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conversion

  • A toi, qui que tu sois...

    Textes tirés du livre " Amour sans limites " par Un moine de l’Église d' Orient - Ed. Chevetogne 1971

     

    7

    Qui que tu sois, quel que tu sois, dit le Seigneur Amour, sur toi ma main en ce moment se pose.

    Ce geste veut te dire que je t'aime et que je t'appelle.

    Jamais je n'ai cessé de t'aimer, de te parler, de t'appeler. C'était parfois dans le silence et la solitude. Parfois là où d'autres étaient réunis en mon nom.

    Cet appel, souvent tu ne l'as pas entendu, parce que tu n'écoutais pas. Souvent aussi tu le percevais, mais d'une manière vague et confuse. Parfois tu étais tout près de me donner la réponse qui accepte. Parfois tu m'as donné cette réponse, mais sans conséquence durable. Tu t'attachais à l'émotion de m'entendre. Tu reculais devant la décision.

    Jamais encore tu ne t'es mis définitivement, d'une manière totale et exclusive, aux écoutes de l'Amour.

    8 Voici que maintenant encore, je viens à toi. Je veux te parler encore. Je te veux tout entier. Je le répète, l'Amour te veut d'une manière totale et exclusive.

    Je te parlerai en secret, en confidence, intimement. Je mets ma bouche tout près de ton oreille. Écoute ce que mes lèvres vont te dire à voix basse, ce qu'elles veulent murmurer pour toi.

    Je suis l'Amour ton Seigneur. Veux-tu entrer dans la vie de l'Amour ?

    Il ne s'agit pas d'une atmosphère de tendresse attiédie. Il s'agit d'entrer dans l'incandescence de l' Amour.

    Là est la vraie conversion, la conversion à l'Amour incandescent.

    Veux-tu devenir autre que celui que tu as été, que celui que tu es ? Veux-tu être celui qui est pour les autres et d'abord pour cet Autre et avec cet Autre par lequel chaque être a l'existence ? Veux-tu être le frère universel, le frère de l'univers ?

    Écoute ce que mon Amour voudrait te dire.

     

     

  • On demande des pécheurs 16

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [105]

    Le retournement chrétien

    (...) Choisir la miséricorde, c'est choisir les autres. Cette réflexion sur le choix de la miséricorde - première et dernière démarche du chrétien - nous met au cœur de la pénitence qui est inséparablement retour à Dieu et retour à nos frères. Il est impossible - nous l'avons dit en parlant de David et de l'enfant prodigue - de séparer nos deux partenaires : Dieu et les autres.

    Le " Je confesse à Dieu " s'ouvre par une demande de pardon à tous les saints, à la communion des saints et se termine par une confession " à vous mes frères ", c'est-à-dire à toute l’Église. Si je suis constitué Fils de Dieu, c'est pour devenir frère des autres et donc pour jouer un rôle dans la communauté des frères. Le péché est toujours un manque à ce rôle et la communauté en souffre. Le péché de David et le péché de l'enfant prodigue ont été une brisure qui atteignait inséparablement le Père, la communauté et la famille. Tout péché est rupture d'une relation. Nous dirions volontiers ceci par comparaison avec la vie de prière. Quant sainte Thérèse d'Avila cherche le seul signe qui ne trompe pas sur la prière, elle conclut que c'est sortir de la prière en désirant davantage ce que Dieu veut. Or l'un des signes qui trompe le moins sur la vérité de la confession est d'en sortir en voulant un peu plus écouter ce que nos frères attendent de nous. 

    Si nous nous confessons devant quelqu'un, c'est bien sûr pour affirmer que c'est avec nos frères, avec toute 106 la communauté des croyants que l'amitié de Dieu, restaurée par le pardon, nous réintègre. Mais dire ceci ne suffit pas à exprimer toute la richesse communautaire de la pénitence. Il y a beaucoup plus. Et nous ne sommes pas sûrs qu'à vouloir actuellement remettre de façon trop courte l'accent sur le " communautaire ", on ne tombe pas dans une anémie de ce sens communautaire lui-même.

    Ce sacrement est en effet le lieu privilégié pour manifester la grande vérité nouvelle du christianisme. Il y a une interaction entre ce que nous faisons aux autres et ce que Dieu nous fait.

    Quand le Christ dit : " Ce que vous avez fait au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous l'avez fait ", ou  : " De la mesure dont vous mesurez, on mesurera pour vous en retour ", ou lorsqu'il nous invite à aimer comme lui, c'est-à-dire comme son Père aime, nous touchons à ce qui est peut-être le secret du retournement chrétien ; non plus : " Ne fait pas aux autres ce que tu ne voudrais pas que l'on te fasse à toi-même ", mais : "Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas que Dieu te fasse à toi-même. "

    " Pardonne-nous, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés " : aller se confesser, c'est non seulement rentrer dans la communion de ses frères, mais c'est vouloir partager le regard de Dieu sur ses frères. c'est donc accepter l'intervention du Christ et partager avec nos frères son énergie dans la lutte contre le mal qui est en nous, permettre à Dieu de libérer en nous toutes les possibilités de pardon et d'amour, accepter d'être à son image.

              P. Bernard Bro, o.p

     

    A suivre... Le prochain post concernera l'examen de conscience. Ainsi se terminera, au seuil de la Semaine sainte, cette série tirée de ce livre du Père Bernard Bro, "On demande des pécheurs", livre réédité, à lire, à relire tant c'est profond. 

     

     

     

  • On demande des pécheurs 15

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [100]

    L'arbre tombe du côté où il penche

    (...) Il reste que nous avons besoin de savoir si nous avons vraiment choisi la miséricorde. Quel sera donc le signe concret, qui ne peut pas nous tromper, capable de 101 nous apaiser parce qu'il est plus qu'un signe, parce qu'il est la preuve  que la réalité est déjà là, que nous avons opté définitivement pour Dieu et pour le salut

    Le Christ ne nous a donné qu'une seule réponse : " Bienheureux ceux qui font miséricorde, car ils recevront miséricorde." " Bienheureux les miséricordieux." C'est parce qu'il a appris la compassion que le jeune fils comprend la miséricorde de son père, c'est parce qu'il aime qu'il peut comprendre  les raisons de l'amour. Ce n'est pas de l'ordre de l'idée seulement, mais d'une harmonie, d'un pressentiment, d'une connivence qui ne s'acquiert qu'en acceptant d'être blessé. On apprend la pitié que pas ses propres blessures. On ne peut donc aimer la miséricorde, et par conséquent la choisir, que  si on a avec elle cette affinité, cette connaturalité qui fait qu'on est soi-même miséricordieux. C'est pourquoi Notre Seigneur insiste : " De la mesure  dont vous mesurerez, on mesurera pour vous en retour " (Luc 6,38). Pour se servir de cette mesure-là, il faut être imprégné de miséricorde. " Je leur donnerai un seul cœur et je  mettrai en eux un esprit nouveau ; j'extirperai de leurs corps le cœur de pierre et je leur donnerai un cœur de chair, afin qu'ils marchent selon mes lois et qu'ils observent mes coutumes et qu'ils les mettent en pratique." (Ezéchiel 11, 19-20). Si la foi est "comptée comme justice", si elle sauve, ce n'est pas qu'elle dispense d'être bon (comme on a pu le faire dire à Luther), mais c'est parce qu'elle ne peut naître que de la bonté la plus fondamentale qui puisse jaillir d'un cœur humain, celle qui consiste à pressentir la tendresse de Dieu, parce qu'on est déjà investi de cette tendresse, de cette grâce. (...)

