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M. Delbrel

  • Comme le paralytique

    L'Evangile est le livre de la vie du Seigneur. Il est fait pour devenir le livre de notre vie.

    Il n'est pas fait pour être compris, mais pour être abordé comme un seuil de mystère. Il n'est pas fait pour être lu, mais pour être reçu en nous.

    Chacune de ses paroles est esprit et vie. Agiles et libres, elles n'attendent que l'avidité de notre âme pour fuser en elle. Vivantes, elles sont elles-mêmes comme le levain initial qui attaquera notre pâte et la fera fermenter d'un mode de vie nouveau.

    Les paroles des livres humains se comprennent et se  soupèsent.

    Les paroles de l'Evangile sont subies et supportées. Nous assimilons les paroles des livres. Les paroles de l'Évangile nous pétrissent, nous modifient, nous assimilent pour ainsi dire à elles. Les paroles de l'Évangile sont miraculeuses. Elles  ne nous  transforment pas parce que nous ne leur demandons pas de nous transformer. Mais, dans chaque phrase  de Jésus, dans chacun de ses exemples demeure la vertu foudroyante qui guérissait, purifiait, ressuscitait. A la condition d'être, vis-à-vis de lui, comme le paralytique ou le centurion ; d'agir immédiatement en pleine obéissance.

    L'Évangile de Jésus a des passages presque totalement mystérieux. Nous ne savons pas comment les passer dans notre vie. Mais il en est d'autres qui sont impitoyablement limpides.

    C'est une fidélité candide à ce que nous comprenons qui nous conduira à comprendre ce qui reste mystérieux.

    Si nous sommes appelés à simplifier ce qui nous semble compliqué, nous ne sommes, en revanche, jamais appelés à compliquer ce qui est simple.


    Madeleine Delbrel - La joie de croire - Seuil 1968

     

  • Celui qui me suit (5)

    C‘est parce que notre cœur est dépourvu d’attente que les puits de solitude dont sont parsemées nos journées nous refusent l’eau vive dont ils débordent.

    Nous avons la superstition du temps.

    Si notre amour demande du temps, l’amour de Dieu se joue des heures et une âme disponible peut être bouleversée par lui en un instant.

    «  Je te conduirai dans la solitude et je parlerai à ton cœur. »

    Si nos solitudes sont pour nous mauvaises adductrices de la Parole, c’est que notre cœur est absent.  

    Il n’y a pas de solitude sans le silence. Le silence, c’est quelquefois se taire, mais le silence, c’est toujours écouter.

    Une absence de bruit qui serait vide de notre attention à la  Parole de Dieu ne serait pas du silence. Une  journée pleine de bruits et pleine de voix peut être une  journée de silence si le bruit devient pour nous écho de la présence de Dieu.

    Quand nous parlons de nous-mêmes et par nous-mêmes, nous sortons du silence. Quand nous répétons avec nos lèvres les suggestions intimes de la parole de Dieu au fond de nous, nous laissons le silence intact.  Le silence n’aime pas la profusion des mots.

    (…)

    Le silence est charité et vérité

    Il répond à celui qui lui demande quelque chose, mais il ne donne que des mots chargés de vie (…)

    On ne peut se donner quand on s’est gaspillé. Les paroles vaines dont nous habillons nos pensées sont un constant gaspillage de nous-mêmes.

     

     

    Madeleine Delbrel – « Nous autres, gens des rues » Seuil 1966

  • Celui qui me suit (4)

     

    La vraie solitude, ce n’est pas l’absence des hommes, c’est la présence de Dieu. (…)

    A celui qui consent cette rencontre solitaire avec Dieu, Dieu donne en surplus la solitude de l’homme. Il nous fait comprendre que, soustraction faite de ses dons, de ses impulsions, de ses vouloirs, il ne reste plus qu’une sorte de pâte commune faite d’un même néant et d’un même péché où l’homme ne voit dans les  autres  hommes qu’un triste et monotone prolongement de lui-même.

    (…)

     

    Nos minuscules solitudes sont aussi grandes, aussi exaltantes, aussi saintes que tous les déserts du monde, elles sont habitées par le même Dieu, le Dieu qui fait la solitude sainte.

    Solitude de la rue noire qui sépare la maison du métro, solitude d’une banquette où d’autres êtres portent leur part du monde, solitude des longs couloirs où coule le flot courant de toutes les   vies en route vers une nouvelle journée. Solitude de quelques minutes où, accroupi devant le poêle, on attend la flamme du petit bois avant de mettre le charbon ; solitude de la cuisine devant la bassine aux légumes. Solitude à genoux sur le plancher que l’on frotte, dans l’allée du jardin où l’on cherche un pied de salade. Petites solitudes de l’escalier monté et descendu cent fois par jour. Solitudes des longues heures de lessive, de raccommodage, de repassage. Solitudes que nous pourrions redouter et qui sont l’évidement de notre cœur : aimés qui s’en vont et qu’on voudrait garder ; amis que l’on attend et qui ne viennent pas ; choses qu’on voudrait dire que personne n’écoute, étrangeté de notre cœur parmi les hommes.

     

    Madeleine Delbrel – « Nous autres, gens des rues » Seuil 1966

  • celui qui me suit (3)

    Si notre vie est si bourrée par nos devoirs que les pauses y soient impossibles, si nos enfants, un mari, la maison, le travail envahissent presque tout, elle veut que nous croyions assez en elle, que nous la respections assez pour savoir que sa force divine lui fera toujours de la place. Alors nous la verrons luire pendant que nous marchons dans la rue, pendant que nous façonnons notre travail, pendant que nous épluchons nos légumes, que nous attendons la communication téléphonique, que nous balayons nos  parquets, nous la verrons luire entre deux phrases de notre prochain, entre deux lettres à écrire, quand nous nous réveillons et quand nous nous endormons.

