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péché

  • Sur les mystères douloureux du Rosaire

    Ce second cycle embrasse les événements des derniers jours, depuis le jeudi soir jusqu'à la nuit de Pâques.

    Auparavant, Jésus a quitté son pays pour commencer sa vie publique, il a prêché, agi et lutté, il n'a pas trouvé d'accueil parmi les hommes, il a persévéré dans une solitude inconcevable pour nous et le royaume de Dieu ne s'est pas réalisé, comme c'eût été possible qu'il se réalisât si "les siens l'avaient reçu " (Jean 1,11)

     

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  • Les récits de la Passion 07

    Textes tirés du livre " Jésus, simples regards sur le Sauveur " par Un moine de l’Église d' Orient - Ed. Chevetogne 1962

     

    117

    Mon enfant, tu ne sais pas encore ce que signifient ces mots : " Je me suis chargé de tes péchés." Tu penses avec horreur au mal cruel que tu as commis, soit récemment, soit il y a bien longtemps, envers telle personne, telle autre personne. Tu sais qu'elles ont souffert par toi et que réparer cette souffrance est maintenant impossible. Ecoute-moi. Je me suis substitué à ces victimes de ta cruauté égoïste. Ce n'est plus contre elles, c'est contre moi que se dresse ton offense. Je suis le nœud de la situation. Seul je la puis dénouer, parce que j'ai pris sur moi et le dommage causé et la cause du dommage, et parce qu'en moi résident l'expiation et le pardon. Quand il est trop tard pour réparer le mal à l'égard des victimes ou même si tu peux encore le réparer, projette sur moi, transpose en moi ton péché. Dépouille-toi de 118 tout lambeau de justice personnelle. Saisis, par la foi, la rédemption et le salut que je t'offre. Viens à moi n'attendant plus que ma miséricorde. Cesse de te demander : " Comment puis-je réparer ? " La réparation viendra  de ton union plus étroite avec moi. C'est par ta foi en moi, non par tes réparations, que tu seras justifié. Mais tu ne peux t'ouvrir à la foi vive, à la foi qui sauve, à ma grâce, à ma justice qui seule rend juste, si tu ne veux en accomplir les œuvres et en porter les fruits. C'est moi qui réparerai ; mais tu répareras par moi, avec moi, en moi. Pour réparer, commence par te jeter dans mes bras.

    Mon Sauveur, dis-moi encore comment tu te charges de mes péchés. 

    Oui, mon enfant, je veux te rendre plus attentif à ce mystérieux transfert. Je voudrais que plus d'hommes y soient attentifs. Beaucoup d'hommes éprouvent d'une manière très vive le brisement de cœur par lequel ils jettent  à mes pieds leurs péchés. Beaucoup d'hommes aussi sentent d'une manière très vive la paix et l'autorité qui accompagnent ma parole, lorsqu'elle annonce - lorsque mon Église annonce : " Tes péchés te sont remis." Mais il y en a moins qui sachent percevoir l'acte par lequel l'agneau de Dieu ôte le 119 péché et le prend sur lui-même. Je t'ai enseigné que je suis présent à ton péché, d'une présence à la fois condamnante et compatissante. j'implore alors ton regard, ton adhésion. Si tu me les donnes, le centre de l'acte se déplace. Ce n'est plus le péché qui se trouve au centre. Toutes les forces s'infléchissent. c'est moi qui, maintenant, occupe le centre. En cette seconde, tu es libéré. En cette seconde s'actualise ce qui s'est passé, lorsque, à Gethsémani et sur le Golgotha, j'ai assumé toi-même et ce péché. La crise n'est plus entre le péché et toi. Elle est entre toi et moi. De mon cœur, un rayon descend sur toi. Il t'attire, il te prend. Ton regard remonte jusqu'à moi. Tu laisses ton âme suivre le rayon...

  • Les récits de la Passion 06

    Textes tirés du livre " Jésus, simples regards sur le Sauveur " par Un moine de l’Église d' Orient - Ed. Chevetogne 1962

     


    Seigneur Jésus, le mystère de Judas m'oppresse. Ou plutôt (car je ne sais point quels furent les derniers sentiments) le mystère de tous les pécheurs qui meurent sans s'être tournés vers toi. Je sais que l'on ne peut effacer du livre ce que tu as dit de la séparation des brebis et des boucs et du feu qui ne s'éteint pas. Je sais que la possibilité d'un " non " éternellement dit à Dieu par certaines de ses créatures est une conséquence terrible, mais nécessaire, de la liberté qui nous a été donné. Je sais aussi que, de nul homme, nous n'avons la certitude qu'il a été rejeté pour toujours. Je sais tout cela. Et pourtant... Pourquoi ton Père a-t-il créé tel homme dont il prévoyait qu'il n'adhérerait pas à lui ? Maître, je mets devant toi ma question avec humilité, avec docilité. Enseigne-moi. 

    Mon enfant, je pourrais simplement te dire : cette question te dépasse ; attends avec confiance le jour où tu sauras, où tu verras. La pleine 112 lumière sur les mystères divins n'est pas donnée à ceux qui sont encore dans l'état de voie. 

    Cependant, je te dirai plus. Je ne t'accorderai pas de révélation personnelle. Je te rappellerai seulement ce que déjà tu sais ou tu devrais savoir.

    Je t'ai aidé à croire et un peu comprendre que le mystère de l'élection a lieu en moi. C'est en moi que sont acceptés ceux qui m'aiment. Ce dont je voudrais te persuader maintenant, c'est que c'est aussi en moi que le mystère de la réprobation reçoit sa solution et sa lumière.

    Tout homme a le droit d'entendre de moi cette parole : " Je suis ta justice ". Et tout homme a le droit de me dire, à moi, le juste : " Je suis ton péché ". J'ai communiqué ma justice aux pécheurs (s'ils l'acceptent), et j'ai porté le poids de la réprobation due aux péchés de tous. De même qu'il existe un lien entre tout élu et la justice que je lui ai acquise sur la croix, il existe aussi un lien entre tout pécheur non repentant et moi-même, en tant que, substitué à lui, j'ai assumé sur la croix son péché et sa condamnation.  Parce que je prenais la place du pécheur, même si celui-ci repoussait l'échange, il y eu un certain échange entre lui et moi. C'est dans le prolongement, dans les répercussions de cet échange que le mystère de la réprobation doit être médité par toi.

    113 Entends-moi bien, mon enfant. Je ne te dis pas que, sur la croix, j'ai sauvé ceux qui ne veulent pas assimiler - et dans toute leur vie - le salut que j'offrais. Je veux dire en ce moment une seule chose : c'est qu'un vrai contact a été établi entre moi-même et le pécheur non repentant. J'ai eu l'expérience suprême et totale de la condamnation. En moi, la sainteté absolue a été en contact avec tout péché, avec le péché de chaque pécheur.

    Quels ont été, quels sont les résultats de ce contact ? Mon enfant, je ne dirai, en ce moment, rien de plus précis. Je veux seulement t'ouvrir un horizon, sans te donner la possibilité de le mesurer. Crois de tout cœur chacune des paroles de mon évangile concernant le pécheur qui ne se repent pas. Ne te livre pas à des spéculations et à des discussions sur le nombre de ces pécheurs, sur la durée et le mode de leur réjection. Affirme ce que mes apôtres ont affirmé, ce que mon Église affirme. Ne dis rien de plus. 

    Mais sache bien, mon enfant, que tu ne connais pas encore les profondeurs de mon cour. Tu les sauras plus tard.

    114 Aie la crainte d'être rejeté, mon enfant. Défie-toi de ceux qui font peu de cas de la préoccupation du salut personnel. Je n'ai pas parlé ainsi. Mais n'oublie jamais que le bon berger laisse toutes ses brebis fidèles pour aller chercher et pour rapporter sur ses épaules la brebis égarée, fugitive.

    Qu'il te suffise d'être assuré d'une chose : c'est que je suis, c'est que ma personne est la réponse à ta question anxieuse au sujet du pécheur non repentant.

    Si ma personne est la réponse, tu dois entrevoir le sens de cette réponse, même obscurément. Ne te hâte pas de traduire la réponse en mots. Regarde, et approfondis en silence. La réponse ne peut être que conforme à ma personne. Contemple l'image du crucifié. Il est la réponse à tous les problèmes, - à ce problème. Dans la solution du problème qui t'angoisse, tu verras un jour resplendir ma sainteté et ma justice. Ma miséricorde et mon amour n'y resplendiront pas moins. La justice resplendira à travers la miséricorde. Ce ne pourra donc être qu'un mystère joyeux autant que glorieux. Le mystère même du pécheur non repentant révèlera mon amour pour les hommes, sans que le mal obtienne aucune 115 impunité ou complaisance. Mon apôtre vous a dit que je serai tout en tous. Je ne puis maintenant te dire comment cela se fera. C'est le secret divin. Crois seulement et espère.

    Maître, je te remercie pour la paix que me donnent tes paroles. Je ne cherche pas à aller plus loin que ce que tu me dis. Je ne vois pas encore le paysage, mais déjà j'entrevois la lumière dont il sera baigné. Cependant il m'arrive ceci. Plus je projette sur le péché du monde la lumière de ta personne, plus la conscience, le souvenir de mes propres péchés me sont lourds et désolants. Je crois au pardon demandé et reçu, je crois que tu combles l'abîme de l'indignité du pécheur. Mais tous ceux-là qui par moi ont souffert, auxquels j'ai fait du mal...