     102 Nous avons bien à choisir : être jugés ou bien être liquéfiés, " contrits " par la miséricorde qui nous mènera  103 bien plus loin que nous ne le pensons. On n'en finit jamais d'aimer, on n'en finit jamais de désarmer, et surtout de ne plus s'appuyer que sur cette miséricorde. Si nous sommes miséricordieux, Dieu à son tour, nous donnera sa miséricorde. L'enfer, c'est peut-être de chercher encore la justice.

    On ne croit pas à l'enfer à cause de la bonté de Dieu. Pourtant, si l'enfer n'existe pas, cela veut dire que Dieu ne nous prend pas au sérieux, qu'il ne nous laisse pas cette possibilité de faire un choix. (...) Celui qui ne veut pas de la miséricorde, ni de l'amour, celui qui veut de la justice aura sa justice et il risque  alors de demeurer seul et d'être confondu. Nous commençons à choisir la miséricorde tout de suite, dès maintenant, en face de nous-même et en face des autres, avant de le faire  en face de Dieu. L'arbre tombe du côté où il penche. Dieu nous respectera : si nous voulons être seul, il nous laissera seul.

    Sachons pressentir cette attente du cœur de Dieu partout présent dans l’Évangile et l'écouter : " Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite. Nombreux sont ceux qui ne comprennent pas la miséricorde, ils vont vers elle par la grande route où ils rencontrent la justice, c'est-à-dire qu'ils risquent leur perdition. Ne jugez pas, 104 et vous ne serez pas jugés. Si vous êtes jugés, vous êtes perdus. Votre seule chance c'est de ne pas être jugés, et je n'ai pas envie de vous juger. Si je vous juge, je suis obligé de vous juger selon la justice. Et selon la vérité, qui donc subsistera ? Si iniquitates observaveris, Domine, quis sustinebit ? Vous obstiner à croire que vous pouvez avoir affaire, si peu que ce soit, à la justice, c'est précisément une illusion de votre cœur de pierre, qui ne comprend pas qu'en face d'une douceur comme la mienne, avec votre dureté vous êtes déjà condamnés. Ma Sagesse clame au long des rues : efforcez-vous d'entrer par la porte étroite ; elle n'est pas difficile à franchir, mais à trouver. Cette voie est douce et délectable. Mon joug est doux et mon fardeau léger. Mais peu nombreux sont ceux qui l'acceptent. Leurs œuvres étaient mauvaises, ils ont préféré les ténèbres à la lumière. Si vous connaissez que vos œuvres sont mauvaises, vous trouverez la miséricorde. Elle vous dépasse, c'est cela même qui vous sauve. Si le cœur de Dieu était comme le vôtre, vous seriez perdus. Découvrez cela et vous êtes sauvés ! " 

    Mais il ne suffit pas de penser tout cela, il faut y croire... Et nous savons que seuls sont bienheureux ceux qui font miséricorde, parce qu'ils trouveront miséricorde. Alors il n'y a plus peur à avoir d'être jugé : puisque c'est à nous de choisir. 

                     P. Bernard Bro, o.p

    A suivre....

     

  • On demande des pécheurs 08

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [65]

    De naissance en naissance

    (...) Chaque fois que nous nous confessons commence quelque chose d'absolument nouveau : une visite de Dieu, une nouvelle naissance. Il s'agit bien d'un commencement absolu, et s'il faut recommencer, ce n'est pas parce que nous sommes revenus en arrière - encore [66] que cela arrive - mais parce que nous nous acheminons peu à peu, de commencement absolu en commencement absolu, jusqu'à l'irruption définitive de la vie éternelle en nous. 

    Se confesser, c'est opérer une conversion de soi irréversible, mais l'opérer de façon telle qu'elle ménage notre fragilité et nous permette de parvenir peu à peu à ce degré d'amour et de lucidité où tout devient irréversible. Les sacrements ont un caractère à la fois discontinu et progressif.

    La confession est là pour nous "apprivoiser" progressivement à la rencontre, à la vie, à l'amour de Dieu, jusqu'à ce que la mort nous fasse entrer, d'un coup, et d'une manière définitive, dans cette lumière. Et c'est pourquoi, ici-bas, il faut toujours recommencer, non parce que cela a été mal fait ou annulé par nos fautes, mais parce qu'il nous reste encore à grandir. Il ne s'agit pas ici de grandir à partir d'une naissance qui ne peut être renouvelée, mais, en quelque sorte, de grandir par des naissances successives de plus en plus fréquentes, d'approfondir la rencontre, de la rendre plus "opérante", plus vraie, plus efficace.

    "C'est quand on se convertit au Seigneur que le voile tombe. Et quant à nous, reflétant tous sur un visage sans voile la gloire du Seigneur, nous sommes transformés à la même ressemblance, de gloire en gloire, comme par l'action du Seigneur qui est Esprit." (2 Co 3,16-18)

    Tout nous est donné chaque fois, toute la vie divine et les énergies sans limite du Christ ; et en même temps, tout est proportionné, comme le pain et le vin, viatique proposé pour une étape nouvelle.

    Il ne suffit pas de nous donner un remède ou une nourriture si nous ne savons pas l'utiliser. C'est pourquoi nous recevons quelqu'un qui commence par nous [67] réconcilier avec cette condition humaine et qui nous aide, par sa lumière, à comprendre combien il est normal de tout recommencer chaque jour avec lui. Dieu vient lui-même nous rendre courage et nous aider à croire que le progrès est possible. Dieu lui-même, dans chaque sacrement, et spécialement la confession et l'eucharistie, vient nous redire ce qu'aucun homme ne peut dire  et que l’Église proclame solennellement sur les fonts baptismaux dans la nuit de Pâques : désormais par les sacrements une jeunesse éternelle nous est donnée.

    A suivre...

                                              Père Bernard Bro, o.p

     

  • conversions, réconciliation et purification de la mémoire (2)

     

    (suite du post précédent).

    remarque pour éviter un grave contre-sens :

    le père M.D Molinié s'adresse ici à un auditoire de religieuses. Quand il parle du mal c'est le mal que nous pouvons faire chaque jour : manquement à la charité fraternelle, tiédeur.....Mais  qu'en est-il d'un chrétien qui aurait commis des actes graves comme le meurtre par exemple ? Dans pareil cas il aurait le devoir de se dénoncer, de se présenter à la justice et d'assumer les conséquences de ses actes en purgeant la  peine que la justice des hommes lui infligera, et en réparant ... : sans ces démarches préalables, sa démarche  de pardon à Dieu n'aurait aucun sens. Mais devant Dieu la médiocrité spirituelle d'une personne consacrée à Dieu peut être plus grave que la médiocrité d'un petit délinquant ou les actes répréhensibles d'un assassin. C'est le secret des coeurs, seul Dieu connaît les motivations profondes des actes humains. C'est pourquoi nous ne devons pas juger autrui car ce serait nous mettre à la place de Dieu. Ni autrui, ni nous-mêmes ! Tout homme, fût-il un assassin, peut (en usant de sa liberté et avec l'aide de Dieu)  se convertir et  tirer d'un mal un bien ; quitter son enfer pour marcher vers la lumière.  Finalement et  quelle que soit notre situation "spirituelle" du moment, nous tirerons toujours avantage à écouter l'enseignement du P. M.D Molinié et à l'adapter à  notre cheminement ici et maintenant.

    Dans cet exposé le style oral ne respecte pas forcément des structures de phrases plus classiques.

