La nature de Dieu est inépuisable. A l'esprit contemplatif et à l'expérience religieuse vivante se révèlent toujours de nouveaux aspects auxquels le cœur de l'homme peut répondre ; ainsi parler de Dieu, c'est presque déjà parler de la prière. Cependant il nous est impossible d'épuiser le sujet dans cette "initiation" ; nous ne considérerons qu'une série d'attributs de Dieu : à savoir que Dieu est puissant et riche, prompt à donner son aide, généreux ; qu'il se soucie de l'homme, qu'il l'estime et qu'il l'aime. Vers cet aspect de la nature divine est orienté un des mouvements fondamentaux de la prière : la demande et l'action de grâce.
révélation
-
Prier avec le P. Guardini : 20e jour
-
foi et révélation
(...) (21) Prenons la phrase dans laquelle Levinas résumait la Bible : " Tu te dois à autrui " ! A mon avis, c'est là une pensée tout à fait chrétienne, quoique formulée par un juif. Mais c'est très fort cela, n'est-ce pas ? Et l'homme que nous avons connu, c'est celui qui est hanté par cette parole-là : tu te dois à l'autre ! Pourquoi irais-je me soucier du pauvre, du SDF ? Pourquoi ?
Cette idée d'une altérité qui est à la fois dans la dignité de l'autre et dans le fait que je me sens appelé à un avenir autre : c'est cela la foi ! Et, finalement, quel est le soutien de la foi ? La révélation, oui... Mais peut-être aussi le sentiment très fort de l'obligation que j'ai de chercher à sauver le monde, à sauver l'idée de l'homme, en cherchant à sauver ma foi. Je pense que c'est quelque chose comme cela... Avec un passage à l'universel, déjà annoncé par les prophètes. C'est étonnant de voir comment nous revivons le drame de l'Israël ancien, qui avait inventé sa révélation !
"Inventer", c'est un mot qu'il faudrait repenser autrement ! Mais enfin, quand les historiens nous apprennent que les récits des cinq livres bibliques appelés le Pentateuque ont été composés très tardivement, après le retour d'exil du peuple de Juda, sur la base de légendes, de souvenirs et de traditions, dans le but de doter ce peuple d'une histoire qu'il n'avait pas, on n'a plus aucune preuve qu'Abraham et Moïse aient jamais existé. Alors, la révélation de Dieu à Abraham et à Moïse; comment nous, chrétiens, pouvons-nous y croire ? Nous y croyons parce que Jésus l'a repensée - ce qui pose d'ailleurs un problème pour nous - mais enfin elle est liée à sa propre révélation, elle est la mémoire de Jésus. Comment le théologien peut-il sauver autrement l'idée de révélation ? En disant que c'est cette idée qui a forgé l'identité du peuple juif ? Je ne sais pas. Mais moi chrétien, je ne peux pas me reposer simplement sur (22) une révélation qui aurait été faite à un autre peuple auquel je n'appartiens pas. Le livre de Shlomo Sand sur L'invention du peuple juif va poser des questions à un certain nombre de juifs qui se considèrent comme membres du peuple de Dieu. Si c'est la mémoire d'Abraham qui fait l'unité de ce peuple, pour nous chrétiens, c'est la mémoire de Jésus, je pense qui nous permet de recevoir la tradition d'Israël comme révélation, c'est-à-dire comme cheminement de la Parole de Dieu vers les Nations. Mais pourquoi ne pas voir cette Parole - cet appel à l'humanisation de l'homme - cheminer aussi à travers les cultes rendus à Dieu depuis le commencement de l'humanité ?
Joseph Moingt - Croire quand même - TempsPrésent , 2010
-
Chemin vers Pâques (2)
[15]
Le salut est un don gratuit de Dieu ou il n'est pas, car l'homme n'a aucune possibilité de l'atteindre par lui-même.
Qu'est-ce en effet que l'homme, et qu'est-ce donc son salut ?
[16] Les deux questions vont ensemble : ce qui définit l'homme, c'est le salut auquel son Créateur l'a destiné. (...) L'expérience la plus intime en même temps que la plus universelle nous le [l'homme] montre en quête de ce qui lui permettra de satisfaire à ses aspirations, en recherche de l'état de plénitude, de sécurité et de bonheur dans lequel il pourra s'épanouir vraiment. L'homme ne veut pas seulement trouver sa place au soleil de l'existence, il veut être et vivre plus et mieux.