    A suivre...

     

  • Les récits de la passion 05

    Textes tirés du livre " Jésus, simples regards sur le Sauveur " par Un moine de l’Église d' Orient - Ed. Chevetogne 1962

     

    107

    Jésus annonce aux apôtres qu'un d'entre eux le livrera. Ils ne mettent pas en doute la parole du Maître. Ils ne s'écrient pas : " Seigneur,  c'est impossible !" Mais ils s'attristent et disent, l'un après l'autre : " Est-ce moi ?"

    L'expérience de mes propres chutes doit me rendre très humble. Je ne peux jamais exclure la possibilité d'une nouvelle offense. Je dois demander en tremblant : " Vais-je trahir encore ? Le prochain traître, est-ce moi ?"

    " Que me donnez-vous ? et je vous le livrerai..." La question de Judas aux prêtres, je la répète à Satan : " Quel plaisir me donnes-tu ? Si tu m'accordes ceci, et cela, je te le livrerai..." C'est peut-être en détournant les yeux que je murmure cette suggestion, c'est peut-être en me lavant les mains, - et ce n'est pas sans ressentir la piqûre  de l'aiguillon intérieur. Mais, pourtant, je le livrerai...

    108 Pauvre âme, tu me veux. Et tu veux aussi me livrer. C'est parce que tu veux autre chose que moi. Tu ne peux me vouloir vraiment, si tu ne me veux seul.

    " Et il livra Jésus à leur volonté ". La phrase que l'évangile dit de Pilate s'applique à moi, chaque fois que, pour ma part, je coopère avec l'esprit tentateur et chaque fois que je coopère au péché d'autrui.

    " C'est par un baiser que tu trahis le fils de l'homme ? " Le baiser par lequel Judas trahit son Maître, c'est chaque prière que j'ose faire sans avoir radicalement banni de mon cœur toute complaisance envers le mal.

    " Cet homme était aussi avec lui... Tu es aussi de ces gens-là". Cette pensée me mord jusqu'au sang, elle me transperce, lorsque dans mon péché même, je ne puis perdre le souvenir du temps où, comme Pierre, je suivais Jésus.

    Mon Sauveur, c'est à travers les blessures secrètes de mon âme, c'est à travers mes péchés que tu fraies ton chemin vers moi.

    Jésus, tu es présent à mon péché. Quand je pèche, tu es encore en moi, silencieux. Ta présence même condamne ce que je fais. Mais, en même temps, tu me comprends et tu comprends mon péché plus profondément que je me comprends 109 et le comprends. Car tu m'es plus intime que je le suis à moi-même. Tu ne m'es point un juge étranger. Tu t'identifies à celui qui, pécheur, est là devant toi. Et cependant, tu es, à ce moment, le contraire même de ce que je suis. Mais tu m'enveloppes d'une présence et d'une pitié insondables.

    C'est cette présence et cette pitié, Seigneur Jésus, qui font qu'au moment même où je pèche, dans l'acte même du péché, et sans que j'aie le courage d'interrompre cet acte, un cri peut encore jaillir de moi, un cri de dégoût, d'angoisse et d'horreur,- l'appel à toi, à ton nom : Jésus !

    Mon Sauveur, ta présence à mon péché est une grande grâce. Ta main est tendue pour me retirer de l'abîme. Mais, si je refoule cette grâce ultime, manifestée dans le péché même, que sera t-il de moi ?

    Tu ne prononces pas de sentence formelle. Ta personne même, Seigneur Jésus, est le jugement qui me condamne. Mais ta personne même est aussi proclamation et acte de grâce. Il n'y aurait point de parole de grâce, s'il n'y avait une parole de jugement.

    Mon passé ou mon présent coupables, si coupables soient-ils, appartiennent à l'ordre de la grâce, dans la mesure où tout destin humain se 110 rattache au plan de grâce voulu par Dieu. Mes dissonances personnelles demeurent encore des parties de l'universelle symphonie de grâce. Cette considération ne saurait cependant justifier la dissonance, car celle-ci, en un point donné, s'oppose à la grâce - et cela, c'est la mort. Mais l'opposition à la grâce, la dissonance, le péché sont encore potentiellement dans l'ordre de la grâce, tant que peuvent encore intervenir mon repentir et ton pardon. Oh, pour cela, sois béni, Seigneur !

    La réprobation est dans le Christ, comme l'élection. Uni au Christ, je suis accepté à cause du Bien-Aimé et dans le Bien-Aimé. Pécheur, je suis réprouvé en Jésus, puisque celui qui ne connaissait pas le péché a été fait péché pour nous. Un grand échange a été opéré sur le Golgotha entre le pécheur et son Dieu. C'est moi qui pèche, et c'est Jésus qui meurt. Le péché a été enfermé dans le cœur du Christ. Le Dieu-Homme devient lui-même le rejeté, le condamné. Il y a encore, pour la piété du croyant, beaucoup à explorer dans ce mystère (autant qu'un mystère divin peut être exploré). Maître, laisse-moi te parler de cela.  

     

  • On demande des pécheurs 16

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [105]

    Le retournement chrétien

    (...) Choisir la miséricorde, c'est choisir les autres. Cette réflexion sur le choix de la miséricorde - première et dernière démarche du chrétien - nous met au cœur de la pénitence qui est inséparablement retour à Dieu et retour à nos frères. Il est impossible - nous l'avons dit en parlant de David et de l'enfant prodigue - de séparer nos deux partenaires : Dieu et les autres.

    Le " Je confesse à Dieu " s'ouvre par une demande de pardon à tous les saints, à la communion des saints et se termine par une confession " à vous mes frères ", c'est-à-dire à toute l’Église. Si je suis constitué Fils de Dieu, c'est pour devenir frère des autres et donc pour jouer un rôle dans la communauté des frères. Le péché est toujours un manque à ce rôle et la communauté en souffre. Le péché de David et le péché de l'enfant prodigue ont été une brisure qui atteignait inséparablement le Père, la communauté et la famille. Tout péché est rupture d'une relation. Nous dirions volontiers ceci par comparaison avec la vie de prière. Quant sainte Thérèse d'Avila cherche le seul signe qui ne trompe pas sur la prière, elle conclut que c'est sortir de la prière en désirant davantage ce que Dieu veut. Or l'un des signes qui trompe le moins sur la vérité de la confession est d'en sortir en voulant un peu plus écouter ce que nos frères attendent de nous. 

    Si nous nous confessons devant quelqu'un, c'est bien sûr pour affirmer que c'est avec nos frères, avec toute 106 la communauté des croyants que l'amitié de Dieu, restaurée par le pardon, nous réintègre. Mais dire ceci ne suffit pas à exprimer toute la richesse communautaire de la pénitence. Il y a beaucoup plus. Et nous ne sommes pas sûrs qu'à vouloir actuellement remettre de façon trop courte l'accent sur le " communautaire ", on ne tombe pas dans une anémie de ce sens communautaire lui-même.

    Ce sacrement est en effet le lieu privilégié pour manifester la grande vérité nouvelle du christianisme. Il y a une interaction entre ce que nous faisons aux autres et ce que Dieu nous fait.

    Quand le Christ dit : " Ce que vous avez fait au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous l'avez fait ", ou  : " De la mesure dont vous mesurez, on mesurera pour vous en retour ", ou lorsqu'il nous invite à aimer comme lui, c'est-à-dire comme son Père aime, nous touchons à ce qui est peut-être le secret du retournement chrétien ; non plus : " Ne fait pas aux autres ce que tu ne voudrais pas que l'on te fasse à toi-même ", mais : "Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas que Dieu te fasse à toi-même. "

    " Pardonne-nous, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés " : aller se confesser, c'est non seulement rentrer dans la communion de ses frères, mais c'est vouloir partager le regard de Dieu sur ses frères. c'est donc accepter l'intervention du Christ et partager avec nos frères son énergie dans la lutte contre le mal qui est en nous, permettre à Dieu de libérer en nous toutes les possibilités de pardon et d'amour, accepter d'être à son image.

              P. Bernard Bro, o.p

     

    A suivre... Le prochain post concernera l'examen de conscience. Ainsi se terminera, au seuil de la Semaine sainte, cette série tirée de ce livre du Père Bernard Bro, "On demande des pécheurs", livre réédité, à lire, à relire tant c'est profond. 

     

     

     

  • On demande des pécheurs 13

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [82]

    Nous ne sommes pas seuls

    (...) Pourquoi est-ce que nous nous confessons si peu, et si mal, quand nous atteignons la maturité ? Pourquoi avons-nous tant de peine à découvrir que ce qui nous blesse est justement ce qui peut devenir la part bénie de notre vie ? Peut-être est-ce parce qu'elle nous ramène à la vérité ? 

