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saint paul

  • péché originel, péché universel

    [131] Le péché originel, quelles que soient les discussions qu'on peut faire sur son origine et les définitions qu'on peut en donner, c'est un péché universel, mais qui entraîne à un mauvais universel, au règne de l'individualisme et du particularisme, par opposition à celui dont nous parlions  voici quelques instants en citant saint Paul, à la croissance de la personne qui s'agrandit aux dimensions totales de l'humanité. Ce qui apparaît comme le péché originel, c'est tout ce qui renferme l'homme sur lui-même, le replonge dans son passé, le rabat vers une jouissance immédiate, lui  donne de se contenter de son petit bonheur quotidien. C'est une force d'inertie qui l'empêche de grandir et d'évoluer, de s'ouvrir à l'appel des autres ; c'est aussi l'envie, la jalousie du bonheur de l'autre, le mauvais désir de lui enlever son bien. Ce désir peut lui donner la force mauvaise de combattre l'autre, de le voler, de le réduire en servitude. Et cette force peut s'emparer de tout un clan, de tout un pays, de toute une société, lui donner le vertige de dominer d'autres peuples, voire le monde entier, l'ivresse de verser le sans de ses semblables. On parle d'un péché "originel", parce qu'on le trouve partout à l'oeuvre, partout rampant et renaissant, dans le plus lointain passé des peuples comme au début de toute vie individuelle. 

    Des philosophes l'ont défini comme le mal fondamental ou radical, comme la "sécession" ou "division des consciences". C'est le fait que les hommes ne parviennent pas à dire un vrai "nous" dans lequel  tous les "je" d'alentour pourraient s'épanouir et s'exprimer harmonieusement. Ou bien le moi s'agrandit à un nous exclusif : nous, les Français par opposition aux Allemands ; nous, les gens de notre classe, pour se distinguer des petites gens. Ou bien le nous abolit le je : la famille qui empêche l'émancipation des enfants, la société tyrannique qui ne tolère pas de différences. Dans le dogme catholique, le péché originel est ce qui empêche l'humanité créée à l'image du Dieu unique, de parvenir à l'unité, et l'individu, destiné à devenir fils de Dieu, de revêtir sa pleine dignité de personne humaine. Le "monde présent" auquel il ne faut pas "se conformer", selon Paul, c'est ce mal qui nous ronge [133] du dedans depuis notre naissance - pas un mal inguérissable, une malédiction, une fatalité qui nous poursuit - et nous pénètre aussi bien du dehors, de partout, en vertu des liens de solidarité qui nous lient aux hommes de tous les temps et de tous les lieux. (...)

    Il nous faut lire le péché du "premier homme" comme le fait saint Paul qui lui oppose tout de suite la figure du Christ (Lettre aux Romains, chap.5). La croyance au péché originel n'est pas propre au christianisme, on trouve quelque mythe analogue dans la plupart des récits de création ; ce mythe exprime la conscience des hommes d'être victimes d'un mal dont ils sont aussi coupables et qui est la rançon de leur grandeur. Mais le christianisme leur donne l'espérance  et l'assurance d'échapper finalement à ce mal, car, tous solidaires en "Adam", ils le sont également dans le Christ, et ils partageront sa victoire sur la mort s'ils communient à sa lutte contre tout ce qui opprime et enlaidit l'humanité.

    De quel soutien nous est Jésus aujourd'hui dans un monde qui idolâtre la consommation, l'appât du gain quel est l'avantage d'envisager la vie à sa suite comme un [134] combat où il y aura fatalement des gagnants et des perdants ? Il est un soutien, parce qu'il montre que la résurrection est sortie de sa mort et qu'il en sera pour nous comme pour lui. (...)     