    -------------------------------------------------------------

    (...) oublions tranquillement, et le plus tranquillement possible ou plutôt le plus allègrement possible, le plus passionnément possible tout le passé, et toutes les conséquences futures du passé telles que nous pouvons les prévoir humainement. Car il y a des conséquences divines du passé que Dieu seul connaît à savoir le bien qu' Il peut tirer du mal à chaque instant dès que nous lui donnons le mal, car il faut lui donner le mal pour qu'Il en tire quelque chose d'extraordinaire que Lui seul peut en tirer. Il ne faut pas perdre son temps à regarder le mal. Il faut le Lui donner, et Il a besoin que nous le Lui donnions. Alors voyez quelle audace que ça représente ! Et si quelque chose devait être regrettée - ah oui regrettée -  pour que le sacrement de pénitence puisse s'exercer et après, qu'ensuite,  on oublie immédiatement ce qu'on regrette c'est-ce-que précisément, ce que  le chrétien et le contemplatif fassent cela : Lui donnent leurs péchés, Lui  donnent leurs misères, mais pas seulement leurs misères mais surtout le non-être, puisque Lui seul peut en tirer l'être... Et ce non-être qui est le mal et le mal des autres et le nôtre, et les conséquences, eh bien je vous le donne parce que je sais que vous pourrez en tirer du bien à chaque instant. A chaque instant !   Alors que d'inquiétudes nous nous épargnerions si nous agissions ainsi.

    Prenons un exemple très simple, et classique, combien classique : ne pas savoir exactement ce qu'il faut faire en face de telle circonstance, en face de quelqu'un. On ne sait jamais exactement ce qu'il faut faire. Il y a des cas ou c'est particulièrement difficile, désagréable, inquiétant. Et on sent que la partie entre les ténèbres et la lumière est tellement serrée, tellement violente qu'on est tenté (et le démon est bien là pour nous y inviter) à considérer la moindre fausse note, le moindre faux pas, la moindre maladresse, la moindre faute, comme entraînant une série de conséquences ténébreuses et irrémédiables. Tout simplement une seule chose à faire (mais ça nous ne le faisons pas parce que nous ne le croyons pas) : tout donner.  Et oublier (vif) ! Tout donner et oublier. Ah c'est du sport ! je ne vais pas vous le cacher. Et ce mouvement qui s'appelle en fin de compte une "conversion". A chaque fois que nous faisons quelque chose comme ça (tout donner et oublier) c'est une véritable  petite conversion qui s'opère en nous. Car c'est ça la conversion finalement : abandonner le passé et partir à zéro. Et j'entends votre objection :  mais à quoi bon cette conversion si c'est toujours à refaire ? Ah aïe aîe (rires dans l'auditoire)  ! Donc vous révez bien d'une conversion à partir de laquelle il n'y aurait plus à se convertir. Vous, vous révez bien de ce qui est aux antipodes de la sainteté ; puisque la sainteté est une accélération de la fréquence des conversions. A tout instant nous échappons à la lumière de Dieu, c'est évident, nous sommes pécheurs. Le problème ne consiste pas d'arriver à vouloir  trouver un truc pour un jour ne plus échapper à la lumière de Dieu. Ou plutôt il y en a un... (c'est regretter, tout donner à Dieu et oublier) La conversion c'est un mouvement fondé sur le regret et le regret comme oubliant. C'est-à-dire c'est un mouvement par lequel à chaque instant on donne (à Dieu) cette souillure (notre péché) qui nous échappe, qui vient de nous. Et à force de la donner  tout le temps il y a  un moment on ne s'arrête pas de donner le passé et de se convertir. Etre dans la lumière de Dieu c'est justement ça la tentation. Oui au ciel. Voilà bien la différence entre le régime de la terre et le régime du Ciel. Au Ciel on n'aura plus à donner successivement. On donnera éternellement dans un seul acte. Il n'y aura plus d'événements. Il n'y aura plus de conversions. Ah d'accord !  Mais en attendant, à tout instant  : l'infidélité, la rechute, l'apesantissement... la pesanteur nous menace ! Par conséquent on a qu'une solution pour être constamment fidèle : c'est en sorte de se reprendre toujours. Autrement dit que la conversion soit en effet toujours à refaire, mais alors de plus en plus toujours ! De telle sorte que plus on va, plus on se plonge dans cette mentalité de ne pas avoir encore commencé, comme ce bon chartreux qui dormait toujours. Il dormait toujours et pour se réveiller il avait construit un système d'horlogerie sensationnel (rires de l'assemblée) où une planche lui tombait sur les pieds (rires) mais il n'y arrivait pas. Au moment de mourir il a dit : je vais enfin me réveiller ! (rires). C'est magnifique ! c'est exactement ça ! 

     Alors j'en reviens à ce coup de vent qui nous projette à cent mètres et on se  dit :  ça y est, c'est pas mal. C'est pas mal et d'une part on n'a pas envie de monter plus haut, on trouve que c'est déjà pas mal comme ça. Et d'autre part, on veut essayer de trouver le truc pour ne plus redescendre. Et à la première dégringolade on se dit : c'est encore à refaire. En fait c'est à refaire pour aller plus haut. Ce qui nous perd c'est que nous considérons le coup de vent de la conversion comme un événement transitoire destiné à nous mettre dans un état qu'on appellerait la sainteté. Il n'y a pas d'état de sainteté ! Il y a simplement une précipitation de plus en plus fréquente des coups de vent, accélérés par le nombre peut-être aussi fréquent des chutes conscientes. Conscientes c'est-à-dire qu'au fur et à mesure qu'on devient plus délicat, pratiquement on s'aperçoit qu'on rechute tout le temps. Tout le temps. Du fait qu'on oublie Dieu, pas le passé. Je rêve d'extirper  de vos âmes le rêve, le désir de ce coup de vent définitif après lequel il n'y en aurait plus besoin : vous êtes aux antipodes de la sainteté. Il s'agit de se plonger de plus en plus dans la mentalité permanente des "ouvriers de la dernière heure" (c'est une parabole des Evangiles) qui brusquement découvrent qu'ils vont tout recevoir, que tout va commencer : enfin je vais me réveiller ! Alors  une autre comparaison encore si vous voulez : celle d'une locomotive qui se met en marche : tche...tche... tche...au début, c'est une petite mise en marche. C'est laborieux comme nous avec le poids du jour, le poids de la chair, le poids de la sottise et tout ça nous ralentit, puis dix ans plus tard un coup de vent, puis espérons un autre coup de vent ..cinq ans plus tard, et puis deux ans, et puis un an, et puis un mois et puis....etc et que ça finisse par se rapprocher  : c'est le mouvement de conversion... jusqu'à non pas tous les jours mais  qu'à tout moment le vent ne cesse (le Saint Esprit) de souffler. Et il ne tient qu'à nous car Lui il souffle d'une manière éternelle, sans arrêt. C'est nous qui nous freinons son action avec ce petit discours intérieur que nous faisons à Dieu : attendez un peu que je m'y reconnaisse , que j'exploite les lumières que vous m'avez données et puis que je fasse une vie de bon chrétien, de bonne religieuse..avec ce que j'ai on doit pouvoir faire mieux.  Et puis patatra ! la chute ! Alors on se décourage ! Et on appelle (Dieu), et immédiatement on reçoit comme toujours, ça ne traîne pas  mais à condition qu'on appelle pour de vrai,  sérieusement, du fond de l'être.... et immédiatement "nouvelle promotion" et à nouveau nous reprenons notre discours : ah , je vais pouvoir commencer à faire quelque chose !   Alors qu'il aurait fallu qu' après un premier coup de vent, et qu'au lieu de s'installer, qu'au lieu d'attendre paresseusement,   Il faut qu'à tout moment nous renaissions, dans un mouvement irréversible, de plus en plus souvent jusqu'à devenir "à tout moment"  et sous la pression d'un vent qui nous empêche de retourner en arrière : allez, allez, en avant ! On essaye de se retourner mais il n'y a pas moyen  .. c'est ça le souffle du Saint Esprit quand il devient un peu  harcelant. Il ne le fait pas tout de suite parce que nous ne le supporterions pas. C'est vraiment pas dans nos habitudes, ça nous donnerait comme de voyager sur la mer, avec un immense mal de mer, au fond c'est ça les purifications passives. c'est une espèce d'immence nausée du fait qu'on  ne sent plus sous nos pieds le terrain  solide. Dieu nous saisit. Il n'y a plus moyen de respirer tranquille comme avant : allez en avant, ne regarde pas ton passé, ce que tu as pu faire de bien, de mal... oublies ! ..Tu le donnes à la miséricorde !  Ah mais alors ! c'est quand même un  peu... harassant ! C'est ça.