Ce besoin profond et même constitutif de l'homme de s'accomplir lui-même, la Parole de Dieu nous enseigne qu'il ne pourra être satisfait que dans un au-delà de la vie présente; l'homme est en ce monde comme en gestation ; sa naissance à la vie véritable ne s'accomplira que dans sa mort-résurrection ; il ne sera vraiment adulte, il ne sera achevé, et en ce sens il ne sera pleinement lui-même que dans le monde futur que nous attendons dans la foi.
C'est cet achèvement, cet accomplissement total de l'homme dans la vie éternelle et bienheureuse, objet de promesses de Dieu, qu'évoque dans le langage chrétien le terme de salut ; il implique la pleine satisfaction de ses aspirations les plus profondes, l'épanouissement de tout son être, une sécurité et une paix qui sont pour lui les conditions nécessaires de la plénitude du bonheur.
Or cet achèvement et ce bonheur, l'homme en ce monde, n'est même pas capable de les entrevoir : comment pourrait-il prétendre y atteindre ? Certes, il est fait pour cela. Exactement comme le bourgeon est fait pour devenir fruit mûr ; rien de plus conforme à sa constitution intime que de recevoir et d'assimiler les apports extérieurs nécessaires à sa maturation : pourtant tout [17] vient de Dieu : l'arbre qui le porte et la terre où il s'enracine, l'air, la pluie et le soleil qui permettent sa croissance, et finalement sa nature même, son "âme", sa vie, sont les effets de l'acte créateur libre et gratuit de Dieu. De même pour l'homme. C'est de Dieu qu'il a reçu l'être et la vie ; c'est de Lui qu'il devra recevoir tout ce qui lui sera nécessaire pour devenir pleinement lui-même et jouir du vrai bonheur.
Mais la gratuité des dons de Dieu qui conduiront l'homme à son accomplissement et à son vrai bonheur - à son salut - et qui constitueront cet accomplissement et ce bonheur n'apparaît en pleine lumière que dans la Révélation. Elle seule nous apprend ce que les sciences et les philosophies humaines n'ont jamais été capables de définir : la "nature" profonde de l'homme, et la nature du salut auquel il est destiné par le Créateur.
Aux yeux de la science et de la philosophie, dans sa constitution physiologique, psychologique, métaphysique, déjà, l'homme est une énigme. Mais aux yeux de la foi , dans sa "nature" profonde, dans sa "vocation", dans le salut auquel il a été destiné par l'appel créateur de Dieu, l'homme est proprement un mystère.
Et l'essentiel du mystère de l'homme est exprimé dans le mot du Livre de la Genèse et orchestré par toute la Tradition chrétienne : il a été créé " à l'image de Dieu ". Ce mot nous dévoile le paradoxe de l'homme, sa grandeur et sa misère : il est fait pour être divinisé dans son être et dans sa vie, il est appelé à participer à la nature et à la vie mêmes de Dieu, mais il n'est que pure créature, et comme tel foncièrement incapable d'accomplir une telle destinée.
Le mystère de l'homme créé à l'image de Dieu est une des grandes richesses de la Révélation et de la Tradition chrétienne : richesse exploitée surtout à l'époque patristique mais qui s'enracine dans l'écriture et qui a été remise en honneur par les renouveaux biblique et patristique. On se bornera ici à relever les quelques données qui touchent de près notre sujet.
A suivre.
Claude Richard - Il est notre Pâque - Cerf , 1980
Claude Richard a été abbé de l'abbaye cistercienne Notre-Dame de Timadeuc, près de Rohan.
-
Chemin vers Pâques (1)
[14]
L'homme est incapable de se sauver par ses propres forces : c'est peut-être la vérité la plus importante que nous enseigne sur l'homme la Révélation chrétienne. Rien de tel, certes, pour se convaincre de cette nécessité que de faire l'expérience douloureuse de sa propre faiblesse, faiblesse physique devant la maladie et aux approches de la mort, faiblesse psychique sous le poids de la dépression ou de l'obsession, faiblesse morale ou spirituelle en face de la violence de la tentation et du péché (cf Rm 7,18-19) ; sans parler de l'expérience non moins douloureuse du désarroi et de l'angoisse qui étreignent tant d'hommes autour de nous.
Rien de tel : mais à condition que cette expérience soit éclairée par la foi ; elle ne ferait, autrement, que nous enfoncer dans les ténèbres du fatalisme et du désespoir.
Or la lumière de la foi nous enseigne que l'incapacité de l'homme par rapport au salut est double ; mais elle révèlera aussi qu'aux deux aspects, aux deux dimensions de cette incapacité , répondront et remédieront les deux aspects, les deux dimensions du salut auquel Dieu l'appelle.