    Joseph Moingt - Croire quand même - Ed. TempsPrésent 2007

    site de l'éditeur : www.temps-present.fr

     

  • Chemin vers Pâques (9)

    [29]

    C'est une des fonctions principales, et ingrates entre toutes, des Prophètes, dans l'Ancien Testament, que de mettre le doigt sur le péché de leurs contemporains, depuis Nathan qui reproche sa faute à David jusqu'à Jean-Baptiste qui, précurseur du Christ sur ce point plus que sur tout autre, dénonce l'injustice et l'hypocrisie  des Juifs de sa génération. Ce sont les prophètes qui en dévoilent la profondeur humaine et pour ansi dire théologale : le péché leur apparaît comme le mal de l'homme, le mal qui le vicie au plus intime de lui-même dans sa nature d'être "fait pour Dieu" et lui fait "manquer" son but, c'est-à-dire le mal qui s'oppose directement au salut ; et il se situe toujours pour eux au plan des relations de l'homme avec Dieu, qu'il soit exprimé en termes de souillure ou d'orgueil en face du Dieu trois fois saint (Isaïe), d'injustice [30] (Amos), de prostitution ou d'adultère (Osée), d'infidélité ou d'apostasie (Jérémie, Ezechiel), ou finalement, et plus habituellement, de manque de foi : parce que la foi est, pour eux, l'attitude juste de l'homme devant Dieu, et que le péché en prend exactement le contre-pied (cf. note en italique après ce texte).

    Cette profondeur humaine et théologale du péché, constatent les prophètes, Jérémie surtout, exclut la possibilité pour l'homme de s'en purifier et de s'en guérir, et même celle de ne pas pécher et de se convertir vraiment : l'habitude du mal a recouvert [31] les hommes comme d'une seconde nature, elle les a infectés jusqu'au coeur : " Un Ethiopien peut-il changer de peau ? Une panthère de pelage ? et vous, pouvez-vous bien agir, vous les habitués du mal ?" écrit Jérémie (13, 23), et encore : " comme un puits qui fait sourdre son eau, ainsi (Jerusalem) fait-elle sourdre sa méchanceté " (Jr 6,7), et : " Le péché de Juda est écrit avec un stylet de fer, avec une pointe de diamant, il est gravé sur la tablette de leur coeur " (Jr 17,1). Constatation effrayante, accompagnée de celle, non moins effrayante, de l'universalité du péché (cf. Is 9,16 ; Jr 5, 4-5 ; Ez 3,7 ; Mi 7,1 ; Ps 53, 2-4 et aussi Jr 2,20 ; Is 43,27)  

    Le péché a donc envahi l'humanité, il est entré "dans sa peau", il a infecté son sang, il a pénétré jusqu'à son coeur. Mais d'où cela vient-il ?

    Une telle question n'est pas le fait des Prophètes, mais de la réflexion sapientielle, et c'est un des auteurs de la Genèse, le "yahviste", qui, inspiré par l'Esprit, a donné l'essentiel de la réponse. Le récit de la chute, qu'il place à l'orée de l'Histoire du salut, a une immense portée ; il explique l'invasion du mal en notre monde, d'abord, mais il fait beaucoup plus ; car, du fait de l'intention de son auteur, il nous invite à ne voir dans tous les maux et tous les péchés de l'humanité que les fruits de cette racine amère ; c'est le même venin, inoculé par le serpent au Jardin d'Eden, qui empoisonne la vie de tous les hommes, et les péchés qui seront perpétrés tout au long de l'histoire seront les expressions multiformes d'un même vice, d'un même désordre. Le yahviste nous dévoile ainsi ce qu'est le péché dans son fond, et ce qu'il demeurera toujours essentiellement quelles que soient les formes extérieures dont il s'habillera.

                                                                    A suivre....

    Note du P. C. Richard :