    Ce que nous avons de plus à nous, qu'il s'agisse des hommes ou des peuples, la faiblesse... notre faiblesse. Ce n'est pas celle du voisin, mais la nôtre, notre part. Nous ne pouvons pas nous tromper, non pas forcément sur notre chute, mais sur le sens de notre fragilité. Ajoutons que nous ne fabriquons pas le pardon, c'est un autre qui nous le donne. Il nous faut apprendre à recevoir. Cela nous est dur d'accepter de recevoir un salut, une parole de bonté. Or, c'est peut-être par là que nous devenons un adulte : en acceptant dans la paix notre limite, et en consentant à recevoir un secours de celui qui peut nous aider, en admettant " de nous engendrer à la finitude ", comme disent les psychanalystes. Non seulement la faiblesse n'est pas insignifiante, mais elle est la part privilégiée de notre vie, c'est là le grand retournement chrétien : accepter de ne plus pouvoir nous passer d'un "autre", de Dieu. 

    Il faut, à la suite de David et du fils prodigue, reconnaître que le péché peut devenir utile, oui, " même le péché ". Ceci est proprement scandaleux. Le mal, le désordre et la rupture n'ont pas de sens en eux-mêmes. Ils sont atteinte, blessure, et on ne sait jamais à l'avance ce qu'il en résultera. Néron ne travaillait pas pour la gloire de Dieu. Il faut le dire, et ne pas tricher. 

    Ce scandale exprime bien la gravité du péché, même si, ensuite, la générosité et la bonté prennent le dessus. Pour beaucoup d'entre nous, y a-t-il d'autres voies moins illusoires vers Dieu ? 

    C'est peut-être seulement à cause du péché et de l'impasse 83 où il nous met que nous acceptons d'entrer dans un projet de vie qui nous dépasse : celui de Dieu-avec-nous : " Quand tu étais jeune, tu allais où tu voulais. Quand tu seras devenu vieux, un autre te mènera où tu ne voudrais pas " (Jn 21,18).

    (...) non seulement l'inévitable est désormais utile et part privilégiée de notre vie, mais nous ne sommes plus seuls en face de cet inévitable et du mal ; nous ne sommes plus solitaires en face de notre crainte et de notre détresse. Il tient à nous de le reconnaître ; et, du fait même que nous avons choisi la miséricorde et l'amour de Dieu, tout est déjà changé. Notre vie est une action à deux. Or nous y pensons toujours comme si nous étions seuls. La peur est justement le fait d'un homme seul. Et Dieu vient nous dire : " Mais non, j'étais là, je suis là." (...)  

    A suivre...

                       P. Bernard Bro, o.p

     

  • On demande des pécheurs 11

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [75]

    Levée d'écrou : Dieu vient nous sortir de notre prison

    Nous pouvons nous demander enfin : Pourquoi avouer, pourquoi nous torturer à nous souvenir de ce qui fait notre honte et notre gêne ? A quoi bon devoir expliquer notre péché, puisque Dieu le connaît ? Ce serait si simple de pouvoir lui dire : " Mon Dieu, voyez clair dans tout cela, moi je ne vois pas clair. et puis, pardonnez-moi." C'est vrai, la démarche de la confession est pénible. "Le seul fait de faire cette démarche couvre, parfois à elle seule, toute la peine du péché " dit saint Thomas d' Aquin.

    Dostoïevski raconte qu'en arrivant au bagne, il eut cette pensée : " Me voilà au bout du voyage : je suis au bagne ! Me voici au port pour de longues, très longues années. Voici mon coin ! J'y arrive le cœur broyé, plein d'appréhension et de défiance... Mais qui sait si, dans beaucoup d'années, au moment de quitter, je ne le 76 regretterai pas ! La pensée qu'un jour je regretterais ce lieu me remplissait d'une horreur angoissée." Or, pouvons-nous dire que nous savons à quel point nous sommes emprisonnés ? Et désirons-nous vraiment quitter nos prisons ? Il est en apparence tellement plus facile de s'en accommoder : " Au moment de le quitter, regretterai-je ce lieu ? " se demandait Dostoïevski, et pourtant c'était du bagne qu'il s'agissait. 

    Mais si fort est notre pouvoir d'aveuglement que nous nous habituons à tout. Dans l'étonnant dialogue inventé par Eschyle entre Prométhée et les filles de l'Océan, nous entendons la surprenante réponse du demi-dieu, crucifié sur son rocher, aux filles qui l'interrogent sur le plus grand don qu'il a fait aux hommes. Prométhée, enchaîné, énumère tout ce qu'il a fait de bien pour les hommes. Il leur a donné le feu qui a permis la fabrication des instruments du travail ; d'où est né l'intelligence technique, et par la suite la civilisation. " Mais, dit-il, je leur ai donné quelque chose de bien plus grand encore : je leur ai donné l'illusion qui leur fait oublier la mort et les fait vivre sans souci de leur véritable destin. " Et les filles de l'Océan approuvent : " Oui, tu as fait aux hommes un très grand don ".

    On nous répète que les sacrements nous donnent la vie même de Dieu, que les sacrements nous rendent maîtres de notre salut dans un admirable échange. Certes, mais à quoi bon, si l'on oublie que nous avons besoin en même temps d'être guéri de nos aveuglements, et que notre première difficulté est de sortir de notre état de malade et d'adolescent ? A quoi bon la liturgie, la pratique, les sacrements s'ils nourrissent en nous une autre sorte d'illusion... Or, justement, par la confession, il nous est proposé de sortir des prisons où nous tiennent nos illusions, nos habitudes et le poids de nos fautes. Mais elle ne le peut 77 qu'à une condition, en nous révélant la vérité. Si les sacrements sont toujours une action à deux, un dialogue, cela veut bien dire que le Christ, dans ce dialogue, nous renvoie toujours à notre conscience, ou plus exactement que le Christ a assez d'estime pour nous rendre responsables de faire la vérité. Il nous juge, en effet, assez dignes d'entendre des questions plus profondes que nous le pensions. Ces questions, imprévisibles parfois, vont nous obliger à aller plus loin dans la lumière, à voir toutes les méprises que nous commettons par rapport à notre conscience, à notre parole. La Parole de l'Autre, du Christ, n'a pas d'abord pour but d'arranger les choses, de nous bien entendre, mais de nous faire aller plus loin pour pouvoir porter les vraies questions de notre vie.

    A suivre...

                  P. Bernard Bro, o.p

     

  • On demande des pécheurs 07

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [58]

    Le sens du péché n'est pas naturel

    (...) Le sens du péché, contrairement, à ce que nous pensons, n'est pas naturel. De même que l'amitié n'est pas facile (les amitiés de collège qui nous paraissent simples et, pour ainsi dire, éternelles, qu'en reste-t-il parfois, parvenus à l'âge adulte ?)

    Il en est un peu de même pour le sens du péché : on penserait volontiers qu'après avoir éprouvé cette mauvaise conscience du "péché", elle s'est peu à peu usée, [59] affadie, et qu'un jour on s'en est débarrassé. Mais a-t-on vraiment eu cette conscience, ou, plus exactement, n'a-t-on pas développé simplement en nous une loi, un règlement ? Et le péché se réduit alors à n'être qu'une transgression, un manquement à la loi ; la loi n'ayant plus de sens, la conscience du péché disparaît du même coup.

    Or, ce qui définit le péché est beaucoup plus profond, nous l'avons vu plus haut, ce n'est pas seulement une loi, un règlement, mais une lumière. C'est en face de la lumière que je me reconnais pécheur, lumière qui me fait découvrir le meilleur, le vrai, l'accomplissement de ce que je peux et dois faire. Or cette lumière est désirable puisqu'elle est liée  à mon bonheur, à mon achèvement. Elle devient bien la " règle " de ma conduite, mais dans un tout autre sens : c'est en effet  elle qui me permet de pressentir quelle serait l'unité réelle de ma vie, c'est elle qui me donne  le pouvoir d'établir une hiérarchie entre tous mes désirs.

    Ainsi, pécher ne consiste pas d'abord à " sortir "  d'un règlement, mais plus profondément à ne pas vouloir entrer dans cette " loi ", à ne pas vouloir chercher cette lumière, du fait que je me laisse solliciter par d'autres lueurs. Je garde le terrible privilège de la liberté humaine, le pouvoir de dire non à la sollicitation du meilleur, et donc du vrai.

    Ajoutons, et nous y reviendrons, que cette lumière n'est pas naturellement à notre portée, si Quelqu'un ne nous la redonne chaque jour : le Christ. Si le péché se réduit à n'être qu'une transgression, bien sûr, nous en perdons le sens. Mais il est une trahison, et c'est tout autre chose. Or les ennemis ne trahissent pas, il n'y a que les amis qui puissent trahir. Imaginons la femme adultère de l’Évangile, en face [60] du Christ. Il lui pardonne tout, il la rétablit en pleine confiance, il la protège contre elle-même et contre les autres. Supposons que cette femme s'en retourne en riant du Christ, revenant à sa faute : voilà une trahison, voilà le péché. (...)

    [61]

    On recommence toujours

    Nous recommençons toujours, alors à quoi bon ? Pourquoi nous présenter régulièrement au confessionnal, telle cette vieille dame du film, qui s'entend répondre : " Alors, mon enfant, ce sera comme la dernière quinzaine ? " Un peu comme un épicier qui dirait : " Ce sera tout pour madame..." Pourquoi une confession de consommation ?

