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  • Thérèse de Lisieux et la Grande Guerre (1)

    Textes tirés du livre : " Thérèse de Lisieux ou La Grande Saga d'une Petite Soeur " Auteurs : Bernard GOULEY - Rémi MAUGER - Emmanuelle CHEVALIER - Editions Fayard 1997

     

    LISIEUX S'EN VA T'EN GUERRE

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    1er août 1914 : le tocsin sonne dans toutes les églises de France. Dans les villes, des affiches ornées de deux petits drapeaux tricolores croisés fleurissent sur les murs. Sur les places des villages, les gardes champêtres battent le tambour pour lire l'ordre de mobilisation générale. La veille, l'Allemagne a 74 déclaré la guerre à la France. La catastrophe est européenne : l'Angleterre, la Russie et l'Autriche-Hongrie sont de la partie. Lisieux vit cette journée dans la fièvre, comme le rapporte Le Lexovien : " Rien n'aurait pu faire croire à la gravité de l'heure, samedi [1er août] sur le marché de Lisieux, à voir la foule habituelle de cultivateurs, de marchands et d'acheteurs se livrer à son tranquille négoce. A peine remarquait-on une abondance anormale de volailles qui s'enlevèrent à des prix excellents pour les clients, mais évidemment un peu bas au gré des fermières. Un peu moins de chalands aussi autour des boutiques de colifichets et d'objets d'une inutilité plus ou moins luxueuse. Par contre tous les magasins d'épicerie et tous les marchands de victuailles en général ne connurent point une minute de répit. Mais ce fut la Banque de France qui détint le record de l'empressement. Toute la journée, un planton de police canalisa la foule qui s'écrasait sur le trottoir, l'admettant à l'intérieur de la banque par petits paquets d'une dizaine de personnes. Tout ce monde venait échanger ses billets de banque de 100 et de 50 francs contre les coquettes et commodes petites coupures de 20 et de 5 francs...

    Depuis le matin, le bruit courait sous le manteau que l'ordre de mobilisation allait sans doute être affiché à l'issue du Conseil des ministres. Effectivement, à 4 h 30 un employé des PTT affichait dans le vestibule de l'hôtel des postes de Lisieux un petit carré de papier portant cette simple et précieuse indication : " Le premier jour de la mobilisation sera le dimanche 2 août." Quelques minutes après, un télégramme de service annonçait que les communications postales et télégraphiques avec l'Allemagne et l'Autriche étaient interrompues. L'apparition du petit papier attira en un clin d’œil, on le comprend, une foule sans cesse renouvelée devant le bureau de poste. Chose véritablement symptomatique, mais qui n'était pas pour nous surprendre, la population lexovienne accueillit 75 cette nouvelle avec un calme extraordinaire et presque souriant...

    Les prescriptions rigoureuses de l'état de siège nous interdisent de rendre compte des conditions dans lesquelles se sont effectués à Lisieux la mobilisation et les premiers départs. Sans faillir à notre devoir nous pouvons dire que jamais peut-être spectacle n'a été plus réconfortant ni de nature à donner une plus haute idée du caractère français. 

    Calmes, résolus, sans fanfaronnades inutiles, les soldats s'en vont "comme s'ils allaient à un concours de musique", disait devant nous un vieux médaillé. Les femmes se montrent dignes compagnes de tels hommes. Leur tendre cœur a bien quelques sanglots vite réprimés, mais elles se souviennent qu'il y eut en France des femmes qui se sont appelées Geneviève, Jeanne d'Arc et Jeanne Hachette. Elles essuient leurs yeux et regagnent le foyer où le devoir maternel les attend.

    Le mardi 3 août vers midi, un convoi de troupes stationne en gare de Lisieux. Sur le quai voisin arrive le train de Deauville. A bord, des chanteurs et des musiciens revenant des casinos de la Côte fleurie. Comme les soldats chantaient, un musicien des Concerts Colonne, M. Bizet, sort son cornet à piston et joue La Marseillaise, ainsi que les hymnes anglais et russe. "Des ovations indescriptibles, commente Le Lexovien, saluèrent chacune de ces auditions...M. Bizet réclama alors le silence et annonça que M. Payan, basse chantante de l'Opéra, allait interpréter La Marseillaise... Les derniers refrains furent repris en chœur par les soldats. Puis une acclamation formidable s'éleva..."