    "Mal de l'homme, le péché est-il aussi le mal de Dieu ? L'Ancien Testament (A.T) affirme à plusieurs reprises que le péché ne saurait atteindre Dieu en Lui-même : car il est le Saint, et transcende infiniment toutes ses créatures (cf Jr 7,19 ; Jb 33, 5-8 et 22,3 ; 1 Sm 15,29). Et le Nouveau Testament (N.T) , apparemment, reprend à son compte cet enseignement, par exemple en 1 Jn 1,5 : " Dieu est Lumière, en Lui il n'y a pas trace de ténèbres." Cette parole n'est-elle pas l'affirmation de l'absence en Dieu de tout genre de mal, y compris celui de la souffrance ? Effectivement la raison semble nous persuader que le Dieu éternel et absolument parfait ne peut être en Lui-même atteint par aucun mal, que son bonheur est nécessairement infini et sans mélange. Pourtant de très nombreux passages de l'A.T parlent de la jalousie de Dieu, de sa colère ou de sa déception en présence du péché de l'homme, ainsi que de son repentir de l'avoir créé ; et tous ces sentiments comportent une part de souffrance. Anthropomorphisme, si l'on veut, mais comment parler de Dieu sans anthropomorphisme ? Et le N.T ne fait que confirmer cette mystérieuse révélation ; que l'on pense par exemple à l'attente angoissée du père de l'enfant prodigue (Lc 15) ou à la "colère de l'Agneau" (Ap) ; saint Paul affirme même explicitement que chacun a la possibilité de "contrister le Saint Esprit" (Eph 4,30). Mais surtout le Christ souffrant sur la Croix est manifestement, au regard de la foi chrétienne, un sommet de la révélation de ce qu'est Dieu en Lui-même. Ce n'est pas seulement au niveau de son humanité que Jésus a souffert : la croix est inscrite au plus intime du Mystère même de Dieu. Malgré le paradoxe, il faut donc affirmer : il n'y a pas, même en Dieu, d'amour sans souffrance. (...) La transcendance de Dieu c'est la transcendance de l'amour, d'un amour sans aucun mélange de retour sur soi ou d'égocentrisme. C'est dire que, si Dieu souffre, c'est uniquement du mal que l'homme se fait à lui-même (...) Une telle souffrance ne peut donc aucunement être apaisée par une oeuvre humaine, aurait-elle été accomplie par Jésus lui-même, qui aurait pour fin d'expier l'offense ou de faire "réparation". Elle ne s'apaisera que dans la mesure où le mal sera supprimé dans l'homme que Dieu aime, comme la souffrance d'une mère angoissée ne s'apaise qu'avec la guérison de son enfant malade. On ne peut donc pas appuyer sur le mystère de la souffrance de Dieu les théories juridiques de la rédemption, sous quelque forme qu'elles se présentent, quand elles avancent que l'offense faite à Dieu par le péché exige en justice une "réparation" ou une "satisfaction" adéquate, laquelle serait la condition du pardon de Dieu et du salut de l'homme. (Cf. Père Varillon, l'humilité de Dieu et La souffrance de Dieu, Le Centurion 1974 et 1975)

     

    Claude Richard - Il est notre Pâque - Cerf , 1980  

    Claude Richard a été abbé de l'abbaye cistercienne Notre-Dame de Timadeuc, près de Rohan.

  • Croire en Dieu : qu'est-ce à dire ? (2/3)

    [21]

    "Dieu, personne ne L'a jamais vu". Cela n'a pas été dit par un athée, ou par un croyant hésitant dans sa foi, ni par quelqu'un qui vaque à ses affaires sans avoir le temps de s'intéresser à des sujets élevés. Cela a été dit par l'apôtre Paul, dont la foi embrase, à travers les siècles, toute personne qui prend en mains le texte de ses épîtres.

    "Dieu, personne ne L'a jamais vu". Mais que signifie alors cette foi séculaire ? Quelle est sa visée ? Que met-on dans ce mot le plus mystérieux de tous les mots créés par l'homme et le plus incompréhensible d'un point de vue logique ? Jusqu'à présent, je n'ai parlé que des deux premiers mots de cette affirmation Je crois en Dieu. Du je, par lequel elle commence et de la foi que ce je confesse. Je disais que la foi est avant tout une abnégation de sa propre personne, qui n'est possible que si l'homme sait pourquoi et reconnaît ce à quoi il s'offre, à l'instar de ce qui se passe lorsque l'amour s'enflamme dans son cœur, au moment où paraît la personne aimée. Mais voilà, l'être aimé, nous le voyons, en le voyant, nous ne reconnaissons, et en le reconnaissant, nous l'aimons; Tandis que Dieu "personne ne L'a jamais vu ". Cela veut-il dire que nous Le sentons ?