    Alors voyez l'usage des sacrements...

     

                                                                         Père Marie-Dominique Molinié

     

                                                                      suite au prochain post...

      

     

     

     

  • conversions, réconciliation et purification de la mémoire (1)

     

    [Conférence du Père Molinier, dominicain. Je retranscris un enseignement oral enregistré. A part quelques morceaux, dans l'ensemble j'ai pu faire cette retranscription car l'enregistrement est d'une bonne qualité. Mais ce n'est pas aussi fluide que la retranscription d'un texte écrit. ]

     

    Je voudrais revenir par un autre biais à ce que je vous disais, à la suite de la conférence sur la douceur de Dieu, sur les visites de Dieu. Je voudrais relier cela et vous parler d'un tas de choses : les sacrements, les visites de Dieu, la conversion, la Pentecôte : tout ça va se trouver agréablement mêlé là-dedans, agréablement j'espère.

    Je partirai d'une confidence qui m'a été faite très récemment par... une "âme" comme on dit, une âme, une âme  religieuse, fort religieuse d'ailleurs, et cette confidence m'a profondément frappé en ce qui concerne les sacrements  et au fond.. la purification de   la  mémoire   dans notre sujet ce soir Cette personne m'a dit : "il y a deux ans... il y a un an peu importe j'ai reçu l'extrême onction et j'ai reçu les sacrements, pour la première fois de ma vie, avec le plus de foi possible et j'ai éprouvé comme un nouveau baptême, quelque chose d'absolument neuf qui commençait en moi et comme une facilité nouvelle pour aimer Dieu et tout ce que peut impliquer le..... " mais alors avec cette particularité qui concerne en effet  la purification de la mémoire et qui est vraiment  très très remarquable, qui va vraiment  bien nous servir de point de départ pour ce soir. Cette particularité que je ne pouvais plus revenir en arrière. Non seulement je ne pouvais plus revenir en arrière en ce sens que je ne pouvais plus retrouver la mentalité un peu traînante, poussiérieuse, ralentie, freinée  par le poids du jour que je pouvais avoir avant, mais que je ne pouvais même plus me  souvenir.

    Non pas une incapacité totale de repenser en cas de besoin à la date de ma naissance ou à tel ou tel événement s'il avait fallu en répondre du point de vue de l'état civil que sais-je, n'est-ce pas,  ou la date de ma profession : ce n'est pas ça qu'on appelle ne pas pouvoir revenir en arrière ; la purification de la mémoire c'est ne plus pouvoir me souvenir sur mes états d'âme antérieurs, sur ce que j'étais spirituellement avant, sur les objets qui m'avaient préoccupé, tout ça étant balayé, liquidé  comme si ça n'avait jamais existé.  J'ai profité de cette grâce avec joie, et petit à petit, je me suis aperçu, il y a deux ans de cela, je me suis aperçu, à la longue que, de nouveau, je sentais comme un freinage, comme une poussière, comme un entassement de choses qui me gênaient pour aller à Dieu vite, vite, vite. C'est des souvenirs, non pas de ce qui s'était passé avant ce sacrement,  l'extrême-onction, mais de ce qui s'est passé depuis...que de nouveau, le poids du jour, les événements, les retours sur moi éventuels, les retours sur les événements  : enfin que sais-je, tout ça, ça me ralentissait de nouveau, que ça freinait  ... je n'avais plus ce que j'avais senti : cette espèce de bain de jouvence - c'est exactement ça le baptême : cette naissance à partir de zéro, ce départ à zéro que j'avais éprouvé, comme si la vie commençait au moment même où je recevais ce sacrement,  comme si je n' avais pas vécu avant,  comme si je commençais à aimer Dieu, comme si je commencais à connaître Dieu, comme si je commençais... tout, comme si je n'avais pas de passé. Eh bien, je n'éprouvais plus cela. J'avais déjà un passé, qui commençait à me gêner un peu ce passé.   Parce que le passé gêne.  Le passé alourdit. Même quand on l'aborde avec ferveur. A la longue, les choses finissent par nous gêner.  

    Alors là, il me dit : je me suis étonné. Je me suis dit : mais  comment se fait il que le sacrement de pénitence, que je reçois toutes les semaines, ne me fasse pas le même effet, alors que le sacrement de pénitence se rapproche du sacrement de baptême, peut -être plus encore que l'extrême onction. Par  le sacrement de pénitence on est vraiment baigné dans le sang du Christ pour les mêmes effets que le baptême, sauf le caractère baptismal bien entendu ; et puis, sauf que ça implique une pénitence, que ça implique des mouvements de la part du pénitent alors que le baptême n'implique rien. On a dit que le le baptême était une pénitence non douloureuse et puis irréversible.  Alors il me dit pourquoi le sacrement de pénitence que je recevais tous les huit jours ne semble pas provoquer du tout la même chose.  Pourquoi je n'étais pas délivré de ce retour en arrière, de cette pesanteur,  à chaque fois que je recevais le sacrement de pénitence. Alors je me suis tourné vers Dieu, vers le Christ, et  j'ai cru comprendre qu'il me répondait : "je suis toujours le même. Je suis toujours l' Amour infini. Je ne bouge pas, je suis toujours prêt à tout donner. Ca ne dépend que d' toi".

    Alors j'ai demandé, et j'ai promis  de tout oublier au fur et à mesure que je recevrai le sacrement de pénitence. Et  j'ai demandé cette grâce. On ne joue pas avec Dieu, on ne s' amuse pas avec Dieu ,  j'ai compris que, depuis ce moment là, c'est irréversible et à chaque fois que je reçois le sacrement de pénitence, c'est fini, je ne peux plus me souvenir de ce qui était arrivé avant. Encore une fois vous comprenez bien ce que je veux dire  par "ne plus se souvenir" :  en sortant du confessionnal  il ne s'agit pas d'être frappé d'amnésie en se demandant : qui suis-je ? où suis-je ? (rires dans l'assemblée) Non, non, non...!  Nous nous attardons sur nos regrets, nos inquiétudes, nos discussions :  tout ça :  liquidé, balayé. Impossibilité d'y revenir, impossibilité d'en parler  si l' on m'interrogeait là-dessus.

    Vous voyez... précisément à cause de cette impossibilité de revenir en arrière vous comprenez qu'avec une âme de ce genre, vous devez soupçonner qu' il n'y a pas grand chose à dire que, au fond, son regret profond lancinant douloureux pour lequel elle demande miséricorde et que le sacrement de pénitence lui donne précisement, c'est que   ça ne va pas assez vite,   que par sa faute ça freine, ça ralentit.