L'incapacité de l'homme par rapport au salut tient en premier lieu à sa "nature" profonde, ou si l'on veut à sa [15] vocation : l'homme n'est qu'une créature, et pourtant, par nature et par vocation, il est fait pour être divinisé, il est appelé à devenir Dieu. S'il en est bien ainsi - et c'est ce qu'il faudra montrer d'abord - il est bien évident qu'il ne peut pas par lui-même atteindre ce pour quoi il est fait, ce à quoi il est appelé. Seul, assurément, Dieu peut diviniser un être qui n'est pas Dieu par nature.
L'incapacité de l'homme par rapport au salut vient en second lieu de la "condition" dans laquelle il se trouve en ce monde : l'homme est dans une condition consécutive au péché, une condition d'opacité voire de refus par rapport à Dieu, et qui l'entraîne irrésistiblement vers la mort et la perdition. De l'esclavage du péché - dont il nous faudra ensuite mesurer la violence - seul Dieu peut, gratuitement, libérer un être qui n'est enclin, de lui même, qu'à s'enfoncer toujours davantage dans sa propre déchéance.
Que l'on considère donc le salut selon sa face de divinisation ou selon sa face de sauvetage du péché et de la mort, il ne peut jamais être que l'oeuvre de Dieu, le don absolument gratuit de Dieu.
Et, d'un côté comme de l'autre, l'homme apparaît comme un être fait, certes pour le salut, c'est-à-dire pour la vie, la liberté, le bonheur, et finalement la divinisation, mais radicalement incapable d'y atteindre par lui-même.
Dieu l'a créé ainsi. Dieu, en le créant, par son acte créateur même, l'appelait au salut, le sachant pourtant absolument impuissant à "faire son salut" par lui-même. C'était faire de l'homme un "être à sauver" (Cf. Saint Irénée - Adv.haer.,III,22,3) ; c'était même d'avance - car Dieu ne peut renier sa sagesse ni son amour - s'engager à faire Lui-même les frais du salut de l'homme, et à le lui offrir gratuitement.
Claude Richard - Il est notre Pâque - Cerf , 1980
Claude Richard a été abbé de l'abbaye cistercienne Notre-Dame de Timadeuc, près de Rohan.
-
avec nombre, poids et mesure
(...) Certains, nous le savons bien, divisent l'Evangile de Jean en y distinguant des couches successives. C'est possible ; il est même possible que ce soient des disciples de Jean qui l'aient achevé, qui y aient mis la dernière main. Quant à la composition du livre, on ne saura jamais avec certitude comment elle a été réalisée, mais n'oublions jamais que l'Evangile de Jean ne nous est pas donné en premier lieu pour que nous cherchions comment il a été composé, mais pour qu'à travers lui nous découvrions d'une manière plus profonde le mystère de Jésus, Envoyé du Père.
Or c'est toujours la finalité d'un message - et non la manière dont il a été composé - qui nous permet de comprendre pleinement ce message. D'autre part, ce n'est ni la connaissance de son origine, ni celle de sa composition qui nous permet de découvrir la finalité d'un écrit. Dès lors, comment pourrait-on prétendre - comme le font certains - qu'il ne faut surtout pas chercher un ordre dans l'Evangile de saint Jean puisqu'on peut y découvrir différentes couches ?
Rappelons-nous toujours cette parole de l'Ecriture que saint Augustin et saint Thomas aimaient tellement et que tout théologien doit aimer beaucoup : " Tu as tout réglé avec nombre, poids et mesure " (Sg 11,20) Or, si l'évangile de Jean est le dernier moment de la Révélation, c'est donc, parmi les oeuvres de Dieu, l'une des plus grandes. La grande gloire de Jean au ciel, c'est bien sûr d'avoir aimé le Christ comme "le disciple bien-aimé" ; mais n'est-ce pas aussi d'avoir écrit son Evangile ? Il faut souvent le remercier de nous l'avoir donné.
Si toutes les oeuvres de Dieu "sont faites avec nombre (c'est-à-dire avec ordre), poids et mesure", l'Evangile de Jean, le dernier écrit de toute la Révélation, doit impliquer lui aussi un ordre, un poids et une mesure. Je suis persuadé que, quoi qu'on en dise parfois, l'Evangile de Jean n'implique aucun désordre, mais qu'il implique au contraire un ordre de sagesse, un poids d'amour, une mesure de sagesse. Evidemment, si on est trop cartésien, on risque d'être déçu, car on ne découvrira sûrement pas l'ordre de Descartes dans l'Evangile de Jean. Mais si on va plus loin en priant l'Esprit Saint, alors on découvrira progressivement l'ordre de la sagesse de Dieu dans cet ultime moment de la Révélation.
