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réconciliation

  • conversions, réconciliation et purification de la mémoire (1)

     

    [Conférence du Père Molinier, dominicain. Je retranscris un enseignement oral enregistré. A part quelques morceaux, dans l'ensemble j'ai pu faire cette retranscription car l'enregistrement est d'une bonne qualité. Mais ce n'est pas aussi fluide que la retranscription d'un texte écrit. ]

     

    Je voudrais revenir par un autre biais à ce que je vous disais, à la suite de la conférence sur la douceur de Dieu, sur les visites de Dieu. Je voudrais relier cela et vous parler d'un tas de choses : les sacrements, les visites de Dieu, la conversion, la Pentecôte : tout ça va se trouver agréablement mêlé là-dedans, agréablement j'espère.

    Je partirai d'une confidence qui m'a été faite très récemment par... une "âme" comme on dit, une âme, une âme  religieuse, fort religieuse d'ailleurs, et cette confidence m'a profondément frappé en ce qui concerne les sacrements  et au fond.. la purification de   la  mémoire   dans notre sujet ce soir Cette personne m'a dit : "il y a deux ans... il y a un an peu importe j'ai reçu l'extrême onction et j'ai reçu les sacrements, pour la première fois de ma vie, avec le plus de foi possible et j'ai éprouvé comme un nouveau baptême, quelque chose d'absolument neuf qui commençait en moi et comme une facilité nouvelle pour aimer Dieu et tout ce que peut impliquer le..... " mais alors avec cette particularité qui concerne en effet  la purification de la mémoire et qui est vraiment  très très remarquable, qui va vraiment  bien nous servir de point de départ pour ce soir. Cette particularité que je ne pouvais plus revenir en arrière. Non seulement je ne pouvais plus revenir en arrière en ce sens que je ne pouvais plus retrouver la mentalité un peu traînante, poussiérieuse, ralentie, freinée  par le poids du jour que je pouvais avoir avant, mais que je ne pouvais même plus me  souvenir.

    Non pas une incapacité totale de repenser en cas de besoin à la date de ma naissance ou à tel ou tel événement s'il avait fallu en répondre du point de vue de l'état civil que sais-je, n'est-ce pas,  ou la date de ma profession : ce n'est pas ça qu'on appelle ne pas pouvoir revenir en arrière ; la purification de la mémoire c'est ne plus pouvoir me souvenir sur mes états d'âme antérieurs, sur ce que j'étais spirituellement avant, sur les objets qui m'avaient préoccupé, tout ça étant balayé, liquidé  comme si ça n'avait jamais existé.  J'ai profité de cette grâce avec joie, et petit à petit, je me suis aperçu, il y a deux ans de cela, je me suis aperçu, à la longue que, de nouveau, je sentais comme un freinage, comme une poussière, comme un entassement de choses qui me gênaient pour aller à Dieu vite, vite, vite. C'est des souvenirs, non pas de ce qui s'était passé avant ce sacrement,  l'extrême-onction, mais de ce qui s'est passé depuis...que de nouveau, le poids du jour, les événements, les retours sur moi éventuels, les retours sur les événements  : enfin que sais-je, tout ça, ça me ralentissait de nouveau, que ça freinait  ... je n'avais plus ce que j'avais senti : cette espèce de bain de jouvence - c'est exactement ça le baptême : cette naissance à partir de zéro, ce départ à zéro que j'avais éprouvé, comme si la vie commençait au moment même où je recevais ce sacrement,  comme si je n' avais pas vécu avant,  comme si je commençais à aimer Dieu, comme si je commencais à connaître Dieu, comme si je commençais... tout, comme si je n'avais pas de passé. Eh bien, je n'éprouvais plus cela. J'avais déjà un passé, qui commençait à me gêner un peu ce passé.   Parce que le passé gêne.  Le passé alourdit. Même quand on l'aborde avec ferveur. A la longue, les choses finissent par nous gêner.  

