ou ajouter quelque chose au corps, aux vêtements ou au cercueil de la servante de Dieu".

    Le cercueil hissé sur le terre-plein (la pluie s'arrêta à ce moment précis, disent les témoins) portait des traces de sept années de séjour dans la terre : il était bruni mais pas endommagé. Le couvercle enlevé, on aperçut le cercueil de plomb scellé en 1910 par Mgr Lemonnier et Mgr de Teil (photo ici). "A ce moment, rapporte La Semaine religieuse de Bayeux, un jeune Canadien mobilisé put, en qualité d'Allié lui dit Mgr Lemonnier, photographier la scène. Aussitôt après le cercueil fut transporté jusqu'à la sortie de l'enceinte réservée où l'attendait le riche corbillard des premières classes. Alors ce fut un spectacle touchant, digne des plus beaux âges de la foi. On vit la foule, très calme jusqu'alors... se porter avec ardeur vers  le cercueil pour lui faire toucher à l'envi : chapelets, médailles, objets de piété de toutes sortes, et même casques de soldats, tout en ne cessant de garder (fait remarquable !) une attitude  religieuse irréprochable."

    Le cercueil est placé sous une tente disposée dans la petite chapelle-dépositoire du cimetière dont la porte est scellée. A l'entrée, une toile abrite des gardiens chargés de veiller toute la nuit à la sécurité. Le samedi, la foule étant écartée, et en la seule présence de l'évêque et des juges, commence l'examen des restes par deux médecins assermentés, les Drs de Cornière et Loisnel. Le travail médical dure toute la journée : il faut reconstituer le squelette et apprécier l'état de chacun des ossements. Il manque une vertèbre, une côte et quelques petits os. 

    Céline est présente. Elle est chargée, accompagnée d'une autre carmélite, de recueillir les ossements de sa sœur, de les envelopper dans des étoffes de lin ouvragées, liées par des rubans de soie, puis de les déposer dans le nouveau cercueil. 

    Deux autres cercueils furent employés, précise La Semaine religieuse de Bayeux, "le second en plomb garni de draps blancs et le troisième, en bois de palissandre, de plusieurs centimètres d'épaisseur. Les carmélites avaient chargé la maison de Borniol de faire ce dernier cercueil en chêne mais, pour honorer sœur Thérèse, les fournisseurs voulurent lui faire hommage d'un cercueil en palissandre, moins orné que le coffre intérieur mais d'un travail fort apprécié et d'un goût très pur. " Rien n'est trop beau pour la sœur Thérèse" dit en le voyant, un ouvrier de Lisieux. Le mot traduit l'impression générale..." [note des auteurs : "Les informations de La Semaine religieuse ne sont pas rigoureusement exacte. En réalité, les ossements ont été déposés dans un coffret sculpté en chêne, capitonné de satin blanc ; le coffret a été placé dans un cercueil de plomb tapissé de drap blanc et le tout mis dans un sarcophage de palissandre."]

    Le nouveau cercueil de Thérèse porté à bras d'hommes et suivi des autorités ecclésiastiques, de Mme La Néele (cousine de Thérèse) et d'une foule très nombreuse, fut ensuite inhumé dans le même caveau...

     

  • Thérèse de Lisieux et la Grande Guerre (7)

    Textes tirés du livre : " Thérèse de Lisieux ou La Grande Saga d'une Petite Sœur " Auteurs : Bernard GOULEY - Rémi MAUGER - Emmanuelle CHEVALIER - Éditions Fayard 1997

     

     suite du post 6

     

    88-92

    Second procès diocésain

    17 mars 1915 : l'offensive de Champagne lancée par l'armée française dans l'espoir de percer le front figé dans les tranchées depuis l'automne 1914 est en passe d'échouer. Les fantassins, lancés sans préparation d'artillerie suffisante contre les barbelés et les mitrailleuses, ont subi de lourdes pertes dont l'opinion ne connaît pas le chiffre...

    Ce même jour, un mercredi, Mgr Lemonnier ouvre dans la sacristie de la cathédrale de Bayeux le procès apostolique, nouvelle étape de la béatification de Thérèse.

    On se souvient que le premier procès, dit "procès informatif ordinaire", s'était tenu en 1910 et 1911. Ses conclusions avaient été adoptées par Pie X, le 10 juin 1914, peu de jours avant sa mort. Un télégramme du Vatican en avait informé mère Agnès, qui écrivait aussitôt à ses amis romains : " Nous avons maintenant reçu toutes les pièces nécessaires au procès. J'espère que notre évêque ne va pas aller moins vite que Rome. Notre chère petite servante continue à faire beaucoup de bruit, elle qui était si cachée, si modeste sur la terre !!!"

    Pourquoi un nouveau procès ? Celui de 1910 n'était qu'un préliminaire. Il s'agissait pour l'évêque du diocèse de présenter à Rome un dossier solide, établi dans les règles canoniques, prouvant qu'il y avait lieu, pour le Siège pontifical, d'entreprendre lui-même l'étude des mérites de sœur Thérèse. La signature de Pie X signifiait que la cause était ouverte à l'échelon suprême et que le Saint-Père prenait directement la direction de l'affaire. D'où le nom de "procès apostolique", le Pape étant le successeur de Pierre, "chef" des apôtres.

    Le 15 août, la Sacrée Congrégation des rites demande officiellement à Mgr Lemonnier d'ouvrir le procès, en commençant par interroger les témoins "vieux ou malades". Six mois plus tard, c'est chose faite et l'évêque de Bayeux peut dire, dans son discours inaugural : " C'est comme représentant de la Sainte Église , et pour lui fournir les éléments du jugement  qu'elle prononcera peut-être un jour, que je préside ce tribunal. Comment, en pensant à la sublimité de cette fonction qui m'est en ce moment donnée, ne serais-je pas ému par sa grandeur ?"  On procède ensuite solennellement à la confirmation des juges, à leur prestation de serment, à la nomination des greffiers, et l'on fixe le lieu des séances : la cathédrale de Bayeux et la chapelle du Carmel à Lisieux.

    Le procès durera trente mois - avec de longues interruptions - et quatre-vingt-onze séances, sans apporter beaucoup de surprises par rapport à celui de 1910-1911. La plupart des témoins entendus l'ont déjà été, certains comprenant mal qu'on leur fasse répéter ce qu'ils ont déjà dit. Le plus remarquable est l'accent mis, davantage que durant le premier procès, sur la doctrine de Thérèse.

    Mère Agnès : "Tout se ramène à ce qu'elle appelait sa "voie d'enfance spirituelle". C'est là un point si important que j'ai cru devoir en préparer un exposé par écrit et à tête reposée : je le présente au tribunal... cette petite voie est simplement une voie d'humilité, revêtant un caractère spécial d'abandon et de confiance en Dieu ; rappelant ce que l'on voit chez les tout-petits enfants qui sont eux-mêmes dépendants, pauvres et simples en tout... Elle appuyait sa "petite doctrine" [sur l’Évangile]... Instruite et fortifiée par ces divins enseignements, comment pourrait-on croire que sœur Thérèse avait une piété mièvre et puérile, une piété enfantine, comme on l'a dit quelque fois ?"