    Dieu est toujours le même, toujours infiniment intense, toujours infiniment actif, infiniment prêt à nous consummer et à nous emporter dans  la joie, mais ne puisse pas le faire parce que, au fond, si ça freine, si ça ralentit c'est  par notre faute. Alors le confesseur demandera : est-ce que [cette faute]  c'est délibéré ? Vous comprenez bien qu'une pareille faute n'est pas délibérée, mais c'est quand même bien un désordre, et ça suffit largement comme matière au sacrement de la confession mais certains confesseurs scrupuleux peuvent... que sais-je...    A ce moment-là deux confesseurs ont donné leur avis sur la question et l'un a dit : mais il n'y a pas de problème, il n'y a pas besoin de se confesser dans ces conditions-là,  il suffit de s'établir dans la joie éternelle de la miséricorde qui donne tout,  comme on fera au ciel, en somme. Et l'autre qui était un - passez-moi l'expression - un bon vieux prêtre, n'est-ce pas,  disait :  qu'est ce que c'est que cette histoire ? Vous avez un regret, eh bien, cela suffit. Cela suffit pour qu'il y ait matière à confession et à absolution. Il suffit de regretter. D'avoir à regretter quelque chose. Quoi ? Eh bien ce ralentissement dont on sent que nous sommes plus ou moins le responsable. Et bien entendu, c'est bien  ce bon vieux prêtre qui avait raison. 

    Et alors, ceci m' entraîne à une série de considérations qui vont aller assez loin dans le temps peut-être, et il faut que je m'arrête à temps pour vous parler de l'eucharistie avant la fin. 

    Je ne me placerai  qu'au plan du sacrement de pénitence pendant un bon bout de temps. Du sacrement de pénitence et de tout ce qui est dans la même ligne  : extrême onction, baptême ; le  baptême ne se renouvelant pas et l'extrême-onction pouvant se renouveler. Mais alors  surtout le sacrement de pénitence.  

    Ce cas m'a aidé à comprendre admirablement  ce que c'est que la conversion : un commencement absolu. La conversion, loin d'être un phénomène unique ou rare, devait devenir très normalement, un phénomène de plus en plus fréquent jusqu'à devenir chez les saints un phénomène ininterrompu, c'est extrêment simple. Je ne dirai pas qu' un saint est quelqu'un qui se convertit tous les jours, mais quelqu'un qui s'est établi dans l'état de conversion perpétuel.

    Qu'est ce que ça veut dire ?

    Eh bien dans cet état de métamorphose perpétuel sous l'action irrésistible du corrosif divin qui ne laisse plus de trêve. Comparaison qui est tout à fait dans la ligne de la Pentecôte que nous attendons ; un coup de vent un peu violent qui nous transporte à trois cents mètres de haut. Imaginez l'effet d'un coup de vent de ce genre  où vous vous trouvez transporté, juché par exemple sur l'église saint Michel du Puy ! C'est une conversion. Un coup de vent qui nous arrache surtout à nos souvenirs avec ce caractère irréversible : c'est fait.  Et qui nous apprend à regarder en avant dans l'éternité et dans le présent à la fois : toutes ces choses ne faisant qu'un. A regarder ce qui vient, tout simplement.   Et regardez cette audace, cette légèreté extraordinaire de celui qui s'appuie sur la miséricorde.  C'est tout de même une chose assez extraordinaire que cette Miséricorde qui nous  demande d'oublier nos fautes ! Qui nous le demande vraiment ! Et qui nous reproche comme une deuxième faute, plus attristante encore que la première,   de s'en souvenir encore. Quelle exigence ! essoufflante mais merveilleuse. Cette Miséricorde qui nous demande d'oublier nos fautes. Pensez à toutes sortes de fautes. Toute faute a des conséquences, des répercussions infinies et perpétuelles, ininterrompues, comme tout acte humain.  Voici tel professeur qui s'est retrouvé toute une année en proie au doute qui a semé le doute chez tel ou tel de ses élèves ; ses élèves, à leur tour, commettront certaines fautes et entraîneront d'autres à douter et ainsi de suite...jusqu'à l'infini !   A chaque fois que nous faisons le mal, ou que nous ne faisons pas le bien c'est irréparable ! Ca ne peut plus s'arrêter, vous avez devant vous une "machine" qui ne peut plus s'arrêter et Satan se frotte les mains, et Satan conduit le bal comme on dit : tu vois, tu vois, tu vois ce que tu as fait....!   Eh bien,  Dieu demande, demande vraiment,  d'oublier tout ça ! Comment est-ce possible ? Bien entendu par un acte de foi absolu dans cette promesse constante que Dieu nous fait  : que parmi les éléments dont il se sert pour faire le bien au premier chef  se trouve le mal et il tire le bien du mal comme il tire l'être du non-être, c'est de la création pure. Par conséquent croire cela, et particulièrement cela,  c'est vraiment rendre gloire au Créateur qui seul peut faire cela. Mais ne pas croire cela c'est refuser de rendre à Dieu la gloire qui lui est propre.  Ne pas croire cela c'est comme si on lui disait : c'est bien gentil vous me pardonnez mais qu'est-ce que ça change ? Ca change peut-être pour moi, je suis réconcilié avec vous, mais qu'est-ce que ça change dans les faits, dans les faits ? Eh bien  Dieu lui répondra : tu ne reconnais pas qui Je suis ; tu n'as pas compris que cela même  qui a été utilisé contre l'Amour, je vais l'utiliser pour l'Amour ! Je suis seul à pouvoir le faire. Imaginez ce que le Fils de Dieu aurait pu faire dans une perspective temporelle et spirituelle qui n'était pas celle de la Croix mais qui est celle de saint Pierre, celle des Apôtres ; ce qu'Il aurait pu faire si on l'avait laissé en vie, tout le bien qu'il aurait pu faire, toute la lumière qu'il aurait pu répandre, toutes les guérisons qu'il aurait pu opérer, et les conversions. Eh bien, réponse de Dieu : il n'aurait pas pu en faire autant que l'Eglise en fera par la Pentecôte.

     

                                                                              A suivre....prochain post...

  • Les fondamentaux d'une vie selon l'Evangile (1)

    Intro : je retranscrits ici une retraite du père Marie-Dominique Molinié, dominicain, véritable maître spirituel. Je conserve le style oral de ses interventions. L'intitulé : " les fondamentaux d'une vie selon l'Evangile" est un titre que j'ai choisi car MD Molinié peut nous aider à aller à l'essentiel pour vivre comme disciple du Christ. Il existe en effet beaucoup de "gourous", de "coach" même en christianisme. Mais les vrais maîtres sont rares. St Jean de la Croix le dit dans l'un de ses livres. 

     

     

    bonne route vers Pâques !

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    " Qu'est-ce que l'homme doit faire pour atteindre Dieu ? Il est normal qu'au début d'une vie spirituelle on mette l'homme en avant, on pense à soi plus qu'à Dieu. C'est tout à fait normal mais, une des conséquences de cette attitude c'est qu'on s'inquiète davantage de ce que nous allons faire, de ce qu'il faut faire, de ce que l'homme va faire.... et c'est un des fruits de la conversion, de ses conversions [le père Molinié explique ici que l'itinéraire chrétien est une suite de conversions] que de moins se poser la question : qu'est-ce que je dois faire et de se poser de plus en plus cette question : qu'est-ce que Dieu va faire ?

    Alors nous allons faire un effort pour mettre dans l'ombre nos efforts, nos activités et nous allons essayer de tirer des conséquences pratiques de cette vérité que vous m'accorderez tout de suite et dont nous voyons particulièrement les conséquences :

    si Dieu ne garde pas la maison ce n'est pas la peine de la garder et si Dieu ne la construit pas [cette maison] ce n'est pas la peine de la construire, nous.

     

    Par conséquent, nous allons nous occuper d'abord de ce que Dieu fait avant de nous occuper de ce que nous avons à faire de façon à définir nos efforts comme nos activités comme ils doivent l'être c'est-à-dire comme une réponse à l'activité de Dieu et non pas comme une initiative que nous prendrions nous pour obliger Dieu à faire quelque chose.

    Alors qu'est-ce que Dieu fait ? Eh bien c'est très clair, d'après l'Evangile il nous fait un certain nombre de visites. Voilà. Il nous rend visite de temps en temps dans l'existence.

