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désespoir

  • Chemin vers Pâques (1)

    [14]

    L'homme est incapable de se sauver par ses propres forces : c'est peut-être la vérité la plus importante que nous enseigne sur l'homme la Révélation chrétienne. Rien de tel, certes, pour se convaincre de cette nécessité que de faire l'expérience douloureuse de sa propre faiblesse, faiblesse physique devant la maladie et aux approches de la mort, faiblesse psychique sous le poids de la dépression ou de l'obsession, faiblesse morale ou spirituelle en face de la violence de la tentation et du péché (cf Rm 7,18-19) ; sans parler de l'expérience non moins douloureuse du désarroi et de l'angoisse qui étreignent tant d'hommes autour de nous.

    Rien de tel : mais à condition que cette expérience soit éclairée par la foi ; elle ne ferait, autrement, que nous enfoncer dans les ténèbres du fatalisme et du désespoir.

    Or la lumière de la foi nous enseigne que l'incapacité de l'homme par rapport au salut est double ; mais elle révèlera aussi qu'aux deux aspects, aux deux dimensions de cette incapacité , répondront et remédieront les deux aspects, les deux dimensions du salut auquel Dieu l'appelle.

    L'incapacité de l'homme par rapport au salut tient en premier lieu à sa "nature" profonde, ou si l'on veut à sa [15] vocation : l'homme n'est qu'une créature, et pourtant, par nature et par vocation, il est fait pour être divinisé, il est appelé à devenir Dieu. S'il en est bien ainsi - et c'est ce qu'il faudra montrer d'abord - il est bien évident qu'il ne peut pas par lui-même atteindre ce pour quoi il est fait, ce à quoi il est appelé. Seul, assurément, Dieu peut diviniser un être qui n'est pas Dieu par nature. 

    L'incapacité de l'homme par rapport au salut vient en second lieu de la "condition" dans laquelle il se trouve en ce monde : l'homme est dans une condition consécutive au péché, une condition d'opacité voire de refus par rapport à Dieu, et qui l'entraîne irrésistiblement vers la mort et la perdition. De l'esclavage du péché - dont il nous faudra ensuite mesurer la violence - seul Dieu peut, gratuitement, libérer un être qui n'est enclin, de lui même, qu'à s'enfoncer toujours davantage dans sa propre déchéance. 

    Que l'on considère donc le salut selon sa face de divinisation ou selon sa face de sauvetage du péché et de la mort, il ne peut jamais être que l'oeuvre de Dieu, le don absolument gratuit de Dieu. 

    Et, d'un côté comme de l'autre, l'homme apparaît comme un être fait, certes pour le salut, c'est-à-dire pour la vie, la liberté, le bonheur, et finalement la divinisation, mais radicalement incapable d'y atteindre par lui-même. 

    Dieu l'a créé ainsi. Dieu, en le créant, par son acte créateur même, l'appelait au salut, le sachant pourtant absolument impuissant à "faire son salut" par lui-même. C'était faire de l'homme un "être à sauver" (Cf. Saint Irénée - Adv.haer.,III,22,3) ; c'était même d'avance - car Dieu ne peut renier sa sagesse ni son amour - s'engager à faire Lui-même les frais du salut de l'homme, et à le lui offrir gratuitement. 

    Claude Richard - Il est notre Pâque - Cerf , 1980  

    Claude Richard a été abbé de l'abbaye cistercienne Notre-Dame de Timadeuc, près de Rohan.

  • L'au-delà : projection d'un désir ? Karl Jaspers (3)

     60  La philosophie de Karl Jaspers tourne également autour de 61 l'homme, de sa liberté existentielle, de son être-soi dans la communication avec autrui. C'est un fait de portée considérable que l'homme soit exposé sans cesse à des crises profondes et tombe inéluctablement dans des situations où il touche à des limites : " situations-limites" - le fameux mot clé de la philosophie de Jaspers dans l'expérience angoissante du caractère inévitable du combat, de la souffrance, de la faute, dans l'expérience du destin immuable, dans la mort d'un être cher ou dans la pensée de sa propre mort. Partout ici-bas menacent l'échec, la désespérance, le désespoir nihiliste. Peut-on y échapper ? Seulement en acceptant cette situation, en y consentant sans réserve, en acquiesçant même à la mort.