    Mère Agnès prend tout de même le soin de dire que Thérèse mettait sur le même plan l'amour et la justice de Dieu et qu'elle désirait la souffrance, "parce qu'elle est une occasion de prouver l'amour qu'on a pour Dieu..."

    Autre novation par rapport au premier procès, mère Agnès, décrivant le milieu "dans lequel s'est sanctifiée sœur Thérèse", critique très sévèrement le caractère et les agissements de mère Marie de Gonzague, prieure au moment de la mort de Thérèse : " Elle donnait de très bons conseils, mais avec de mauvais exemples. Pour obtenir d'être "en cours" auprès d'elle, il fallait la flatter ou agir en diplomate. Ce qui faisait dire à M. l'abbé Youf, notre aumônier pendant vingt-cinq ans : " N'est-ce pas bien triste que des âmes croyant trouver au Carmel la simplicité soient obligées d'y faire de la politique ? " (...) 

    D'autres abus moins graves...se produisaient. Par exemple, la pauvre mère avait un chat qu'elle nourrissait de foie de veau et de lait sucré. S'il prenait un oiseau, on le lui faisait rôtir avec une sauce exquise. Jusque là ce n'était que ridicule, bien qu'il y ait une faute contre la pauvreté. Mais quelquefois le chat était perdu et le soir, pendant l'heure de grand silence, la prieure partait à sa recherche avec les sœurs de voile blanc, l'appelant de tous côtés... Manquant ainsi à la régularité et mettant  toute la communauté en émoi..."

    Ces déclarations de mère Agnès ne manqueront pas de susciter des polémiques. Les adversaires de la "version officielle" de Thérèse - on verra qu'il n'en manquera pas tout au long du siècle [XXe] - s'appuieront sur ce témoignage pour décrire le carmel où la sainte a vécu comme un lieu où régnait l’hystérie. Le père Jean Vinatier, prêtre de la Mission de France et auteur d'une biographie complète (lien) de mère Agnès, pense que la prieure ne pensait pas que ses déclarations de 1915 seraient publiées. Elle ne se rendait pas compte que son réquisitoire, manquant de perspective historique - quarante de la vie d'un carmel ! -, pouvait donner à penser que les faiblesses  et les erreurs de quelques individus occulteraient le sérieux et la ferveur de l'ensemble d'une communauté. D'autant que les carmélites avaient élu et réélu mère Marie de Gonzague, en dépit de ses défauts de caractère, et  que les supérieurs du Carmel, qui ne pouvaient pas ignorer la situation, n'avaient pas réagi.

    "Mère Agnès de Jésus, écrit Jean Vinatier, et avec elle tout le carmel de Lisieux, devait beaucoup souffrir  de ce qu'il faut bien appeler un "faux pas". C'est le rôle des historiens rigoureux  de lire ces pages en les restituant dans leur contexte  et dans le climat précis d'une époque baignée dans les ombres du jansénisme et d'une certaine conception de l’obéissance. Sœur Geneviève [Céline], dans un témoignage très soigneusement préparé, revient sur la doctrine de sa sœur, qui, pour elle, se ramène à deux idées générales : l'abandon et l'humilité. " Je l'ai particulièrement étudiée sous ce dernier aspect qui m'a le plus frappée. Dans les instructions de sœur Thérèse à ses novices, elle disait : " Pour marcher dans la petite voie, il faut être humble, pauvre d'esprit et simple..." Le fond de son enseignement était de nous apprendre à ne pas s'affliger en se voyant la faiblesse même, mais plutôt à nous glorifier de nos infirmités...

    Interrogée sur la foi de sa sœur, Céline déclare : "Son union à Dieu était ininterrompue, rien ne pouvait l'en distraire... Cet esprit de foi qui éclairera toute la vie de la servante de Dieu fut cependant soumis à une longue suite d'épreuves. D'abord la majeure partie de sa vie religieuse se passa dans des sécheresses presque ininterrompues... Mais surtout elle fut éprouvée par une  effroyable tentation  qui l'assaillit deux ans avant sa mort et ne se termina qu'avec sa vie. Ces attaques visaient particulièrement l'existence du Ciel... Sa fidélité  et sa ferveur n'en étaient d'ailleurs aucunement diminuées." 

    Du témoignage de sœur Marie du Sacré-Coeur [novice de Ste Thérèse] on retiendra les précisions sur la publication des manuscrits : " Ni elle [Thérèse] ni nous ne pensions que ces souvenirs seraient jamais  publiés : c'était des notes de famille. Dans les derniers mois de la vie de sœur Thérèse seulement, mère Agnès de Jésus pensa que la publication  de ces souvenirs pourrait être utile à la gloire de Dieu. Elle le dit à sœur Thérèse qui accepta cette idée avec sa simplicité et sa droiture ordinaires. Elle désirait que le manuscrit fût publié parce qu'elle voyait un moyen de faire aimer le Bon Dieu, ce qu'elle considérait comme sa mission."

    Quant à Léonie [une des sœurs de Thérèse qui est, elle aussi, religieuse mais à la Visitation], la visitandine, elle insiste sur l'humilité et la discipline de Thérèse : " Quand je venais voir mes sœurs au parloir, je constatais que sœur Thérèse se montrait particulièrement humble et discrète, laissant volontiers la parole aux autres. Elle était aussi d'une régularité très exacte, se retirant la première lorsque le sablier indiquait que le temps concédé pour le parloir était dépassé."

    Ce second procès avait été l'occasion pour les quatre sœurs Martin [Marie (1860-1940), entre au carmel de Lisieux en 1886 et prend le nom de Marie du Sacré-Coeur ; Pauline (1861-1951), entre au carmel de Lisieux en 1882 et prend le nom d'Agnès ; Léonie (1863-1941), entre à la Visitation de Caen en 1899 et prend le nom de Françoise-Thérèse ; Céline (1869-1959), entre au Carmel de Lisieux en 1894 et prend le nom de sœur Geneviève de la Sainte-Face et Thérèse (1873-1897), entre au carmel de Lisieux le 9 avril 1888] de se retrouver et de vivre ensemble quelques jours. A la vérité, Léonie n'avait pas désiré quitter son couvent de la Visitation et elle avait demandé à Mgr Lemonnier l'autorisation de témoigner à Caen et de ne pas se déplacer à Lisieux. Le prélat avait refusé sèchement : on ne va pas déranger tout un tribunal pour vous ! Et il lui avait ordonné d'aller séjourner le temps nécessaire au carmel, avec ses trois sœurs. 

