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Bernard Bro

  • On demande des pécheurs 17

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [117]

    Une lumière qui fait mal (l'examen de conscience)

    A une dame qui, tout heureuse d'avoir réussi à approcher le Curé d'Ars, lui disait : " Oh, mon Père, comme c'est bon de vous voir enfin ! Je ne me connais si peu, j'ai tant besoin, tant envie de me connaître et l'on m'a tellement vanté votre clairvoyance ! " Le Curé d' Ars répondit : " Oh, madame, que vous êtes heureuse de peu vous connaître ! Si vous en connaissiez seulement la moitié, vous ne pourriez plus du tout vous supporter. "

    C'est vrai, il est pénible d'examiner sa conscience, de se découvrir faible, de mettre en lumière ses penchants intérieurs et ses tentations. Il est inévitable que notre examen de conscience soit pénible car nous le faisons presque toujours en partant de nous-même. En regardant seulement et toujours comment les choses partent de nous ; nous oublions l'autre grand point de départ, le plus important : cet appel positif de Dieu, cette image de Dieu en nous telle que l’Évangile nous la propose dans le regard du Christ. 118 Hélas ! ce n'est même pas cela : nous réduisons cet appel de Dieu à n'être qu'une règle, à n'être qu'un commandement, en oubliant que Dieu avait donné ses commandements à son peuple après lui avoir dit : " Souviens-toi toujours que je t'ai fait sortir de la terre de l'esclavage, que je suis venu pour te rendre libre." 

    C'était pour rendre le peuple libre, pour le sauver, que les commandements étaient donnés ; or, de ces commandements, nous avons fait non pas le moyen d'une libération, mais une clôture. Comme ce berger, avare à sa manière, qui, chaque jour, déplace le fil de la clôture électrique ; il en résulte que les bêtes broutent le long du fil, et en dessous. Elles ne font plus que courir le long de la clôture, le long des commandements.

    Il en va ainsi de notre " morale-limite ". On a oublié que l'important était que l'herbe soit bonne et que le temps soit beau. Nous, nous ne regardons que la clôture, et nous n'écoutons plus l'appel. Comment donc l'entendre ?

    Deux clefs pour cet examen de conscience

       1. L'appel du Christ. Quels sont, tout d'abord, les grands appels du Christ, quel est ce portrait, ce visage que le Christ nous propose dans l’Évangile ? Rappelons-nous ces phrases de l’Évangile décisives : " Soyez miséricordieux, comme mon Père est miséricordieux. - Pardonnez comme votre Père pardonne. - Que votre oui soit oui, que votre non soit non. - C'est dans la patience que vous sauverez votre âme. - Soyez doux et humbles de cœur. " Et les Béatitudes : " Bienheureux quand vous combattrez pour la justice. - Bienheureux quand vous aurez le courage de la douceur. - Bienheureux 119 quand vous ferez passer la souffrance de votre prochain, si elle est plus grande que la vôtre, avant la vôtre. - Bienheureux quand vous ferez la paix. - Bienheureux quand vous aurez un cœur pur."  Voilà notre examen de conscience, voilà le visage du Christ, l'image de Dieu en nous, son appel. Et dans cet appel, tout est positif.

       2. Responsabilité ou culpabilité. La deuxième clef de notre examen de conscience, elle aussi positive, porte sur nos responsabilités. Nous avons fait de la confession le sacrement de la culpabilité (il est vrai que nous avons à nous défaire d'un héritage janséniste lourd de plusieurs siècles). Nous en avons fait le sacrement de la négation, alors que c'est celui de la vie, de la responsabilité, de la liberté, de la restauration positive d'une amitié. Quand pourrons-nous savoir que nous sommes coupables ? C'est à peu près impossible à juger exactement ; Dieu seul le sait, et nous n'avons pas besoin de le savoir. Mais notre responsabilité est positive, nous pouvons la connaître, l'évaluer beaucoup plus réellement, beaucoup plus facilement : pensons à nos grandes responsabilités par rapport à notre travail, à notre famille, par rapport au prochain, à la vieillesse de nos parents qui vivent près de nous, par rapport à l'éducation des enfants et des êtres qui nous sont confiés et des orientations de leur vie ; nos responsabilités par rapport aux structures dans lesquelles nous vivons. Et que dire de la désaffection du chrétien à l'égard de tout ce qui est du domaine politique ? Une information, un vote sont graves ; comme toute participation à la vie des autres, à celle du prochain. Au nom de quel droit nous désintéresser  des déterminations qui sont prises dans nos communautés, quelles qu'elles soient ? 

    D'ailleurs, comme nous nous accusons peu du péché d'omission ! Pourtant, on pèche souvent plus, non 120 en agissant mal, mais en manquant de vie, en manquant de vitalité.

    Voilà donc les deux clefs de l'examen de conscience. Ces grands appels de l’Évangile qui sont notre feuille de route, le dessein de ce que Dieu attend de nous : d'une part notre vérité positive, et d'autre part toutes nos responsabilités d'homme.

    (...)

    Il y a une hiérarchie à établir dans nos fautes. On ne l'apprend que peu à peu, justement par la confession. Apprendre à donner de l'importance à ce qui en a, mettre des degrés dans nos absences, nos paresses, nos maladies. Il est vrai, par exemple, que le péché contre la chasteté 121 est grave, mais n'est-ce pas plus grave de pécher contre la justice ou de s'enfermer dans l'indifférence à l'égard de notre voisin ou de notre frère ? Il est grave de se mettre en colère contre son frère et de se laisser aller à son tempérament impulsif, mais n'est-ce pas plus grave de ne rien entreprendre, de se donner de bonnes raisons pour ne rien faire pour notre frère qui est dans le besoin ? Prendre quelque chose qui ne nous appartient pas est grave, mais n'est-ce pas plus grave de tolérer (finalement cela devient une habitude) une injustice généralisée et pesante, paralysante pour des pays ou des individus, et de l'admettre sous prétexte qu'il n'y a pas moyen de faire autrement ?

    S'accuser de ses péchés d'ailleurs, ne veut pas seulement dire décrire ses états d'âme , mais d'abord nommer les choses. Ce n'est pas en face de nous que nous devons nous agenouiller, mais c'est en face de Dieu, de quelqu'un qui nous attend, qui nous aime et qui nous aide à faire la lumière sur nous. (...)

    (...)

    184 ... nous dirions volontiers de la confession qu'elle est pour nous le test absolu de la foi, le point de non-retour en face de la confiance en Dieu, acquise par le partage du sang, sang de nos péchés et sang du Fils de Dieu. C'est ce que nous formulerions de façon banale en disant que l'un des signes décisifs de santé et de sérieux de la foi est d'accepter de se confesser à n'importe quel prêtre..., même à celui qui nous connaît.

    C'est en effet prendre Dieu au mot et nous prendre nous-même à l'espérance décisive du salut et de la vérité. Certes, chacun de nous sait combien cela peut être difficile. Mais doit-on en vouloir à ce cadeau-piège de Dieu, qui nous oblige nous-même et oblige le prêtre à se dépasser et à rejoindre l'image éternelle que Dieu à de nous ?

                                      P. Bernard Bro, o.p

     

     

  • On demande des pécheurs 16

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [105]

    Le retournement chrétien

    (...) Choisir la miséricorde, c'est choisir les autres. Cette réflexion sur le choix de la miséricorde - première et dernière démarche du chrétien - nous met au cœur de la pénitence qui est inséparablement retour à Dieu et retour à nos frères. Il est impossible - nous l'avons dit en parlant de David et de l'enfant prodigue - de séparer nos deux partenaires : Dieu et les autres.

    Le " Je confesse à Dieu " s'ouvre par une demande de pardon à tous les saints, à la communion des saints et se termine par une confession " à vous mes frères ", c'est-à-dire à toute l’Église. Si je suis constitué Fils de Dieu, c'est pour devenir frère des autres et donc pour jouer un rôle dans la communauté des frères. Le péché est toujours un manque à ce rôle et la communauté en souffre. Le péché de David et le péché de l'enfant prodigue ont été une brisure qui atteignait inséparablement le Père, la communauté et la famille. Tout péché est rupture d'une relation. Nous dirions volontiers ceci par comparaison avec la vie de prière. Quant sainte Thérèse d'Avila cherche le seul signe qui ne trompe pas sur la prière, elle conclut que c'est sortir de la prière en désirant davantage ce que Dieu veut. Or l'un des signes qui trompe le moins sur la vérité de la confession est d'en sortir en voulant un peu plus écouter ce que nos frères attendent de nous. 

    Si nous nous confessons devant quelqu'un, c'est bien sûr pour affirmer que c'est avec nos frères, avec toute 106 la communauté des croyants que l'amitié de Dieu, restaurée par le pardon, nous réintègre. Mais dire ceci ne suffit pas à exprimer toute la richesse communautaire de la pénitence. Il y a beaucoup plus. Et nous ne sommes pas sûrs qu'à vouloir actuellement remettre de façon trop courte l'accent sur le " communautaire ", on ne tombe pas dans une anémie de ce sens communautaire lui-même.

    Ce sacrement est en effet le lieu privilégié pour manifester la grande vérité nouvelle du christianisme. Il y a une interaction entre ce que nous faisons aux autres et ce que Dieu nous fait.

    Quand le Christ dit : " Ce que vous avez fait au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous l'avez fait ", ou  : " De la mesure dont vous mesurez, on mesurera pour vous en retour ", ou lorsqu'il nous invite à aimer comme lui, c'est-à-dire comme son Père aime, nous touchons à ce qui est peut-être le secret du retournement chrétien ; non plus : " Ne fait pas aux autres ce que tu ne voudrais pas que l'on te fasse à toi-même ", mais : "Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas que Dieu te fasse à toi-même. "

    " Pardonne-nous, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés " : aller se confesser, c'est non seulement rentrer dans la communion de ses frères, mais c'est vouloir partager le regard de Dieu sur ses frères. c'est donc accepter l'intervention du Christ et partager avec nos frères son énergie dans la lutte contre le mal qui est en nous, permettre à Dieu de libérer en nous toutes les possibilités de pardon et d'amour, accepter d'être à son image.

