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au-delà

  • Croire en Dieu : qu'est-ce à dire ? (2/3)

    [21]

    "Dieu, personne ne L'a jamais vu". Cela n'a pas été dit par un athée, ou par un croyant hésitant dans sa foi, ni par quelqu'un qui vaque à ses affaires sans avoir le temps de s'intéresser à des sujets élevés. Cela a été dit par l'apôtre Paul, dont la foi embrase, à travers les siècles, toute personne qui prend en mains le texte de ses épîtres.

    "Dieu, personne ne L'a jamais vu". Mais que signifie alors cette foi séculaire ? Quelle est sa visée ? Que met-on dans ce mot le plus mystérieux de tous les mots créés par l'homme et le plus incompréhensible d'un point de vue logique ? Jusqu'à présent, je n'ai parlé que des deux premiers mots de cette affirmation Je crois en Dieu. Du je, par lequel elle commence et de la foi que ce je confesse. Je disais que la foi est avant tout une abnégation de sa propre personne, qui n'est possible que si l'homme sait pourquoi et reconnaît ce à quoi il s'offre, à l'instar de ce qui se passe lorsque l'amour s'enflamme dans son cœur, au moment où paraît la personne aimée. Mais voilà, l'être aimé, nous le voyons, en le voyant, nous ne reconnaissons, et en le reconnaissant, nous l'aimons; Tandis que Dieu "personne ne L'a jamais vu ". Cela veut-il dire que nous Le sentons ?

    C'est précisément à ce stade, au moment où nous devons exprimer l'essentiel, donc l'inexprimable, que se révèlent la pauvreté, l'insuffisance des mots. Il est absolument évident que les termes "sentiments, ressentir" peuvent traduire tellement d'humeurs, d'états d'âme différents, qu'à partir de là nous ne pouvons pas bâtir la foi, ni la déduire. Il s'agit bien d'un "sentiment", mais d'un sentiment profondément différent de tous les autres, et qui leur est totalement étranger. Car au sujet des sentiments on peut dire ce qu'on dit souvent des goûts : "Ils ne se discutent pas" ! Une chose plaît à l'un, une autre à d'autres. L'un sent d'une certaine façon, tandis qu'un autre sent différemment. Si notre foi n'est qu'un de ces sentiments éphémères, si elle ne dépend que de nos émotions passagères, alors effectivement on ne peut pas en discuter. Ceux qui luttent contre la foi, veulent la réduire justement à un "sentiment", à une émotion subjective. Les uns disent qu'ils croient dans le mystérieux chiffre 13 qui porte malheur, d'autres en des formules magiques, des incantations ou [22] bien en l'eau bénite, etc. Il s'ensuit que, derrière cette foi, il n'y a aucune connaissance solide (car "Dieu, personne ne L'a jamais vu"), ni même aucun sentiment cohérent, car les sentiments sont fondés sur des dispositions émotionnelles d'un individu donné. Pour cette raison, je le répète, le terme sentiment est insuffisant, ou bien il doit alors être précisé, purifié de tout ce qui, en lui, est étranger à la foi en tant que telle.

    En quoi consiste la particularité absolument unique de ce sentiment que nous appelons la foi ? C'est évidemment dans le fait qu'elle est une réponse, et toute réponse suppose la présence de celui à qui on répond et atteste en même temps aussi cette présence. La foi est une réponse, non seulement de l'âme, mais de l'homme dans sa totalité, de tout son être, qui soudain a entendu, perçu quelque chose, et qui se livre entièrement à cet élan qu'il a ressenti.

    Dans le langage chrétien on peut exprimer cela ainsi : "la foi vient de Dieu", c'est-à-dire de Son appel, de Son initiative. Elle est toujours une réponse à Dieu, don de soi à Celui qui se donne Lui-même. Comme le formule de façon admirable Pascal, "Dieu nous dit : tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais pas déjà trouvé".  C'est parce que la foi est une réponse, un mouvement en retour, qu'elle reste aussi une recherche, une soif, une aspiration. Je cherche  en moi-même, dans mon expérience, dans mes sentiments, une réponse à la question : pourquoi je crois ? Et je ne la trouve pas.