    On lui fait fête pendant sept jours (du 11 au 18 septembre 1915). Au réfectoire, elle siège à la place de la sous-prieure, elle peut s'entretenir longuement avec ses sœurs et évoquer les souvenirs de jeunesse [Marie a alors 55 ans, Pauline 54, Léonie 52 et Céline 46, leur sœur Thérèse est morte depuis 18 ans]. Sœur Marie du Sacré-Coeur (Marie) s'en fait l'écho dans une lettre : "Nous étions assises toutes les quatre sur le perron, près de l'infirmerie. Le ciel était bleu, sans aucun nuage. En un instant le temps a disparu pour moi : le temps de notre enfance, les Buissonnets, tout m'a semblé un seul instant. je voyais Léonie religieuse, auprès de nous, et le passé et le présent se confondaient en un moment unique. Le passé me paraissait un éclair : il me semblait déjà vivre dans un éternel présent et j'ai compris l'éternité qui est tout entière en un seul instant."

     

     

     

  • Thérèse de Lisieux et la Grande Guerre (6)

    Textes tirés du livre : " Thérèse de Lisieux ou La Grande Saga d'une Petite Soeur " Auteurs : Bernard GOULEY - Rémi MAUGER - Emmanuelle CHEVALIER - Éditions Fayard 1997

     

     suite du post 5

     

     

    86-87

    Retour à l'image

    La guerre n'est cependant pas la seule préoccupation du carmel. On a vu que Céline s'était attachée à illustrer la présence de Thérèse dans les combats... Dès 1915, mère Agnès demande à sa sœur de représenter, sous  forme de tableaux et de dessins, les principaux épisodes de la vie "anthume" de la vénérable. Pour ce faire, Céline requiert la collaboration de plusieurs artistes, notamment Pascal Blanchard et Charles Jouvenot, qui travaillent d'après les souvenirs des sœurs Martin.

    Ce travail, qui se prolonge bien au-delà de la guerre, aboutit à une série de tableau et de lavis qui serviront à différents ouvrages. On y voit notamment Thérèse priant dans le jardin de l’Étoile tandis que Céline arrose les fleurs, Thérèse priant avec son père dans la chapelle du carmel, Thérèse enfant faisant oraison dans sa chambre, Thérèse avec ses novices jetant des fleurs au pied du crucifix ou Thérèse prenant l'habit de carmélite

    De partout on demande des médailles, ce qui pose des problèmes car il ne saurait être question, en 1915, d'un culte reconnu par l’Église, Thérèse n'étant pas encore béatifiée. Mgr de Teil aide les carmélites à résoudre cette question et Benoît XV, le 10 juin 1915, donne l'autorisation de faire frapper une médaille dont il a "déterminé la composition et l'inscription". Le Saint-Père spécifie que cette médaille ne pourra pas être bénite et il proscrit les modèles où l'image de Thérèse serait associée à celles du Christ, de la Vierge ou des saints.

    En 1917, le père Bernard Chevalier, abbé de la Trappe à Soligny, dans l'Orne, vient en pèlerinage à Lisieux et rend visite au carmel. Il est reçu par mère Agnès qui lui confie son souci de ne pas trouver de sculpteur pour étudier une statue de Thérèse. 

    "Aucun problème, lui répond le trappiste, un de mes moines est habile de ses mains, je vais lui confier cette mission." Ce moine, c'est le père Marie Bernard, qui sculptera plusieurs modèles de statues de Thérèse, dont l'une, Thérèse aux roses, sera tirée à des dizaines de milliers d'exemplaires et ornera les églises du monde entier. Le père Marie Bernard a découvert sœur Thérèse bien des années auparavant, exactement en mars 1904, lorsqu'il était en classe de philosophie au séminaire de Sommervieu. Il a 21 ans lorsqu'il lit l'Histoire d'une âme. C'est le début d'un attachement et d'une dévotion qui dureront toute sa vie. 

    Le trappiste se met donc au travail et façonne, entre 1917 et 1919, le premier buste de Thérèse et les premières médailles. Passionné d'inventions et de mécanique, il met au point dans les celliers de la Trappe d'étonnantes machines à graver et à reproduire. Elles tourneront nuit et jour pendant près de cinquante ans. Elles dorment aujourd'hui sous la poussière de l'abbaye, vaincues par le progrès.

     

  • Thérèse de Lisieux et la Grande Guerre (5)

    Textes tirés du livre : " Thérèse de Lisieux ou La Grande Saga d'une Petite Soeur " Auteurs : Bernard GOULEY - Rémi MAUGER - Emmanuelle CHEVALIER - Éditions Fayard 1997 (lien ici)

     

     suite du post 4

     

     

    84 à 86

    Le carmel veille sur tous les "fronts"...

    Mère Agnès et ses filles poursuivent les missions qui sont les leurs. Mission spirituelle : célébrer Dieu dans les offices, méditer sa parole, prier... Mission plus matérielle : répondre au courrier, envoyer les images dont les demandes sont de plus en plus nombreuses, veiller sur les éditions de l'Histoire d'une âme et de sa version abrégé, suivre les progrès de la cause à Rome...

    Même séparées physiquement du monde, isolées dans leur clôture, les carmélites "vivent" cette guerre interminable. En témoignent ces extraits de lettres de mère Agnès (cités par Jean Vignatier dans son livre Mère Agnès de Jésus). Le 30 avril 1915, la prieure écrit à Mgr de Teil : " Quelle triste guerre et comme elle est longue ! J'ai reçu hier la lettre du colonel qui a consacré son régiment à sœur Thérèse. Il me dit : " Ici, dans un bois dont on parle beaucoup et tout imprégné de sang français, nous avons l'intention d'élever une petite chapelle au Sacré-Coeur ; mon intention est de faire figurer sur un vitrail l'image de notre admirable petite sainte. Cette chapelle sera élevée avec le sou de mes soldats et les offrandes de mes officiers." En attendant, j'envoie au colonel les trois mille reliques qu'il attend et j'y joins une petite brochure pour chaque soldat. Si cela continue, l'imprimerie Saint-Paul ne pourra pas suffire. "

    Six jours plus tard - la veille du torpillage du Lusitania par les sous-marins allemands qui causa la mort de 1198 personnes, dont de nombreux citoyens américains -, mère Agnès s'adresse au père Rodrigue de Saint-François-de-Paule, le postulateur : " Ici les pèlerinages des soldats et des pauvres blessés ne discontinuent pas. Un petit soldat de 18 ans m'écrivait hier : " Comme je suis heureux d'être à Lisieux ! Quel bonheur de pouvoir m'agenouiller sur la tombe de sœur Thérèse où je vois toujours un nombre considérable de soldats !..." Et beaucoup de jeunes gens, même les plus grossiers, désirent connaître sa vie."

    La prieure ne manque pas, dans ses entretiens individuels avec ses "filles" et dans les réunions de chapitre, d'évoquer la guerre. L'arme des carmélites, ne cesse t-elle de répéter, c'est la prière. " Ne cessez pas vos oraisons, qui sont notre grâce particulière." Il faut prier sans cesse, prier pour tous les soldats, pour tous ceux qui souffrent, pour le pape Benoît XV, qui a succédé à Pie X - mort le 28 juillet 1914 - et qui est déchiré entre les belligérants puisqu'il y a des catholiques dans les deux camps.