    C'est précisément à ce stade, au moment où nous devons exprimer l'essentiel, donc l'inexprimable, que se révèlent la pauvreté, l'insuffisance des mots. Il est absolument évident que les termes "sentiments, ressentir" peuvent traduire tellement d'humeurs, d'états d'âme différents, qu'à partir de là nous ne pouvons pas bâtir la foi, ni la déduire. Il s'agit bien d'un "sentiment", mais d'un sentiment profondément différent de tous les autres, et qui leur est totalement étranger. Car au sujet des sentiments on peut dire ce qu'on dit souvent des goûts : "Ils ne se discutent pas" ! Une chose plaît à l'un, une autre à d'autres. L'un sent d'une certaine façon, tandis qu'un autre sent différemment. Si notre foi n'est qu'un de ces sentiments éphémères, si elle ne dépend que de nos émotions passagères, alors effectivement on ne peut pas en discuter. Ceux qui luttent contre la foi, veulent la réduire justement à un "sentiment", à une émotion subjective. Les uns disent qu'ils croient dans le mystérieux chiffre 13 qui porte malheur, d'autres en des formules magiques, des incantations ou [22] bien en l'eau bénite, etc. Il s'ensuit que, derrière cette foi, il n'y a aucune connaissance solide (car "Dieu, personne ne L'a jamais vu"), ni même aucun sentiment cohérent, car les sentiments sont fondés sur des dispositions émotionnelles d'un individu donné. Pour cette raison, je le répète, le terme sentiment est insuffisant, ou bien il doit alors être précisé, purifié de tout ce qui, en lui, est étranger à la foi en tant que telle.

    En quoi consiste la particularité absolument unique de ce sentiment que nous appelons la foi ? C'est évidemment dans le fait qu'elle est une réponse, et toute réponse suppose la présence de celui à qui on répond et atteste en même temps aussi cette présence. La foi est une réponse, non seulement de l'âme, mais de l'homme dans sa totalité, de tout son être, qui soudain a entendu, perçu quelque chose, et qui se livre entièrement à cet élan qu'il a ressenti.

    Dans le langage chrétien on peut exprimer cela ainsi : "la foi vient de Dieu", c'est-à-dire de Son appel, de Son initiative. Elle est toujours une réponse à Dieu, don de soi à Celui qui se donne Lui-même. Comme le formule de façon admirable Pascal, "Dieu nous dit : tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais pas déjà trouvé".  C'est parce que la foi est une réponse, un mouvement en retour, qu'elle reste aussi une recherche, une soif, une aspiration. Je cherche  en moi-même, dans mon expérience, dans mes sentiments, une réponse à la question : pourquoi je crois ? Et je ne la trouve pas.

    Que représente Dieu pour moi ? Est-ce une explication du monde, de la vie ? Non, car pour moi, il est évident que premièrement, ce n'est pas grâce à ces explications que je crois en Lui, et deuxièmement, ma foi en Dieu n'explique justement d'une façon rationnelle tous les mystères, toutes les énigmes du monde. Il m'est arrivé plus d'une foi de me retrouver près du lit d'un enfant mourant dans d'atroces douleurs. Pouvais-je, alors, expliquer quoi que ce soit à ceux qui m'entouraient, démontrer, justifier comme on dit, religieusement, cette souffrance et cette mort ? Non, je pouvais seulement dire : Dieu est là, Dieu existe, et confesser, à travers les douloureuses questions terrestres, toute l'infinitude de cette présence. Non la foi n'est pas le fruit de la nécessité d'une explication. Mais d'où vient-elle alors ? De la peur des souffrances d'outre-tombe, de la crainte d'une élimination totale, d'un besoin [23] égoïste, farouchement enraciné en moi, de ne pas disparaître. Non, car les raisonnements philosophiques les plus savants au sujet de l'au-delà me paraissent un balbutiement d'enfant.