    Que représente Dieu pour moi ? Est-ce une explication du monde, de la vie ? Non, car pour moi, il est évident que premièrement, ce n'est pas grâce à ces explications que je crois en Lui, et deuxièmement, ma foi en Dieu n'explique justement d'une façon rationnelle tous les mystères, toutes les énigmes du monde. Il m'est arrivé plus d'une foi de me retrouver près du lit d'un enfant mourant dans d'atroces douleurs. Pouvais-je, alors, expliquer quoi que ce soit à ceux qui m'entouraient, démontrer, justifier comme on dit, religieusement, cette souffrance et cette mort ? Non, je pouvais seulement dire : Dieu est là, Dieu existe, et confesser, à travers les douloureuses questions terrestres, toute l'infinitude de cette présence. Non la foi n'est pas le fruit de la nécessité d'une explication. Mais d'où vient-elle alors ? De la peur des souffrances d'outre-tombe, de la crainte d'une élimination totale, d'un besoin [23] égoïste, farouchement enraciné en moi, de ne pas disparaître. Non, car les raisonnements philosophiques les plus savants au sujet de l'au-delà me paraissent un balbutiement d'enfant.

    Que puis-je donc savoir sur tout cela ? Que puis-je dire aux autres ? Ce n'est pas parce que je désire une vie au-delà de la mort, une certaine éternité, que je crois en Dieu ; mais je crois en la vie éternelle, parce que je crois en Dieu. Alors, à la question qui prime sur toutes les autres : pourquoi je crois ? Je ne peux répondre qu'une seule chose : c'est parce que Dieu m'a donné cette foi, et me la donne constamment. Il me l'a donnée justement comme un don, comme un présent : c'est ce qu'attestent la joie et la paix, totalement affranchies des événements de ce monde et de cette vie, que je ressens en moi. Je n'en fais, hélas,  pas toujours l'expérience, voire rarement ; parfois, dans ces moments où le mot Dieu cesse d'être un mot, pour devenir un lieu où coulent des torrents de lumière, d'amour, de beauté, où coule la vie même.

    " Joie et paix dans l'Esprit Saint" , disait l'apôtre Pierre, et il n'existe pas d'autres mots, car lorsqu'on croit et que l'on vit de cette foi on n'a plus besoin de mots : ils deviennent presque impossibles à formuler... Mais alors on est en droit de me poser la question : pourquoi certains croient-ils, alors que d'autres ne croient pas ? Y a-t-il une sélection, des élus ? Pourquoi y a-t-il ceux qui ont cru et qui ont perdu la foi ? ce sont des questions vraiment importantes, fondamentales.

                                                             à suivre...

    Alexandre Schmemann - Vous tous qui avez soif - Ed YMCA-Press - F.X de Guibert  - Paris 2005 - ISBN : 2-85065-xxx-x & 2-7554-0032-3

     

     

  • L'au-delà : les religions orientales et le christianisme (6)

    Si l'on veut souligner les différences, il faut dire que, dans le bouddhisme lui-même, il y a deux interprétations très différentes de l'état final :

    Il y a d'abord le bouddhisme méridional du petit véhicule (hînayânâ), plus ancien, de pensée plus fortement dualiste, plus proche du Bouddha historique, et que ses propres tenants appellent theravâda (doctrine des anciens). Pour ce bouddhisme -là, la réalité suprême est radicalement séparée du monde : le nirvâna est ici diamétralement opposées au samsâra, à cette vie de souffrance dans le monde empirique. Il a d'abord une valeur négative : c'est l'état indescriptible, inconnaissable et inaltérable de cessation de toute souffrance. Mais cette notion négative a en même temps un contenu positif et signifie l'état de suprême béatitude.

    À côté de ce bouddhisme s'est développé, durant les premiers siècles après le Christ, un bouddhisme non dualiste, le bouddhisme septentrional du mahâyâna, du grand véhicule. Ici l'absolu est totalement identifié au monde : nirvâna et samsâra ne sont que des aspects différents d'une seule et même réalité ; l'individu et l'univers ne sont qu' apparence, phénomène, illusion. Mais, en cela justement, le nirvâna a aussi un sens positif : c'est la réalité suprême qu'on ne connaît pas, qu'on possède déjà, mais seulement de manière cachée, tant que l'on n'a pas encore atteint la pleine connaissance par l'illumination.