    De cette guerre si intensément vécue au carmel, mère Agnès tirera quelques leçons spirituelles au chapitre de la communauté le 20 décembre 1918, un peu plus d'un mois après l'armistice : " Les événements actuels pourraient nous tromper sur le sens véritable de la paix, apportée au monde par la naissance de Jésus. La paix, nous dit-on, sera signée dans quelques mois et nous sentons que notre paix, à nous, ne sera signée qu'au ciel...les anges n'ont pas menti en annonçant la paix sur le berceau de l'Enfant Jésus... La paix est pour nous dans l'accomplissement fidèle de nos obligations... Chacune de ces moindres pratiques nous fait faire comme un pas en avant, non pas vers ces entrées triomphales dans les villes reconquises, mais vers des âmes que notre victoire cachée et sans gloire...rend au Dieu de la paix."  

     

  • Thérèse et la Grande Guerre (4)

    Textes tirés du livre : " Thérèse de Lisieux ou La Grande Saga d'une Petite Soeur " Auteurs : Bernard GOULEY - Rémi MAUGER - Emmanuelle CHEVALIER - Éditions Fayard 1997 (lien ici)

     

    L'UNION SACRÉE

     

    83 à 84

     Jeanne d'Arc et Thérèse ne se contentent pas d'adoucir les souffrances des "poilus" - et de soutenir leur moral. Elles sont aussi le symbole de la réconciliation française. 1914 efface trente ans de luttes religieuses. Même des incroyants anticléricaux militants entretiendront un culte laïque et patriotique pour Jeanne d'Arc.

    Les catholiques se sentaient vraiment mis à l'écart de la communauté nationale, de la République. C'étaient des exilés de l'intérieur, des citoyens mineurs. Cette communauté nationale se refait dans les tranchées. C'est charnel : catholiques et anticléricaux souffrent et meurent dans la même terre de France. Les curés sont sac au dos. Ils combattent, ils sont brancardiers, infirmiers, ils confessent et donnent les sacrements. Leur intégration est totale. 

    " Cette guerre, dit encore Annette Becker, est une guerre d'un très grand consentement patriotique et il est normal que l’Église catholique en prenne sa part, d'autant que les pertes vont être, dès le début, effroyables et que le culte des morts - important dans le catholicisme - va se mêler à celui de la patrie. Ce n'est pas pour rien que Raymond Poincaré utilise le mot "sacré" ("Union sacrée") pour définir ce moment de la conscience française. Le vocabulaire est d'ordre spirituel. La défense de la patrie est l'affaire de tous, opinions politiques et religieuses confondues. Cette dimension spirituelle, tout le monde va en avoir besoin, au fur et à mesure que l'on s'enfonce dans le massacre. Ceux qui appartiennent à une religion - catholiques, protestants ou juifs - connaissent une véritable renaissance de leur pratique, ceux qui ne pratiquaient pas avant la guerre mais qui avaient un fond de culture religieuse  se disent qu'après tout le spirituel peut les aider.

    On trouve là une approche un peu utilitaire de la religion que l’Église ne voit pas d'un œil très favorable : on n'est pas loin de la superstition. Et il est vrai que certaines choses sont confuses : pour eux la médaille doit les protéger quelle que soit leur croyance. On peut accrocher indifféremment dans un abri une médaille du Sacré-Coeur ou un fer à cheval...ou les deux ensemble...

    Il y a aussi les pratiquants d'avant-guerre, nombreux chez les officiers, autour desquels se produisent des brassages spirituels au profit de la foi et d'un certain retour à la pratique religieuse. Beaucoup de lettres reçues par le carmel mentionnent des exemples de conversions.  Nombreux sont les cas où l'on voit des soldats ne s'étant jamais intéressés à la religion et qui, pensant avoir été protégés de façon extraordinaire dans un moment périlleux, s'entendirent par un camarade que c'est grâce à la "petite sœur". Ceux-là prennent l'habitude de recourir à Thérèse."

    A suivre...


     

     

     

     

  • Thérèse de Lisieux et la Grande Guerre (3)

    Textes tirés du livre : " Thérèse de Lisieux ou La Grande Saga d'une Petite Soeur " Auteurs : Bernard GOULEY - Rémi MAUGER - Emmanuelle CHEVALIER - Éditions Fayard 1997

     

    JEANNE ET THÉRÈSE, MÊME COMBAT

    81 à 83

    Dans le jardin du carmel s'élève une statue représentant un ange tenant dans ses mains une médaille de Thérèse. Sur le socle, une plaque de marbre : " Hommage de reconnaissance de soldats français et alliés, 1914-1916." Au milieu, un drapeau français et une croix. Les "poilus" qui ont offert cette statue n'étaient pas ingrats. Thérèse, il est vrai, leur avait apporté beaucoup.

    Pourquoi cette amitié vraie entre une religieuse cloitrée et des soldats ?

    "Thérèse est jeune, dit l'historienne Anne  Becker (La Guerre et la Foi, Armand Collin, 1994, lien ici); comme les soldats de la Grande Guerre souffrent, elle a souffert, elle s'est offerte comme eux s'offrent pour la patrie. Elle est aussi la "petite sœur" et ils ont tous une petite sœur qui est restée à l'arrière. Tout cela joue beaucoup. Thérèse est quelqu'un dont ils se sentent très proche... Dans la dévotion des soldats, Thérèse et Jeanne d'Arc - qui ne sont pas encore saintes - sont associées. On le voit dans la correspondance. Les soldats font tout naturellement comme si ces deux jeunes filles étaient déjà sur les autels. Ils les associent dans leur jeunesse et dans le sentiment de la patrie. D'autant que la guerre est réellement vécue par les soldats comme une passion, avec, pour les croyants, le sentiment d'un sacrifice. Ils s'offrent comme le Christ s'est offert, comme Thérèse s'est offerte... Jeanne d'Arc est une combattante, on la voit avec sa cuirasse et son épée. C'est à la pointe de son épée qu'elle aide les soldats de 1914 à tenir. Pas Thérèse, même si l'on baptise une escadrille et une batterie en son nom. Thérèse ne combat pas, elle prie et elle obtient des consolations pour ceux qui subissent les barrages d'artillerie ou les bombardements des batteries et des escadrilles d'en face. Tous les dessins de l'époque la montrent envoyant depuis le Ciel les rayons de grâces auxquels sont accrochées les roses qu'elle a promises. 

    Il est remarquable que le culte de Thérèse soit présent chez les soldats des deux camps. Les catholiques allemands et autrichiens commencent, dès les premières années du siècle à vénérer Thérèse. Ils continueront dans les tranchées. Le carmel ne possède évidemment pas de courrier de combattants des empires centraux comme celui envoyé par les Français, les Anglais, les Canadiens, les Belges ou les Italiens : les relations épistolaires étaient interrompues.