              P. Bernard Bro, o.p

     

    A suivre... Le prochain post concernera l'examen de conscience. Ainsi se terminera, au seuil de la Semaine sainte, cette série tirée de ce livre du Père Bernard Bro, "On demande des pécheurs", livre réédité, à lire, à relire tant c'est profond. 

     

     

     

  • On demande des pécheurs 15

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [100]

    L'arbre tombe du côté où il penche

    (...) Il reste que nous avons besoin de savoir si nous avons vraiment choisi la miséricorde. Quel sera donc le signe concret, qui ne peut pas nous tromper, capable de 101 nous apaiser parce qu'il est plus qu'un signe, parce qu'il est la preuve  que la réalité est déjà là, que nous avons opté définitivement pour Dieu et pour le salut

    Le Christ ne nous a donné qu'une seule réponse : " Bienheureux ceux qui font miséricorde, car ils recevront miséricorde." " Bienheureux les miséricordieux." C'est parce qu'il a appris la compassion que le jeune fils comprend la miséricorde de son père, c'est parce qu'il aime qu'il peut comprendre  les raisons de l'amour. Ce n'est pas de l'ordre de l'idée seulement, mais d'une harmonie, d'un pressentiment, d'une connivence qui ne s'acquiert qu'en acceptant d'être blessé. On apprend la pitié que pas ses propres blessures. On ne peut donc aimer la miséricorde, et par conséquent la choisir, que  si on a avec elle cette affinité, cette connaturalité qui fait qu'on est soi-même miséricordieux. C'est pourquoi Notre Seigneur insiste : " De la mesure  dont vous mesurerez, on mesurera pour vous en retour " (Luc 6,38). Pour se servir de cette mesure-là, il faut être imprégné de miséricorde. " Je leur donnerai un seul cœur et je  mettrai en eux un esprit nouveau ; j'extirperai de leurs corps le cœur de pierre et je leur donnerai un cœur de chair, afin qu'ils marchent selon mes lois et qu'ils observent mes coutumes et qu'ils les mettent en pratique." (Ezéchiel 11, 19-20). Si la foi est "comptée comme justice", si elle sauve, ce n'est pas qu'elle dispense d'être bon (comme on a pu le faire dire à Luther), mais c'est parce qu'elle ne peut naître que de la bonté la plus fondamentale qui puisse jaillir d'un cœur humain, celle qui consiste à pressentir la tendresse de Dieu, parce qu'on est déjà investi de cette tendresse, de cette grâce. (...)

     102 Nous avons bien à choisir : être jugés ou bien être liquéfiés, " contrits " par la miséricorde qui nous mènera  103 bien plus loin que nous ne le pensons. On n'en finit jamais d'aimer, on n'en finit jamais de désarmer, et surtout de ne plus s'appuyer que sur cette miséricorde. Si nous sommes miséricordieux, Dieu à son tour, nous donnera sa miséricorde. L'enfer, c'est peut-être de chercher encore la justice.

    On ne croit pas à l'enfer à cause de la bonté de Dieu. Pourtant, si l'enfer n'existe pas, cela veut dire que Dieu ne nous prend pas au sérieux, qu'il ne nous laisse pas cette possibilité de faire un choix. (...) Celui qui ne veut pas de la miséricorde, ni de l'amour, celui qui veut de la justice aura sa justice et il risque  alors de demeurer seul et d'être confondu. Nous commençons à choisir la miséricorde tout de suite, dès maintenant, en face de nous-même et en face des autres, avant de le faire  en face de Dieu. L'arbre tombe du côté où il penche. Dieu nous respectera : si nous voulons être seul, il nous laissera seul.

    Sachons pressentir cette attente du cœur de Dieu partout présent dans l’Évangile et l'écouter : " Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite. Nombreux sont ceux qui ne comprennent pas la miséricorde, ils vont vers elle par la grande route où ils rencontrent la justice, c'est-à-dire qu'ils risquent leur perdition. Ne jugez pas, 104 et vous ne serez pas jugés. Si vous êtes jugés, vous êtes perdus. Votre seule chance c'est de ne pas être jugés, et je n'ai pas envie de vous juger. Si je vous juge, je suis obligé de vous juger selon la justice. Et selon la vérité, qui donc subsistera ? Si iniquitates observaveris, Domine, quis sustinebit ? Vous obstiner à croire que vous pouvez avoir affaire, si peu que ce soit, à la justice, c'est précisément une illusion de votre cœur de pierre, qui ne comprend pas qu'en face d'une douceur comme la mienne, avec votre dureté vous êtes déjà condamnés. Ma Sagesse clame au long des rues : efforcez-vous d'entrer par la porte étroite ; elle n'est pas difficile à franchir, mais à trouver. Cette voie est douce et délectable. Mon joug est doux et mon fardeau léger. Mais peu nombreux sont ceux qui l'acceptent. Leurs œuvres étaient mauvaises, ils ont préféré les ténèbres à la lumière. Si vous connaissez que vos œuvres sont mauvaises, vous trouverez la miséricorde. Elle vous dépasse, c'est cela même qui vous sauve. Si le cœur de Dieu était comme le vôtre, vous seriez perdus. Découvrez cela et vous êtes sauvés ! " 

    Mais il ne suffit pas de penser tout cela, il faut y croire... Et nous savons que seuls sont bienheureux ceux qui font miséricorde, parce qu'ils trouveront miséricorde. Alors il n'y a plus peur à avoir d'être jugé : puisque c'est à nous de choisir. 

                     P. Bernard Bro, o.p

    A suivre....

     

  • On demande des pécheurs 14

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [97]

    Justice et miséricorde

    (...) Bien sûr, nous sommes " pour " la miséricorde, elle nous arrange et nous sommes alors portés à penser que la miséricorde est pour nous, quitte à croire que la justice est un peu pour les autres. La miséricorde paraissant entrer dans notre jeu, nous croyons la choisir, alors que nous cherchons simplement à en profiter, à l'exploiter. C'est là qu'est le malentendu : la miséricorde de Dieu est douce, certes, et beaucoup plus douce que nous ne le croyons, mais elle ne fait pas notre jeu comme nous l'imaginons.

    Que veut dire exactement la miséricorde ? Cela veut 98 dire : un cœur qui se penche sur la misère ; être miséricordieux, c'est tenir la misère, le mal de l'autre parce qu'on l'aime, comme si c'était le sien. D'une part, cela suppose qu'on a reconnu vraiment sa misère, qu'on a accepté d'être entamé par elle ; et il ne s'agit pas du tout d'une simple faiblesse, d'une espèce de bonasserie ou d'une indulgence facile ; non, il s'agit de reconnaître la misère dans sa vérité. D'autre part, cela suppose qu'on accepte - non parce qu'on y est obligé ou forcé, mais parce que l'amour la crée - une proximité, une affinité, une compréhension telle que l'on ne peut plus échapper à cette misère. 

    Les esprits forts pourront toujours accuser ceux qui fondent leur vie sur la miséricorde d'être des victimes de leur faiblesse, de tricher avec la dureté de l'existence, de s'évader du vrai combat, de se détourner du quotidien, en un mot : de s'aliéner.

    Certes, on pourra toujours accuser quelqu'un qui fait confiance à un amour, de se rendre esclave de celui à qui il a remis sa confiance. Mais il ne se détourne pas pour autant de la réalité.

    Ce serait oublier l'incroyable rigueur de l'amour quand il s'agit de Dieu. C'est un amour qui commence toujours par faire la lumière, et une lumière de plus en plus absolue. C'est le contraire de l'esclavage. Le Christ renvoie les hommes à leur liberté, à la reconnaissance de la vérité, à la dignité d'être source, porteur, créateur de leur destin.

    Le Christ n'est pas plus venu remplacer les boulangers de Palestine, qu'il ne vient dans notre vie servir de bouche-trou à nos insuffisances. Il est le seul dont l'amour n'est accaparant que dans la mesure où il nous rend libre, pleinement libre. S'il nous recrée, c'est qu'il veut que nous voulions notre bien, sans jamais nous 99 enchaîner à une affectivité qui serait dévorante.

    Si l'on aime pas la miséricorde pour elle-même, indépendamment de ses bénéfices, on découvre ce paradoxe affolant qu'on est incapable de la choisir , même pour être sauvé. Car, si on veut la miséricorde " pour être sauvé ", c'est encore de la justice qu'on réclame. On exige encore une certaine justice, oh ! bien sûr, au nom de la miséricorde ! Mais on voudrait s'en tirer sans avoir besoin d'aimer, sans avoir besoin d'approuver cette dépendance par rapport à l'amour de Dieu. Choisir la miséricorde, c'est ce complaire dans le fait que tout dépend du bon plaisir de Dieu.

    On peut comprendre ici que ce choix de la miséricorde, avec tout ce qu'il implique en profondeur et dont nous venons de parler, est l'âme de cette attitude foncièrement justificatrice, c'est-à-dire qui sauve par elle-même, attitude dont nous parle l' Écriture, et qui s'appelle la foi, la confiance en celui qui nous aime. On est sauvé parce qu'on croit volontiers aux promesses de Dieu, parce qu'on les aime en elles-mêmes, parce qu'on est déjà harmonisé, en affinité, aimanté par la source de ces promesses qui est l'amour. Seul l'amour croit à l'amour.