    L'unanimité des Français est réelle en ces jours - émaillée malgré tout de quelques incidents. Dans la colonne voisine, le même journal en cite trois, provoqués par des individus apparemment peu patriotes :

    Route de Dives un ivrogne ayant crié : " Vive l'Allemagne, à bas la France !"fut immédiatement appréhendé, roué de coups et on eut juste le temps de le pousser dans une auto qui le conduisit à la gendarmerie. Quelques instants plus tard un lynchage plus sérieux s'est produit Grande Rue. Un individu bien connu dans la ville, 76 un nommé Troles, ayant proféré au cours d'une querelle quelques cris injurieux, fut immédiatement victime de la fureur populaire. Il allait être tué sur place si un gendarme et un sergent de ligne ne s'étaient interposés...

    Une scène analogue se renouvela le soir à 8 heures. Un Breton insoumis qui avait manifesté contre la France fut l'objet de représailles immédiates. Entouré, frappé, traîné, il ne dut son salut qu'à l'intervention d'une patrouille qui le conduisit, baïonnette au canon, à la caserne Chazot.

    A part ces "bavures", qui sont le fait de marginaux et d'une foule surexcitée, la mobilisation se déroule parfaitement. Pendant la première quinzaine d'août, fermiers augerons, ouvriers du textile, bourgeois du centre-ville ou de Pont-l'Evêque, souvent accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants, se présentent en flots ininterrompus à la caserne Delauney, centre mobilisateur de la région situé au nord de la ville [ce quartier abrite maintenant des HLM construits dans les années 1970]. On les habille et on les dirige vers les dépôts régimentaires. 

    Beaucoup partent la fleur au fusil. Les gouvernements, les états-majors, les peuples eux-mêmes croiront pendant une dizaine de semaines que la guerre sera courte, qu'il suffira de peu de temps pour vider la querelle, pour purger la tension qui existe en Europe depuis plusieurs années. L'exaltation de l'été 1914 ne laisse rien présager du tragique des mois et des années qui vont suivre.

    Pour les Français, la gravité de la situation n'apparaît pas avant la fin août. Le commandement publie le fameux communiqué " De la Somme aux Vosges" qui, pour la première fois, montre l'ampleur de la retraite française. Encore le public ne connaît-il pas le chiffre des pertes : 300 000 hommes en août et en septembre. En octobre, alors que le front se fige peu à peu et que la guerre de position s'installe, chacun prend conscience que le conflit sera long et affreusement meurtrier. 77 En première ligne, les soldats découvrent l'horreur et le dégoût de la vie dans les tranchées, les interminables marmitages d'artillerie, les attaques sous le feu des mitrailleuses et des barrages d'artillerie.

     

    A suivre...

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  • Jean-Paul II et Thérèse : les saints ne vieillissent jamais

    A l'occasion de la canonisation de Jean-Paul II, j'ai choisi de retranscrire cette homélie de Jean-Paul II donnée à Lisieux le lundi 2 juin 1980 à l'occasion de son voyage apostolique en France du 30 mai au 2 juin 1980.

     

    1. Je suis heureux qu'il me soit donné de venir à Lisieux à l'occasion de ma visite dans la capitale de la France. Je suis ici en pèlerinage avec vous tous, chers Frères et sœurs, qui êtes venus vous aussi de bien des régions de France, auprès de celle que nous aimons tant, la " petite Thérèse ", dont la voie vers la sainteté est étroitement liée au Carmel de Lisieux. Si les personnes versées dans l'ascèse et la mystique, et ceux qui aiment les saints, ont pris l'habitude d'appeler cette voie de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus " la petite voie ", il est tout à fait hors de doute que l'Esprit de Dieu, qui l'a guidée sur cette voie, la fait avec la même générosité que celle par laquelle il a guidé autrefois sa Patronne la " grande Thérèse " d'Avila, et par laquelle il a guidé - et continue de guider - tant d'autres saints dans son Église. Gloire Lui soit donc rendue éternellement.

    L’Église se réjouit de cette merveilleuse richesse des dons spirituels, si splendides et si variés, comme le sont toutes les œuvres de Dieu dans l'univers visible et invisible. Chacun d'eux reflète à la fois le mystère intérieur de l'homme, et il correspond aux besoins des temps dans l'histoire de l’Église et de l'humanité. Il faut le dire de sainte Thérèse de Lisieux qui, jusqu'à une époque récente, fut en effet notre sainte " contemporaine ". C'est ainsi que je la vois personnellement, dans le cadre de ma vie. Mais est-elle toujours la sainte " contemporaine " ? N'a-t-elle pas cessé de l'être pour la génération qui arrive actuellement à maturité dans l’Église ? Il faudrait le demander aux hommes de cette génération. Qu'il me soit toutefois permis de noter que les saints ne vieillissent pratiquement jamais, qu'ils ne tombent jamais dans la " prescription ". Ils restent continuellement les témoins de la jeunesse de l’Église. Ils ne deviennent jamais des personnages du passé, des hommes et des femmes d'hier. Au contraire : ils sont toujours les hommes et les femmes du " lendemain ", les hommes de l'avenir évangélique de l'homme et de l’Église, les témoins " du monde futur ".