    La dévotion à Thérèse ne s'exprime pas de la même façon chez les Austro-Allemands et chez les Alliés. Chez les premiers, la piété est plus individuelle, plus secrète. Après tout, Thérèse appartient à une nation ennemie. Chez les Français, cette piété est plus collective, on insiste sur le fait qu'elle est comme Jeanne d'Arc, elle a donc une couleur patriotique que les Allemands, bien évidemment, ne lui donnent pas. Ce n'est qu'après la guerre et devant la mondialisation de sa renommée que les catholiques allemands multiplieront images et statues. Thérèse sera alors devenue universelle avant d'être française. Le culte de Jeanne d'Arc, qui existait en Allemagne avant 1914, disparaît complètement avec la guerre. Pour une raison évidente : c'est la sainte guerrière de la France. Alors que Thérèse, qui n'est pas guerrière, demeure dans la dévotion des catholiques allemands..."

    Une correspondance de mère Agnès montre que les demandes d'images formulées par les soldats "ennemis" ont 83 été transmises à Lisieux par la Croix-Rouge et qu'elles ont été satisfaites : " On nous demande, par la Suisse, des reliques pour les Allemands. Nous en envoyons volontiers car, devant Dieu, les âmes ne sont ni françaises ni allemandes. les unes et les autres sont précieuses aux yeux de Dieu " (6 mai 1915)

    A suivre...

  • Thérèse de Lisieux et la Grande Guerre (2)

    Textes tirés du livre : " Thérèse de Lisieux ou La Grande Saga d'une Petite Soeur " Auteurs : Bernard GOULEY - Rémi MAUGER - Emmanuelle CHEVALIER - Éditions Fayard 1997

     

    THÉRÈSE EST LA

    77

    Dans ce calvaire les  combattants ont besoin de compassion et d'amour. Thérèse va les leur prodiguer...

    "Il faut partir pour sauver la patrie, garder sa foi, lui conserver l'honneur." Signé : sœur Thérèse de l'Enfant Jésus. Telle est l'épigraphe d'une carte postale éditée en 1913 à l'occasion du congrès de la Jeunesse catholique de France qui se tient à Lisieux. Le document représente un groupe d'officiers et de soldats autour de la tombe de la petite carmélite. La presse de l'époque raconte qu'ils y chantèrent le Magnificat. Au cours de ce pèlerinage militaire, on peut aussi les imaginer entonnant l'un des cantiques en vogue composé par Charles Gounod : " Ils ne l'auront jamais, jamais l'âme des enfants de la France !" Puisque nous en sommes aux formules - nous dirions aujourd'hui aux slogans -, il faut citer d'autres paroles de Thérèse : " Je voudrais mourir sur un champ de bataille pour la défense de l’Église " ; " Je voudrais accomplir les œuvres les plus héroïques " ; " Je me sens le courage d'un croisé " ; " Ma pluie embaumée tombera sur l’Église militante afin de lui donner la victoire ".

    Il est évident que ces phrases n'ont aucune connotation guerrière. Il s'agit de la patrie du Ciel et du combat spirituel. (Du reste, Thérèse, dans ses écrits, ne fait jamais allusion à la politique.) Mais tous ces aphorismes sont utilisés entre 1914 et 1918 dans le contexte de la Grande Guerre. Le terrain est réceptif. " Toute guerre est une guerre de religion ", juge l'écrivain 78 Jacques Rivière (A la trace de Dieu, Gallimard, 1925). En 1915, récemment converti au catholicisme, il est prisonnier en Allemagne. Il s'emploie à convaincre ses camarades de captivité que la guerre a un sens et que ce sens, ils doivent le chercher en Dieu : " On fait la guerre pour une certaine manière de voir le monde. Qui ne serait prêt à se faire tuer plutôt que d'accepter de voir désormais le bien et le mal, le beau et le laid là où les voient les ennemis ? La guerre est un acte de foi, le sacrifice du martyr."

    Dans toute l'Europe, le conflit est vécu comme une épreuve à forte tonalité religieuse, y compris par les incroyants. La guerre brasse des populations de toutes origines et favorise un regain de piété. Sur le front, cette "grande ligne mystique au long de laquelle coule tant de sang" (Père Dominique Dupouey, Lettres et Essais, Éd. du Cerf 1935), se lève une vague de spiritualité, relayée naturellement à l'arrière. "En ces temps d'incertitude, analyse l'historienne Annette Becker, où le quotidien est transformé par l'absence des êtres chers...on a besoin de ces franges spirituelles où des manifestations sacrales (culte des saints et des reliques, pèlerinages...) apportent des réponses immédiates." Dans son étude très complète sur le sujet, cette spécialiste de la Première Guerre mondiale intitule un de ses chapitres : " A quel saint se vouer dans cet enfer ? " Thérèse est au nombre de ces saints-là. Considérable est le nombre de lettres de soldats reçues à Lisieux pendant la Grande Guerre. Certaines ont été publiées par les carmélites, qui n'ont choisi, dit la préface du recueil, qu' "une ou deux interventions du même genre, car on ne compte plus les balles arrêtées par une relique, une médaille ou une brochure de sœur Thérèse. Beaucoup des correspondants joignent à leur lettre, à titre de témoignage, l'image déchirée par un projectile qui les a protégés. Un exemple de ces humbles témoignages de combattants : " Au cours d'une attaque où je me suis trouvé en très mauvaise posture, 79 une balle de mitrailleuse a traversé mes vêtements, mes poches de capote, de vareuse et de pantalon. Mon caleçon était également troué...mais je n'avais aucune égratignure. L'image de sainte Thérèse que j'avais dans mon portefeuille m'a protégé..."

    Une autre lettre envoyée par un prêtre brancardier et publiée dans La Semaine religieuse de Bayeux le 3 janvier 1915, raconte que le 6 septembre 1914 - premier jour de la bataille de la Marne et de la contre-offensive des armées françaises et anglaises qui battent en retraite depuis 6 semaines - l'unité sanitaire à laquelle il appartient adresse une prière à Thérèse : " Obtenez-nous d'être victorieux dès aujourd'hui... Nous avons avancé de cinq kilomètres.... J'avais depuis longtemps le désir très vif de voir des boches (c'est le surnom universel des allemands dans l'armée française). Je vous assure que ce soir-là, mon voeu a été exaucé. J'en ai vu, des Allemands, des centaines et des centaines, des morts et des blessés... et ceux que les obus n'ont pas blessés, mais que le fracas de l'explosion a rendus comme fous, insensibles, réduits à l'état de choses insensibles, inertes."

    Un lien postal permanent s'établit entre les combattants qui demandent prières, images et reliques et le carmel qui se fait un devoir de les envoyer. Le nombre de requêtes, déjà important en 1915 - cinq cents lettres par jour - s'accroît encore en 1916 : c'est l'année de Verdun et de la Somme. La quasi-totalité de ces lettres ont été conservées par les carmélites, qui répondaient à chacune d'entre elles ; elles remplissent cinq volumes. Une partie a été publié sous le titre Quelques Extraits des nombreuses lettres reçues au carmel de Lisieux pendant la guerre. La couverture du livre représente un champ de bataille. Thérèse, de dos, est au premier plan, élevant les mains vers des blessés et des morts qui gisent devant elle, à sa gauche un canon de 75, dont les servants se reposent, l'un d'eux lisant l'Histoire d'une âme, au loin la bataille, avec en fond, plusieurs églises en flammes, dont la cathédrale de Reims. Sur  ce spectacle  de 80 fureur une pluie de roses tombe du Ciel à l'appel de la carmélite.