    Que puis-je donc savoir sur tout cela ? Que puis-je dire aux autres ? Ce n'est pas parce que je désire une vie au-delà de la mort, une certaine éternité, que je crois en Dieu ; mais je crois en la vie éternelle, parce que je crois en Dieu. Alors, à la question qui prime sur toutes les autres : pourquoi je crois ? Je ne peux répondre qu'une seule chose : c'est parce que Dieu m'a donné cette foi, et me la donne constamment. Il me l'a donnée justement comme un don, comme un présent : c'est ce qu'attestent la joie et la paix, totalement affranchies des événements de ce monde et de cette vie, que je ressens en moi. Je n'en fais, hélas,  pas toujours l'expérience, voire rarement ; parfois, dans ces moments où le mot Dieu cesse d'être un mot, pour devenir un lieu où coulent des torrents de lumière, d'amour, de beauté, où coule la vie même.

    " Joie et paix dans l'Esprit Saint" , disait l'apôtre Pierre, et il n'existe pas d'autres mots, car lorsqu'on croit et que l'on vit de cette foi on n'a plus besoin de mots : ils deviennent presque impossibles à formuler... Mais alors on est en droit de me poser la question : pourquoi certains croient-ils, alors que d'autres ne croient pas ? Y a-t-il une sélection, des élus ? Pourquoi y a-t-il ceux qui ont cru et qui ont perdu la foi ? ce sont des questions vraiment importantes, fondamentales.

                                                             à suivre...

    Alexandre Schmemann - Vous tous qui avez soif - Ed YMCA-Press - F.X de Guibert  - Paris 2005 - ISBN : 2-85065-xxx-x & 2-7554-0032-3

     

     

  • L'essentiel du message pascal (1)

    [151] (...) Malgré les difficultés qu'il soulève, le message part de quelque chose de simple et vise quelque chose de simple. Les divers témoins du christianisme ancien, les épîtres et les évangiles, les Actes des Apôtres et l'Apocalypse, malgré les dissonnances et contradictions des différentes traditions, s'accordent pour dire que le Crucifié vit pour toujours auprès de Dieu, ce fait étant à la base de nos devoirs et de nos espérances. Les homme du Nouveau Testament sont portés [152] et même fascinés par la certitude que celui qui a été tué n'est pas resté dans la mort, mais qu'il vit, et que celui qui adhère à lui et le suit vivra comme lui. La vie nouvelle, éternelle, de l'Un comme appel et réelle espérance pour tous ! Ce n'est pas un dogme nouveau qui est annoncé ici, mais nous sommes appelés, en marchant à sa suite, à mourir avec le Christ et à ressusciter avec lui selon l'expression de Paul.

    Voilà donc le message pascal et la foi pascale ! Message vraiment bouleversant, "révolutionnaire", très facile à rejeter aujourd'hui comme jadis : " là-dessus nous t'entendrons un autre jour ", disaient déjà quelques sceptiques à l'apôtre Paul sur l'aéropage d'Athènes, selon le récit de Luc (Ac 17,32). Ce qui n'a nullement retardé la marche triomphale du message qui était de façon tout à fait essentielle un message de vie éternelle.

    L'énigme historique de l'apparition du christianisme semble dès lors résolue de manière provocante : d'après des témoignages concordants, c'est Jésus de Nazareth connu et reconnu comme vivant, ce sont les expériences de foi autour de Jésus de Nazareth, qui peuvent expliquer pourquoi sa cause a eu une suite, pourquoi après sa mort, s'est produit un important mouvement se réclamant de lui, pourquoi, après son échec, il y eut un recommancement, pourquoi après la fuite des disciples se créa une communauté de croyants. Le christianisme, dans la mesure où il consiste à professer Jésus de Nazareth comme Christ vivant et agissant, est né à Pâques. Sans Pâques, pas d'évangile, pas un seul récit, pas une épître dans le Nouveau Testament ! Sans Pâques, pas de foi en Jésus-Christ, pas de prédication sur le Christ, pas d'Eglise, pas de liturgie, pas de mission. (...)

    [153] Pour Paul, il ne faut pas séparer la Résurrection de Jésus de l'espérance en la résurrection générale des morts. C'est parce que Jésus, et lui seul, vit et tient de Dieu une importance si singulière pour tous, que tous ceux-là vivront qui s'engageront avec confiance pour lui. A tous ceux qui partagent le destin de Jésus, il est offert de [154] partager la victoire de Dieu sur la mort : ainsi Jésus est le premier parmi les morts (cf. 1 Co 15,20), le premier-né d'entre les morts (cf; col 1,18).