    2. " En effet, tous ceux qu'anime l'Esprit de Dieu sont fils de Dieu. Aussi bien n'avez-vous pas reçu un esprit d'esclaves pour retomber dans la crainte ; vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba ! Père ! " (Rom 8, 14-15)

    Il serait peut-être difficile de trouver paroles plus synthétiques, et en même temps  plus saisissantes, pour caractériser le charisme particulier de Thérèse Martin, c'est-à-dire ce qui constitue le don tout à fait spécial de son cœur, et qui est devenu, par son cœur, un don particulier pour l’Église. Le don merveilleux dans sa simplicité, universel et en même temps unique. De Thérèse de Lisieux, on peut dire avec conviction que l'Esprit de Dieu a permis à son cœur de révéler directement, aux hommes de notre temps, le mystère fondamental, la réalité de l’Évangile : le fait d'avoir reçu réellement " un esprit de fils adoptif qui nous fait  nous écrier : Abba ! Père ! ". La " petite voie " est la voie de la " sainte enfance ".  Dans cette voie, il y a quelque chose d'unique, un génie de sainte Thérèse de Lisieux. Il y a en même temps la confirmation et le renouvellement de la vérité la plus fondamentale et la plus universelle. Quelle vérité du message évangélique est en effet plus fondamentale et plus universelle que celle-ci : Dieu est notre Père et nous sommes ses enfants ?

    Cette vérité la plus universelle qui soit, cette réalité, a été également " relue " de nouveau avec la foi, l’espérance et l'amour de Thérèse de Lisieux. Elle a été en un certain sens redécouverte avec l'expérience  intérieure de son cœur et la forme prise par toute sa vie, seulement vingt-quatre années de sa vie. Lorsqu'elle mourut ici, au Carmel, victime  de la tuberculose dont elle portait depuis longtemps les bacilles, c'était presque un enfant. Elle a laissé le souvenir de l'enfant : de la sainte enfance. Et toute sa spiritualité a confirmé encore  une fois la vérité de ces paroles de l'Apôtre : " Aussi bien n'avez-vous pas reçu un esprit d'esclaves pour retomber dans la crainte  ; vous avez reçu un esprit de fils adoptifs..." Oui, Thérèse fut l'enfant. Elle fut l'enfant " confiant " jusqu'à l'héroïsme, et par conséquent " libre " jusqu'à l' héroïsme ". Mais c'est justement parce que ce fut jusqu'à l'héroïsme, qu'elle seule connut la saveur intérieure et aussi le prix intérieur de cette confiance qui empêche de " retomber dans la crainte " ; de cette confiance qui, jusque dans les obscurités et les souffrances les plus profondes de l'âme, permet de s'écrier : " Abba ! Père !"

    Oui, elle a connu cette saveur et ce prix. Pour qui lit attentivement son Histoire d'une âme, il est évident que cette saveur de la confiance filiale provient, comme le parfum des roses, de la tige  qui porte aussi des épines. Si en effet " nous sommes enfants, nous sommes donc héritiers ; héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ, puisque nous souffrons avec Lui  pour être aussi glorifiés avec Lui "  (Rom 8,17). C'est pour cela précisément, que la confiance filiale de la petite Thérèse, sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus mais aussi " de la Sainte-Face", est si "héroïque ", parce qu'elle provient de la fervente communion aux souffrances du Christ

    Et quand je vois devant moi tous ces malades et infirmes, je pense qu'ils sont associés eux aussi , comme Thérèse de Lisieux, à la passion du Christ, et que, grâce à leur foi en l'amour de Dieu, grâce à leur propre amour, leur offrande spirituelle obtient mystérieusement pour l’Église, pour tous les autres membres du Corps mystiques du Christ, un surcroît de vigueur. Qu'ils n'oublient jamais cette belle phrase de sainte Thérèse : " Dans le cœur de l’Église ma Mère je serai l'amour ". Je prie Dieu de donner à chacun de ses amis souffrants, que j'aime avec une affection toute spéciale, le réconfort et l'espérance.