    Prenons un exemple : un père a deux fils : l'un bon, l'autre méchant. L'expérience est, hélas ! fréquente entre 100 enfants, entre frères et sœurs, par exemple au moment d'un héritage, où certains sont, pour ainsi dire, spontanément accordés à un regard bon, et où d'autres sont toujours plus ou moins crispés ou durs. Or l'expérience nous montre bien que, des deux fils, le méchant s'est comme rendu incapable d'entendre le langage de la bonté parce qu'il n'a plus d'affinité a priori avec elle. Il ne peut comprendre la bonté de son père, il ne peut plus la " choisir " car, à ses yeux, cette bonté n'est que faiblesse ou sottise. Dans la parabole du prodigue, le père est obligé d'expliquer au fils aîné : " Si tu m'avais compris..." ; or, justement il ne peut plus comprendre.

    C'est le tragique de notre vie : nous pouvons nous rendre capables ou non de choisir. Et pour choisir la miséricorde, il nous faut désarmer constamment, croire et attendre l'impossible de l'autre, refuser de notre jugement, de notre idée qu'ils soient les seules mesures de la réalité. Il faut nous obliger à nouveau, en face de chaque être, à admettre que nous n'avons pas forcément raison.

    Voilà ce que veut dire la miséricorde, ce que veut dire aimer ; c'est avoir un cœur qui accepte  d'être " liquéfier ", comme disait le curé d'Ars, un cœur qui se refuse à juger, et qui désarme inlassablement.

    A suivre...

              P. Bernard Bro, o.p

     

     

  • On demande des pécheurs 13

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [82]

    Nous ne sommes pas seuls

    (...) Pourquoi est-ce que nous nous confessons si peu, et si mal, quand nous atteignons la maturité ? Pourquoi avons-nous tant de peine à découvrir que ce qui nous blesse est justement ce qui peut devenir la part bénie de notre vie ? Peut-être est-ce parce qu'elle nous ramène à la vérité ? 

    Ce que nous avons de plus à nous, qu'il s'agisse des hommes ou des peuples, la faiblesse... notre faiblesse. Ce n'est pas celle du voisin, mais la nôtre, notre part. Nous ne pouvons pas nous tromper, non pas forcément sur notre chute, mais sur le sens de notre fragilité. Ajoutons que nous ne fabriquons pas le pardon, c'est un autre qui nous le donne. Il nous faut apprendre à recevoir. Cela nous est dur d'accepter de recevoir un salut, une parole de bonté. Or, c'est peut-être par là que nous devenons un adulte : en acceptant dans la paix notre limite, et en consentant à recevoir un secours de celui qui peut nous aider, en admettant " de nous engendrer à la finitude ", comme disent les psychanalystes. Non seulement la faiblesse n'est pas insignifiante, mais elle est la part privilégiée de notre vie, c'est là le grand retournement chrétien : accepter de ne plus pouvoir nous passer d'un "autre", de Dieu. 

    Il faut, à la suite de David et du fils prodigue, reconnaître que le péché peut devenir utile, oui, " même le péché ". Ceci est proprement scandaleux. Le mal, le désordre et la rupture n'ont pas de sens en eux-mêmes. Ils sont atteinte, blessure, et on ne sait jamais à l'avance ce qu'il en résultera. Néron ne travaillait pas pour la gloire de Dieu. Il faut le dire, et ne pas tricher. 

    Ce scandale exprime bien la gravité du péché, même si, ensuite, la générosité et la bonté prennent le dessus. Pour beaucoup d'entre nous, y a-t-il d'autres voies moins illusoires vers Dieu ? 

    C'est peut-être seulement à cause du péché et de l'impasse 83 où il nous met que nous acceptons d'entrer dans un projet de vie qui nous dépasse : celui de Dieu-avec-nous : " Quand tu étais jeune, tu allais où tu voulais. Quand tu seras devenu vieux, un autre te mènera où tu ne voudrais pas " (Jn 21,18).

    (...) non seulement l'inévitable est désormais utile et part privilégiée de notre vie, mais nous ne sommes plus seuls en face de cet inévitable et du mal ; nous ne sommes plus solitaires en face de notre crainte et de notre détresse. Il tient à nous de le reconnaître ; et, du fait même que nous avons choisi la miséricorde et l'amour de Dieu, tout est déjà changé. Notre vie est une action à deux. Or nous y pensons toujours comme si nous étions seuls. La peur est justement le fait d'un homme seul. Et Dieu vient nous dire : " Mais non, j'étais là, je suis là." (...)  

    A suivre...

                       P. Bernard Bro, o.p

     

  • On demande des pécheurs 12

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [77]

    Voir ce qui est

    (...) En nous appelant à partager son amitié, Dieu ne nous appelle pas à l'illusion. Toute vie avec Dieu ne peut naître et exister que dans le désir de la lumière, parce que c'est une vie fondée sur un amour. Entrer en amitié avec Dieu, ce sera accepter qu'il prenne au sérieux l'éducation de notre bonheur et donc qu'il veuille nous faire sortir de l'illusion qui, à chaque instant, nous menace. Si le Christ, tout Fils de Dieu qu'il était, a commencé sa vie par la lutte, par le combat de la vérité dans les tentations au désert, et s'il l'a terminée par la bataille, par l'agonie, comment en serait-il autrement pour nous ?

    Il s'agit d'être réaliste. Le médecin, qui sait pourtant tout d'une maladie par ses symptômes extérieurs, a cependant besoin que le malade s'en explique, que le malade dise ce qu'il ressent, et qu'il en prenne conscience. 78 Que voulez-vous que fasse un médecin en face de celui qui ne veut pas se savoir malade ? Que peut faire un sauveur en face de celui qui ne veut pas sortir de sa prison ? Jamais le Christ ne cherche, dans ses rencontres avec les hommes, à dissimuler ce qui est faiblesse, péché, maladie. La première venue de Dieu dans une vie commence toujours par accroître la lucidité. Le Christ ne peut pas venir sans révéler ce qui est, simplement ce-qui-est. Comme la lumière, elle n'ajoute rien, mais elle fait voir la réalité. Il ne cache pas à la Samaritaine, à Pierre, à Marie-Madeleine, à Matthieu, au publicain, ce qu'ils sont : des êtres faibles et pécheurs. Quelle action de grâces qui est la sienne devant le centurion ou Zachée, quand ils acceptent la lumière ! Mais quelle déception devant les pharisiens qui ont des alibis !

    Le Christ n'est reçu que de ceux qui ont reconnu leur impossibilité à organiser seuls leur existence, c'est-à-dire de ceux qui ont admis que leur vie est dominée par la loi du péché et la loi du progrès. Nous ne sommes pas seulement des adolescents qui ont besoin d'apprendre à devenir des hommes, mais aussi des infirmes blessés, incapables, par conséquent, non seulement de trouver le salut, non seulement d'atteindre sans un long délai leur accomplissement d'une foi adulte, mais encore d'utiliser les moyens de leur guérison.

    Et Dieu pour nous guérir - merveilleuse délicatesse - propose de nous rééduquer, de nous sauver au cœur même de notre mal. Il ne tient pas compte du péché, il nous propose simplement de reconnaître, comme nous le pouvons, avec nos limites, ce qui a été. Reconnaître ce qui est, voilà l'aveu

    Dans la confession, Dieu nous demande simplement d'apprendre, en vérité, à quel point nous avons besoin de salut, car nous ne le savons jamais assez. Nous éduquer à voir ce qui est, voilà ce que vient faire la [79] confession. Et l'aveu nous oblige à faire naître en nous une humilité décidée à opérer des actes même peut-être très simples, aussi simples que, pour Naaman le général syrien, de se baigner dans le Jourdain, de se baigner dans la lumière de Dieu, de prendre Dieu et la vérité au sérieux.

    A suivre...

                  P. Bernard Bro, o.p

     

  • On demande des pécheurs 11

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [75]

    Levée d'écrou : Dieu vient nous sortir de notre prison

    Nous pouvons nous demander enfin : Pourquoi avouer, pourquoi nous torturer à nous souvenir de ce qui fait notre honte et notre gêne ? A quoi bon devoir expliquer notre péché, puisque Dieu le connaît ? Ce serait si simple de pouvoir lui dire : " Mon Dieu, voyez clair dans tout cela, moi je ne vois pas clair. et puis, pardonnez-moi." C'est vrai, la démarche de la confession est pénible. "Le seul fait de faire cette démarche couvre, parfois à elle seule, toute la peine du péché " dit saint Thomas d' Aquin.

    Dostoïevski raconte qu'en arrivant au bagne, il eut cette pensée : " Me voilà au bout du voyage : je suis au bagne ! Me voici au port pour de longues, très longues années. Voici mon coin ! J'y arrive le cœur broyé, plein d'appréhension et de défiance... Mais qui sait si, dans beaucoup d'années, au moment de quitter, je ne le 76 regretterai pas ! La pensée qu'un jour je regretterais ce lieu me remplissait d'une horreur angoissée." Or, pouvons-nous dire que nous savons à quel point nous sommes emprisonnés ? Et désirons-nous vraiment quitter nos prisons ? Il est en apparence tellement plus facile de s'en accommoder : " Au moment de le quitter, regretterai-je ce lieu ? " se demandait Dostoïevski, et pourtant c'était du bagne qu'il s'agissait. 

    Mais si fort est notre pouvoir d'aveuglement que nous nous habituons à tout. Dans l'étonnant dialogue inventé par Eschyle entre Prométhée et les filles de l'Océan, nous entendons la surprenante réponse du demi-dieu, crucifié sur son rocher, aux filles qui l'interrogent sur le plus grand don qu'il a fait aux hommes. Prométhée, enchaîné, énumère tout ce qu'il a fait de bien pour les hommes. Il leur a donné le feu qui a permis la fabrication des instruments du travail ; d'où est né l'intelligence technique, et par la suite la civilisation. " Mais, dit-il, je leur ai donné quelque chose de bien plus grand encore : je leur ai donné l'illusion qui leur fait oublier la mort et les fait vivre sans souci de leur véritable destin. " Et les filles de l'Océan approuvent : " Oui, tu as fait aux hommes un très grand don ".