    C'est vrai, nous recommençons. Je recommence tous les hivers à avoir de la sinusite ou à ressentir des rhumatismes. Certes, ce ne sera jamais la même sinusite , ni les mêmes rhumatismes ; de même que je ne recommence pas les mêmes actes, mais c'est bien aux mêmes penchants que je suis soumis. Et voici que la confession va nous aider à admettre la première condition de vérité de notre vie, et à l'admettre comme une chance et non comme un esclavage, à savoir que nous sommes dans un régime de vie où les [62] choses se répètent. Le refuser, c'est refuser de vivre. C'est vrai qu'il est parfois pesant de recommencer le planning de son travail, de refaire mille gestes quotidiens, de subir la répétition des mêmes répétitions. Et nous n'avons pas envie de nous l'entendre dire.

    Loin de nous faire sortir de cet état, la confession nous y maintient. Si nous sommes vrais, elle ne nous gratifie pas d'une bonne conscience factice, au contraire, elle nous introduit dans le dénuement et nous apprend notre pauvreté. Mais elle nous livre  en même temps la chance de notre vie : une présence et une fidélité indéfectibles en face de cette répétition et de cette lassitude, celle du Christ.

    En nous confessant, nous acceptons de mener notre vie comme une action à deux, dont l'un des partenaires, le Christ, n'est pas soumis au changement, à la fragilité, à la fatigue, à la brisure du temps. Avec lui, notre existence a enfin de quoi échapper à l'univers cassé de la répétition.

    Nous imaginons spontanément que la confession est tournée vers le passé, et qu'il s'agit d'abord de nous débarrasser d'un malaise et de blanchir un passé. Mais la confession est là aussi pour nous faire prendre vigueur en face de l'avenir, elle est surtout le sacrement de l'avenir, de la responsabilité, de la possibilité de refaire l'unité de sa vie. Nous venons prendre un peu de force - celle du Christ - pour, éventuellement, un peu moins recommencer. " C'est par la constance que vous sauverez vos âmes"

    Toujours recommencer, cela signifie-t-il ne faire aucun progrès ? Car nous envisageons volontiers notre vie [63] et le progrès à la façon des architectes et des entrepreneurs : d'abord les fondations, puis le rez-de-chaussée, les étages et enfin le toit. Ainsi le baptême ou la conversion seraient les fondations établies de manière définitive, et une fois posées, il n'y aurait plus qu'à s'occuper d'autre chose. Or la confession nous propose une progression dont l'essentiel est de recommencer toujours la même chose : renouveler périodiquement l'aveu des mêmes péchés.

    Le progrès à la manière de l'architecte est-il concevable dans la vie que Dieu nous propose de partager avec lui ? S'il s'agit de recommencer toujours la même chose, comment pouvons-nous donc parler de progrès ? Eh bien, oui, c'est peut-être la confession qui va  nous obliger à changer radicalement d'idée sur le progrès de notre vie. En effet, un jour on commence à pressentir que tout est réclamé du chrétien, immédiatement, et que la vie chrétienne ne consiste pas en une succession de progrès quantitatifs, qu'il ne s'agit pas d'accomplir une série de devoirs, l'un après l'autre, et dont on pourrait ensuite se croire déchargés, mais bien de les accomplir tous de mieux en mieux. On comprend alors que Dieu nous propose et nous demande un seul mouvement, celui qui consiste à se  jeter en lui " en toute confiance" "par le chemin de la foi au christ ". Une fois qu'on a découvert ce qu'est ce mouvement de conversion, de mort et d'amour, on peut dire que l'on tient tout. C'est seulement une disposition très simple : " aimer ", une attitude d'âme qui entraîne " automatiquement ", si l'on peut dire, les dispositions connexes : mettre sa confiance en Dieu, s'occuper des autres, être patient, etc.

    Nous voudrions bien nous convertir en entier pour toujours, comme on quitte une pièce pour rentrer dans une autre, et qu'il n'y ait plus aucun moyen de revenir sur notre état antérieur. C'est un peu ainsi que nous [64] verrions le mariage, la vie religieuse, à la manière d'une consécration irréversible - et elle est bien ainsi dans l'invisible. Mais cet état de don, de disponibilité totale, irrévocable, est celui des bienheureux [les "bienheureux" désignent les défunts qui sont "au ciel"] et non celui des hommes qui doivent toujours recommencer, répéter, ainsi qu'un plongeur qui s'exerce indéfiniment et renouvelle le même geste pour qu'il devienne enfin naturel et non pour acquérir on ne sait quelle perfection artificielle. 

    Pour le paralysé qui réapprend à marcher, les premiers pas seront plus volontaires, compliqués et laborieux que la démarche simple et naturelle  à laquelle il parviendra à force de répétitions. Voyez les enfants handicapés : ils savent bien quelle confiance, quelle patience leur sont nécessaire pour parvenir , à force de séances de rééducation, à se servir de nouveau, du membre qui a été atteint. Eux savent bien que recommencer toujours peut avoir un sens, que leur effort, jour après jour, fait tout changer.

    Et l'on demandera alors : une fois que l'on s'est remis à Dieu, que reste t-il à faire ? Eh bien, il faut recommencer puisque nous ne sommes pas des anges, et qu'en nous [65] remettant à Dieu une fois, nous ne pouvons pas avoir la lucidité, la profondeur  et le dépouillement nécessaires pour qu'il ne soit plus besoin d'y revenir.  Il n'y a  jamais rien d'autre à faire  que ce qu'on a déjà fait : la lumière  a fait irruption dans les ténèbres, il faut que toujours aussi brusquement, mais de mieux en mieux,  et de façon de plus en plus définitive, la même lumière éclaire les mêmes ténèbres. La confession est ce moyen indispensable de répétition et de rééducation.

    Cependant, il faut bien reconnaître - et accepter - que les échecs, les difficultés sur lesquels nous butons de façon habituelle n'en serons pas, dans la pratique, résolus pour autant. Il nous sera toujours difficile, et même souvent presque impossible, de supporter telle personne, de résister à telle tentation, ou de ménager chaque jour dans notre temps un moment pour la prière.

    C'est pour un tout autre progrès que nous vivons : celui de ce moment, toujours le même, qui nous a fait passer de la mort à la vie, mais qui ne nous a pas fait encore suffisamment passer de la même mort à la même vie. La sainteté n'est rien d'autre que ce passage  qui s'accomplit de soi en un clin d’œil, qui est déjà accompli pour nous mais qui, à cause  de la nature humaine, ne l'est pas encore assez. Hélas ! nous ne sommes ni François d'Assise, ni Charles de Foucault, ni saint  Augustin.

    A suivre...

                                           Père Bernard Bro, o.p    

     

     

  • On demande des pécheurs 06

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [47]

    Au retour du fils prodigue : colère, justice ou pardon ?

    Au retour du fils, nous imaginons le père réagissant tout autrement, par la colère, par exemple : 

    - Tu n'as eu que ce que tu as voulu.

    Tandis que, devant l'injure du départ, la double injure de la rupture et de l'exigence du partage, devant tant de ressources perdues - " Il a dévoré ton bien avec des femmes " - le fils aîné proteste et dans sa colère refuse de rentrer dans la maison. réaction normale : la colère devant le gaspillage.

    Une autre attitude aurait été la justice :

    - Tu paieras ce que tu dois, travaille, rembourse en travaillant.

    Et c'est d'ailleurs ce que le fils lui-même imagine. [48] Des amis m'ont raconté l'histoire suivante qui leur avait été arrivée dans le maquis du Vercors. Un des Français, dans le petit groupe de résistants où ils se trouvaient, les avait dénoncés aux Allemands - sans qu'on ait jamais su exactement pourquoi, sans doute pour de l'argent - et, par sa faute, plusieurs partisans tombèrent dans une embuscade et furent tués. Lorsqu'il revint dans le groupe, ses camarades décidèrent, puisque des hommes étaient morts à cause de lui, qu'il avait mérité la mort. Mais comme il était chrétien, ses compagnons passèrent la nuit en prière avec lui et, au petit matin, ils le fusillèrent. C'était justice, justice humaine, terrible.

    Il y a une troisième attitude que, d'instinct, nous attribuons au père de la parabole et, ce faisant, nous la vidons de son sens. Nous assimilons volontiers cette attitude à celle de Dieu dans la confession. Ce n'est ni la colère, ni la justice, mais le pardon. Nous croyons avoir ainsi tout dit de Dieu, mais c'est alors que nous trahissons peut-être le plus cette page qui est bien le cœur de l’Évangile.  En effet, celui qui pardonne n'est pas forcément touché par son geste, il oublie, il tourne la page : " Bon, n'en parlons plus." Il se débarrasse du souci et, en même temps il se débarrasse de l'autre.

    Le père n'agit pas ainsi.

    Que lisons-nous dans la parabole?

    "Comme le fils était loin, son père l'aperçut [49] et fut bouleversé de compassion ; il courut se jeter à son cou et l'embrassa longuement." Ce qui veut donc dire que, chaque matin, le père l'attendait, et lorsqu'il l'a vu, c'est lui, le père, qui court se jeter dans les bras de son fils. Pour le père, pour Dieu, le péché n'existe pas, il est à l'avance plus que pardonné, il n'existe plus. C'est pourquoi le père n'écoute pas les excuses de son fils, il l'interrompt et dit à ses serviteurs  :

    - Vite, apportez la plus belle robe, mettez-lui un anneau au doigt, l'anneau étant le signe de l'égalité, mettez-lui des chaussures aux pieds, le signe de ceux qui ne travaillaient pas ; amenez le veau gras, on ne pouvait faire mieux.