    (...)

    Comment se représenter la résurrection ? Réponse : d'aucune manière ! (...) Ressusciter des morts n'est pourtant pas revenir à l'état antérieur de veille qui est celui de notre vie quotidienne. Il s'agit d'un changement radical en un état tout à fait différent, d'une nouveauté inouïe ; c'est un état définitif : la vie éternelle. Et il n'y a rien à décrire, à représenter, à objectiver. Cette vie éternelle ne serait pas vraiment tout autre si nous étions capables de la dépeindre avec des notions et des images empruntées à notre vie de tous les jours, comme si l'on hypostasiait les voeux et les désirs de la vie quotidienne, dans un ciel décrit en termes paradisiaques. "Ce que l'oeil n'a pas vu, ce que l'oreille de l'homme n'a pas entendu.." (1Co 2,9) (...)

    Totaliter aliter, c'est tout autre chose : notre langage touche ici à ses limites. (...) Le Nouveau Testament lui-même recourt, dans les récits d'apparitions, à de tels paradoxes situés à la limite du représentable : [155] : il ne s'agit pas d'un fantôme, et pourtant on ne peut le saisir, on peut et ne peut pas le reconnaître, il [le Christ]  est visible et invisible, saisissable et insaisissable, matériel et immatériel, soumis et insoumis au temps et à l'espace. (...)

    Quand Paul parle de la résurrection, il n'entend absolument pas parler, comme le font les Grecs, de l'immortalité d'une âme qui devrait être libérée de la prison de son corps mortel. (...)

    [157] (...) Il est donc désormais manifeste que la pensée anthropologique, tant celle de la Bible que celle de nos jours, convergent  pour concevoir l'homme comme une unité physico-chimique, ce qui est d'une importance considérable pour la question d'une vie après la mort. Quand le Nouveau Testament parle de résurrection, ce n'est pas de la survivance naturelle d'une âme-esprit indépendante de nos fonctions corporelles. Il entend plutôt par là - dans la ligne de la théologie juive - la nouvelle création, transformation de l'homme tout entier par l'Esprit de Dieu créateur de vie. L'homme n'est donc pas délivré de sa corporéité (comme l'entend Platon). Il est délivré avec et dans sa corporéité - désormais glorifié, spiritualisée : une nouvelle création, un homme nouveau. Pâques n'est pas une fête de l'immortalité, postulat de la raison pratique, mais la fête du Christ, la fête du Crucifié glorifié.

                                                           A suivre....

      Hans Küng - Vie éternelle ? - Seuil, 1985

     

  • Le ciel n'est pas derrière les nuages

    132. Parle-t-on encore du ciel ?

    Dans la prière liturgique, certes, car celle-ci puise aux sources bibliques, et, dans l'Ecriture, sous d'innombrables formes, la vie éternelle, le Royaume, la "patrie" est présente, objet sans cesse proposé à la foi et à l'espérance du chrétien.

    Mais c'est un fait que la prédication accorde au ciel une petite place. On dirait qu'il est trop difficile de mettre sous ce mot quelque chose de précis, de sûr, d'intelligible. On redoute d'avoir à rencontrer ces descriptions vieillottes et enfantines dont s'enchantait l'imagination des anciennes générations.

    Serait-il donc vrai qu'il n'est pas possible de dire pourquoi nous sommes faits, où nous allons, de quoi est faite notre espérance ? Serions-nous devenus comme ceux qui n'ont pas d'espérance, aurions-nous perdu ce dont saint Paul, avec tant d'insistance, nous voulait informés ? Manquerions-nous de cela même qui doit donner à notre prière  son ressort, à nos sacrifices leur compensation ? Le Royaume promis dans les Béatitudes serait-il devenu pour nous un mirage ? Qui pourrait le croire ?

    Que nous soyons plus exigeants pour distinguer le certain du douteux, le vrai de l'imaginaire, c'est bien, mais nous ne pouvons admettre que cette existence nous prive du nécessaire.