    On nous répète que les sacrements nous donnent la vie même de Dieu, que les sacrements nous rendent maîtres de notre salut dans un admirable échange. Certes, mais à quoi bon, si l'on oublie que nous avons besoin en même temps d'être guéri de nos aveuglements, et que notre première difficulté est de sortir de notre état de malade et d'adolescent ? A quoi bon la liturgie, la pratique, les sacrements s'ils nourrissent en nous une autre sorte d'illusion... Or, justement, par la confession, il nous est proposé de sortir des prisons où nous tiennent nos illusions, nos habitudes et le poids de nos fautes. Mais elle ne le peut 77 qu'à une condition, en nous révélant la vérité. Si les sacrements sont toujours une action à deux, un dialogue, cela veut bien dire que le Christ, dans ce dialogue, nous renvoie toujours à notre conscience, ou plus exactement que le Christ a assez d'estime pour nous rendre responsables de faire la vérité. Il nous juge, en effet, assez dignes d'entendre des questions plus profondes que nous le pensions. Ces questions, imprévisibles parfois, vont nous obliger à aller plus loin dans la lumière, à voir toutes les méprises que nous commettons par rapport à notre conscience, à notre parole. La Parole de l'Autre, du Christ, n'a pas d'abord pour but d'arranger les choses, de nous bien entendre, mais de nous faire aller plus loin pour pouvoir porter les vraies questions de notre vie.

    A suivre...

                  P. Bernard Bro, o.p

     

  • On demande des pécheurs 10

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [73]

    Pourquoi se confesser à un homme (suite)?

    (...) Il serait séduisant, et de fait, paraîtrait plus beau en un sens, que le salut dépende de la sainteté ou de l'intelligence du prêtre. Cette solution serait en réalité terriblement  cruelle, soit pour le prêtre, soit pour le fidèle. Nous ne sortirons jamais du dilemme du tout ou du rien : ou bien des prêtres parfaits, ou bien personne qui puisse nous sauver. C'est bien ainsi que, trop souvent, chrétiens, nous imaginons l’Église, nous coupant du médecin parce que le pharmacien ne nous plaît pas.

    En fait, Dieu a remis le salut aux mains de notre liberté, liberté de donner, liberté de recevoir, et non pas aux mains de notre sainteté. Ce qui rend l’Église odieuse parfois aux yeux de certains est justement ce qui nous sauve : à savoir que l'absolution est toujours une absolution, quel que soit l'état d'âme de celui qui la donne. Car celui-ci, s'il n'est pas toujours, ou pas forcément en amitié avec Dieu, est toujours libre de vouloir, au moins, bien faire pour les autres, au moins vouloir transmettre le salut. Si Dieu lui demande beaucoup pour son propre salut, il lui demande très peu pour le salut des autres. " Pierre baptise ? C'est le Christ qui baptise. Paul baptise ? C'est le Christ qui baptise. Judas baptise ? C'est le Christ qui baptise" (St Augustin). On doit dire la même chose du pardon. La miséricorde [74]  de Dieu ne supporte pas que le salut de l'humanité soit mesuré par le poids de sainteté ou de médiocrité des hommes. S'il y a pour nous une invitation à adorer la miséricorde, c'est là qu'elle se trouve.

    En effet, si quelqu'un avait le droit d'être puriste et de ne pas tolérer que le salut soit administré indignement, c'est bien Dieu. Et il ne l'aurait pas toléré, s'il avait aimé ce qu'on appelle - hélas ! très mal - sa "Gloire" avant d'aimer les pécheurs. Ou, plus profondément, si la Gloire de Dieu avait été celle de sa pureté, au lieu d'être celle de la miséricorde. Or sa miséricorde veut précisément que le salut soit offert aux hommes même indignement plutôt que de ne pas l'être du tout.

    " Je vous sauverai n'importe comment, mais je vous sauverai. " Après maints passages des évangiles, n'est-ce pas le cri de l'épître aux Hébreux ? A moins de n’accepter pour prêtres que des êtres de cristal, et non pas des êtres de chair et de sang, il fallait choisir en effet entre la remise du salut au compte-gouttes par des êtres aussi rares que les héros de la charité, ou bien la distribution du salut littéralement par n'importe qui, pourvu que le prêtre accepte d'être choisi pour cela. Et ce consentement, s'il est donné loyalement, est d'ailleurs le gage le plus profond qui puisse être donné à l'homme, au prêtre lui-même : qu'il parviendra lui aussi à la sainteté à travers les vicissitudes de sa misère. 

    Accepter le dessein de Dieu, le salut de Dieu, le pardon de Dieu, dans ces dispositions infiniment douces pour notre faiblesse et infiniment révoltantes pour notre orgueil, c'est peut-être en fin de compte la seule condition de notre salut par la confession.

    A suivre...

                  P. Bernard Bro, o.p

  • On demande des pécheurs 09

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [68]

    Pourquoi se confesser à un homme ?

    (...) Pourquoi nous accuser de péchés que nous connaissons trop à quelqu'un qui ne sait rien de nous-même ? Et nous éprouvons souvent ce décalage, en effet, entre les idées d'un prêtre - trop rigide ou trop strict à nos yeux, ou bien, au contraire, trop large - et nous, pénitent qui, de notre côté, essayons de nous adapter, d'arranger nos fautes en fonction de cet homme. Que répondre s'il nous dit, par exemple, en face de tel aveu qu'il est capital, alors que pour nous cela nous apparaît sans importance, ou bien l'inverse ?

    Certes, le confesseur reste un homme, capable de bien des erreurs... qui font sourire quand elles ne sont pas douloureuses : une grand-mère s'entendra recommander d'être sage en classe, ou bien une veuve de bien accomplir son devoir conjugal... On peut multiplier les exemples ; ils restent à la surface.

    [69] La réponse tient en cette découverte que le prêtre est là pour nous rappeler ce qui est le plus difficile à croire dans notre vie, que nous sommes aimés. En effet, si Dieu a pris un visage, s'il est venu à Noël, s'il est venu pleurer avec nous, s'asseoir avec nous à la table de la paix, c'est pour la même raison que le prêtre est là : pour nous redire que le Christ nous aime assez pour que nos péchés n'existent plus. Alors, au-delà de la fatigue du prêtre, ou de son incompréhension, au-delà de ses limites ou des pauvres clichés qu'il a à offrir  à celui qui vient le trouver, pourquoi ne pas lui redire de temps en temps que nous venons chercher la paix de Dieu , la lumière de l’Évangile dont nous avons besoin ? Le prêtre et le chrétien sont ensemble, à genoux devant la même croix, celle du Christ, demandant ensemble, l'aide de Dieu.

    (...)

    [70] Peut-être est-on bien persuadé dans l'abstrait, que Dieu est tout-puissant, fort, bon, éternel, provident, mais par la confession, on va le découvrir expérimentalement, concrètement. On peut enfin savoir comment Dieu est un autre, en vivant une action commune avec lui.

    Que Dieu est tout, bien sûr nous sommes bien obligés de l'admettre, s'il est Dieu. Mais il s'agit de nous convaincre qu'un dialogue est alors possible avec lui. Il s'agit d'être assuré, de façon concrète, précise, que cet " Autre " existe pour nous - certes infiniment proche et infiniment différent, en même temps. Voilà pourquoi la confession nous est proposée, et si l'on ne se confesse [71] plus, on en arrive un jour fatalement à la conclusion que nous n'existons pas pour Dieu.

    Alors, si nous existons, et si nous agissons, il faut en conclure que Dieu compte sur ce dialogue, sur cette action, qu'il en a besoin et qu'il ne peut plus faire sans nous ce qu'il a décidé de faire avec nous. (...)

    A suivre...

    P. Bernard Bro o.p

  • On demande des pécheurs 08

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [65]

    De naissance en naissance

    (...) Chaque fois que nous nous confessons commence quelque chose d'absolument nouveau : une visite de Dieu, une nouvelle naissance. Il s'agit bien d'un commencement absolu, et s'il faut recommencer, ce n'est pas parce que nous sommes revenus en arrière - encore [66] que cela arrive - mais parce que nous nous acheminons peu à peu, de commencement absolu en commencement absolu, jusqu'à l'irruption définitive de la vie éternelle en nous. 

    Se confesser, c'est opérer une conversion de soi irréversible, mais l'opérer de façon telle qu'elle ménage notre fragilité et nous permette de parvenir peu à peu à ce degré d'amour et de lucidité où tout devient irréversible. Les sacrements ont un caractère à la fois discontinu et progressif.

    La confession est là pour nous "apprivoiser" progressivement à la rencontre, à la vie, à l'amour de Dieu, jusqu'à ce que la mort nous fasse entrer, d'un coup, et d'une manière définitive, dans cette lumière. Et c'est pourquoi, ici-bas, il faut toujours recommencer, non parce que cela a été mal fait ou annulé par nos fautes, mais parce qu'il nous reste encore à grandir. Il ne s'agit pas ici de grandir à partir d'une naissance qui ne peut être renouvelée, mais, en quelque sorte, de grandir par des naissances successives de plus en plus fréquentes, d'approfondir la rencontre, de la rendre plus "opérante", plus vraie, plus efficace.

    "C'est quand on se convertit au Seigneur que le voile tombe. Et quant à nous, reflétant tous sur un visage sans voile la gloire du Seigneur, nous sommes transformés à la même ressemblance, de gloire en gloire, comme par l'action du Seigneur qui est Esprit." (2 Co 3,16-18)

    Tout nous est donné chaque fois, toute la vie divine et les énergies sans limite du Christ ; et en même temps, tout est proportionné, comme le pain et le vin, viatique proposé pour une étape nouvelle.