    On assiste ainsi à un retournement extraordinaire : comme si le dénouement de la parabole n'était pas en proportion des deux premières parties. Le père semble à tel point subjugué par deux sentiments : la joie et la miséricorde, qu'il paraît  ne plus se posséder.

    Dans l'ancienne alliance, Dieu tournait le dos aux pécheurs, qui devaient lui demander de se retourner. Avant cette prédication du Christ, on pouvait croire que le pardon libérait le pécheur, sans que celui qui pardonne soit nécessairement touché par son geste. Or, ici, le Christ vient nous dire qu'en face du pécheur, l'attitude de Dieu est celle de quelqu'un qui est plus malheureux que le pécheur. Dans l'ancienne conception du pardon, Dieu donnait au pécheur ; dans la parabole, le fils donne quelque chose à son père, il lui enlève un malheur, il le soulage, c'est le père qui est libéré. C'est toute la révélation chrétienne : la première victime du péché n'est pas le pécheur, c'est Dieu, c'est Lui qui est d'abord atteint par nos infidélités.

    Le fils espérait au maximum le pardon ; et en pensant à ce pardon, il croyait avoir tout dit de son Père. Or, au retour, c'est la joie du Père qui apparaît [50] infiniment plus grande. Dieu peut enfin de nouveau être Dieu pour nous. Le Père peut enfin être Père. Le Père va pouvoir aimer : c'est cela qui est d'abord mis en avant, et non pas d'abord, que le fils ne sera plus malheureux. Ainsi de chaque "absolution" : le Père a ce mouvement, il attend, tout est déjà oublié.

    C'est bien la joie personnelle du Père qui est mise en avant dans la parabole, pour nous amener à pressentir à quel point la " loi " de Dieu (si l'on peut dire) est  un incoercible besoin d'aimer et que Dieu n'est Dieu que si on lui permet d'aimer. Ainsi nous découvrons une (...) conception [plus profonde] du péché. La faute consiste à empêcher la présence totale de Dieu à l'homme, le partage absolu, elle consiste finalement à empêcher Dieu d'aimer, à empêcher Dieu d'être père, en refusant d'être fils.

    Toutes les religions essaient bien de rendre Dieu favorable à l'homme ; ici, le Christ enseigne qu'il s'agit non pas de rendre Dieu favorable, mais de rendre Dieu libre de nous aimer, comme il aime en lui-même, en acceptant réellement d'être objet de son amour. " Scandale pour les juifs, ineptie pour les païens ", dira saint Paul. Ainsi saint Pierre, au matin de sa trahison, découvrant tout à coup le visage du Christ, aura, comme David, à la fois la révélation de ce visage, et celle du mal que le péché avait fait.

    A suivre...

                                        Père Bernard Bro, o.p

     

     

  • Confession ou psychanalyse (5)

    Suite de la conférence de François Varillon (S.J) sur la confession. Je vous recommande de lire les textes 1 à 4 avant d'entreprendre la lecture de ce post, du moins pour se pénétrer de toute la richesse de cet enseignement. (Retranscription à partir d'un enregistrement).

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    [reprise dernière phrase]

    Mais Osée, toujours sur l'ordre de Dieu, donne des noms, dont le sens symbolique laisse présager que le malheur va s’appesantir à la fois sur la vie conjugale d'Osée et sur le destin d'Israël. En effet, Gomer ne tarde pas à quitter son mari et à se prostituer de nouveau. Peut-être va t-elle exercer, au service d'un sanctuaire, la prostitution que les païens considéraient comme sacrée. Alors dans sa colère et dans sa souffrance, Osée continue d'aimer la femme infidèle. Elle s'est vendue. Il la rachète. Si, pendant un temps d'épreuve, elle consent à rester fidèle, tranquille au foyer, sans se prostituer, sans se livrer à aucun homme, Osée pardonnera tout et un jour Gomer, purifiée, aura de nouveau son rang d'épouse. Evidemment Osée ne peut pas réintroduire Gomer en son foyer en acceptant qu'elle continue à se prostituer : ce ne serait plus de l'amour, ce serait de la mauvaise complaisance. Ce serait une complaisance indigne. De même, Dieu ne peut pas pardonner à Israël en fermant purement et simplement les yeux sur son idolâtrie, sur sa débauche, sur son injustice. Il faut que Gomer soit éprouvée. Il faut qu'elle réfléchisse et qu'elle renonce librement à la volupté adultère.

    Elle le fait, et Osée rend à Gomer, purifiée et amendée, la joie du premier amour. C'est la prodigieuse révélation du pardon dans l'Ancien Testament. Ce n'est pas la première, il y avait déjà l'histoire de Joseph pardonnant à ses frères dans le livre de la Genèse.

    Mais je voudrais vous proposer de réfléchir à un autre texte de l'Ancien Testament. C'est le livre de Jonas. S'il faut vingt minutes pour lire Osée, il faut vingt-cinq minutes pour lire le livre de Jonas. Je pense que ça vaut la peine. Combien de temps passez-vous à lire Paris-Match ou l'Express ou d'autres hebdomadaires ? Nous avons un examen de conscience à faire vous savez, sérieux. Et c'est prodigieux le livre de Jonas. C'est une fable. Quand on pense que les enfants apprennent les Fables de La Fontaine, et ce sont des chefs-d'oeuvre, et les éducateurs chrétiens n'ont pas songé à leur faire étudier la fable de Jonas, comment ça se fait ? Alors on pourra bien composer des problèmes sur le sacrement de pénitence, on ignore la base, le fondement.

    Le Livre de Jonas c'est une fine satire ou une sorte d'apologue contre les Juifs qui étaient scandalisés par la patience de Dieu à l'égard des païens. Au fond, les Juifs sont ennuyés que Dieu aime Ninive. Mais Dieu aime Ninive. Ninive, la grande capitale. Alors un jour, Dieu dit à Jonas : je te donne l'ordre d'aller à Ninive, et là-bas, tâche de leur faire un beau sermon. Tu leur diras : les amis, il y a beaucoup trop de péchés dans votre ville, si elle ne se repend pas, Dieu fera éclater sa colère.

    Mais Jonas, au lieu d'aller à Ninive, prend la direction opposée. Au lieu de prendre le bateau pour Ninive, il prend le bateau pour Tarsis. Exactement comme si Dieu me donnait l'ordre de prendre le train pour Paris et que je prenais le train pour Lyon !

    Une tempête effroyable survient. Le capitaine qui est un "bien-pensant" demande à tous les passagers de prier. Et Jonas qui n'a pas la conscience tranquille - parce qu'il n'a pas obéi à Yahvé - va se cacher au fond de la cale. On finit par le trouver et on lui dit : pourquoi tu ne pries pas toi ? Alors les mariniers se disent les uns aux autres : on va jeter le sort afin de savoir d'où vient le mal. Il y a un coupable parmi nous. Il est responsable de la tempête. Et le sort tombe sur Jonas et on jette Jonas à la mer.

    Dieu fit venir un gros poisson, un poisson qui engloutit Jonas. Dans le ventre du poisson, Jonas fait oraison. Il a le temps ! [rires de l'auditoire]. Et Jonas demande pardon à Dieu de lui avoir désobéi. Et Dieu lui pardonne. Dieu dit alors deux mots au poisson et le poisson crache Jonas sur la terre. Alors Dieu dit à Jonas : tu vois, je t'ai pardonné. Est-ce que tu vas maintenant m'obéir ? Je te réitère l'ordre d'aller à Ninive et d'y faire un grand sermon pour annoncer ma colère s'ils ne font pas pénitence. Alors cette fois Jonas obéit. Mais on sent bien qu'il est inquiet. Il voudrait se dérober. Visiblement, ce sermon  qu'il a à faire l'ennuie. Enfin, il fait son grand sermon dont voici le résumé : il y a beaucoup de péchés dans votre ville : encore quarante jours et Ninive sera détruite. A ce moment-là grand branle-bas dans la capitale. Tout le monde se met à jeûner, à se revêtir d'un sac du plus petit jusqu'au plus grand. Le roi lui-même enlève son manteau royal, se couvre d'un sac, quitte son trône, s’assoit sur la cendre, et il fait publier un décret ordonnant une pénitence générale.

    Qu'est-ce que vous voulez que Dieu fasse ?

    Naturellement Il pardonne à Ninive. Il ne met aucune de ses menaces à exécution. Alors Jonas est furieux et il dit à Dieu : je savais bien que tu allais passer. C'est toujours la même histoire ! Vous m'envoyez faire des sermons ; vous voulez que de votre part je profère des menaces, que je parle de votre colère. Croyez-vous que je ne commence pas à vous connaître ? Vous êtes un Dieu miséricordieux, vous pardonnez, vous êtes clément. C'est bien pour ça que je me suis enfui la première fois. De quoi est-ce que j'ai l' air ? J'annonce des choses terribles de votre part et puis, rien, vous pardonnez !  J'en ai assez de faire l'imbécile.

    Dieu lui dit : Jonas, as-tu raison de t'irriter ? Tu as tort d'être furieux !  