    Qu'est-ce donc que le ciel ?

    Les éléments d'une réponse tiennent en peu de mots. Ils n'épuisent pas l'idée. Ils parlent plus à notre intelligence et à notre coeur qu'à notre imagination sensible, mais qui pourrait dire qu'ils ne sont pas nourrissants et capables de créer en nous cette tension vitale qui s'appelle de son vrai nom l'espérance et donne la force, non pas de mépriser le présent - au contraire, - mais, comme disait saint Paul, de n'en rien perdre en le maîtrisant.

    133. Le premier élément de la réponse, quand on écoute la Bible, est indiscutable : le ciel, c'est le Christ. Mourir pour être "avec le Christ", c'est l'aspiration suprême de l'âme de saint Paul, le "meilleur", "de beaucoup le meilleur", que seul l'amour même du Christ lui permet de sacrifier encore pour un temps au bien de ses frères.

    Etre "là où est allé le Christ", c'est ce que le Seigneur met devant les yeux des siens à l'heure où il les quitte. Voir se réaliser enfin ce qui fait, déjà ici-bas, "battre notre coeur" malgré les obscurités présentes, voir ce Christ que "nous aimons sans l'avoir encore vu", c'est ainsi que l'apôtre Pierre regarde avec nous vers l'avenir et nous encourage dans sa première épître.

    Qui pourrait dire que c'est là un objet pour nous inconsistant ? Si nous croyons que le Christ est vivant, qu'il est ressuscité, si nous croyons que là où il est , nous aussi nous serons, alors nous savons ce que c'est que le ciel, et notre espérance a vraiment un contenu pour nous réel et saisissable. Cela n'a rien à voir avec une vision puérile et avec des représentations que nous pourrions juger indignes d'un adulte. Le saut par-dessus la réalité de la mort c'est la main dans la main du Christ que nous le faisons, et ce saut n'est pas un saut dans le vide, car notre coeur, dès ce monde, n'est pas vide du Christ. C'est bien lui qui vit en nous dès maintenant. Tout progrès dans sa connaissance et dans son amour étoffe vraiment en nous et construit notre ciel.

    Et rien n'empêche, tout nous presse au contraire de mieux saisir et pressentir ce que signifie cette communion au Christ, dont l'Esprit est le principe, dont le Père est le terme. Sous l'action de l'Esprit Saint, dans le Christ, nous balbutions ici-bas le nom que le Christ ne cesse de redire au fond de son âme et dont il nous a fait partager le secret, connu de lui seul : le nom de son Père devenu notre Père. 

    La charité que répand en nous l'Esprit  établit ainsi entre notre présent et l'éternité du ciel un lien véritable, une continuité susbstantielle : car la foi et l'espérance passeront, mais " la charité ne passera jamais". Voilà ce que l'Eglise croit quand elle achève son credo sur l'affirmation de la "vie éternelle".              

                               A suivre...

    Gabriel-Marie Garonne - Que faut-il croire ? - Desclée 1967

                        

  • Le cyclone de la Pentecôte

    51. Il ne s'agit pas de régresser vingt siècles en arrière, en désertant la problématique de notre temps, pour retrouver une sorte de pureté première qui monopoliserait tout l'Esprit-Saint. L'histoire de l'Eglise n'est pas celle d'une lente dégradation de la foi. Le cyclone de la Pentecôte, en propulsant au-dehors les apôtres timorés, a balayé le mythe d'un âge d'or du christianisme ; le Cénacle n'est pas un paradis perdu.

    Reste que l'expérience des Douze, consignée dans l'Ecriture, sert de référence aux siècles postérieurs. Aussi notre foi contemporaine, dont nous savons les manifestations si vivantes, doit-elle sans cesse se confronter à la conscience que les compagnons de Jésus  ont eue du Royaume de Dieu, de sa logique interne, de ses méthodes et de sa fin. En effet, le Christ qui grandit dans notre monde ne peut différer du Christ que révèle l'Ecriture. Si le déchiffrage que nous faisons actuellement du Dessein paternel ne correspondait plus à la Révélation apostolique, si cette dernière semblait comme dépassée par nos capacités présentes d'interprétation, ce serait le signe navrant que nous aurions changé de foi en cours de route, même à travers la continuité d'une même formulation. 