    Le dessin a été probablement inspiré par sa sœur Céline mais il est l’œuvre de Charles Jouvenot, "dessinateur officiel" de l'iconographie thérésienne  à ses débuts. Depuis la fin de 1914, on a entrepris d'illustrer quelques-unes des scènes décrites dans les lettres-témoignages. De vrais reportages de guerre au fusain ou à la plume. Ainsi découvre-t-on les histoires de l'officier allemand mourant consolé par sœur Thérèse, du soldat français qui, dans la tranchée, voit apparaître Thérèse, du blessé qui montre aux brancardiers comment une image de Thérèse l'a sauvé, de l'aviateur qui survit à son avion en feu, de la voiture arrêtée au bord d'un ravin par Thérèse en personne... et de bien d'autres, car les témoignages sont innombrables. Céline est, à sa manière, une pionnière de la bande dessinée. 

    On découvre aussi l'existence d'une batterie "sœur Thérèse"et d'une escadrille qui est placée sous la protection de la carmélite. Près de la batterie, sœur Thérèse bénit les combattants et la légende précise : " Avec l'aide de sœur Thérèse nous serons toujours protégés, ou, du moins, assurés de mourir en paix..." Quant à l'escadrille, un de ses aviateurs en a fait la chronique : " Chez nous un avion mis hors de combat était immédiatement remplacé : l'avion Sœur Thérèse est mort, vive l'avion Sœur Thérèse ! Car en vérité, l'équipage sort toujours indemne des accidents les plus périlleux. Dans la nuit du 24 mars, l'avion Sœur Thérèse ne "loupe" pas la gare de Saint-Quentin qu'il assomme des huit obus de 155 qu'il a emportés..."

    On apprendra après la guerre comment Thérèse a fait libérer des otages pris par les troupes allemandes à Dinant, en Belgique, comment elle a accompagné Louise de Bettignies jusqu'à la mort. Cette jeune Lilloise qui voulait entrer au Carmel, avait travaillé pour l'Intelligence Service en zone occupée. Condamnée à mort, elle écrit quelques jours avant son exécution : " J'ai découvert que ce temps de prison était un excellent noviciat... N'est-ce pas le moment de vivre la prière 81 d'oblation de la petite sœur Thérèse ?  Cette chère sœur me tient compagnie... Ajoutez-y le Christ, vous connaîtrez mes compagnons de  cellule.

     

    A suivre...

     

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  • Thérèse de Lisieux et la Grande Guerre (1)

    Textes tirés du livre : " Thérèse de Lisieux ou La Grande Saga d'une Petite Soeur " Auteurs : Bernard GOULEY - Rémi MAUGER - Emmanuelle CHEVALIER - Editions Fayard 1997

     

    LISIEUX S'EN VA T'EN GUERRE

    73

    1er août 1914 : le tocsin sonne dans toutes les églises de France. Dans les villes, des affiches ornées de deux petits drapeaux tricolores croisés fleurissent sur les murs. Sur les places des villages, les gardes champêtres battent le tambour pour lire l'ordre de mobilisation générale. La veille, l'Allemagne a 74 déclaré la guerre à la France. La catastrophe est européenne : l'Angleterre, la Russie et l'Autriche-Hongrie sont de la partie. Lisieux vit cette journée dans la fièvre, comme le rapporte Le Lexovien : " Rien n'aurait pu faire croire à la gravité de l'heure, samedi [1er août] sur le marché de Lisieux, à voir la foule habituelle de cultivateurs, de marchands et d'acheteurs se livrer à son tranquille négoce. A peine remarquait-on une abondance anormale de volailles qui s'enlevèrent à des prix excellents pour les clients, mais évidemment un peu bas au gré des fermières. Un peu moins de chalands aussi autour des boutiques de colifichets et d'objets d'une inutilité plus ou moins luxueuse. Par contre tous les magasins d'épicerie et tous les marchands de victuailles en général ne connurent point une minute de répit. Mais ce fut la Banque de France qui détint le record de l'empressement. Toute la journée, un planton de police canalisa la foule qui s'écrasait sur le trottoir, l'admettant à l'intérieur de la banque par petits paquets d'une dizaine de personnes. Tout ce monde venait échanger ses billets de banque de 100 et de 50 francs contre les coquettes et commodes petites coupures de 20 et de 5 francs...

    Depuis le matin, le bruit courait sous le manteau que l'ordre de mobilisation allait sans doute être affiché à l'issue du Conseil des ministres. Effectivement, à 4 h 30 un employé des PTT affichait dans le vestibule de l'hôtel des postes de Lisieux un petit carré de papier portant cette simple et précieuse indication : " Le premier jour de la mobilisation sera le dimanche 2 août." Quelques minutes après, un télégramme de service annonçait que les communications postales et télégraphiques avec l'Allemagne et l'Autriche étaient interrompues. L'apparition du petit papier attira en un clin d’œil, on le comprend, une foule sans cesse renouvelée devant le bureau de poste. Chose véritablement symptomatique, mais qui n'était pas pour nous surprendre, la population lexovienne accueillit 75 cette nouvelle avec un calme extraordinaire et presque souriant...

    Les prescriptions rigoureuses de l'état de siège nous interdisent de rendre compte des conditions dans lesquelles se sont effectués à Lisieux la mobilisation et les premiers départs. Sans faillir à notre devoir nous pouvons dire que jamais peut-être spectacle n'a été plus réconfortant ni de nature à donner une plus haute idée du caractère français. 

    Calmes, résolus, sans fanfaronnades inutiles, les soldats s'en vont "comme s'ils allaient à un concours de musique", disait devant nous un vieux médaillé. Les femmes se montrent dignes compagnes de tels hommes. Leur tendre cœur a bien quelques sanglots vite réprimés, mais elles se souviennent qu'il y eut en France des femmes qui se sont appelées Geneviève, Jeanne d'Arc et Jeanne Hachette. Elles essuient leurs yeux et regagnent le foyer où le devoir maternel les attend.

    Le mardi 3 août vers midi, un convoi de troupes stationne en gare de Lisieux. Sur le quai voisin arrive le train de Deauville. A bord, des chanteurs et des musiciens revenant des casinos de la Côte fleurie. Comme les soldats chantaient, un musicien des Concerts Colonne, M. Bizet, sort son cornet à piston et joue La Marseillaise, ainsi que les hymnes anglais et russe. "Des ovations indescriptibles, commente Le Lexovien, saluèrent chacune de ces auditions...M. Bizet réclama alors le silence et annonça que M. Payan, basse chantante de l'Opéra, allait interpréter La Marseillaise... Les derniers refrains furent repris en chœur par les soldats. Puis une acclamation formidable s'éleva..."