    Alors Jonas se met à bouder, et il va s'asseoir dans la banlieue, à côté des fortifs. Alors Dieu pousse la bienveillance jusqu'à faire pousser un ricin pour donner de l'ombre à Jonas. Mais à l'aube un ver pique le ricin  et le ricin sèche. Jonas est de plus en plus furieux. Il est en plein soleil. Il attrape la migraine. Et il dit : décidément la mort vaut mieux que la vie. Alors Dieu lui dit : fais-tu bien de t'irriter à cause de ce ricin ? Tu t'affliges au sujet d'un ricin pour lequel tu n'as pas travaillé et que tu n'as pas fait croître ; qui est venu en une nuit et qui a péri en une nuit. Et tu voudrais que moi je ne m'afflige pas au sujet de Ninive, la grande ville dans laquelle il y a plus de cent vingt mille hommes qui ne savent pas distinguer leur droite de leur gauche. Et des animaux en grand nombre. Et tu voudrais que je ne les aime pas ? Et tu voudrais que je ne leur pardonne pas ?

    C'est admirable. C'est admirable !

    Le péché de Jonas c'est de n'avoir pas participé à la joie de Dieu. La joie de pardonner.

    C'est le péché des pharisiens dans l’Évangile qui consiste à ne pas se réjouir avec Dieu du pardon accordé à Ninive repentie.  

    Moralité de tout cela : le cœur de Dieu est plus grand et plus large que le cœur de l'homme. Et c'est tout cela que nous retrouvons dans le Nouveau Testament  avec les trois paraboles du chapitre quinzième de saint Luc.

                                                                                  A suivre....

                                                            François Varillon  S.J

  • Chemin vers Pâques (9)

    [29]

    C'est une des fonctions principales, et ingrates entre toutes, des Prophètes, dans l'Ancien Testament, que de mettre le doigt sur le péché de leurs contemporains, depuis Nathan qui reproche sa faute à David jusqu'à Jean-Baptiste qui, précurseur du Christ sur ce point plus que sur tout autre, dénonce l'injustice et l'hypocrisie  des Juifs de sa génération. Ce sont les prophètes qui en dévoilent la profondeur humaine et pour ansi dire théologale : le péché leur apparaît comme le mal de l'homme, le mal qui le vicie au plus intime de lui-même dans sa nature d'être "fait pour Dieu" et lui fait "manquer" son but, c'est-à-dire le mal qui s'oppose directement au salut ; et il se situe toujours pour eux au plan des relations de l'homme avec Dieu, qu'il soit exprimé en termes de souillure ou d'orgueil en face du Dieu trois fois saint (Isaïe), d'injustice [30] (Amos), de prostitution ou d'adultère (Osée), d'infidélité ou d'apostasie (Jérémie, Ezechiel), ou finalement, et plus habituellement, de manque de foi : parce que la foi est, pour eux, l'attitude juste de l'homme devant Dieu, et que le péché en prend exactement le contre-pied (cf. note en italique après ce texte).

    Cette profondeur humaine et théologale du péché, constatent les prophètes, Jérémie surtout, exclut la possibilité pour l'homme de s'en purifier et de s'en guérir, et même celle de ne pas pécher et de se convertir vraiment : l'habitude du mal a recouvert [31] les hommes comme d'une seconde nature, elle les a infectés jusqu'au coeur : " Un Ethiopien peut-il changer de peau ? Une panthère de pelage ? et vous, pouvez-vous bien agir, vous les habitués du mal ?" écrit Jérémie (13, 23), et encore : " comme un puits qui fait sourdre son eau, ainsi (Jerusalem) fait-elle sourdre sa méchanceté " (Jr 6,7), et : " Le péché de Juda est écrit avec un stylet de fer, avec une pointe de diamant, il est gravé sur la tablette de leur coeur " (Jr 17,1). Constatation effrayante, accompagnée de celle, non moins effrayante, de l'universalité du péché (cf. Is 9,16 ; Jr 5, 4-5 ; Ez 3,7 ; Mi 7,1 ; Ps 53, 2-4 et aussi Jr 2,20 ; Is 43,27)  

    Le péché a donc envahi l'humanité, il est entré "dans sa peau", il a infecté son sang, il a pénétré jusqu'à son coeur. Mais d'où cela vient-il ?

    Une telle question n'est pas le fait des Prophètes, mais de la réflexion sapientielle, et c'est un des auteurs de la Genèse, le "yahviste", qui, inspiré par l'Esprit, a donné l'essentiel de la réponse. Le récit de la chute, qu'il place à l'orée de l'Histoire du salut, a une immense portée ; il explique l'invasion du mal en notre monde, d'abord, mais il fait beaucoup plus ; car, du fait de l'intention de son auteur, il nous invite à ne voir dans tous les maux et tous les péchés de l'humanité que les fruits de cette racine amère ; c'est le même venin, inoculé par le serpent au Jardin d'Eden, qui empoisonne la vie de tous les hommes, et les péchés qui seront perpétrés tout au long de l'histoire seront les expressions multiformes d'un même vice, d'un même désordre. Le yahviste nous dévoile ainsi ce qu'est le péché dans son fond, et ce qu'il demeurera toujours essentiellement quelles que soient les formes extérieures dont il s'habillera.

                                                                    A suivre....

    Note du P. C. Richard :

    "Mal de l'homme, le péché est-il aussi le mal de Dieu ? L'Ancien Testament (A.T) affirme à plusieurs reprises que le péché ne saurait atteindre Dieu en Lui-même : car il est le Saint, et transcende infiniment toutes ses créatures (cf Jr 7,19 ; Jb 33, 5-8 et 22,3 ; 1 Sm 15,29). Et le Nouveau Testament (N.T) , apparemment, reprend à son compte cet enseignement, par exemple en 1 Jn 1,5 : " Dieu est Lumière, en Lui il n'y a pas trace de ténèbres." Cette parole n'est-elle pas l'affirmation de l'absence en Dieu de tout genre de mal, y compris celui de la souffrance ? Effectivement la raison semble nous persuader que le Dieu éternel et absolument parfait ne peut être en Lui-même atteint par aucun mal, que son bonheur est nécessairement infini et sans mélange. Pourtant de très nombreux passages de l'A.T parlent de la jalousie de Dieu, de sa colère ou de sa déception en présence du péché de l'homme, ainsi que de son repentir de l'avoir créé ; et tous ces sentiments comportent une part de souffrance. Anthropomorphisme, si l'on veut, mais comment parler de Dieu sans anthropomorphisme ? Et le N.T ne fait que confirmer cette mystérieuse révélation ; que l'on pense par exemple à l'attente angoissée du père de l'enfant prodigue (Lc 15) ou à la "colère de l'Agneau" (Ap) ; saint Paul affirme même explicitement que chacun a la possibilité de "contrister le Saint Esprit" (Eph 4,30). Mais surtout le Christ souffrant sur la Croix est manifestement, au regard de la foi chrétienne, un sommet de la révélation de ce qu'est Dieu en Lui-même. Ce n'est pas seulement au niveau de son humanité que Jésus a souffert : la croix est inscrite au plus intime du Mystère même de Dieu. Malgré le paradoxe, il faut donc affirmer : il n'y a pas, même en Dieu, d'amour sans souffrance. (...) La transcendance de Dieu c'est la transcendance de l'amour, d'un amour sans aucun mélange de retour sur soi ou d'égocentrisme. C'est dire que, si Dieu souffre, c'est uniquement du mal que l'homme se fait à lui-même (...) Une telle souffrance ne peut donc aucunement être apaisée par une oeuvre humaine, aurait-elle été accomplie par Jésus lui-même, qui aurait pour fin d'expier l'offense ou de faire "réparation". Elle ne s'apaisera que dans la mesure où le mal sera supprimé dans l'homme que Dieu aime, comme la souffrance d'une mère angoissée ne s'apaise qu'avec la guérison de son enfant malade. On ne peut donc pas appuyer sur le mystère de la souffrance de Dieu les théories juridiques de la rédemption, sous quelque forme qu'elles se présentent, quand elles avancent que l'offense faite à Dieu par le péché exige en justice une "réparation" ou une "satisfaction" adéquate, laquelle serait la condition du pardon de Dieu et du salut de l'homme. (Cf. Père Varillon, l'humilité de Dieu et La souffrance de Dieu, Le Centurion 1974 et 1975)

     

    Claude Richard - Il est notre Pâque - Cerf , 1980  

    Claude Richard a été abbé de l'abbaye cistercienne Notre-Dame de Timadeuc, près de Rohan.

  • souillure, culpabilité et péché

    La capacité à se réconcilier avec autrui dépend de la réconciliation avec soi-même. Pour situer la nature de celle-ci, il est utile de rappeler la distinction faite par Ricoeur entre souillure, péché et culpabilité dans l'expérience du mal (cf. Paul Ricoeur - Le conflit des interprétations - Seuil, 1969. p. 486). Le sentiment de la souillure est le plus archaïque. Il est lié à la crainte d'avoir enfreint un interdit et d' être justiciable de la vengeance d'une puissance sacrée. Il s'exprime dans la symbolique du pur et de l'impur et requiert donc une purification afin que l'être amoindri soit restauré dans sa dignité. Celle-ci a été atteinte par l'irruption d'un mal extérieur reconnu présent au-dedans de soi. La gestion de la souillure est donc, avant tout, d'ordre rituel afin que l'extériorité du mal ne vienne plus submerger l'intérieur de l'homme. Dépassant l'identification faite par les religions anciennes entre le mal et la souillure, la Bible a introduit pour sa part la notion de péché,  définissant l'action mauvaise comme étant un acte accompli devant Dieu. Ce mal n'est plus d'abord une réalité extérieure devenue intérieure, mais un écart entre le comportement effectif et les exigences de l'alliance avec Dieu. Le péché est un acte objectif qui entraîne la rupture de la relation avec le Créateur. Il provoque la colère divine et constitue à ce titre une menace d' anéantissement. Enfin, la naissance du sentiment de culpabilité constitue une nouvelle étape dans l'interprétation du mal. Elle est liée initialement au développement de la conscience subjective du péché. Cet affinement du jugement personnel dans la responsabilité à l'égard du mal peut finalement se détacher de la notion de péché elle-même. La perception d'une action accomplie "devant Dieu" cède la place au sentiment d'être, à ses propres yeux,  coupable de cet acte. À l'image de l'écart propre à la notion de péché se substitue alors celle d'un poids pesant sur la conscience, une conscience qui se juge elle-même selon les critères de la raison.  Aujourd'hui, chacun de ces aspects de l'expérience du mal peuvent se compénétrer à des degrés divers.