    3. Avoir confiance en Dieu comme Thérèse de Lisieux veut dire suivre la " petite voie " où nous guide l'Esprit de Dieu : il guide toujours vers la grandeur à laquelle participent les fils et les filles de l'adoption divine. Déjà comme enfant, comme enfant de douze ans, le Fils de Dieu a déclaré que sa vocation était de s'occuper des affaires de son Père (cf. Lc 2,49). Être enfant, devenir comme un enfant, veut dire entrer au centre même de la plus grande mission à laquelle l'homme ait été appelé par le Christ, une mission qui traverse le cœur même de l'homme.  Elle le savait parfaitement, Thérèse.

    Cette mission tire son origine de l'amour éternel du Père. Le Fils de Dieu comme homme, d'une manière visible et " historique", et l'Esprit Saint, de façon invisible et " charismatique", l'accomplissent dans l'histoire de l'humanité.

    Lorsque, au moment de quitter le monde, le Christ dit aux Apôtres : " Allez dans le monde entier, et enseignez l’Évangile à toute créature "  (Mc 16,15), il les insère, par la force de son mystère pascal, dans le grand courant de la Mission éternelle. A partir du moment où il les a laissés pour aller vers le Père, il commence en même temps à venir " de nouveau  dans la puissance de l'Esprit Saint " que le Père envoie en son nom. Plus profondément que toutes les vérités sur l’Église, cette vérité a été mise en relief dans la conscience de notre génération par le Concile Vatican II. Grâce à cela,  nous avons tous beaucoup mieux compris que l’Église est constamment " en état de mission ", ce que veut dire le fait que toute l’Église est missionnaire. Et nous avons également mieux compris ce mystère particulier du cœur de la petite Thérèse de Lisieux, laquelle, à travers sa " petite voie ", a été appelée à participer aussi pleinement et aussi fructueusement à la mission la plus élevée. C'est justement cette  " petitesse" qu'elle aimait tant, la petitesse de l'enfant, qui lui a ouvert largement toute la grandeur de la Mission divine du salut, qui est la mission incessante de l’Église. 

    Ici dans son Carmel, dans la clôture du couvent de Lisieux, Thérèse s'est sentie spécialement unie à toutes les missions et aux missionnaires de l’Église dans le monde entier. Elle s'est sentie elle-même missionnaire, présente par la force et la grâce particulières de l'Esprit d'amour à tous les postes missionnaires, proche de tous les missionnaires, hommes et femmes, dans le monde. Elle a été proclamée par l’Église la patronne des missions, comme saint François-Xavier, qui voyagea inlassablement en Extrême-Orient : oui, la petite Thérèse de Lisieux, enfermée dans la clôture carmélitaine, apparemment détachée du monde. (...)

    4. " Le beau existe afin qu'il nous enchante pour le travail ", a écrit Cyprian Norwid, l'un des plus grands poètes et penseurs qu'ait donné la terre polonaise, et qu'a reçu - et conservé au cimetière de Montmorency - le terre française...

    Rendons grâces au Père, au Fils et au Saint-Esprit pour les saints. Rendons grâces pour sainte Thérèse de Lisieux. Rendons grâces pour la beauté profonde, simple et pure, qui s'est manifestée en elle à l’Église et au monde. Cette beauté enchante. Et Thérèse de Lisieux a un don particulier pour enchanter par la beauté de son âme. Même si nous savons tous que cette beauté fut difficile et qu'elle a grandi dans la souffrance, elle ne cesse de réjouir de son charme particulier les yeux de nos âmes.

    Elle enchante, donc, cette beauté, cette fleur de la sainteté qui a grandi sur ce sol ; et son charme ne cesse de stimuler nos cœurs à travailler : " Le beau existe afin qu'il nous enchante pour le travail ". Pour le travail le plus important, dans lequel l'homme apprend à fond le mystère de son humanité. Il découvre en lui-même ce que signifie avoir reçu " un esprit de fils adoptif ", radicalement différent d'un esprit d'esclave, et il commence à s'écrier de tout son être : " Abba ! Père !" (Rom 8,15)

    Par les fruits de ce magnifique travail intérieur se construit l’Église, le Règne de Dieu sur la terre, dans sa substance la plus profonde et la plus fondamentale. Et le cri " Abba ! Père ! " qui résonne largement dans tous les continents de notre planète, revient aussi par son écho dans la clôture carmélitaine silencieuse, à Lisieux, vivifiant toujours de nouveau le souvenir de la petite Thérèse, laquelle, par sa vie brève et cachée mais si riche, a prononcé avec une force particulière : " Abba ! Père ! ". Grâce à elle, l’Église entière a retrouvé toute la simplicité et toute la fraîcheur de ce cri, qui a son origine et sa source dans le cœur du Christ lui-même.