    Alors là, il me dit : je me suis étonné. Je me suis dit : mais  comment se fait il que le sacrement de pénitence, que je reçois toutes les semaines, ne me fasse pas le même effet, alors que le sacrement de pénitence se rapproche du sacrement de baptême, peut -être plus encore que l'extrême onction. Par  le sacrement de pénitence on est vraiment baigné dans le sang du Christ pour les mêmes effets que le baptême, sauf le caractère baptismal bien entendu ; et puis, sauf que ça implique une pénitence, que ça implique des mouvements de la part du pénitent alors que le baptême n'implique rien. On a dit que le le baptême était une pénitence non douloureuse et puis irréversible.  Alors il me dit pourquoi le sacrement de pénitence que je recevais tous les huit jours ne semble pas provoquer du tout la même chose.  Pourquoi je n'étais pas délivré de ce retour en arrière, de cette pesanteur,  à chaque fois que je recevais le sacrement de pénitence. Alors je me suis tourné vers Dieu, vers le Christ, et  j'ai cru comprendre qu'il me répondait : "je suis toujours le même. Je suis toujours l' Amour infini. Je ne bouge pas, je suis toujours prêt à tout donner. Ca ne dépend que d' toi".

    Alors j'ai demandé, et j'ai promis  de tout oublier au fur et à mesure que je recevrai le sacrement de pénitence. Et  j'ai demandé cette grâce. On ne joue pas avec Dieu, on ne s' amuse pas avec Dieu ,  j'ai compris que, depuis ce moment là, c'est irréversible et à chaque fois que je reçois le sacrement de pénitence, c'est fini, je ne peux plus me souvenir de ce qui était arrivé avant. Encore une fois vous comprenez bien ce que je veux dire  par "ne plus se souvenir" :  en sortant du confessionnal  il ne s'agit pas d'être frappé d'amnésie en se demandant : qui suis-je ? où suis-je ? (rires dans l'assemblée) Non, non, non...!  Nous nous attardons sur nos regrets, nos inquiétudes, nos discussions :  tout ça :  liquidé, balayé. Impossibilité d'y revenir, impossibilité d'en parler  si l' on m'interrogeait là-dessus.

    Vous voyez... précisément à cause de cette impossibilité de revenir en arrière vous comprenez qu'avec une âme de ce genre, vous devez soupçonner qu' il n'y a pas grand chose à dire que, au fond, son regret profond lancinant douloureux pour lequel elle demande miséricorde et que le sacrement de pénitence lui donne précisement, c'est que   ça ne va pas assez vite,   que par sa faute ça freine, ça ralentit.

    Dieu est toujours le même, toujours infiniment intense, toujours infiniment actif, infiniment prêt à nous consummer et à nous emporter dans  la joie, mais ne puisse pas le faire parce que, au fond, si ça freine, si ça ralentit c'est  par notre faute. Alors le confesseur demandera : est-ce que [cette faute]  c'est délibéré ? Vous comprenez bien qu'une pareille faute n'est pas délibérée, mais c'est quand même bien un désordre, et ça suffit largement comme matière au sacrement de la confession mais certains confesseurs scrupuleux peuvent... que sais-je...    A ce moment-là deux confesseurs ont donné leur avis sur la question et l'un a dit : mais il n'y a pas de problème, il n'y a pas besoin de se confesser dans ces conditions-là,  il suffit de s'établir dans la joie éternelle de la miséricorde qui donne tout,  comme on fera au ciel, en somme. Et l'autre qui était un - passez-moi l'expression - un bon vieux prêtre, n'est-ce pas,  disait :  qu'est ce que c'est que cette histoire ? Vous avez un regret, eh bien, cela suffit. Cela suffit pour qu'il y ait matière à confession et à absolution. Il suffit de regretter. D'avoir à regretter quelque chose. Quoi ? Eh bien ce ralentissement dont on sent que nous sommes plus ou moins le responsable. Et bien entendu, c'est bien  ce bon vieux prêtre qui avait raison. 

    Et alors, ceci m' entraîne à une série de considérations qui vont aller assez loin dans le temps peut-être, et il faut que je m'arrête à temps pour vous parler de l'eucharistie avant la fin. 