    Un saut hors du désespoir, vers l' être-soi et vers la liberté, doit être fait. Un saut qui n'est possible que si l'homme se reconnaît comme doté par autrui, tout comme il peut faire l' expérience qu'il ne s'est pas créé lui-même et doit son existence à autrui.

    C'est en effet dans la plus extrême situation d'échec qu'il devient possible pour l'homme de faire l'expérience fondamentale de cette "transcendance" qui ne s'identifie pas au monde, et sans laquelle l'existence humaine, au vrai sens du mot existence, ne serait pas possible. Si les hommes peuvent traverser des situations limites, s'ils peuvent tenir sans broncher, même dans la mort, ce n'est pas par eux-mêmes, mais grâce à un "secours", différent de tout secours venant de ce monde, et que seule peut connaître d'expérience la foi philosophique ; oui, une foi ; mais selon Jaspers une foi sans révélation, une foi pour laquelle une seule chose est certaine, c'est qu'il y a une transcendance, sans qu'on puisse dire ce qu'elle est. Ainsi, selon Jaspers, la dureté de l'existence ne peut être contournée, mais c'est en elle qu'on peut justement appréhender la transcendance.

    C'est pourquoi il s'oppose à toute tentative visant à donner valeur absolue à la réalité, fût-ce à la vie et à la mort : si l'on donne valeur absolue à la vie indépendamment de la mort, on perd de vue la transcendance, pour ne plus voir qu'une existence qu'on imagine prolongée jusqu'à l'infini. Si l'on donne valeur absolue à la mort, la transcendance est occultée, parce qu'il ne reste que l'anéantissement. Mais si vie et mort sont identiques - ce qui n'a aucun sens pour notre esprit, de sorte que, dans l'effort pour penser cela, s'accomplit le passage à la transcendance -, la mort 62 n'est pas ce qui est visible dans la matière morte (celle qui n'est pas encore vivante, ou celle qui ne l'est plus comme dans le cadavre) ; la vie n'est pas ce que laisse voir la vie indépendante de la mort, ni la mort indépendante de la vie. Dans la transcendance, la mort est accomplissement de l' être en tant qu'il est vie unie à la mort."

    Que peut-on tirer de la comparaison de ces trois positions philosophiques ? - Ici encore il ne s'agit que d'un bilan provisoire.

     

                                                                                               A suivre...

    Hans Küng - Vie éternelle ? Ed du Seuil , 1985 ISBN 978-2-02-008604-2

     

     

     

     

     

     

  • Prier les psaumes (3) : une parole d'hommes

    82.

    (suite)

    La parole du psaume a mûri en premier lieu dans un coeur d'homme et elle est née sur des lèvres humaines. Les sentiments qu'elle éveille ne nous sont pas étrangers, même s'il arrive que le langage imagé où elle s'exprime ne soit pas immédiatement intelligible. C'est tout de même l'homme qui s'y révèle, comme en toute poésie, l'homme au-delà des races, des frontières, des époques, l'homme éternel qui sommeille dans notre coeur et que nous ne laissons monter à notre conscience que progressivement, et encore seulement en partie.

    Ici réside pour une part la force mystérieuse de la parole poétique des psaumes, qui saisit tout homme avec tant d'impétuosité. Elle ne s'adresse pas seulement, en nous, à l'homme devenu conscient ; au plan de l'inconscient, elle peut remuer les terres encore inexplorées de sa personnalité plus profonde, au point où il s'exprime librement mais encore inconsciemment, face aux autres hommes et face à Dieu. Pour autant, nous n'acceptons pas tout ce que le psaume ébranle en nous et éveille à la vie. Le psalmiste est un homme blessé par le péché et qui clame sa souffrance et son désespoir devant Dieu. Il crie son angoisse, sa désespérance, sa colère, sa haine, et n'éprouve visiblement aucune envie de dissimuler ces sentiments. Le lecteur, vingt siècles plus tard, n'est généralement pas conscient que son coeur abrite encore toutes ces passions. Plus il s'identifie aux normes courantes du groupe où il vit - surtout si ces normes sont évangéliques - plus il éprouve de difficulté à se reconnaître  dans ces sentiments païens. Plus rarement il a confessé son péché devant Dieu, plus insupportables sont ces mots trop humains qui brûlent ses lèvres.