    C’est qu’elle aura trouvé sa place, un cœur d’homme pauvre et chaud pour la recevoir.

     

    Madeleine Delbrel – « Nous autres, gens des rues » Seuil 1966

  • Celui qui me suit (2)

    La révélation de l’Évangile est esprit et vie. Elle demande à qui veut la recevoir l’audience de son esprit et de sa vie. Nous pensons souvent à lui donner la «  lettre » de notre existence, du temps, de la solitude matérielle, des évasions. Quand notre mode d’existence nous en empêche, nous croyons volontiers que l’Évangile n’est pas pour nous, ou que seul est pour nous un Évangile mutilé ou falsifié.

    Volontiers nous laisserions à ceux qui ont opté pour le désert la plénitude d’un message qui a été vécu et prêché dans l’épaisseur la plus intime du monde.

    Or ce sont toutes nos vies qui sont appelées à être « évangélisées », qui ont la vocation de recevoir la Parole entière de Jésus-Christ. Mais elles ne peuvent la recevoir que si elles se donnent en tant qu’elles-mêmes, en tant que vies, en tant que nos vies. Elles  ne peuvent la recevoir que si elles se donnent avec la totalité  leurs énergies intérieures, avec tout ce qu’il y a de moteur en elles, avec tout leur esprit.

    C’est dans notre vie que, du matin au soir, coule entre les rives  notre maison, de nos rues, de nos rencontres la parole où Dieu veut résider.

     

    C’est dans notre esprit qui nous fait nous-mêmes à travers les actes de notre travail, de nos peines, de nos joies, de nos amours, que la parole de Dieu veut demeurer.

    La phrase du Seigneur que nous avons arrachée à l’Evangile (…) dans une course de métro, ou entre deux travaux de ménage, ou le soir dans notre lit, elle ne doit plus nous quitter, pas plus que ne nous quitte notre vie ou notre esprit. Elle veut féconder, modifier, renouveler la poignée de main que nous aurons à donner, notre effort sur notre tâche, notre regard sur ceux que nous rencontrons, notre réaction sur la fatigue, notre sursaut devant la douleur, notre épanouissement dans la joie.

    Elle veut être chez elle partout où nous sommes chez nous.

    Elle veut être nous-mêmes partout où nous sommes nous.  

     

    Madeleine Delbrel – « Nous autres, gens des rues » Seuil 1966

  • Celui qui me suit (1)

    Le secret de l’Évangile n’est pas un secret de curiosité, une initiation intellectuelle ; le secret de l’Évangile est essentiellement une communication de vie. La lumière de l’Évangile n’est pas une illumination qui nous demeure extérieure : elle est un feu qui exige de pénétrer en nous pour y opérer une dévastation et une transformation. Celui qui laisse pénétrer en lui une seule parole du Seigneur et qui la laisse s’accomplir dans sa vie, connaît plus l’Évangile que celui dont tout l’effort restera méditation abstraite ou considération historique.

    L’Évangile n’est pas fait pour des esprits en quête d’idées. Il est fait pour des disciples qui veulent obéir. L’obéissance demandée au disciple de Jésus-Christ agenouillé devant la parole et l’exemple de son maître, n’est pas une obéissance discursive, raisonneuse, interprétative ; elle est une obéissance d’enfant revenu à son ignorance radicale de créature, à son aveuglément universel de pécheur.

     

    Madeleine Delbrel – « Nous autres, gens des rues » Seuil 1966

  • Le Livre de la Vie

    Il faudrait avoir pris conscience de ces deux masses ténébreuses entre lesquelles notre vie s'insère : ténèbre insondable de Dieu et ténèbre de l'homme, pour se livrer éperdument à l'Evangile, pour le découvrir à travers le double néant de notre état de créature et de notre état de pécheur.

    Il faut avoir plongé dans la mort ambiante de ce qui fait notre amour d'homme : dévastations du temps, de l'universelle fragilité, des deuils, décomposition du temps, de toutes les valeurs, des groupes humains, de nous-mêmes.

    Il faut avoir, à l'autre pôle, tâté l'univers impénétrable de la sécurité de Dieu pour percevoir en soi une telle horreur du noir que la lumière évangélique nous devienne plus nécessaire que le pain.

    Alors seulement nous nous cramponnons à elle comme à une corde tendue au-dessus d'un double abîme.

    Il faut se savoir perdu pour vouloir être sauvé.

    Celui qui ne prend pas dans ses mains le mince livre de l'Evangile avec la résolution d'un homme qui n'a qu'une seule espérance, ne peut ni en déchiffrer ni en recevoir le message.

    Peu importe alors que ce bienheureux désespéré, pauvre de toute attente humaine, prenne ce livre sur le rayon d'une riche bibliothèque ou dans la poche de sa veste de besogneux, ou dans une sacoche d'étudiant; peu importe qu'il le saisisse dans une halte de sa vie ou dans une journée pareille aux autres; dans une église ou dans sa cuisine; en plein champ ou dans son bureau , il saisira le livre mais lui-même sera saisi par les paroles qui sont esprit. Elles pénétreront en lui comme le grain dans la terre, comme le levain dans la pâte, comme l'arbre dans l'air, et lui, s'il y consent, pourra devenir simplement comme une expression nouvelle de ces paroles.  

    Là est le grand mystère caché dans le livre de l'Evangile.

     

    M. Delbrel - "Nous autres gens des rues" Seuil, 1966 p. 72