Qui a l'initiative d'une telle rencontre? Est-ce la conséquence d'une décision personnelle ou bien d'une exigence que Dieu nous fait percevoir? Faisons-nous oraison par motif de sagesse, pour trouver un équilibre de vie, pour nous dégager des passions et du stress de l'existence ou bien en raison d'une exigence d'amour et de fidélité qui découle de notre rencontre avec le Christ? Dans le premier cas, l'accent sera mis sur la discipline, voire l'hygiène de vie. Dans le second cas, il portera sur l'obéissance à la Parole.
La première démarche est de type sapientiel. Elle s'appuie sur le désir d'une vie humainement épanouie (éros). L'accomplissement de soi inclut la dimension spirituelle et la relation à Dieu. Cette aspiration n'est pas en soi typiquement chrétienne et se fonde sur le désir naturel à tout être d'exister conformément à ce qu'il est. Beaucoup de gens se tournent pour cela vers les sagesses orientales, donnant ainsi la première place à l'initiative humaine. Une société qui valorise l'autonomie des individus encourage cette recherche très personnelle de son propre chemin spirituel. Le chrétien cherche aussi un épanouissement personnel, mais touché par l'amour prévenant de Dieu, il voit dans l'amitié du Christ un condition essentielle quant à la réussite de sa vie humaine.
La deuxième démarche est de type prophétique. Elle repose sur une expérience de salut en Jésus Christ. Elle procède d'un appel, d'une rencontre décisive. La foi en Jésus Sauveur nous fait prendre conscience de notre état de perdition: sans le Christ, la vie n'a plus de sens. L'oraison est alors une exigence, une soif, une quête de Dieu. Elle nous garde sous le jugement de sa Parole, dans la dynamique de son appel, sous la motion de son Esprit. Elle est exigence de conversion, d' écoute, de disponibilité à recevoir du Christ la vie de Dieu et à en rendre témoignage. Il ne s'agit pas ici de générosité humaine, mais d'ouverture à une énergie d'amour qui nous traverse en nous gardant dans la pauvreté du cœur. Il ne suffit pas d' être présent, mais encore de l'être avec ce cœur de pauvre qui ne s'appuie jamais sur ses propres acquis. Aussi, l'oraison proprement chrétienne ne s'apprend-elle pas. Nous pourrions même dire que notre détachement à l'égard de tout progrès est un bon signe d'avancement spirituel. Le but de l'oraison n'est pas de croître, mais de décroître. Il n'est pas d'exalter la grandeur de notre dignité humaine, mais de perdre sa vie entre les mains de celui-là seul qui la sauve. Il n'est pas de se glorifier, mais de découvrir l'absolue gratuité de l'amour qui a pour nom miséricorde: « Quiconque s'élève sera abaissé, et celui qui s' abaisse sera élevé» (Lc 14,11). Faire oraison, c'est littéralement se convertir à Dieu de sorte que " je vive, mais non plus moi, sinon le Christ en moi» (Ga 2,20a).
Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB 2008, p. 199