    L'unanimité des Français est réelle en ces jours - émaillée malgré tout de quelques incidents. Dans la colonne voisine, le même journal en cite trois, provoqués par des individus apparemment peu patriotes :

    Route de Dives un ivrogne ayant crié : " Vive l'Allemagne, à bas la France !"fut immédiatement appréhendé, roué de coups et on eut juste le temps de le pousser dans une auto qui le conduisit à la gendarmerie. Quelques instants plus tard un lynchage plus sérieux s'est produit Grande Rue. Un individu bien connu dans la ville, 76 un nommé Troles, ayant proféré au cours d'une querelle quelques cris injurieux, fut immédiatement victime de la fureur populaire. Il allait être tué sur place si un gendarme et un sergent de ligne ne s'étaient interposés...

    Une scène analogue se renouvela le soir à 8 heures. Un Breton insoumis qui avait manifesté contre la France fut l'objet de représailles immédiates. Entouré, frappé, traîné, il ne dut son salut qu'à l'intervention d'une patrouille qui le conduisit, baïonnette au canon, à la caserne Chazot.

    A part ces "bavures", qui sont le fait de marginaux et d'une foule surexcitée, la mobilisation se déroule parfaitement. Pendant la première quinzaine d'août, fermiers augerons, ouvriers du textile, bourgeois du centre-ville ou de Pont-l'Evêque, souvent accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants, se présentent en flots ininterrompus à la caserne Delauney, centre mobilisateur de la région situé au nord de la ville [ce quartier abrite maintenant des HLM construits dans les années 1970]. On les habille et on les dirige vers les dépôts régimentaires. 

    Beaucoup partent la fleur au fusil. Les gouvernements, les états-majors, les peuples eux-mêmes croiront pendant une dizaine de semaines que la guerre sera courte, qu'il suffira de peu de temps pour vider la querelle, pour purger la tension qui existe en Europe depuis plusieurs années. L'exaltation de l'été 1914 ne laisse rien présager du tragique des mois et des années qui vont suivre.

    Pour les Français, la gravité de la situation n'apparaît pas avant la fin août. Le commandement publie le fameux communiqué " De la Somme aux Vosges" qui, pour la première fois, montre l'ampleur de la retraite française. Encore le public ne connaît-il pas le chiffre des pertes : 300 000 hommes en août et en septembre. En octobre, alors que le front se fige peu à peu et que la guerre de position s'installe, chacun prend conscience que le conflit sera long et affreusement meurtrier. 77 En première ligne, les soldats découvrent l'horreur et le dégoût de la vie dans les tranchées, les interminables marmitages d'artillerie, les attaques sous le feu des mitrailleuses et des barrages d'artillerie.

     

    A suivre...

    prochain post : "Thérèse est là..."

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Jean-Paul II et Thérèse : les saints ne vieillissent jamais

    A l'occasion de la canonisation de Jean-Paul II, j'ai choisi de retranscrire cette homélie de Jean-Paul II donnée à Lisieux le lundi 2 juin 1980 à l'occasion de son voyage apostolique en France du 30 mai au 2 juin 1980.

     

    1. Je suis heureux qu'il me soit donné de venir à Lisieux à l'occasion de ma visite dans la capitale de la France. Je suis ici en pèlerinage avec vous tous, chers Frères et sœurs, qui êtes venus vous aussi de bien des régions de France, auprès de celle que nous aimons tant, la " petite Thérèse ", dont la voie vers la sainteté est étroitement liée au Carmel de Lisieux. Si les personnes versées dans l'ascèse et la mystique, et ceux qui aiment les saints, ont pris l'habitude d'appeler cette voie de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus " la petite voie ", il est tout à fait hors de doute que l'Esprit de Dieu, qui l'a guidée sur cette voie, la fait avec la même générosité que celle par laquelle il a guidé autrefois sa Patronne la " grande Thérèse " d'Avila, et par laquelle il a guidé - et continue de guider - tant d'autres saints dans son Église. Gloire Lui soit donc rendue éternellement.

    L’Église se réjouit de cette merveilleuse richesse des dons spirituels, si splendides et si variés, comme le sont toutes les œuvres de Dieu dans l'univers visible et invisible. Chacun d'eux reflète à la fois le mystère intérieur de l'homme, et il correspond aux besoins des temps dans l'histoire de l’Église et de l'humanité. Il faut le dire de sainte Thérèse de Lisieux qui, jusqu'à une époque récente, fut en effet notre sainte " contemporaine ". C'est ainsi que je la vois personnellement, dans le cadre de ma vie. Mais est-elle toujours la sainte " contemporaine " ? N'a-t-elle pas cessé de l'être pour la génération qui arrive actuellement à maturité dans l’Église ? Il faudrait le demander aux hommes de cette génération. Qu'il me soit toutefois permis de noter que les saints ne vieillissent pratiquement jamais, qu'ils ne tombent jamais dans la " prescription ". Ils restent continuellement les témoins de la jeunesse de l’Église. Ils ne deviennent jamais des personnages du passé, des hommes et des femmes d'hier. Au contraire : ils sont toujours les hommes et les femmes du " lendemain ", les hommes de l'avenir évangélique de l'homme et de l’Église, les témoins " du monde futur ".

    2. " En effet, tous ceux qu'anime l'Esprit de Dieu sont fils de Dieu. Aussi bien n'avez-vous pas reçu un esprit d'esclaves pour retomber dans la crainte ; vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba ! Père ! " (Rom 8, 14-15)

    Il serait peut-être difficile de trouver paroles plus synthétiques, et en même temps  plus saisissantes, pour caractériser le charisme particulier de Thérèse Martin, c'est-à-dire ce qui constitue le don tout à fait spécial de son cœur, et qui est devenu, par son cœur, un don particulier pour l’Église. Le don merveilleux dans sa simplicité, universel et en même temps unique. De Thérèse de Lisieux, on peut dire avec conviction que l'Esprit de Dieu a permis à son cœur de révéler directement, aux hommes de notre temps, le mystère fondamental, la réalité de l’Évangile : le fait d'avoir reçu réellement " un esprit de fils adoptif qui nous fait  nous écrier : Abba ! Père ! ". La " petite voie " est la voie de la " sainte enfance ".  Dans cette voie, il y a quelque chose d'unique, un génie de sainte Thérèse de Lisieux. Il y a en même temps la confirmation et le renouvellement de la vérité la plus fondamentale et la plus universelle. Quelle vérité du message évangélique est en effet plus fondamentale et plus universelle que celle-ci : Dieu est notre Père et nous sommes ses enfants ?