    Je ne me placerai  qu'au plan du sacrement de pénitence pendant un bon bout de temps. Du sacrement de pénitence et de tout ce qui est dans la même ligne  : extrême onction, baptême ; le  baptême ne se renouvelant pas et l'extrême-onction pouvant se renouveler. Mais alors  surtout le sacrement de pénitence.  

    Ce cas m'a aidé à comprendre admirablement  ce que c'est que la conversion : un commencement absolu. La conversion, loin d'être un phénomène unique ou rare, devait devenir très normalement, un phénomène de plus en plus fréquent jusqu'à devenir chez les saints un phénomène ininterrompu, c'est extrêment simple. Je ne dirai pas qu' un saint est quelqu'un qui se convertit tous les jours, mais quelqu'un qui s'est établi dans l'état de conversion perpétuel.

    Qu'est ce que ça veut dire ?

    Eh bien dans cet état de métamorphose perpétuel sous l'action irrésistible du corrosif divin qui ne laisse plus de trêve. Comparaison qui est tout à fait dans la ligne de la Pentecôte que nous attendons ; un coup de vent un peu violent qui nous transporte à trois cents mètres de haut. Imaginez l'effet d'un coup de vent de ce genre  où vous vous trouvez transporté, juché par exemple sur l'église saint Michel du Puy ! C'est une conversion. Un coup de vent qui nous arrache surtout à nos souvenirs avec ce caractère irréversible : c'est fait.  Et qui nous apprend à regarder en avant dans l'éternité et dans le présent à la fois : toutes ces choses ne faisant qu'un. A regarder ce qui vient, tout simplement.   Et regardez cette audace, cette légèreté extraordinaire de celui qui s'appuie sur la miséricorde.  C'est tout de même une chose assez extraordinaire que cette Miséricorde qui nous  demande d'oublier nos fautes ! Qui nous le demande vraiment ! Et qui nous reproche comme une deuxième faute, plus attristante encore que la première,   de s'en souvenir encore. Quelle exigence ! essoufflante mais merveilleuse. Cette Miséricorde qui nous demande d'oublier nos fautes. Pensez à toutes sortes de fautes. Toute faute a des conséquences, des répercussions infinies et perpétuelles, ininterrompues, comme tout acte humain.  Voici tel professeur qui s'est retrouvé toute une année en proie au doute qui a semé le doute chez tel ou tel de ses élèves ; ses élèves, à leur tour, commettront certaines fautes et entraîneront d'autres à douter et ainsi de suite...jusqu'à l'infini !   A chaque fois que nous faisons le mal, ou que nous ne faisons pas le bien c'est irréparable ! Ca ne peut plus s'arrêter, vous avez devant vous une "machine" qui ne peut plus s'arrêter et Satan se frotte les mains, et Satan conduit le bal comme on dit : tu vois, tu vois, tu vois ce que tu as fait....!   Eh bien,  Dieu demande, demande vraiment,  d'oublier tout ça ! Comment est-ce possible ? Bien entendu par un acte de foi absolu dans cette promesse constante que Dieu nous fait  : que parmi les éléments dont il se sert pour faire le bien au premier chef  se trouve le mal et il tire le bien du mal comme il tire l'être du non-être, c'est de la création pure. Par conséquent croire cela, et particulièrement cela,  c'est vraiment rendre gloire au Créateur qui seul peut faire cela. Mais ne pas croire cela c'est refuser de rendre à Dieu la gloire qui lui est propre.  Ne pas croire cela c'est comme si on lui disait : c'est bien gentil vous me pardonnez mais qu'est-ce que ça change ? Ca change peut-être pour moi, je suis réconcilié avec vous, mais qu'est-ce que ça change dans les faits, dans les faits ? Eh bien  Dieu lui répondra : tu ne reconnais pas qui Je suis ; tu n'as pas compris que cela même  qui a été utilisé contre l'Amour, je vais l'utiliser pour l'Amour ! Je suis seul à pouvoir le faire. Imaginez ce que le Fils de Dieu aurait pu faire dans une perspective temporelle et spirituelle qui n'était pas celle de la Croix mais qui est celle de saint Pierre, celle des Apôtres ; ce qu'Il aurait pu faire si on l'avait laissé en vie, tout le bien qu'il aurait pu faire, toute la lumière qu'il aurait pu répandre, toutes les guérisons qu'il aurait pu opérer, et les conversions. Eh bien, réponse de Dieu : il n'aurait pas pu en faire autant que l'Eglise en fera par la Pentecôte.