    Alors généralement on pense à la dernière visite, la grande, celle de la mort. Et on ne pense pas que cette visite de la mort ne fait que porter son point final, ou porte à son paroxysme l' événement pas du tout quotidien mais pas non plus unique de la visite de Dieu. Et la première règle pratique qu'il faut essayer de comprendre : on ne provoque pas une visite de Dieu, on n'oblige pas Dieu à venir. On peut se disposer pour l'attendre, on peut prendre une attitude telle que pratiquement il est est certain qu'Il viendra ; qu'Il ne pourra pas résister à notre attente, à notre désir, à notre appel, à notre confiance et à notre disponibilité. Mais précisément pour avoir une attitude d'attente, de désir, d'appel, de confiance et de disponibilité, il ne faut pas s'imaginer qu'on va pouvoir le faire venir à heures fixes. On n'oblige pas Dieu à venir. Ou si vous préférez c' est dans la mesure même où l'on reconnaît qu'Il n'est pas obligé, à aucun titre, de se présenter, que nous attirons sa visite.

    Alors il faut que vous sachiez que nos conduites chrétiennes sont sous la dépendance de ces visites. Elles en dépendent en ce sens qu'elles en proviennent. Il a fallu qu'Il vienne une première fois pour nous apprendre à faire quelque chose, le tout début : au catéchisme, que ce soit dans votre enfance ou plus tard à l'âge adulte, soyez sûrs que cet apprentissage provient de ce que Dieu s'est présenté le premier. C'est une véritable visite de Dieu venu que ces messagers qu'Il nous a envoyés : nos parents, le curé que nous avons connu ou tel ou tel ami, que sais-je, qui nous a renseigné. Ce messager, Dieu l'a faconné, préparé de toute éternité pour nous, entre autre, mais pour nous aussi. Par conséquent c'est bien Lui qui s'est présenté, nous n'y sommes pour rien... C'est bien une visite de Dieu ça. Et si nous avons fait quelque chose c'est dans la mesure où nous avons accueilli cette visite, nous avons  ouvert la porte.

    Ce qu' il y a de plus paradoxal - c'est cela qui est peut être un peu nouveau pour vous - c'est qu'une fois qu'on a ouvert la porte et qu'on a accueilli cette première visite, on reçoit un enseignement, des indications pratiques : faites ceci, faites cela ; et quelle est la pointe suprême de cet enseignement ? Quelle est la règle pratique la plus importante : prière d'attendre la Visite suivante !

    Et alors si on oublie ce petit détail là comme beaucoup (prière d'attendre la Visite suivante) et si on prend tout le reste des consignes comme s'il ne devait plus jamais y   avoir d'autres visites, alors on se fourvoie gravement, on s'écarte de l'Evangile en fait pour tomber dans un certain nombre de désordres dont le pharisaïsme est un des moins graves ou l' un des plus graves, comme vous voulez, ça dépend du degré de pharisaïsme.

    Nous ne provoquons pas une visite de Dieu. Et tout ce qui nous est demandé de faire n'a pas d'autre sens, en fin de compte, que de nous préparer à entendre de nouveau frapper à la porte et à ouvrir aussi promptement que possible. Ca n'a pas d'intérêt (toutes les pratiques) en dehors de cette perspective là.

    Je prends l'exemple de quelqu'un qui connaît ce que j'appelerais la "première conversion", quelqu'un qui a reçu ce choc (car justement toute visite de Dieu est un choc), quelqu'un qui a reçu ce choc de découvrir qu'il ne s'appartenait pas. Comme le dit à peu près Tagore : j'ai découvert d'abord que la vie était "joie", puis j'ai découvert que la vie était "service" et j'ai découvert ENFIN que le service était la joie. Découvrir cette vérité du service. Quelqu'un qui reçoit ce choc de comprendre qu'il faut que tout passe au service de Dieu avec le même absolu, même beaucoup plus absolu  que la vie de quelqu'un qui s'engage dans la vie militaire ou quelque chose comme ça...Bon, je suppose quelqu'un qui comprenne ça. Un peu comme ce que les apôtres ont compris quand le Christ les a regardés en disant "viens et suis-moi"  Et bien si ce quelqu'un s'imagine que c'est fini, qu'il n'a plus qu' à faire des progrès, faire les choses de mieux en mieux, être de plus en plus fidèle à l'appel qu'il a entendu, être de plus en plus fidèles  à l'idéal qu'il a entrevu, si quelqu'un  s'imagine cela, qu'il n'a rien d'autre à faire qu'à progresser et qu'il n'y a plus à être bouleversé une deuxième fois, une troisième.... eh bien il se met en situation presque infaillible de résister à la Visite suivante, en tout cas, au moins, de ne pas s'y préparer puisqu'il ne soupçonne pas que des visites il risque d'y en avoir d'autres et probablement de leur résister, parce que le propre d'une visite c'est d'être imprévu et d'être, quand il s'agit d'une visite de Jésus-Christ,  bouleversante : on ne sait pas ce qui va se passer, tout est remis en question, tout est remis en cause et surtout et d'abord notre programme de vie.

    Vous vous demandez peut-être à première vue comment le fait de servir Dieu par-dessus toutes choses, de Le servir totalement, corps et âme, comment ce programme-là peut être remis en cause. Eh bien, malgré tout ce programme s'effondrera lui aussi...je vais jusque là. Je ne dis pas dans sa substance profonde ; il est bien clair que nous ne cesserons pas de comprendre qu'il faut servir Dieu, tout à fait d'accord.  Mais ce que nous appelons "servir Dieu", ce que nous croyons avoir compris de ce qui s'appelle "le service de Dieu" : si nous sommes fidèles, si nous sommes ses serviteurs  : heureux ces serviteurs qui ne laissent pas le Maître frapper [à la porte de leur coeur] pendant trois mois, trois ans ou trente ans, tout en s'occupant bien (je m'occupe de vous, je fais le service, je fais ce qu'il faut, je travaille bien pour vous :  j'évangélise, je mets toutes mes forces au service de l'Eglise, du Royaume des cieux....) Mais le Seigneur à ce serviteur dira : " je frappe à la porte de ton coeur et tout ça c'est bien intéressant mais j'ai autre chose à te dire". Et le serviteur de lui répondre : "mais enfin : qu'est-ce qu'il faut faire ? Dans le programme que vous m'avez tracé qu'est-ce qu'il peut y avoir de nouveau ? Parce que le programme que vous m'avez tracé, moi je m'y tiens ! Et le Seigneur de lui répondre : "Justement, non.  J'ai autre chose à te dire" . Eh bien si quelqu'un laisse le Seigneur entrer, il fait partie de ces serviteurs heureux..qui ouvrent la porte aussitôt  que leur Maître se présente. Vous connaîtrez, nous connaîtrons tout un bouleversement, toute une refonte de notre manière non seulement de nous appuyer plus ou moins sur la grâce, mais de notre conception même de la vie chrétienne.

    Prenez l'exemple de Pierre, au moment de sa trahison...   

      à suivre...prochain post

     

  • Si Dieu est bon pourquoi le mal ?

    [23] Si Dieu est bon, pourquoi le mal ? Cela pose la question suivante : Dieu nous a-t-il trahis ? Je voudrais affronter cette question dans toute sa radicalité.

    Je me suis senti dépassé par cette question, et je dois dire que je n'ai pas tellement envie de répondre à cette question simplement comme un professeur de théologie ; je voudrais y répondre bien sûr avec toute ma réflexion, mais aussi avec toute ma passion, parce que cette question m'a toujours taraudé et je ne prétends pas en être venu à bout.