    Il ne suffit pas de nous donner un remède ou une nourriture si nous ne savons pas l'utiliser. C'est pourquoi nous recevons quelqu'un qui commence par nous [67] réconcilier avec cette condition humaine et qui nous aide, par sa lumière, à comprendre combien il est normal de tout recommencer chaque jour avec lui. Dieu vient lui-même nous rendre courage et nous aider à croire que le progrès est possible. Dieu lui-même, dans chaque sacrement, et spécialement la confession et l'eucharistie, vient nous redire ce qu'aucun homme ne peut dire  et que l’Église proclame solennellement sur les fonts baptismaux dans la nuit de Pâques : désormais par les sacrements une jeunesse éternelle nous est donnée.

    A suivre...

                                              Père Bernard Bro, o.p

     

  • On demande des pécheurs 07

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [58]

    Le sens du péché n'est pas naturel

    (...) Le sens du péché, contrairement, à ce que nous pensons, n'est pas naturel. De même que l'amitié n'est pas facile (les amitiés de collège qui nous paraissent simples et, pour ainsi dire, éternelles, qu'en reste-t-il parfois, parvenus à l'âge adulte ?)

    Il en est un peu de même pour le sens du péché : on penserait volontiers qu'après avoir éprouvé cette mauvaise conscience du "péché", elle s'est peu à peu usée, [59] affadie, et qu'un jour on s'en est débarrassé. Mais a-t-on vraiment eu cette conscience, ou, plus exactement, n'a-t-on pas développé simplement en nous une loi, un règlement ? Et le péché se réduit alors à n'être qu'une transgression, un manquement à la loi ; la loi n'ayant plus de sens, la conscience du péché disparaît du même coup.

    Or, ce qui définit le péché est beaucoup plus profond, nous l'avons vu plus haut, ce n'est pas seulement une loi, un règlement, mais une lumière. C'est en face de la lumière que je me reconnais pécheur, lumière qui me fait découvrir le meilleur, le vrai, l'accomplissement de ce que je peux et dois faire. Or cette lumière est désirable puisqu'elle est liée  à mon bonheur, à mon achèvement. Elle devient bien la " règle " de ma conduite, mais dans un tout autre sens : c'est en effet  elle qui me permet de pressentir quelle serait l'unité réelle de ma vie, c'est elle qui me donne  le pouvoir d'établir une hiérarchie entre tous mes désirs.

    Ainsi, pécher ne consiste pas d'abord à " sortir "  d'un règlement, mais plus profondément à ne pas vouloir entrer dans cette " loi ", à ne pas vouloir chercher cette lumière, du fait que je me laisse solliciter par d'autres lueurs. Je garde le terrible privilège de la liberté humaine, le pouvoir de dire non à la sollicitation du meilleur, et donc du vrai.

    Ajoutons, et nous y reviendrons, que cette lumière n'est pas naturellement à notre portée, si Quelqu'un ne nous la redonne chaque jour : le Christ. Si le péché se réduit à n'être qu'une transgression, bien sûr, nous en perdons le sens. Mais il est une trahison, et c'est tout autre chose. Or les ennemis ne trahissent pas, il n'y a que les amis qui puissent trahir. Imaginons la femme adultère de l’Évangile, en face [60] du Christ. Il lui pardonne tout, il la rétablit en pleine confiance, il la protège contre elle-même et contre les autres. Supposons que cette femme s'en retourne en riant du Christ, revenant à sa faute : voilà une trahison, voilà le péché. (...)

    [61]

    On recommence toujours

    Nous recommençons toujours, alors à quoi bon ? Pourquoi nous présenter régulièrement au confessionnal, telle cette vieille dame du film, qui s'entend répondre : " Alors, mon enfant, ce sera comme la dernière quinzaine ? " Un peu comme un épicier qui dirait : " Ce sera tout pour madame..." Pourquoi une confession de consommation ?

    C'est vrai, nous recommençons. Je recommence tous les hivers à avoir de la sinusite ou à ressentir des rhumatismes. Certes, ce ne sera jamais la même sinusite , ni les mêmes rhumatismes ; de même que je ne recommence pas les mêmes actes, mais c'est bien aux mêmes penchants que je suis soumis. Et voici que la confession va nous aider à admettre la première condition de vérité de notre vie, et à l'admettre comme une chance et non comme un esclavage, à savoir que nous sommes dans un régime de vie où les [62] choses se répètent. Le refuser, c'est refuser de vivre. C'est vrai qu'il est parfois pesant de recommencer le planning de son travail, de refaire mille gestes quotidiens, de subir la répétition des mêmes répétitions. Et nous n'avons pas envie de nous l'entendre dire.

    Loin de nous faire sortir de cet état, la confession nous y maintient. Si nous sommes vrais, elle ne nous gratifie pas d'une bonne conscience factice, au contraire, elle nous introduit dans le dénuement et nous apprend notre pauvreté. Mais elle nous livre  en même temps la chance de notre vie : une présence et une fidélité indéfectibles en face de cette répétition et de cette lassitude, celle du Christ.

    En nous confessant, nous acceptons de mener notre vie comme une action à deux, dont l'un des partenaires, le Christ, n'est pas soumis au changement, à la fragilité, à la fatigue, à la brisure du temps. Avec lui, notre existence a enfin de quoi échapper à l'univers cassé de la répétition.

    Nous imaginons spontanément que la confession est tournée vers le passé, et qu'il s'agit d'abord de nous débarrasser d'un malaise et de blanchir un passé. Mais la confession est là aussi pour nous faire prendre vigueur en face de l'avenir, elle est surtout le sacrement de l'avenir, de la responsabilité, de la possibilité de refaire l'unité de sa vie. Nous venons prendre un peu de force - celle du Christ - pour, éventuellement, un peu moins recommencer. " C'est par la constance que vous sauverez vos âmes"

    Toujours recommencer, cela signifie-t-il ne faire aucun progrès ? Car nous envisageons volontiers notre vie [63] et le progrès à la façon des architectes et des entrepreneurs : d'abord les fondations, puis le rez-de-chaussée, les étages et enfin le toit. Ainsi le baptême ou la conversion seraient les fondations établies de manière définitive, et une fois posées, il n'y aurait plus qu'à s'occuper d'autre chose. Or la confession nous propose une progression dont l'essentiel est de recommencer toujours la même chose : renouveler périodiquement l'aveu des mêmes péchés.

    Le progrès à la manière de l'architecte est-il concevable dans la vie que Dieu nous propose de partager avec lui ? S'il s'agit de recommencer toujours la même chose, comment pouvons-nous donc parler de progrès ? Eh bien, oui, c'est peut-être la confession qui va  nous obliger à changer radicalement d'idée sur le progrès de notre vie. En effet, un jour on commence à pressentir que tout est réclamé du chrétien, immédiatement, et que la vie chrétienne ne consiste pas en une succession de progrès quantitatifs, qu'il ne s'agit pas d'accomplir une série de devoirs, l'un après l'autre, et dont on pourrait ensuite se croire déchargés, mais bien de les accomplir tous de mieux en mieux. On comprend alors que Dieu nous propose et nous demande un seul mouvement, celui qui consiste à se  jeter en lui " en toute confiance" "par le chemin de la foi au christ ". Une fois qu'on a découvert ce qu'est ce mouvement de conversion, de mort et d'amour, on peut dire que l'on tient tout. C'est seulement une disposition très simple : " aimer ", une attitude d'âme qui entraîne " automatiquement ", si l'on peut dire, les dispositions connexes : mettre sa confiance en Dieu, s'occuper des autres, être patient, etc.

    Nous voudrions bien nous convertir en entier pour toujours, comme on quitte une pièce pour rentrer dans une autre, et qu'il n'y ait plus aucun moyen de revenir sur notre état antérieur. C'est un peu ainsi que nous [64] verrions le mariage, la vie religieuse, à la manière d'une consécration irréversible - et elle est bien ainsi dans l'invisible. Mais cet état de don, de disponibilité totale, irrévocable, est celui des bienheureux [les "bienheureux" désignent les défunts qui sont "au ciel"] et non celui des hommes qui doivent toujours recommencer, répéter, ainsi qu'un plongeur qui s'exerce indéfiniment et renouvelle le même geste pour qu'il devienne enfin naturel et non pour acquérir on ne sait quelle perfection artificielle. 

    Pour le paralysé qui réapprend à marcher, les premiers pas seront plus volontaires, compliqués et laborieux que la démarche simple et naturelle  à laquelle il parviendra à force de répétitions. Voyez les enfants handicapés : ils savent bien quelle confiance, quelle patience leur sont nécessaire pour parvenir , à force de séances de rééducation, à se servir de nouveau, du membre qui a été atteint. Eux savent bien que recommencer toujours peut avoir un sens, que leur effort, jour après jour, fait tout changer.

    Et l'on demandera alors : une fois que l'on s'est remis à Dieu, que reste t-il à faire ? Eh bien, il faut recommencer puisque nous ne sommes pas des anges, et qu'en nous [65] remettant à Dieu une fois, nous ne pouvons pas avoir la lucidité, la profondeur  et le dépouillement nécessaires pour qu'il ne soit plus besoin d'y revenir.  Il n'y a  jamais rien d'autre à faire  que ce qu'on a déjà fait : la lumière  a fait irruption dans les ténèbres, il faut que toujours aussi brusquement, mais de mieux en mieux,  et de façon de plus en plus définitive, la même lumière éclaire les mêmes ténèbres. La confession est ce moyen indispensable de répétition et de rééducation.

    Cependant, il faut bien reconnaître - et accepter - que les échecs, les difficultés sur lesquels nous butons de façon habituelle n'en serons pas, dans la pratique, résolus pour autant. Il nous sera toujours difficile, et même souvent presque impossible, de supporter telle personne, de résister à telle tentation, ou de ménager chaque jour dans notre temps un moment pour la prière.

