Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969
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[9] Nous serions bien naïfs de croire que les difficultés posées par la confession datent d'aujourd'hui. Le contraire serait plus exact. Nous nous sommes rarement trouvés au seuil d'une époque de richesse aussi grande. Pendant les cinq premiers siècles, il était impossible de se confesser autrement qu'en devenant un "pénitent", c'est-à-dire en acceptant de perdre sa vie de famille, sa vie de citoyen, et pour presque tous il fallait attendre d'être sur son lit de mort pour recevoir l'absolution. Pendant les quatre siècles suivants, se confesser c'était risqué d'être "tarifé" d'un voyage en Palestine ou de quarante jours de jeûne , ou encore d'être affronté aux brigands sur la route de Rome ou de Saint-Jacques-de-Compostelle. Du XVIIIe siècle au XXe siècle (et jusqu'à nos grands-pères), se confesser, c'était risquer l'intoxication janséniste, et la, justice d'un Dieu implacable.
Et aujourd'hui ?
[10] La liberté est rongée aux deux bouts : d'un côté une éducation intellectualiste et abstraite ne facilite pas la maturité, ni le goût de l'effort ; de l'autre côté, la volonté d'être lucide (jusqu'au rabâchage) nous fait croire que nous sommes gouvernés par l'inconscient et donc que nous sommes beaucoup moins responsables que nous ne le pensons.
Nous vivons en même temps dans une atmosphère de culpabilité et de mauvaise conscience, cultivée et entretenue par une information qui reste abstraite (bidonvilles, campagne contre la faim, etc.) : nous subissons tous l'impression d'être des "salauds" (au sens de Sartre) et de participer à un monde pactisant avec la mauvaise foi.
Ce sentiment d'être à la fois fautif et innocent, nous pouvons le décrire d'une autre façon. L'homme contemporain se demande où est le péché quand il est contraint par la force des choses à prendre des décisions que l'on ne peut pas qualifier de bonnes et qui, malgré tout, sont inévitables. Elles sont mauvaises, mais inéluctables (le cas limite pourrait être le remariage du divorcé, par exemple, parce que le premier mariage avait été bâclé avec un engagement religieux irresponsable).
On peut multiplier les exemples : dans l'entreprise, le licenciement est mauvais en soi, mais alors comment faire lorsqu'il s'avère inévitable ? Et inversement, on est amené à prendre des décisions bonnes, en soi, mais dont la réalisation comporte des activités mauvaises: à qui veut lutter pour la justice ou la vérité, la guérilla c'est "sale", la pilule c'est un "désordre", mais il faut le faire. Telle est la situation très variable, mais inévitable, pour presque tout le monde. Il ne faudrait pas croire que seuls les super-responsables connaissent ce problème. Depuis l'attitude de la maîtresse de maison vis-à-vis [11] de ses employés, jusqu'aux arrangements avec les déclarations d'impôts, et aux équivoques de la kermesse du curé ou du bal de M. le Maire, nous sommes tous concernés.
Faut-il laisser tomber la confession ?
Non seulement cette démarche intérieure est inévitable pour tout homme qui accède à la maturité, mais elle nous paraît nécessaire. Il faut que tout chrétien sorte de la simple obsession de la culpabilité. Le Christ est venu nous rendre libres et nous apprendre à aimer. Cela dit, il est clair que la démarche de maturité, en minant le sentiment de culpabilité, risque de détruire le mécanisme qui faisait qu'à partir de cette culpabilité je rejoignais une certaine vérité de Dieu dans la confession.
Il est bon que tout chrétien ne se contente pas de mettre sa conscience en paix seulement par des gestes rituels plus ou moins améliorés, mais si cela le conduit à ne plus se confesser, on aura perdu quelque chose de vital. Refuser les questions, c'est peut-être aussi coopérer de façon pernicieuse à renforcer l'obsession, sans qu'elle ramène forcément à Dieu. Il reste en effet : 1e que je suis fautif et 2e que si je me contente d'une répétition de confession à obsession, j'augmente mon insatisfaction et mon angoisse.
A suivre...
P. Bernard BRO o.p