    Je voudrais dire tout d'abord qu'une telle question témoigne d'une profonde mutation dans notre expérience de Dieu. Nous avons toujours à nous situer historiquement, du point de vue de notre expérience spirituelle. On peut dire que depuis le XVI ème siècle, surtout avec Luther, la grande question était toujours : comment puis-je être justifié devant Dieu ? C'est-à-dire  comment faire mon salut, moi, pécheur ? La question aujourd'hui serait plutôt : comment justifier Dieu devant la présence massive de l 'injustifiable par excellence, à savoir le mal, le mal sous toutes ses formes ?

    Donc, si ce n'est pas nous qui avons trahi, ne serait-ce pas Dieu lui-même ? Je ne vais pas me livrer à une [24] apologie laborieuse pour mal défendre Dieu, mais avant de se poser cette question presque sacrilège, presque blasphématoire, je pense qu'il faut d'abord se mettre d'accord sur la trahison de Dieu .

    Tout d'abord, la trahison apparente de Dieu. En premier lieu, la "trahison" est un très grand mot. Mais c'est le cri spontané de tous ceux qui ont aimé avec passion. C'est sans doute d'ailleurs l 'expérience humaine la plus cruelle. Même si on pressent obscurément que tout amour passionnel porte en lui-même son germe et son venin de trahison, on espère toujours que cela ne nous arrivera pas. On est trahi que par ceux que nous aimons le plus intensément, bien sûr ! Souvent, les autres n'ont pas d'autre excuse que leur propre faiblesse ou inconstance, mais il arrive que notre sentiment d'être trahi provienne de ce que nous avons idolatré l'autre : nous lui avons demandé ce qu'il ne pouvait pas nous donner, nous lui avons prêté des qualités démesurées, et notre déception est à la mesure de notre représentation fantasmatique de l'autre. Je crois qu'il en va de même dans nos rapports avec Dieu. Nous avons le sentiment que nous avons été trahis parce que nous nous sommes forgé un Dieu illusoire, [25] un Dieu tout-puissant qui répondrait à nos désirs. Nos désirs dans l ordre du sens mais aussi dans l'ordre de l'amour. Or bien sûr, un tel Dieu n'est pas au rendez-vous. Il faut quelquefois du temps pour s'en apercevoir. Je pense qu'il n'y a pas de progrès spirituel sans mise à mort des représentations insuffisantes de Dieu : le " Dieu-explication " , le Dieu des utilités immédiates, le Dieu "bouche-trou", le Dieu-complément de nos manques, le Dieu qui nous console dans nos diverses détresses. Ces dieux-là, c'est vrai, nous ont trahi. Nous avons encore peut-être à découvrir Dieu comme mystère de gratuité. C'est vrai que notre monde est intéressant sans Dieu, et c'est vrai aussi que l'homme peut être humain sans Dieu.

    C'est même une sorte d'évidence et de conviction de notre modernité. Nous avons à vivre, comme disait le théologien protestant allemand Dietrich Bonhoeffer, comme si Dieu n'existait pas, mais "devant Dieu, et avec Dieu". Constat d'absence et d'inutilité du Dieu "bouche-trou". Dieu, je ne pense pas qu'il nous ait trahis, mais nous avons trop peu respecté le mystère de son "absence ardente", pour reprendre un mot du poète Rilke qui écrit quelque part (je cite de mémoire) "pour trouver Dieu il faut être heureux, car celui qui n'est pas heureux ne respecte pas assez le  mystère de son absence ardente". Autrement dit, Dieu n'est pas l'objet de notre besoin de posséder, il est le terme de notre désir. Il s'agirait de mettre à mort notre besoin de la présence immédiate comblante de Dieu, pour le découvrir comme donation gratuite, et à cet égard le témoignage des mystiques est impressionnant. Pensez à la nuit obscure de Jean de la Croix ; à la foi purement volontaire, à la fin de sa vie, dans sa maladie, de Thérèse de Lisieux, alors qu'elle n'expérimente plus la présence [26] de Dieu et qu'elle veut continuer à croire. Et paradoxalement, au sein même de leur nuit, les mystiques font l'expérience d'une joie secrète, celle de se savoir acceptés par Dieu. Cette première trahison tient donc simplement au fait que nous nous sommes fabriqués un certain nombre de faux dieux qui, nécessairement, nous ont trahis.

                                    A suivre....

    Claude Greffé dans "La religion, les maux, les vices" - Conférences de l'Etoile présentées par Alain Houziaux - Presses de la Renaissance, Paris 1998 - ISBN 2-85616-708-X

     

     

  • solitude et isolement

    25. (...) Le mot "solitude", confondu [26] avec celui d'isolement , est en général perçu dans la societe comme une anomalie, un échec, une marque d'associabilité. Contresens s' exclame frère Yves : une solitude librement choisie et vécue en harmonie avec le monde peut être un terreau fécond en ressourcement, en discernement et en construction personnelle. Pour clore provisoirement la longue liste des mots boiteux, notre moine tord le cou au concept de "conversion". Pourquoi ? Certains catholiques ont tendance à confondre la conversion, qui est un acte personnel de mutation intérieure, avec la confession, qui est la partie essentielle du sacrement de pénitence instauré par l Eglise : Jésus ne nous demande pas de nous confesser, mais de nous convertir ! précise frère Yves qui est tres sollicité, comme les autres prêtres de sa communauté, pour donner le sacrement du pardon aux hôtes de passage dans son monastère. Quelle est la signification exacte de l acte de se convertir ? C est de se mettre au clair sur ses faiblesses et sur ce qui doit changer en soi. L' homme modeste sera toujours un grand homme parce qu' il sait accepter humblement ses limites. C' est ce que Jésus nous demande : d'habiter nos fragilités. Le sacrement de pénitence n' est donc pas une fin en soi ; il vient utilement nous aider, comme un bon outil, à réaliser notre travail de conversion personnelle".

    Frère Yves, abbaye du Monts des Cats, cité dans  " Messagers du silence" de Michel Cool - Albin Michel 2008


  • une rencontre, une demande, une offre

    Pourquoi faut-il que nous, qui brandissons en morale sociale la fameuse "dignité de la personne" , nous succombions parfois, à l'intérieur de l'Eglise, à un collectivisme exagéré ? La référence à la personne ne serait-elle qu'un argument à usage externe ? Il n'y a de foi véritable que chez un homme capable de se dire tout bouleversé : " Il m'a aimé et il s'est livré pour  moi " (Ga 2,20)

    L'Alliance n'est pas une convention collective, par laquelle le Père aurait consenti à aimer ceux qui entreraient dans les clauses d'un certain accord, et se trouverait ainsi aimer un chacun "par conséquent", comme la simple application d'une Tendresse en vrac décidée au sommet. La vie chrétienne ne se joue pas avec des mots d'amour passe-partout, ni avec des péchés tarifés au barème pénitentiel : elle est une aventure strictement inimitable, une histoire non pareille.

    Au fondement de cette aventure, il y a une rencontre : " Jésus passait ", [46] une demande instante : " Maître, où demeures-tu ? ", et une offre acceptée : " Venez voir" ( Jn 1, 35-39). Il y a dès lors une expérience continue, qui n'hésite pas à se formuler comme un contact véritable : " Nos mains ont touché le Verbe de vie " ( 1 Jn 1,1). Sentiment douteux auquel on s'abandonne délicieusement ? Certes pas. Mais difficile apprentissage de la conversion, c'est-à-dire de la livraison inconditionnelle de notre vie - l'unique bien que nous possédions - pour que le Christ l'investisse ; le consentement à ce qu'il devienne le véritable Sujet de notre propre  biographie : " Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ  qui vit en moi " (Ga 2,20).  Avec toutes les péripéties qui jalonnent l'histoire d'un amour. Comment le fait de parler de "foi implicite", ou de "christianisme sans le savoir" ne serait-il pas l'aveu consternant d'une totale inexpérience de Dieu  ?