    C'est pour un tout autre progrès que nous vivons : celui de ce moment, toujours le même, qui nous a fait passer de la mort à la vie, mais qui ne nous a pas fait encore suffisamment passer de la même mort à la même vie. La sainteté n'est rien d'autre que ce passage  qui s'accomplit de soi en un clin d’œil, qui est déjà accompli pour nous mais qui, à cause  de la nature humaine, ne l'est pas encore assez. Hélas ! nous ne sommes ni François d'Assise, ni Charles de Foucault, ni saint  Augustin.

    A suivre...

                                           Père Bernard Bro, o.p    

     

     

  • On demande des pécheurs 06

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [47]

    Au retour du fils prodigue : colère, justice ou pardon ?

    Au retour du fils, nous imaginons le père réagissant tout autrement, par la colère, par exemple : 

    - Tu n'as eu que ce que tu as voulu.

    Tandis que, devant l'injure du départ, la double injure de la rupture et de l'exigence du partage, devant tant de ressources perdues - " Il a dévoré ton bien avec des femmes " - le fils aîné proteste et dans sa colère refuse de rentrer dans la maison. réaction normale : la colère devant le gaspillage.

    Une autre attitude aurait été la justice :

    - Tu paieras ce que tu dois, travaille, rembourse en travaillant.

    Et c'est d'ailleurs ce que le fils lui-même imagine. [48] Des amis m'ont raconté l'histoire suivante qui leur avait été arrivée dans le maquis du Vercors. Un des Français, dans le petit groupe de résistants où ils se trouvaient, les avait dénoncés aux Allemands - sans qu'on ait jamais su exactement pourquoi, sans doute pour de l'argent - et, par sa faute, plusieurs partisans tombèrent dans une embuscade et furent tués. Lorsqu'il revint dans le groupe, ses camarades décidèrent, puisque des hommes étaient morts à cause de lui, qu'il avait mérité la mort. Mais comme il était chrétien, ses compagnons passèrent la nuit en prière avec lui et, au petit matin, ils le fusillèrent. C'était justice, justice humaine, terrible.

    Il y a une troisième attitude que, d'instinct, nous attribuons au père de la parabole et, ce faisant, nous la vidons de son sens. Nous assimilons volontiers cette attitude à celle de Dieu dans la confession. Ce n'est ni la colère, ni la justice, mais le pardon. Nous croyons avoir ainsi tout dit de Dieu, mais c'est alors que nous trahissons peut-être le plus cette page qui est bien le cœur de l’Évangile.  En effet, celui qui pardonne n'est pas forcément touché par son geste, il oublie, il tourne la page : " Bon, n'en parlons plus." Il se débarrasse du souci et, en même temps il se débarrasse de l'autre.

    Le père n'agit pas ainsi.

    Que lisons-nous dans la parabole?

    "Comme le fils était loin, son père l'aperçut [49] et fut bouleversé de compassion ; il courut se jeter à son cou et l'embrassa longuement." Ce qui veut donc dire que, chaque matin, le père l'attendait, et lorsqu'il l'a vu, c'est lui, le père, qui court se jeter dans les bras de son fils. Pour le père, pour Dieu, le péché n'existe pas, il est à l'avance plus que pardonné, il n'existe plus. C'est pourquoi le père n'écoute pas les excuses de son fils, il l'interrompt et dit à ses serviteurs  :

    - Vite, apportez la plus belle robe, mettez-lui un anneau au doigt, l'anneau étant le signe de l'égalité, mettez-lui des chaussures aux pieds, le signe de ceux qui ne travaillaient pas ; amenez le veau gras, on ne pouvait faire mieux.

    On assiste ainsi à un retournement extraordinaire : comme si le dénouement de la parabole n'était pas en proportion des deux premières parties. Le père semble à tel point subjugué par deux sentiments : la joie et la miséricorde, qu'il paraît  ne plus se posséder.

    Dans l'ancienne alliance, Dieu tournait le dos aux pécheurs, qui devaient lui demander de se retourner. Avant cette prédication du Christ, on pouvait croire que le pardon libérait le pécheur, sans que celui qui pardonne soit nécessairement touché par son geste. Or, ici, le Christ vient nous dire qu'en face du pécheur, l'attitude de Dieu est celle de quelqu'un qui est plus malheureux que le pécheur. Dans l'ancienne conception du pardon, Dieu donnait au pécheur ; dans la parabole, le fils donne quelque chose à son père, il lui enlève un malheur, il le soulage, c'est le père qui est libéré. C'est toute la révélation chrétienne : la première victime du péché n'est pas le pécheur, c'est Dieu, c'est Lui qui est d'abord atteint par nos infidélités.

    Le fils espérait au maximum le pardon ; et en pensant à ce pardon, il croyait avoir tout dit de son Père. Or, au retour, c'est la joie du Père qui apparaît [50] infiniment plus grande. Dieu peut enfin de nouveau être Dieu pour nous. Le Père peut enfin être Père. Le Père va pouvoir aimer : c'est cela qui est d'abord mis en avant, et non pas d'abord, que le fils ne sera plus malheureux. Ainsi de chaque "absolution" : le Père a ce mouvement, il attend, tout est déjà oublié.

    C'est bien la joie personnelle du Père qui est mise en avant dans la parabole, pour nous amener à pressentir à quel point la " loi " de Dieu (si l'on peut dire) est  un incoercible besoin d'aimer et que Dieu n'est Dieu que si on lui permet d'aimer. Ainsi nous découvrons une (...) conception [plus profonde] du péché. La faute consiste à empêcher la présence totale de Dieu à l'homme, le partage absolu, elle consiste finalement à empêcher Dieu d'aimer, à empêcher Dieu d'être père, en refusant d'être fils.

    Toutes les religions essaient bien de rendre Dieu favorable à l'homme ; ici, le Christ enseigne qu'il s'agit non pas de rendre Dieu favorable, mais de rendre Dieu libre de nous aimer, comme il aime en lui-même, en acceptant réellement d'être objet de son amour. " Scandale pour les juifs, ineptie pour les païens ", dira saint Paul. Ainsi saint Pierre, au matin de sa trahison, découvrant tout à coup le visage du Christ, aura, comme David, à la fois la révélation de ce visage, et celle du mal que le péché avait fait.

    A suivre...

                                        Père Bernard Bro, o.p

     

     

  • On demande des pécheurs 05

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [43]

    Le fils prodigue.

    Si tu m'avais compris

    Peut-être avez-vous rencontré ce livre dans lequel ont été regroupés ce qu'on a appelé " Les mots de la fin ", c'est-à-dire les dernières paroles de tel ou tel personnage, poète, politique ou saint. Nous avons tous en tête les dernières paroles de Thomas More ou de Thérèse d'Avila. A côté de ces " mots de la fin ", on a eu l'idée de demander à certains hommes vivants ce qu'ils feraient s'il leur restait un quart d'heure à vivre. Les réponses sont, elles aussi, très significatives. " En tout le reste il peut y avoir du masque... Mais à ce dernier rolle de la mort et de nous, il n'y a plus qu'à faindre, il faut parler françois, et faut montrer ce qu'il y a de bon et de net dans le fond du pot " (Montaigne, I, XIX).

    Que souhaiterions-nous vraiment en ce dernier quart d'heure, si ce n'est retrouver d'abord la miséricorde de Dieu, être mis sur le chemin de cette miséricorde. Bien des pages d'évangile nous y aiderait mais l'une de celles qui le ferait sans doute le mieux serait la parabole de l'enfant prodigue.

    Si David nous montre comment Dieu répond à l'homme, la parabole de l'enfant prodigue complète [44] cette réponse. N'oublions pas qu'elle fut prononcée devant saint pierre et Judas. Si Dieu s'est révélé à David dans ses larmes, c'est en face du visage du Christ que saint Pierre a pu comprendre jusqu'où allait et l'amour de Dieu et son péché.

    Nous appelons, depuis toujours, cette parabole la parabole de l'enfant prodigue, ou encore le fils perdu et le fils fidèle. Mais son titre n'est peut-être pas le bon, puisque nous la désignons par le nom de celui qui n'est pas le personnage central. Dans certaines langues étrangères, on la nomme avec justesse : " la parabole du Père ". C'est en effet, le père qui est au centre, c'est lui qu'on nous décrit.

    " Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : Père, donne-moi la part de fortune qui me revient... Le plus jeune fils, rassemblant alors tout son avoir, partit pour un pays lointain et y dissipa tout son bien. Quand il eut tout dépensé, une grande famine survint et il commença à ressentir la privation...et il en fut réduit à garder les pourceaux et à manger des caroubes ou des glands. Rentrant alors en lui-même, il se dit... je veux partir, retourner vers mon père et lui dire : Père, j'ai péché contre le ciel et contre toi ; je ne mérite plus d'être appelé ton fils, traite-moi comme l'un de tes journaliers. Il partit donc et s'en retourna vers son père."

    L'histoire alors se retourne : " Comme il était encore loin, son père l'aperçut et fut touché de compassion ; il courut se jeter à son cou et l'embrassa longuement ", il ne lui laissa même pas achever son petit discours et le reçut avec les habits, l'anneau et les souliers réservés au prince et dit : Amenez-moi le veau gras, tuez-le... car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie..."

    Puis, nouveau retournement : le fils aîné, resté fidèle, [45] rentra des champs et, ne comprenant pas, se mit en colère en refusant d'entrer. Son père lui dit alors : " Si tu m'avais compris... tu te réjouirais, car ton frère, qui était mort, est revenu ".

    Cette parabole a été dite quelques mois avant la Passion. Le retour de l'homme à son Père et l'amour de Dieu pour l'homme y sont annoncés. C'est pour accomplir cette page que le Christ est mort. Il a préféré mourir plutôt que de la voir arrachée de l’Évangile. Elle a été proclamée devant les pharisiens qui n'en voulaient pas. Notre Seigneur y livre, avant de mourir, son secret le plus important : celui de son Père.