    Mais en quoi consiste, au juste, l'expérience des Douze ? Lorsqu'il fut question de remplacer Judas, le critère donné par Pierre fut le suivant : " Il faut donc que, de ces hommes qui nous ont accompagnés tout le temps que le Seigneur Jésus a vécu au milieu de nous, en commençant au baptême de Jean jusqu'au jour où il nous fut enlevé, il y en ait un qui devienne avec nous témoin de sa résurrection" (Ac 1, 21-22). Bien sûr, une telle définition correspond à une expérience intransmissible, même aux évêques ; et Paul lui-même  dut justifier, pour ceux qui se réclamaient de Céphas ( 1 Co 1,12), sa qualité d'apôtre et la valeur de son "évangile" personnel : " Ne [52] suis-je pas apôtre ? N'ai-je donc pas vu Jésus, Notre-Seigneur ? "(1 Co 9,1). Pourtant, quel que soit notre appel, nous devons entrer dans cet itinéraire spirituel, qui va de l'apparition de Jésus-Christ jusqu'à sa disparition. 

    Ce cheminement que nous restitue après coup la rédaction évangélique, dans une lumière postérieure aux événements, nous pouvons en baliser ainsi les étapes : 1°) la foi constituée ; 2°) la foi engagée ; 3°) la foi scandalisée ; 4°) la foi confirmée ; 5°) la foi professée.

    André Manaranche - Je crois en Jésus-Christ aujourd'hui - Seuil 1968

     

  • là se joue votre vie

    Qu'est-ce que les gens découvraient en Jésus Christ pour le suivre, pour suivre un type que les autorités n'avaient pas reconnu ? Ils découvraient en lui une puissance absolument pure de toute domination qui les séduisait, parce qu'une telle puissance est aimable. Mais pour l'accueillir et aller vers elle, pour y adhérer, il fallait aller contre toutes les pressions sociales. C'est pourtant avec un esprit libre de ce genre qu'on fait des hommes ! Et il a fallu beaucoup de courage aux apôtres du Christ pour s'engager à sa suite.

    " Le Christ, c'est l'homme pour les autres ", dit-on parfois. C'est d'abord l'homme pour son Père, et il n'est l'homme pour les autres que parce qu'il est d'abord l'homme pour son Père." (p.134)


    " Qu'est-ce une culture ? " la réponse devrait être simple. Selon moi, la culture d'un homme, la culture humaine, porte d'abord sur le jugement de l'homme. Le jugement nous sert à conduire notre vie. On peut multiplier les formules à l'infini, mais, essentiellement, un homme cultivé, c'est celui qui, sur une question, va droit au coeur du sujet. Il s'agit d'une culture du jugement. (...) Dans les Evangiles, le conflit entre le Christ et les pharisiens porte justement sur cette question. Le Christ reproche aux pharisiens de manquer de jugement. Leur culture de la foi est déficiente. Ils ne savent plus où est l'essentiel. Alors, ils ne peuvent plus se conduire et encore moins conduire les autres. (P.138)

    (...) Saint Paul ne discute pas de ce qui divisait les Corinthiens. Il leur dit : " Le Christ et la connaissance du Christ, la rencontre personnelle du Créateur dans le Christ, c'est là que se joue votre vie et c'est là l'essentiel." L'existence de l'Eglise, sa vie quotidienne, dépend de la foi formée de ceux qui adhèrent à l'Eglise. Il n'y a pas de foi par procuration. Et quand Jésus dit : " Ta foi t'a sauvé ", il ne peut s'agir que d'une foi approfondie.
    Nous devons prendre conscience de notre responsabilité de chrétiens. nous ne pouvons pas faire jouer cette responsabilité dans une pouponnière où chacun pense qu'il n'est pas responsable de l'Eglise, qu'il y a des curés pour cela et qu'ils sont responsables pour moi. (P.142)

     

    Pierre Ganne - " Etes-vous libre ?" Ed. Anne Sigier 2008 - ISBN 978- 2 - 89129 - 556 - 7