    C'est dans cette aventure que les mystères chrétiens, au lieu de demeurer les articles glacés d'un Credo, deviennent des réalités vivantes. Croix, Création, Trinité : ces mots seront toujours de l'archéologie, de la spéculation ou de l'algèbre pour qui n'expérimente pas sa communion particulière avec la Passion, pour qui n'éprouve pas la contingence de toute créature dans une mise en disponibilité sans réticence, pour qui ne reçoit pas son existence comme une vocation signifiée par le Père au Fils, et à lui-même par l'Esprit.

    Aucun activisme se suppléera à cette expérience dont il atteste souvent la dangereuse raréfaction.

     

    André Manaranche - Je crois en Jésus-Christ aujourd'hui - Seuil, 1968  

  • l'aveugle que je suis

    "Viens à Jésus avec ton cœur" : attention ! je ne parle pas de sentiments que l'on s'ingénie à éprouver, je n'invite pas à se faire un faux Jésus adorable à partir de nos désirs idéalistes ou de nos illusions délirantes. Viens à Jésus avec ton cœur : comme l'aveugle guéri s'en est approché, c'est-à-dire aie le courage de voir, de tout voir, de ne pas ciller devant la réalité, celle de toi-même et celle du monde, et celle de Dieu qui agit en toi-même et dans-le monde. Et ayant vu, aie le courage de vivre sans pécher contre la lumière.

    C'est dur, d'oser voir. C'est une épreuve. C'est une épreuve de deux manières. D'abord parce qu'il faut soutenir la découverte de tout ce que nous aurions préféré ne jamais apprendre. Le  premier spectacle qu'a eu sous les yeux l'aveugle guéri, ce furent les hochements de tête des badauds, la lâcheté de ses parents, les trognes des notables qui grenouillaient à qui  mieux mieux pour étouffer la vérité. Spectacle effarant, digne sans doute du pinceau d'un Jérôme Bosch ou d'un Goya ! La bêtise, la méchanceté, l'incompréhension, l'injustice humaines ne se rencontrent pas sans douleur. Ou simplement, quand on a vingt ans, la complexité du monde, le désordre des choses, le malheur des êtres, l'absurdité de tant d'existences, l'inévidence du rôle qu'on peut jouer. Comment ne pas sombrer dans un pessimisme semblable à celui que notait dans son journal un auteur dramatique: « J'ouvrais les yeux le matin avec, c'est exact, un vrai plaisir de voir la lumière du jour : je me levais et, au bout de quelques minutes, comme un manteau de plomb, la lassitude écrasait mes épaules. Et derrière tout, cette pensée : je ne vis pas, la vie s'en va ; et, à l'intérieur de chaque  fruit, le noyau inévitable de l'angoisse, de l'idée de mort ... C'est comme si  je voyais, en plein jour, la nuit, la nuit mêlée au jour : le soleil noir de la mélancolie » (Ionesco, Journal en miettes, pp. 135-136)

    Seuls les yeux du Ressuscité, de Celui qui a triomphé de toutes les ténèbres que les hommes accumulent sur eux-mêmes, peuvent nous donner  de voir non plus la nuit jusqu'en plein jour, « le soleil noir de la mélancolie », mais bien plutôt, comme le dit un psaume, « le jour jusqu'en pleine nuit » (Ps 139,12), « le soleil de justice », c'est-à-dire le bien à l'œuvre même au milieu du mal, la vie à l'œuvre au milieu de la mort, l'espérance à l'œuvre au milieu du chaos.

    Après cette première épreuve, il faut en subir une seconde. Elle consiste à oser se voir soi-même. Ce que l'on a reconnu provoquer dans le monde tant d'affreuses injustices ou de pitoyables malheurs, il faut en déceler le virus actif dans notre propre cœur. Jésus reproche à ses adversaires de prétendre voir clair, alors que l'aveuglement les tient: c'est cela qui les perd. Quand on  accepte de voir les mécanismes de ses propres lâchetés, de ses propres vanités, de ses propres peurs, de ses défenses contre l'appel à l'amour véritable d'autrui, alors on découvre ses zones d'aveuglement et petit à petit on commence à leur échapper. Tel est bien le sens authentique de  la pénitence féconde.

    Alors, déjà le cœur, le cœur vivant se nourrit  d'un sang neuf. Débarbouillé de ses mensonges, il  redevient disponible pour l'avenir, pour la rencontre, pour la communication, pour la joie. « Viens à Jésus avec ton cœur et il te donnera ses yeux. » Heureux celui qui, ayant commencé de voir toutes choses avec les yeux de Jésus, ne pèche plus jamais contre la lumière; il sera lui-même lumière pour les autres.

     

     Albert-Marie Besnard - Il vient toujours - Cerf 1979 pp. 54-57

  • Demeurer dans la rencontre (2)

    Qui a l'initiative d'une telle rencontre? Est-ce la conséquence d'une décision personnelle ou bien d'une exigence que Dieu nous fait percevoir? Faisons-nous oraison par motif de sagesse, pour trouver un équilibre de vie, pour nous dégager des passions et du stress de l'existence ou bien en raison d'une exigence d'amour et  de fidélité qui découle de notre rencontre avec le Christ? Dans le premier cas, l'accent sera mis sur la discipline, voire l'hygiène de vie. Dans le second cas, il portera sur l'obéissance à la Parole.

    La première démarche est de type sapientiel. Elle s'appuie sur le désir d'une vie humainement épanouie (éros). L'accomplissement  de soi inclut la dimension spirituelle et la relation à Dieu. Cette aspiration n'est pas en soi typiquement chrétienne et se fonde sur le désir naturel à tout être d'exister conformément à ce qu'il est. Beaucoup de gens se tournent pour cela vers les sagesses orientales, donnant ainsi la première place à l'initiative humaine. Une société qui valorise l'autonomie des individus encourage cette recherche très personnelle de son propre chemin spirituel. Le chrétien cherche aussi un épanouissement personnel, mais touché par l'amour prévenant de Dieu, il voit dans l'amitié du Christ un condition essentielle quant à la réussite de sa vie humaine.

    La deuxième démarche est de type prophétique. Elle repose sur une expérience de salut en Jésus Christ. Elle procède d'un appel, d'une rencontre décisive. La foi en Jésus Sauveur nous fait prendre conscience de notre état de perdition: sans le Christ, la vie n'a plus de sens. L'oraison est alors une exigence, une soif, une quête de Dieu. Elle nous garde sous le jugement de sa Parole, dans la dynamique de son appel, sous la motion de son Esprit. Elle est exigence de conversion, d' écoute, de disponibilité à recevoir du Christ la vie de Dieu et à en rendre témoignage. Il ne s'agit pas ici de générosité humaine, mais d'ouverture à une énergie d'amour qui nous traverse en nous gardant dans la pauvreté du cœur. Il ne suffit pas d' être présent, mais encore de l'être avec ce cœur de pauvre qui ne s'appuie jamais sur ses propres acquis. Aussi, l'oraison proprement chrétienne ne s'apprend-elle pas. Nous pourrions même dire que notre détachement à l'égard de tout progrès est un bon signe d'avancement spirituel. Le but de l'oraison n'est pas de croître, mais de décroître. Il n'est pas d'exalter la grandeur de notre dignité humaine, mais de perdre sa vie entre les mains de celui-là seul qui la sauve. Il n'est pas de se glorifier, mais de découvrir l'absolue gratuité de l'amour qui a pour nom miséricorde: « Quiconque s'élève sera abaissé, et celui qui s' abaisse sera élevé» (Lc 14,11). Faire oraison, c'est littéralement se convertir à Dieu de sorte que " je vive, mais non plus moi, sinon  le Christ en moi» (Ga 2,20a).

     

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB 2008, p. 199