    Il y a là une nouvelle conception du péché, une nouvelle attitude de Dieu par rapport aux pécheurs. Cette page nous conduit au " trop grand amour " dont parle saint Jean. Malgré son aspect très humain, elle nous amène à quelque chose d'incompréhensible  où notre esprit risque, il est vrai, d'être mal à l'aise, car nous avons du mal à voir comment ce qui nous est enseigné ici manifeste le plus Dieu, comment la miséricorde " révèle Dieu ". C'est un mystère, le mystère propre de Dieu. 

    Et cependant nous sentons tout le réalisme, toute la chaleur humaine contenue dans cette page. Le Christ a choisi ce drame familial et nous avons le droit d'affirmer qu'il a consacré, pour ainsi dire divinisé, cette souffrance humaine. En choisissant la situation de cet homme, de ce père, pour livrer  le secret de Dieu, le Christ a montré la prédilection de Dieu pour ceux qui subissent cette épreuve. 

    Cette réalité est impossible à exprimer en termes humains. Les mots et les expériences sont insuffisants, ils doivent avouer leur impuissance. C'est pourquoi [46] le Christ procède par opposition entre ce qu'aurait été une attitude humaine normale et l'attitude du père de la parabole.

    A suivre...

                                          Père Bernard Bro, o.p

     

     

     

     

  • On demande des pécheurs 04

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [21]

    Peut-on commencer autrement que par l'angoisse ? L'histoire de Paul Domanski.

     

    Passant une  année en Allemagne après la guerre, l'un de mes confrères m'a rapporté l'histoire que voici.

    Un ouvrier qui était prisonnier est rapatrié en 1948. Il est horloger de profession, mais il ne peut pas retourner près de sa famille parce que celle-ci habite de l'autre côté de la nouvelle frontière. Il essaie de passer la frontière pour rentrer chez lui, il essaie de passer plusieurs fois, mais sans succès. Et comme l'horlogerie est un excellent métier, Paul Domanski, c'est son nom, pourrait trouver beaucoup de travail car partout les horlogers sont heureux qu'il vienne leur offrir ses services. Un point noir, cependant, il n'a pas d'autorisation de séjour, puisque son lieu de résidence familiale est de l'autre côté de la frontière. " L'avez-vous ? " lui demande chaque horloger, mais Domanski ne l'a pas. Il fait les démarches pour l'obtenir et c'est là que commence son histoire. A l'Office du travail, on lui demande : " Avez-vous une autorisation de séjour ? - Non. - Alors, lui dit-on, adressez-vous au service du Logement." Au service du Logement, on lui demande : " Travaillez-vous ? Apportez-nous un certificat de travail." Pour [22] pouvoir travailler, il faut une autorisation de séjour ; pour avoir l'autorisation de séjour, il faut un certificat de travail.  Alors Domanski fait la navette, c'est partout la même chose : office du Travail, service du Logement, service du Logement, office du Travail. Il court  les routes, passe de ville en ville, sa volonté s'use. Les fonctionnaires restent inflexibles. Travail, autorisation de séjour, autorisation de séjour, travail. 

    Un soir de novembre, il est de nouveau à Francfort. Il veut passer la nuit dans la salle d'attente de la gare, mais il se fait expulser car il n'a pas de billet de chemin de fer. Il demande asile, rien à faire. Alors sa patience est à bout. Il demande ce qu'on fait de ceux qui n'ont pas de papiers. On lui répond qu'on les met en prison. Domanski prend alors ses papiers et il les déchire. Stupéfaits, les employés lui font simplement remarquer qu'il a déchiré un papier qui est la propriété de l’État.

    Domanski alors se rend, demandant qu'on l'arrête car il n'a pas de papiers d'identité. Les employés discutent et, finalement, on l'emmène jusqu'à un grand bâtiment où un homme  le reçoit amicalement, puis le conduit dans une vaste pièce claire qu'il referme. C'est la clinique pour maladies mentales.

    Domanski, en racontant lui-même son histoire, concluait : " Moi, je te le dis, on finira par en crever tout doucement, ils m'ont cru fou, mais je te le demande : qui est le plus fou là-dedans, moi ou les autres ? "

    Alors qu'il n'y peut rien, Domanski se trouve projeté dans une situation où il a perdu l'essentiel : son identité. Or, par le péché, nous créons dans l'univers spirituel une situation analogue. Celui qui a commis une faute [23] et se reconnaît responsable, mais ne sait pas quelle issue, quelle solution trouver pour sortir de cet état, n'est-il pas dans une situation analogue à celle de Domanski ?

    Qui pourrait prétendre que, dans sa vie, le péché , ou simplement la découverte de sa possibilité de pécher, c'est-à-dire de sa fragilité, ne l'a pas amené à un certain désarroi, ne l'a pas mis dans un état proche de cet homme qui ne sait plus où est son vrai lieu de séjour, sa fonction, son travail. Qui prétendrait que l'échec ne l'a pas obligé à cette question : où sont mes vrais points de repère, où sont mes enracinements, où sont mes vraies raisons d'exister ? Et il se pourrait que l'angoisse soit, non seulement normale, mais le lieu de départ de la recherche de notre identité, et que cette recherche ne finisse jamais tant que  nous n'aurons pas trouvé le seul visage qui puisse nous dire finalement qui nous sommes : c'est-à-dire  le visage  du Fils de Dieu, le visage du Christ.

    L’Évangile nous compare à une brebis perdue. Mais pourquoi refusons-nous donc vraiment de nous considérer dans cet état ? Nous en fuyons l'idée, car c'est vrai, il est angoissant d'avoir perdu son chemin, même si ce n'est pour un temps. Et cependant, cet état n'est-il pas le seul point de départ réel d'une vie chrétienne ? La vérité pour tout homme n'est-elle pas de découvrir pas à pas qu'il lui est impossible, tout seul, de savoir qui il est, qu'il n'y a pas d'espérance sérieuse qui ne commence ainsi : par un étonnement, par un désarroi  en face de sa propre identité. Or, nous sommes ainsi faits que c'est peut-être le péché qui nous contraint le plus à cette question. C'est pourquoi une méditation sur le péché  doit commencer par cette question : le péché  [24] n'est-il pas l'occasion qui nous oblige à nous demander qui nous sommes vraiment ? Nous ajouterions volontiers que ce n'est pas l'angoisse qui est le vrai ou le faux point de départ du pardon ; mais le rapport, possible ou non, réel ou non, avec Dieu. Nous y insistons plus loin. Mais nous affirmons non moins vivement ici qu'il n'y a pas de vie humaine possible (et donc pas de vie de foi, pas de vie religieuse possibles) sans l'angoisse venue de la découverte de ses limites et que la découverte de ses limites n'est jamais aussi réelle qu'en face du péché reconnu comme tel. On peut s'en irriter, il reste que, seuls, ceux qui l'admettent concrètement, vraiment, trouvent et le vrai chemin d'eux-mêmes et le vrai chemin d'un Dieu qui soit autre chose que le bouche-trou de nos insuffisances." C'est pourquoi ce livre n'est pas seulement et d'abord  un exposé sur la confession. C'est l'attitude même du pécheur qui est la "matière" de ce sacrement. Et c'est donc cette attitude qui nous préoccupera tout au long de ces pages (...)

    Ainsi aborder le mystère du pardon et du péché, c'est aborder la réalité à la fois la plus sublime et la plus banale. Parler du péché et du pardon, c'est parler de la [25] réalité la plus sublime car elle suppose tout : que Dieu existe, qu'il soit une personne qui nous aime et qui veuille nous sauver ; et, de notre part, que nous ayons une confiance fondamentale, a priori, dans la possibilité d'être sauvé ; mais aussi que nous acceptions de livrer un combat pour la lumière, celui que le Christ est venu instaurer sur terre. Mais avoir confiance en Dieu ne servirait à rien  si nous n'avions aussi confiance dans le meilleur de l'homme ; et si nous ne choisissions de croire, contre toutes les apparences peut-être, que l'homme est fait pour progresser, de croire en une véritable espérance, au-delà des vieillissements et des désillusions. Cela implique enfin la chose la plus rare au monde : un consentement à revenir sur soi-même, à revenir sur l'idée que nous nous faisons chacun de nous-même, sur la mesure que nous nous appliquons à nous et aux autres, pour en changer. (...)

    Ce mystère est ainsi le plus grand et le plus proche  dans les mystères de la foi, car il entraîne tout. C'est celui du pardon et du péché, c'est le mystère de la vérité et de la conversion, et finalement de la confession et du jugement.

     

    A suivre...

                                            Père Bernard Bro, o.p

     

     

     

     

     

  • On demande des pécheurs 03

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    La deuxième réponse : un milliard de francs lourds...

    [14] Une deuxième réponse nous est révélée par l'attitude du Christ tout au long de l’Évangile. La parabole des deux débiteurs et l'épisode de la femme pécheresse et de Simon le pharisien nous font découvrir d'une part que le pardon a été donné avant même que les hommes n'aillent se confesser, et d'autre part qu'accepter ce pardon suppose et entraîne beaucoup plus qu'ils ne le pensent.

    Précédant notre angoisse, le pardon est accordé et c'est le Christ qui le donne. Tout l'épisode de la pécheresse et du pharisien vise à nous faire comprendre que le pardon est antérieur à notre réponse. Ce n'est pas pour demander et recevoir le pardon que la pécheresse agit comme elle le fait avec le Christ, mais parce qu'elle l'a déjà reçu. La parole du Christ le manifeste devant les murmures de Simon : Vois cette femme, vois  ce qu'elle a fait, elle agit ainsi parce qu'elle a reçu le pardon, contrairement à toi (relire Lc 7,44-48 : Luc chapitre 7, versets 44 à 48)

    Nous retrouvons très exactement la même vérité dans la parabole du débiteur impitoyable (Mt 18, 23-35). Le maître remet tout à son débiteur, avant même de savoir si ce débiteur mérite le pardon ; et il s'agit d'une somme énorme, folle, l'équivalent d'un milliard de francs lourds [francs lourds : termine qui désigne le nouveau franc à partir du 1er janvier 1959. Un milliard de francs lourds (1969, année de parution du livre du Père Bro) représenterait pas loin de 900 millions d'euros aujourd'hui !  sauf erreur de ma part. Note de l'auteur du blog].