M-D. Philippe - Suivre l'Agneau pp. 233-234 - ISBN : 2-35117-001-6
-
critères bibliques de la vérité
Dennis Gira :
Que peut-on dire de la vérité en tant que chrétien? Est-ce que la Bible nous donne quelques critères pour voir plus clair dans ce domaine?
Albert Rouet :
Je pense qu'il faut que nous, chrétiens, restions extrêmement prudents dans ce domaine. Le fait qu'il y ait quatre Évangiles nous permet de voir que, sur ce problème de la vérité, la Bible suit une tout autre approche, qui mérite aujourd'hui une grande attention. Il me semble que la Bible, sur la question de la vérité, avance trois propositions.
Tout d'abord, la vérité biblique n'est pas abordée de manière philosophique, elle est abordée de manière existentielle, comme une histoire. Cette histoire est une histoire qui ne boucle pas sur elle-même, mais elle est l'histoire d'une promesse. Dieu qui a agi hier, agit aujourd'hui et va agir demain. Cette promesse de Dieu déroule donc un temps linéaire de telle manière qu'il ne peut pas contenir à lui seul toute la promesse. Ce qui veut dire conjointement deux choses: il y a bien une réalité qui se révèle, qui est bénéfique, mais en même temps cette vérité reste voilée. Il se produit, dans certains livres de théologie, un véritable viol de la vérité parce qu'on la dénude, on veut l'exposer toute entière. Or, plus on l'expose tout entière, plus on l' objective. La Bible nous dit au contraire que plus Dieu se révèle plus Il se cache. Ce qu' Il révèle c' est qu'il est plus grand que les mots, au-delà des mots, plus grand que les expressions. C' est donc son mystère qu' Il révèle, ce côté inépuisable du don qu' Il fait de lui-même. La conséquence en est que la vérité apparaît bonne: je t'ai sorti d' Egypte, je t'ai ramené d'exil, je suis allé te chercher sur les champs de bataille. C'est une vérité qui n'a pas peur de se salir les mains. Dieu est allé chercher l'humanité dans la violence, il est allé la chercher dans l'inceste, il est allé la chercher dans l'adultère, il est allé la chercher partout. C'est une vérité prodigieuse qui est jour la nuit et ombre le jour, c'est-à-dire une vérité capable de se donner sans se dévoiler. Et la révélation est aussi un voilement qui se renouvelle. Ce n'est pas simplement un retour à la vérité qui sort du puits. Cette première caractéristique manifeste donc un respect profond de la vérité, toujours présentée comme bénéfique, permettant de vivre. Hors de cela, vous assimilez la vérité à des choses pas toujours très utiles. Il y a beaucoup de vérités inutiles, de vérités qui ne font pas vivre. Dans la Bible, reste ce qui fait vivre. Donc la vérité doit montrer son caractère existentiel, créateur. C'est pour cela qu'il se présente toujours une espérance et un avenir qui s'ouvre.
Pour découvrir la deuxième proposition que la Bible nous dit sur la question de la vérité, il faut faire un peu d'hébreu! Dans cette langue, vérité et fidélité se disent avec le même mot emet, lequel vient d'un verbe qui veut dire « creuser les fondations », construire une maison, s'appuyer sur quelqu'un, donc faire confiance et croire. Cela donne également le mot arabe amouna (la sécurité, l'assurance), donc des termes de protection et qui montrent que celui qui parle, en l'occurrence Dieu, n'abandonnera pas l'homme. Il est extraordinaire de voir que la Bible nous montre un Dieu qui proteste, qui s'emporte mais qui est passionné de l'homme. À travers tout cela, un Dieu fidèle. (...)
Albert Rouet - J'aimerais vous dire - Bayard 2009, pp.125-127
-
Conversation à contre-jour
J'imagine très bien la Samaritaine, jeune, belle, désirable, coquette, sensuelle, le visage découvert, la chevelure libre, venant de la ville vers le puits, l'amphore sur la tête et droite sous le fardeau, la corde au bras pour descendre la cruche. Elle a la démarche souple d'un félin. Elle chantonne sur le chemin. Elle est bien dans sa peau, elle aime faire l'amour et change de partenaire avec aisance. C'est exactement le genre de créature qui n'a pas froid aux yeux, dont mon maître des novices nous recommandait avec insistance de ne jamais la regarder en face : " E pericoloso ! " comme il était écrit jadis sous les fenêtres des trains. Attention, danger imminent de vertige ! Elle le sait, elle sait que ses yeux sont des abîmes. Elle trouve la vie très à son goût et ne s'attend pas du tout à ce qui va lui arriver.