     

                                                                              A suivre....prochain post...

  • Prier les psaumes (3) : une parole d'hommes

    82.

    (suite)

    La parole du psaume a mûri en premier lieu dans un coeur d'homme et elle est née sur des lèvres humaines. Les sentiments qu'elle éveille ne nous sont pas étrangers, même s'il arrive que le langage imagé où elle s'exprime ne soit pas immédiatement intelligible. C'est tout de même l'homme qui s'y révèle, comme en toute poésie, l'homme au-delà des races, des frontières, des époques, l'homme éternel qui sommeille dans notre coeur et que nous ne laissons monter à notre conscience que progressivement, et encore seulement en partie.

    Ici réside pour une part la force mystérieuse de la parole poétique des psaumes, qui saisit tout homme avec tant d'impétuosité. Elle ne s'adresse pas seulement, en nous, à l'homme devenu conscient ; au plan de l'inconscient, elle peut remuer les terres encore inexplorées de sa personnalité plus profonde, au point où il s'exprime librement mais encore inconsciemment, face aux autres hommes et face à Dieu. Pour autant, nous n'acceptons pas tout ce que le psaume ébranle en nous et éveille à la vie. Le psalmiste est un homme blessé par le péché et qui clame sa souffrance et son désespoir devant Dieu. Il crie son angoisse, sa désespérance, sa colère, sa haine, et n'éprouve visiblement aucune envie de dissimuler ces sentiments. Le lecteur, vingt siècles plus tard, n'est généralement pas conscient que son coeur abrite encore toutes ces passions. Plus il s'identifie aux normes courantes du groupe où il vit - surtout si ces normes sont évangéliques - plus il éprouve de difficulté à se reconnaître  dans ces sentiments païens. Plus rarement il a confessé son péché devant Dieu, plus insupportables sont ces mots trop humains qui brûlent ses lèvres.

    [83]

    Le malaise que le lecteur moderne éprouve en priant certains psaumes se situe en partie à ce niveau. Chaque génération a ses tabous propres, qui se déplacent régulièrement. L'irritation avec laquelle l'homme moyen réagit à tel ou tel thème de prière dans les psaumes, elle aussi se déplace.

    La question se pose de savoir si le procédé qui consiste à refouler tous ces sentiments, et par conséquent à en biffer l'expression dans les psaumes, est psychologiquement sain. La dynamique interne qui s'exprime dans les psaumes par ces sentiments ne doit peut-être pas se perdre. Ne peut-on mieux l'orienter et même s'en servir au profit d'une croissance saine de l'homme et de son développement positif ? Bien sûr, ces sentiments révèlent d'abord le pécheur que chacun reconnaît en soi et avec lequel il doit se réconcilier. Mais cette réconciliation une fois obtenue entre l'homme et lui-même, entre l'homme aussi et Dieu, la dynamique de ces sentiments ne peut-elle être infléchie et orientée vers le bien ? Si oui, les antiques paroles des psaumes, qui jadis exprimaient des sentiments par trop primitifs, peuvent évoluer avec l'homme et acquérir un sens nouveau et plénier. D'ailleurs ce que le poète humain chante dans le psaume n'est pas le dernier mot de celui-ci, car le souffle de vie qui inspire ses paroles lui vient finalement d'ailleurs et de plus grand que lui.  

                                                                                      A suivre...

    André Louf - Seigneur apprends-nous à prier - Ed. Lumen Vitae - ISBN 2-87324-000-8