    Le sentiment d'être pécheur relève de l'expérience religieuse, tandis que le sentiment de culpabilité peut s'interpréter du seul point de vue psychologique. Se reconnaître pécheur et se sentir coupable ne sont pas des actes équivalents, même s'ils peuvent être vécus dans le cadre d'une même situation. Le sentiment de culpabilité est une réalité universelle, que connaît tout être humain et dont les ressorts profonds sont inconscients. Il s'éprouve cependant consciemment en relation plus ou moins explicite avec des fautes objectives, mais ni la faute, ni le sentiment éprouvé subjectivement ne sont suffisants pour parler de péché. Ce terme est en effet une réalité  de foi qui suppose la conscience d' avoir blessé l'amour de Dieu. Concrètement, cela signifie que la confession des péchés n'est pas une auto accusation, mais un aveu fait à Dieu. Dans le premier cas, le sujet reste en présence de lui-même et de sa déception au regard de ce qu'il souhaiterait être. Dans le second, il prend conscience de son égarement en accueillant  l'amour de Dieu. La culpabilité est source de crainte lorsqu'il y a violation d'un interdit, ou de honte s'il s'agit d'une perte de l'estime de soi au regard d'un idéal.

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB 2008, PP. 289-290

  • chemin de pardon (1)

    (...) Cette conscience du pardon de Dieu apparaît tout particulièrement dans l'étrange récit de la guérison du paralytique au début le l'évangile selon saint Marc (cf. Mc 2, 1-12). Un homme, porté sur une civière, est introduit auprès de Jésus par le toit à l'intérieur d'une maison bondée. Cet épisode donne lieu à une déclaration de celui-ci sur le pardon des péchés qui provoque intérieurement l'accusation de blasphème de la part des pharisiens. Cette même accusation sera reprise par le grand prêtre au moment du procès lorsque Jésus se présentera comme le Juge véritable, « le Fils de l'Homme siégeant à la droite du Tout-Puissant » (Mc 14,64). Représentons-nous un peu la scène: Jésus se trouve à Capharnaüm dans la maison de Pierre où s'entasse une foule compacte. Le moment est solennel: il annonce la Parole. Voilà quatre hommes portant un paralytique qui percent le toit en torchis d'un trou suffisamment large pour faire descendre un brancard. Nous pouvons imaginer le temps que cela a pris, la quantité de poussière et de matériaux reçue par les auditeurs de Jésus et sans doute par Jésus lui-même, le mouvement de cette foule qui se voit contrainte de réceptionner l'infirme et de lui faire une place. Durant tout ce temps, Jésus est interrompu dans sa proclamation de la Parole. Il voit cependant dans cette véritable intrusion le signe d'une confiance admirable. Il déclare alors à l'infirme: « Tes péchés sont pardonnés. » Ce n'était pas vraiment ce que celui-ci attendait, mais Jésus ne s'en soucie pas. Il lit dans la pensée de ses adversaires l'accusation de blasphème et justifie alors son acte en guérissant l'infirme par sa seule parole: « Lève-toi; prends ton brancard et rentre chez toi. »

    Jésus ne proclamera un tel pardon des péchés qu'une seule autre fois dans les évangiles. Saint Luc rapporte en effet un épisode dont le contexte est à nouveau celui d'une intrusion provocante (cf. Lc 7,36-50). Un pharisien offre dans sa maison un repas à Jésus, voici qu'entre une prostituée. Elle se tient derrière le Maître et arrose ses pieds de ses pleurs. Elle les essuie avec ses cheveux, les couvre de baisers, puis les inonde d'un parfum précieux. Jésus, pour d'autres motifs que dans l'épisode précédent, a dû avoir quelques difficultés à poursuivre la conversation avec son hôte. Là aussi, il discerne les pensées secrètes de ce dernier: « Si cet homme était prophète, il saurait que cette femme est une pécheresse ! » Après un habile dialogue avec celui-ci pour justifier son acte, il fait à la femme cette déclaration qui étonne les témoins: « Tes péchés sont pardonnés ! » Les bénéficiaires d'un pardon explicite de la part le Jésus sont donc à deux reprises des personnes qui ont osé une intrusion spectaculaire auprès de lui.

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB, 2008 pp.99-100

     

  • Les conceptions du salut (2)

    Il nous faut d'abord constater que la culpabilité et le péché accablent l'homme. Les bouddhistes, eux aussi, se sentent coupables quand ils ne prennent pas au sérieux leur existence et quand ils ne parviennent pas à vivre selon leur véritable nature. Et aujourd'hui bien des hommes souffrent de se condamner eux-mêmes par le seul fait qu'ils ne vivent pas vraiment en fonction de leurs représentations. Ils se condamnent eux-mêmes quand ils ne respectent pas leurs propres normes intérieures en se laissant guider par leur concupiscence.

    Dans le bouddhisme, la rédemption est avant tout l'affranchissement de toute concupiscence. (...) Mais comment les hommes se traitent-ils eux-mêmes quand ils sont dépendants de leur concupiscence ? (...) Beaucoup se sentent eux-mêmes intolérables. Nous ne devons pas faire retomber la faute sur le christianisme. Au contraire, ce sentiment de culpabilité est inhérent à toute existence humaine. Et c'est bien une bonne nouvelle libératrice de ne pas être contraint d'avoir à "racheter" ce sentiment de culpabilité ; mais nous pouvons croire au fait que nous sommes accueillis par Dieu sans condition avec  nos désillusions , notre médiocrité et notre lâcheté, notre duplicité et notre mensonge. (...) Cet amour qui triomphe du péché et qui l'enlève se manifeste de façon la plus visible sur la croix. (...)

    Si sur la croix Jésus pardonne même à ses bourreaux, c'est qu'il n'existe en moi aucune faute qui ne puisse être pardonnée. Ainsi la croix nous affranchit de tout reproche individuel et de toute accusation de soi. C'est un aspect essentiel de la Rédemption.   

    Anselm Grün - La foi des chrétiens - Desclée de B, 2008

  • la vraie vie est dans la relation

    Il y a bien des années, je me trouvais prêtre de garde, comme on disait, dans une grande paroisse de Paris. On voyait de tout. Un jour, je vis venir à moi une pauvre petite prostituée. Je me souviens encore de son nom : Anne-Marie. Elle me dit qu'allait partir pour un bordel d'Afrique du Nord. Je la mis en garde. C'était bien inutile ; elle savait qu'elle partait pour l'horreur et la mort.
        « Mais, me dit-elle, la fille qui devait y aller a un enfant. Il faut qu'elle puisse s'occuper de son enfant. Alors, je pars à sa place. »
        Seigneur Dieu!
        Peut-être était-ce l'instinct suicidaire, le masochisme, la culpabilité morbide, je ne sais quoi. Mais peut-être était-ce vrai. Et peut-être les deux.
        Qui d'entre vous, bonnes gens, prendra la première pierre ? Et même, bonnes gens, qui d'entre vous aura quelque chose à dire ? Et quoi ?
        Je crois, ou plutôt je sais, qu'il y a des êtres humains (j'en ignore le nombre) qui vivent la sainteté du Dieu de Jésus Christ hors des chemins tracés, hors de toute loi, dans les abîmes,  dans le monde froid, dans le fond de la mer. Pour qui ne pas se tuer (les pilules sont sous la main) est minute à minute un acte de foi dont l'héroïsme pourrait faire pâlir bien des héros de la foi. Pour qui ne pas céder au désir compulsif, frénétique, fou, ou le retarder un peu, demande un courage, un amour, une vertu cent fois plus grands qu'à d'autres le maintien tranquille d'un célibat heureux.

    Pour qui ne pas désespérer de Dieu, ne pas vomir le Christ et rester là, muets, immobiles, dans l'attente impossible que la parole aimante renaisse de ses cendres, est un amour de Dieu sans goût et sans consolation, mais plus fort que la mort où ils sont.
        En retour, il y a quelque chose qui demeure incompréhensible chez beaucoup de croyants : c'est leur dureté. Je ne parle point ici des hypocrites ; je parle des gens qui ont, autant qu'on puisse savoir, une foi sincère, un désir réel du bien, voire une conscience chatouilleuse et des engagements coûteux au service de Dieu et des hommes.
        Comment peut-on être riche, riche à crever, et savoir que cette richesse provient tout droit du sang des pauvres, et aller à la messe, et se confesser « j'ai eu de mauvaises pensées »)
    et défendre crânement la vraie religion contre ses adversaires ? Comment peut-on être théologien, et bon théologien, être écouté et faire du bien, et crever de jalousie envers les collègues, et soupçonner l'orthodoxie des autres, et ne concevoir sa propre grandeur que dans l'abaissement d'autrui ? Comment peut-on être dévoué, donné, consacré 24 h sur 24, et être incapable d'entendre, fermé impitoyablement à la douleur réelle d'autrui, à sa demande réelle, et opposer à la vérité des gens l'implacable savoir du bien ? 