Elle n'est pas sans être émue par la beauté de l'étranger assis sur la margelle du puits. Mais quoi ! C'est un Juif, et elle n'aime pas les complications sociales ou politiques. C'est avec insolence, l'air de dire : "Bas les pattes !", qu'elle répond à la demande de Jésus de lui donner à boire.
Jésus ne s'offusque pas, et la conversation continue, en contrepoint, à contre-jour. La femme accueille et déchiffre les mots sur son registre à elle, et comprend à contresens tout ce que Jésus lui dit. Jésus, lui, est sur un tout autre registre, une octave plus haute, celui de sa révélation personnelle : et c'est à cette hauteur qu'il veut la hisser.
(...)
A cette femme immergée dans les plaisirs de la chair, impératrice des désirs, Jésus révèle tout à tract qu'elle a été créée et qu'elle existe pour une métamorphose d'elle-même vers une autre Vie, qu'il appelle Vie éternelle, où elle aura, où elle a déjà d'autres désirs et d'autres satiétés. Désirs et satiétés qu'elle ne connaissait pas, qu'elle ne soupçonnait même pas, mais qui la combleront à la perfection, et auprès desquels désirs et satiétés charnelles ne lui paraîtront plus que comme de l'ombre. (...)
En quelques instants, cette femme qui vient chercher de l'eau pour étancher la soif de toute la maisonnée, découvre qu'il y a en elle une soif plus profonde que celle dont elle fait chaque jour l'expérience, et qui se renouvelle d'ailleurs chaque jour... (...)
Le premier émerveillement passé, vient la méfiance. Se peut-il que ce soit vrai ? Se peut-il qu'un tel bonheur soit pour moi ? C'est alors le moment de l'estocade, où l'épée trouvant la jointure de l'épaule perce le coeur. Jésus est le matador infaillible : son épée est la vérité. Déjà, quand il la voyait de loin dévaler le chemin, l'amphore sur la tête et une chanson aux lèvres, il savait qui elle était. Maintenant il le lui dit. Elle, comme une petite fille qui essaie de se rappeler son catéchisme, tente de faire diversion, en disant ce qu'elle a appris dans son enfance. Elle lui parle donc du Messie que Samaritains autant que Juifs attendent depuis deux mille ans : " Quand il sera venu, il nous fera tout savoir."
Jésus - Je le suis, moi qui te parle.
Voici la toute première fois que Jésus fait à un être humain cette immense révélation de lui-même. (...) C'est à elle qu'il dit : "Oui, c'est moi ! " Ce n'est pas aux prêtres qu'il dit cela en premier, ce n'est pas aux docteurs de la Loi, aux intellectuels, aux théologiens, qu'il a dit cela en premier, ce n'est même pas à l'empereur de Rome ou aux chefs de son peuple qu'il a dit cela en premier, ce n'est même pas aux apôtres, compagnons de sa vie et de son errance, qu'il a dit cela en premier, non ! C'est à cette étrangère, cette ennemie, jeune, belle et folle de son corps. (...) A cette marginale, marginale en tout, Jésus fait tout à tract et sans la moindre réticence, sans la moindre ambiguïté, la révélation de sa mission essentielle.
R.L Bruckberger - La Révélation de Jésus-Christ - Grasset 1983
-
Le temps biblique
Les Grecs n'avaient pas la conception, si moderne et biologique, de la relativité du temps, de son accélération, de sa décélération, de sa grossesse, de sa venue à terme, de l'accouchement de l'événement et de sa délivrance. Tandis que, dès les premiers mots de la Genèse, par la notion neuve d'origine, de commencement absolu, de création qui implique un projet, l'idée d'un temps qui progresse, plus ou moins plein, plus ou moins rythmé, s'est imposée à l'homme hébreu : " Que la lumière soit ! Et la lumière fut ! Et il y eut un soir, et il y eut un matin. Jour premier ! " Et il y eut une succession de sept "jours" où le monde était fait, et à chaque jour c'était bien. Et tout fut achevé qu'au septième jour, le jour de l'accomplissement du cosmos et de sa première célébration dans le repos de Dieu.