    [83]

    Le malaise que le lecteur moderne éprouve en priant certains psaumes se situe en partie à ce niveau. Chaque génération a ses tabous propres, qui se déplacent régulièrement. L'irritation avec laquelle l'homme moyen réagit à tel ou tel thème de prière dans les psaumes, elle aussi se déplace.

    La question se pose de savoir si le procédé qui consiste à refouler tous ces sentiments, et par conséquent à en biffer l'expression dans les psaumes, est psychologiquement sain. La dynamique interne qui s'exprime dans les psaumes par ces sentiments ne doit peut-être pas se perdre. Ne peut-on mieux l'orienter et même s'en servir au profit d'une croissance saine de l'homme et de son développement positif ? Bien sûr, ces sentiments révèlent d'abord le pécheur que chacun reconnaît en soi et avec lequel il doit se réconcilier. Mais cette réconciliation une fois obtenue entre l'homme et lui-même, entre l'homme aussi et Dieu, la dynamique de ces sentiments ne peut-elle être infléchie et orientée vers le bien ? Si oui, les antiques paroles des psaumes, qui jadis exprimaient des sentiments par trop primitifs, peuvent évoluer avec l'homme et acquérir un sens nouveau et plénier. D'ailleurs ce que le poète humain chante dans le psaume n'est pas le dernier mot de celui-ci, car le souffle de vie qui inspire ses paroles lui vient finalement d'ailleurs et de plus grand que lui.  

                                                                                      A suivre...

    André Louf - Seigneur apprends-nous à prier - Ed. Lumen Vitae - ISBN 2-87324-000-8

  • Resurgir du tombeau

    Luc nous montre aussi pour aujourd'hui une voie qui nous indique comment nous situer par rapport aux autres religions et comment reprendre positivement leurs idées sans réduire le message chrétien. La spécificité chrétienne qui dépasse l'image  du monde de la philosophie et de la religion grecque c'est, pour Luc, la résurrection de Jésus.

    Mais de quelle manière nous est-il possible d'annoncer aujourd'hui la résurrection de Jésus pour faire bien comprendre l'essence du christianisme ?

    Commençons par la Bonne Nouvelle de notre propre résurrection. Nous ne sommes pas empêtrés dans une série interminable de réincarnations, mais à notre mort, nous mourrons dans la gloire de Dieu. Le Christ lui-même nous attend, lui qui nous a adressé au bon larron cette parole de réconfort : " Aujourd'hui même, tu seras avec moi dans le Paradis" (Lc 23,43). Notre vie a un but. La résurrection est davantage que l'immortalité de l'âme telle que l'a défendue le philosophe grec Platon. Nous serons accueillis corps et âme dans la gloire de Dieu, même si ce corps sera voué à la corruption, pour être ensuite transformé en un corps céleste, comme l'a exprimé Paul dans la Première lettre aux Corinthiens : " On est semé corps psychique, on ressuscite corps spirituel " (1 Co 15, 44)

    Quant au message de la résurrection de Jésus, elle revêt encore un autre aspect. Elle est la promesse que rien dans notre vie ne peut nous séparer de Dieu. Il n'existe aucun échec qui débouche sur un recommencement, aucune obscurité qui ne puisse être illuminée, aucun désespoir qui ne puisse se muer en confiance , aucun raidissement qui n'appelle une nouvelle vitalité. Mort et résurrection se présentent à nous comme l'affirmation selon laquelle Dieu transformera tout en nous et que même ce qui est mort en nous suscite en nous une vie nouvelle. Paul a exprimé en des paroles admirables ce mystère de la mort et de la résurrection de Jésus : " Oui, j'en ai l'assurance, ni mort, ni vie, ni anges, ni principautés, ni présent, ni avenir, ni puissances, ni hauteur, ni profondeur, ni aucune créature ne pourront nous séparer de l'amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur." (Rm 8, 38 s.) Dès cette vie, nous pouvons sans cesse ressurgir du tombeau de notre peur, du tombeau de notre pitié individuelle, de notre obscurité et de notre désespoir."

    Anselm Grün - La foi des chrétiens - Ed. Desclée de Brouwer, 2008 p. 60-61