    Or celui-ci (qui voit sa dette de 900 millions d'euros effacée) refusera de remettre à [15] l'un de ses débiteurs l'équivalent de mille francs (environ 900 euros). Le pardon était antérieur à son comportement. C'est le même enseignement dans le sermon sur la montagne. Et cependant, seule la pécheresse (et non le pharisien ou le débiteur) accepte le pardon. La question se repose alors : si ce pardon est antérieur à la confession  du péché, à quel moment le Christ nous a-t-il donné ce pardon ? Quand l'avons-nous reçu ? 

    Comme le débiteur, comme la pécheresse, nous voyons bien que nous ne pouvons pas identifier ce pardon inimaginable  (le " milliard de francs lourds ") avec la simple confession. On pourrait certes dire que le pardon est donné au baptême  par la remise du " péché originel ". Mais, outre qu'il est difficile  de cerner ce que nous voulons dire quand nous parlons de " péché originel ", il faut aussi manifester comment nous recevons ou nous refusons le pardon.

    C'est pourquoi nous préférerions dire que c'est le fait même de la venue du Christ parmi nous qui est le pardon. Avec les temps messianiques  est arrivé le temps du pardon. " Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour condamner le monde, mais pour que le monde  soit sauvé par lui. Qui croit en lui n'est pas condamné ; qui ne croit pas est déjà condamné, parce qu'il n'a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. Et le jugement le voici : la lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière." (Jn 3,17-19)

    L'expérience de la pécheresse n'est pas seulement l'expérience du sacrement de pénitence. D'une certaine [16] façon, elle demande plus qu'un pardon pour son propre péché : elle accepte la venue du Christ dans sa vie, alors que Simon ne l'y accueille pas vraiment.

     

    A suivre....   

                                               Bernard Bro, o.p

  • On demande des pécheurs 02

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    La première réponse...

    [12] Un premier effort, plus facile et plus libérateur qu'on ne le pense dans la mesure  où on l'accepte, consiste, au lieu de se bloquer sur ses culpabilités, à examiner les grandes responsabilités de sa vocation. Ce déplacement dans la question même est beaucoup plus fécond qu'on ne le suppose et il nous semble décisif, bien plus que tous les petits aménagements liturgiques qu'on pourrait faire.

    En quoi suis-je pécheur par rapport à la vocation que Dieu me donne ? Je ne suis pas l'être évangélique que je devrais être. Je pressens des duretés, des replis sur moi ; je reçois de la réalité un certain nombre de gifles et je les récuse en accusant les autres au lieu de me demander si je ne suis pas le premier responsable. j'entends une vérité évangélique, et je vois bien que je me bats plus ou moins contre elle.

    Par exemple, je puis être intellectuellement  en harmonie avec certaines exigences comme la non-violence, ou la recherche de la paix, mais que fais-je concrètement ? Comment coopérer à cette recherche ? Je ne peux pas ne pas me sentir pécheur, du seul fait que je m'en désintéresse quand même un peu.

    On pourrait faire les mêmes remarques sur la pauvreté. Si être propriétaire, selon l’Évangile, c'est être intendant pour les autres, que fait-on ?

    De même de la vérité dans les contacts avec les autres. Je sens ce que devrait être la vraie clarté évangélique: "est est, non non". Il y a une fonction à remplir que je ne remplis pas, en face d'une opinion qui pense le contraire.

    De même en face de cette grande responsabilité : [13] faire connaître le Royaume de Dieu... On s'habitue à l'état des choses, en souhaitant de ne pas en savoir trop et en acceptant de démissionner.

    Il y a bien d'autres points dans nos responsabilités, nous nous y arrêterons plus loin. Il y a bien sûr, plus grave, mais ces exemples nous montrent que la réponse à la première question : " Où suis-je fautif ? " est possible, même si à certains moments elle est très complexe. Ceci nous semble être une première réponse essentielle et plus indispensable aujourd'hui que jamais. (...)

    Reste l’insatisfaction de fond dont nous avons parlé, et cette angoisse que le sacrement, même amélioré, ne résout pas forcément. Si le pardon met en question la présence même de Dieu et si nous ne pouvons pas  être en paix en dehors de cette présence, il est alors impossible de parler du pardon sans se situer en face de l'angoisse fondamentale qui constitue la personnalité et le mystère de chacun, au-delà de toute peur et de toute anxiété : ce qui, pour nous, semblait exister, ce désir, ce goût pour les créatures, ce besoin d'être en sécurité avec nos " idoles " ; cela même sur quoi nous nous appuyions, nous apparaît un jour vide ou factice... et alors tout est ébranlé. C'est alors que l'angoisse " surgit en nous lorsque fait défaut l'appui d'un manque ". Chacun de nous découvre que ce sur quoi il s'appuyait peut être insatisfaisant. (Et, le plus souvent, c'est le péché qui nous le révèle.)

    C'est ici la première et dernière expérience de tout homme, depuis sa naissance à la conscience , jusqu'à [14] la mort ; or Dieu y répond. Mais peut-être trop discrètement  et, hélas ! les hommes ont sans doute rétréci la réponse avec un règlement de la confession. " Je vais les mettre dans l'angoisse afin qu'ils me trouvent ", dit Dieu au prophète Jérémie. Qu'est-ce-à dire ? 

    La deuxième réponse : un milliard de francs lourds...

     

                                                   P. Bernard Bro

     

    A suivre...prochain post 

       

  • On demande des pécheurs 01

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [9] Nous serions bien naïfs de croire que les difficultés posées par la confession datent d'aujourd'hui. Le contraire serait plus exact. Nous nous sommes rarement trouvés au seuil d'une époque de richesse aussi grande. Pendant les cinq premiers siècles, il était impossible de se confesser autrement qu'en devenant un "pénitent", c'est-à-dire en acceptant de perdre sa vie de famille, sa vie de citoyen, et pour presque tous il fallait attendre d'être sur son lit de mort pour recevoir l'absolution. Pendant les quatre siècles suivants, se confesser c'était risqué d'être "tarifé" d'un voyage en Palestine ou de quarante jours de jeûne , ou encore d'être affronté aux brigands sur la route de Rome ou de Saint-Jacques-de-Compostelle. Du XVIIIe siècle au XXe siècle (et jusqu'à nos grands-pères), se confesser, c'était risquer l'intoxication janséniste, et la, justice d'un Dieu implacable.

    Et aujourd'hui ?

    [10] La liberté est rongée aux deux bouts : d'un côté une éducation intellectualiste et abstraite ne facilite pas la maturité, ni le goût de l'effort ; de l'autre côté, la volonté d'être lucide (jusqu'au rabâchage) nous fait croire que nous sommes gouvernés par l'inconscient  et donc que nous sommes beaucoup moins responsables que nous ne le pensons. 

    Nous vivons en même temps dans une atmosphère de culpabilité et de mauvaise conscience, cultivée et entretenue par une information qui reste abstraite (bidonvilles, campagne contre la faim, etc.) : nous subissons tous l'impression d'être des "salauds"  (au sens de Sartre) et de participer à un monde pactisant avec la mauvaise foi.

    Ce sentiment d'être à la fois fautif et innocent, nous pouvons le décrire d'une autre façon. L'homme contemporain se demande où est le péché quand il est contraint par la force des choses à prendre des décisions que l'on ne peut pas qualifier de bonnes et qui, malgré tout, sont inévitables. Elles sont mauvaises, mais inéluctables (le cas limite pourrait être le remariage  du divorcé, par exemple, parce que le premier mariage  avait été bâclé avec un engagement religieux irresponsable).

    On peut multiplier les exemples : dans l'entreprise, le licenciement est mauvais en soi, mais alors comment faire lorsqu'il s'avère inévitable ? Et inversement, on est amené à prendre des décisions bonnes, en soi, mais dont la réalisation comporte des activités mauvaises: à qui veut lutter pour la justice ou la vérité, la guérilla c'est "sale", la pilule c'est un "désordre", mais il faut le faire. Telle est la situation très variable, mais inévitable, pour presque tout le monde. Il ne faudrait pas croire  que seuls les super-responsables connaissent ce problème. Depuis l'attitude de la maîtresse de maison vis-à-vis [11] de ses employés, jusqu'aux arrangements avec les déclarations d'impôts, et aux équivoques de la kermesse du curé ou du bal de M. le Maire, nous sommes tous concernés.

    Faut-il laisser tomber la confession ?

    Non seulement cette démarche intérieure est inévitable pour tout homme qui accède à  la maturité, mais elle nous paraît nécessaire. Il faut que tout chrétien sorte de la simple obsession de la culpabilité. Le Christ est venu nous rendre libres et nous apprendre à aimer. Cela dit, il est clair que la démarche de maturité, en minant le sentiment de culpabilité, risque de détruire  le mécanisme qui faisait qu'à partir de cette culpabilité je rejoignais une certaine vérité de Dieu dans la confession.

    Il est bon que tout chrétien ne se contente pas de mettre sa conscience en paix seulement par des gestes rituels plus ou moins améliorés, mais si cela le conduit à ne plus se confesser, on aura perdu  quelque chose de vital. Refuser les questions, c'est peut-être  aussi coopérer de façon pernicieuse à renforcer l'obsession, sans qu'elle ramène forcément à Dieu. Il reste en effet : 1e que je suis fautif et 2e que si je me contente d'une répétition de confession à obsession, j'augmente mon insatisfaction et mon angoisse. 

    A suivre...

                                                    P. Bernard BRO  o.p