    Cette vérité la plus universelle qui soit, cette réalité, a été également " relue " de nouveau avec la foi, l’espérance et l'amour de Thérèse de Lisieux. Elle a été en un certain sens redécouverte avec l'expérience  intérieure de son cœur et la forme prise par toute sa vie, seulement vingt-quatre années de sa vie. Lorsqu'elle mourut ici, au Carmel, victime  de la tuberculose dont elle portait depuis longtemps les bacilles, c'était presque un enfant. Elle a laissé le souvenir de l'enfant : de la sainte enfance. Et toute sa spiritualité a confirmé encore  une fois la vérité de ces paroles de l'Apôtre : " Aussi bien n'avez-vous pas reçu un esprit d'esclaves pour retomber dans la crainte  ; vous avez reçu un esprit de fils adoptifs..." Oui, Thérèse fut l'enfant. Elle fut l'enfant " confiant " jusqu'à l'héroïsme, et par conséquent " libre " jusqu'à l' héroïsme ". Mais c'est justement parce que ce fut jusqu'à l'héroïsme, qu'elle seule connut la saveur intérieure et aussi le prix intérieur de cette confiance qui empêche de " retomber dans la crainte " ; de cette confiance qui, jusque dans les obscurités et les souffrances les plus profondes de l'âme, permet de s'écrier : " Abba ! Père !"

    Oui, elle a connu cette saveur et ce prix. Pour qui lit attentivement son Histoire d'une âme, il est évident que cette saveur de la confiance filiale provient, comme le parfum des roses, de la tige  qui porte aussi des épines. Si en effet " nous sommes enfants, nous sommes donc héritiers ; héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ, puisque nous souffrons avec Lui  pour être aussi glorifiés avec Lui "  (Rom 8,17). C'est pour cela précisément, que la confiance filiale de la petite Thérèse, sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus mais aussi " de la Sainte-Face", est si "héroïque ", parce qu'elle provient de la fervente communion aux souffrances du Christ

    Et quand je vois devant moi tous ces malades et infirmes, je pense qu'ils sont associés eux aussi , comme Thérèse de Lisieux, à la passion du Christ, et que, grâce à leur foi en l'amour de Dieu, grâce à leur propre amour, leur offrande spirituelle obtient mystérieusement pour l’Église, pour tous les autres membres du Corps mystiques du Christ, un surcroît de vigueur. Qu'ils n'oublient jamais cette belle phrase de sainte Thérèse : " Dans le cœur de l’Église ma Mère je serai l'amour ". Je prie Dieu de donner à chacun de ses amis souffrants, que j'aime avec une affection toute spéciale, le réconfort et l'espérance.

    3. Avoir confiance en Dieu comme Thérèse de Lisieux veut dire suivre la " petite voie " où nous guide l'Esprit de Dieu : il guide toujours vers la grandeur à laquelle participent les fils et les filles de l'adoption divine. Déjà comme enfant, comme enfant de douze ans, le Fils de Dieu a déclaré que sa vocation était de s'occuper des affaires de son Père (cf. Lc 2,49). Être enfant, devenir comme un enfant, veut dire entrer au centre même de la plus grande mission à laquelle l'homme ait été appelé par le Christ, une mission qui traverse le cœur même de l'homme.  Elle le savait parfaitement, Thérèse.

    Cette mission tire son origine de l'amour éternel du Père. Le Fils de Dieu comme homme, d'une manière visible et " historique", et l'Esprit Saint, de façon invisible et " charismatique", l'accomplissent dans l'histoire de l'humanité.

    Lorsque, au moment de quitter le monde, le Christ dit aux Apôtres : " Allez dans le monde entier, et enseignez l’Évangile à toute créature "  (Mc 16,15), il les insère, par la force de son mystère pascal, dans le grand courant de la Mission éternelle. A partir du moment où il les a laissés pour aller vers le Père, il commence en même temps à venir " de nouveau  dans la puissance de l'Esprit Saint " que le Père envoie en son nom. Plus profondément que toutes les vérités sur l’Église, cette vérité a été mise en relief dans la conscience de notre génération par le Concile Vatican II. Grâce à cela,  nous avons tous beaucoup mieux compris que l’Église est constamment " en état de mission ", ce que veut dire le fait que toute l’Église est missionnaire. Et nous avons également mieux compris ce mystère particulier du cœur de la petite Thérèse de Lisieux, laquelle, à travers sa " petite voie ", a été appelée à participer aussi pleinement et aussi fructueusement à la mission la plus élevée. C'est justement cette  " petitesse" qu'elle aimait tant, la petitesse de l'enfant, qui lui a ouvert largement toute la grandeur de la Mission divine du salut, qui est la mission incessante de l’Église. 

    Ici dans son Carmel, dans la clôture du couvent de Lisieux, Thérèse s'est sentie spécialement unie à toutes les missions et aux missionnaires de l’Église dans le monde entier. Elle s'est sentie elle-même missionnaire, présente par la force et la grâce particulières de l'Esprit d'amour à tous les postes missionnaires, proche de tous les missionnaires, hommes et femmes, dans le monde. Elle a été proclamée par l’Église la patronne des missions, comme saint François-Xavier, qui voyagea inlassablement en Extrême-Orient : oui, la petite Thérèse de Lisieux, enfermée dans la clôture carmélitaine, apparemment détachée du monde. (...)

    4. " Le beau existe afin qu'il nous enchante pour le travail ", a écrit Cyprian Norwid, l'un des plus grands poètes et penseurs qu'ait donné la terre polonaise, et qu'a reçu - et conservé au cimetière de Montmorency - le terre française...

    Rendons grâces au Père, au Fils et au Saint-Esprit pour les saints. Rendons grâces pour sainte Thérèse de Lisieux. Rendons grâces pour la beauté profonde, simple et pure, qui s'est manifestée en elle à l’Église et au monde. Cette beauté enchante. Et Thérèse de Lisieux a un don particulier pour enchanter par la beauté de son âme. Même si nous savons tous que cette beauté fut difficile et qu'elle a grandi dans la souffrance, elle ne cesse de réjouir de son charme particulier les yeux de nos âmes.

    Elle enchante, donc, cette beauté, cette fleur de la sainteté qui a grandi sur ce sol ; et son charme ne cesse de stimuler nos cœurs à travailler : " Le beau existe afin qu'il nous enchante pour le travail ". Pour le travail le plus important, dans lequel l'homme apprend à fond le mystère de son humanité. Il découvre en lui-même ce que signifie avoir reçu " un esprit de fils adoptif ", radicalement différent d'un esprit d'esclave, et il commence à s'écrier de tout son être : " Abba ! Père !" (Rom 8,15)

    Par les fruits de ce magnifique travail intérieur se construit l’Église, le Règne de Dieu sur la terre, dans sa substance la plus profonde et la plus fondamentale. Et le cri " Abba ! Père ! " qui résonne largement dans tous les continents de notre planète, revient aussi par son écho dans la clôture carmélitaine silencieuse, à Lisieux, vivifiant toujours de nouveau le souvenir de la petite Thérèse, laquelle, par sa vie brève et cachée mais si riche, a prononcé avec une force particulière : " Abba ! Père ! ". Grâce à elle, l’Église entière a retrouvé toute la simplicité et toute la fraîcheur de ce cri, qui a son origine et sa source dans le cœur du Christ lui-même.