    Ainsi y a-t-il d'un côté ces dévoyés, ces pauvres fous, ces gens de péché qui, dans leur errance, peuvent témoigner du Dieu vivant et de l'autre ces gens de bien qui peuvent être pris sans même le voir dans les filets du Mauvais.
        Vieille histoire. «Je te remercie. Seigneur, de ce que je ne suis pas comme les autres hommes... »
        Et l'autre, dans le fond : «Pitié de moi, qui suis pécheur. » Et celui-ci s'en fut justifié - pas le premier. On s'en est beaucoup servi, de cette histoire, pour discréditer la vertu. Contre-sens complet. Le bien est le bien, le mal est le mal. Mais le bien et le mal en nous sont mêlés, mélangés, ils passent l'un en l'autre. Les cartes sont brouillées.
        Méfions-nous du miroir, de la perfection du miroir ! L'homme moderne a beaucoup aimé l'introspection et le chrétien l'examen de conscience. Je me regarde et me compare au modèle saint. Suis-je conforme ?


    Mais peut-être n'as-tu vu dans le miroir que ton illusion ? Et peut-être ne vois-tu dans le modèle que le miroir de tes rêves ?
        L'image se défait ; l'image de cette perfection qui est comme un tableau à remplir : une figure peinte sur le mur qu'il faudrait imiter !
        Notez bien: le contenu peut varier. Il y a la perfection à couleur janséniste et individuelle, dure répression intérieure, forçage des humeurs, introspection morale. Mais il y a aussi la perfection à couleur collective et militante, tension forcenée dans l'action, dévouement épuisant, critique réciproque sans pitié.
        Le trait commun, c'est cette rage de parvenir à l'image satisfaisante de soi. Image pour Dieu, mais pour un Dieu qui, sous ses vêtements d'amour, a la poigne du despote.
        A moins que ce ne soit, en ultime vérité, image pour soi, image pour se justifier et s'apaiser enfin soi-même ; Dieu ne ferait office que de support et garant.
        Peinture cruelle. Est-elle juste ? Si l'on veut l'appliquer aux gens pour les juger, sûrement pas. Mais, dans son excès possible, ne dit-elle pas une menace réelle ? Ne dit-elle pas la pente dangereuse d'une conception de la perfection qui finalement oublie et Dieu et l'homme au profit de son grand fantasme ?
        Mais il faut bien que ce fantasme ait des motifs, tout de même ! En effet, il en a.
        Il donne à l'homme le sentiment qu'il peut atteindre le but, le grand but, l'accomplissement, la vie, la vie éternelle, en faisant l'économie et de la vérité, et de l'autre. Car la vérité me déloge de ce rêve, elle me renvoie à ce que je préférerais ne pas savoir de moi. Et l'autre m'enlève de cette place : car il me signifie que la vraie vie est dans la relation, dans l'amour et son épreuve, et non dans la poursuite solitaire de mon idéal.

    Maurice BELLET 

    http://www.mauricebellet.eu/

  • Le Grand Inquisiteur

    La parabole [ R.-L. Bruckberger fait allusion ici au roman de Dostoïevski, les Frères Karamazov, en particulier la parabole du Grand Inquisiteur ] suppose qu'au XVI ème siècle, à Séville, vous êtes revenu sur terre, et que le petit peuple vous a reconnu ; qu'il s'est même précipité vers vous. Le Grand Inquisiteur, cardinal de l'Eglise romaine, survient, vous fait arrêter et jeter en prison, où il vient vous parler. C'est lui qui vous dit : "Des siècles passeront, et l'humanité proclamera, par la bouche de ses savants et de ses sages, qu'il n'y a plus de crimes, et par conséquent qu'il n'y a plus de péchés : il n'y a plus que des affamés. Nourris-les, et alors exige d'eux qu'ils soient vertueux ! Voilà ce qu'on écrira sur l'étendard de la révolte qui abattra ton temple." Ainsi vous parlait le Grand Inquisiteur.

    Béni soit votre serviteur Dostoïevski, ancien forçat, épileptique, ivrogne sur les bords, perdu de dettes, joueur, romancier, et Russe par-dessus le marché ; il fut un de vos prophètes, je veux dire que l'esprit prophétique de votre Eglise, - qui est un esprit de souffrance, d'espérance, et d'une lucidité déchirante de l'avenir, et qui est l'instinct de conservation de ce que l'Eglise a de plus vital, il conserve l'âme de l'Eglise, - cet esprit s'est exprimé par lui. Dostoïevski a discerné et dit à l'avance le péril extrême qui menace l'Eglise dans son âme et sa raison d'être. Un univers dont l'idéal est d'assurer la santé et la prospérité matérielle de l'espèce humaine sur terre n'aura plus aucune place pour vous.

    L'homme de ce nouvel univers aura même sa vertu à lui, qui aura ses critères absolument différents de ceux de la vertu qui se réclame de vous. Cet univers aura besoin de toujours plus d'hygiénistes, de biologistes, mais il n'aura pas besoin de saints, parce qu'en éliminant la notion même de péché le pécheur même devient inconcevable et de même le saint. 

    Comme toujours quand il s'agit de prophétie vraie, la manière dont elle se réalise déborde un peu l'expression du prophète. C'est non seulement "Nourrissez-les !" mais aussi "Guérissez-les !" qu'il pouvait dire. La médecine n'est plus qu'une annexe de l'économie, et l'économie est la science totale du bonheur humain. Le but de la société est de nourrir l'homme, de le guérir éventuellement, de le faire jouir de la terre, de le combler de commodités matérielles, et de le convaincre que s'il a tout cela il ne peut être qu'heureux. Celui qui ne serait pas content de la terre et de son bonheur serait un inadapté (...) Alors que veulent dire les mots "rédemption" et "rédempteur", du moment qu'il n'y a plus ni péché ni pécheurs ? (...)

    Ce qui, il y a un siècle, pouvait encore passer pour une prophétie n'est plus qu'une photographie du monde actuel. Curieusement, la prophétie a commencé de se réaliser par la patrie de Dostoïevski. La prophétie n'a pas protégé la Russie. Mais c'est aussi par la Russie peut-être que votre royaume réapparaîtra sur terre. Malgré l'énorme entreprise qui vise à vous éliminer du destin de l'homme, il y a de plus en plus d'hommes et de femmes russes qui languissent pour vous. (...)

    R-L Bruckberger - Lettre ouverte à Jésus-Christ - Ed. Albin Michel, 1973  

     

  • La clef du Royaume (1)

    Le véritable patron de notre monde moderne, celui qui lui tend le miroir prophétique de sa conversion possible, c'est le bon larron, si près de la piété russe traditionnelle.

    - Seigneur, souvenez-vous de moi, quand vous serez dans votre paradis !

    - En vérité, en vérité, je te le dis, aujourd'hui même, tu seras avec moi au paradis ! 

    Il me semble que Jésus ne pouvait dire plus clairement que du moment qu'on est sur la croix, la clef est déjà introduite dans la serrure du paradis, à la condition bien entendu que cette croix soit acceptée et même aimée. Car enfin le mauvais larron est dans la même situation que le bon larron, et il blasphème jusque sur la croix. N'oublions jamais que le seul saint canonisé par Jésus-Christ est un bandit de grands chemins, justement puni pour ses crimes. Mais il accepte de plein coeur - et c'est là qu'il est antimoderne - et son châtiment, et sa souffrance, et sa mort, parce qu'il a deviné que la croix sur laquelle il est cloué est la clef même du paradis dont son voisin de supplice est le Seigneur.

    Non ! Mille fois non ! le christianisme n'est pas un dolorisme, ni un sadisme, ni un masochisme, ceux qui le disent mentent. C'est littéralement la religion de la joie et de la Gloire, puisqu'il est la religion de la Vie et de son épanouissement, il est vrai, sur-naturel. Il place très haut cette joie, il situe très haut cette Gloire, sur des sommets naturellement inaccessibles, dont le seul Christ nous a ouvert le sentier escarpé. Entre d'une part cette joie et cette Gloire et d'autre part nous, nous autres hommes, il y a des obstacles à franchir : notre nature même, paradoxale, animale et spirituelle, enfant de la terre et du ciel, de plain-pied avec ce que ce monde a d'éphémère, et en même temps ouverte sur un infini de désir. Et cette nature humaine elle-même n'est pas intacte, elle est blessée, affaiblie, claudicante, atteinte dans ses forces vives par le péché dont le fruit est la mort. Je sais bien que cette conception de l'homme ne correspond à aucune des données actuelles de la science : la science ne connaît pas le péché et ne peut pas le connaître, et elle hait la mort qu'elle est pourtant bien obligée d'admettre.  

     

    R.L Bruckberger - La Révélation de Jésus-Christ - Grasset 1983