    Cela montre bien que, dualiste ou non, aucun des deux grandes écoles bouddhistes ne tient le nirvâna pour totalement négatif, pour un néant pur et simple. Dans le theravâda et à plus forte raison dans le mahâyâna, on en est convaincu. Comme l'a dit Edward Conze, un des meilleurs connaisseurs occidentaux du bouddhisme : « On nous dit que le nirvâna est permanent, stable, impérissable, immuable, sans âge, sans mort, non né,sans devenir, qu'il est pouvoir, félicité, bonheur, refuge sûr, abri, lieu de sécurité inattaquable ; qu'il est le vrai réel et la suprême réalité ; qu'il est le bien, le but suprême, le seul et unique parachèvement de notre vie, la paix éternelle, cachée, incompréhensible. »

    Des points communs avec le christianisme se dessinent ici. Toutefois, il est toujours bon de le noter, un grand nombre de mots ont en Orient une autre signification qu'en Occident. Des mots comme « non-être », « non-soi », « non moi », « néant », « vide », « silence » rendent en Orient un son qui n'est absolument pas aussi négatif qu'en Occident. Ainsi des philosophes bouddhistes, en particulier dans l'école japonaise de Kitaro Hischida, à Kyoto, affirment en propres termes que la notion d'absolu, entendue comme « rien absolu », tout comme le « vide » indien (en sanskrit : sunyâta), ne doit pas être comprise de manière nihiliste ou athée. Par analogie avec la connaissance chrétienne de Dieu dans la voie négative telle que nous la connaissons par le Pseudo-Denys, Maître Eckhart, Nicolas de Cues et d'autres, il est clair, pour les bouddhistes aussi, que l'absolu n'est pas définissable, vérifiable ou compréhensible.

    N'y aurait-il pas lieu ici de s'interroger plus avant sur la façon dont l'Occident reçoit la philosophie bouddhiste ? Si le rien absolu (le nirvâna en tant que mu absolu) est, selon la conception bouddhiste, par exemple chez Abe Masao, « négation absolue » et donc « négation de la négation » et par suite « affirmation absolue », pourquoi alors continuer de qualifier sans réserve l' affirmation absolue de « néant » qui pourtant n'est pas rien ? Tout en tenant compte des exigences du bouddhisme et d'une théologie négative, ne serait-il pas plus clair d'appeler l'absolu, l'être absolu ou être-soi, et, en ce sens, le situer au-delà de l'être et du non-être ? Ou bien, prisonnier d'une tradition indienne à laquelle fait référence Hajime Nakamura, préférera-t-on un langage négatif, bien que le nirvâna, l'absolu, n'ait absolument pas le sens purement négatif d'extinction, mais une signification hautement positive : la vérité réelle, la suprême réalité, l'inexprimable béatitude et l'accomplissement unique de notre vie ?

    Il se pourrait ainsi, que non seulement les chrétiens apprennent des bouddhistes, mais aussi - dans l'esprit d'une émulation réciproque - que les bouddhistes apprennent des chrétiens. Si, dans le bouddhisme, nirvâna est conçu comme vérité réelle, réalité suprême, comme béatitude, but suprême, unique accomplissement de notre vie, comme paix éternelle, cachée est inconcevable, alors on peut aussi comprendre pourquoi le Bouddha, qui représente l'incarnation personnelle du nirvâna, devient objet de tous les sentiments religieux. On comprend également pourquoi dans le bouddhisme très influent d'Amitaba - au Japon, bouddhisme d'Amida, la forme la plus répandue du bouddhisme -, on parle même, à propos du nirvâna, d'un paradis de béatitude personnelle dans le « pays pur » où l'on entre non comme dans l'ancien bouddhisme, par ses propres forces, mais, comme dans le christianisme, par la confiance en la promesse et en la puissance de Bouddha, du Bouddha de la lumière et de la miséricorde (Amida).

    En somme :

    - Dans le bouddhisme également, on connaît une réalité ultime et suprême, un absolu. Dans le bouddhisme aussi, il y a tension entre une manière plus négative et une manière plus positive de parler, entre une religiosité plus personnelle et une religiosité plus apersonnelle.

    - Une compréhension et un enrichissement réciproques, même en ce qui regarde la réalité ultime et l'état final de l'homme, ne semblent pas exclus a priori.

    Comme on l'a déjà dit, l'enrichissement réciproque n'exclut pas, mais inclut au contraire une critique réciproque. Malgré toute la convergence des positions, il y aura toujours à discuter des différences. Cela est immédiatement évident dès que l'on pose la question vieille comme le monde et pourtant toujours nouvelle : qu'est-ce qui attend l'homme après la mort ? Une seule vie ou plusieurs ?

                                                                 A suivre... 

     

    Hans Kûng - Vie éternelle ? Ed du Seuil , 1985 ISBN 978-2-02-008604-2 - PP. 85- 87

  • L'au-delà : projection d'un désir ? Martin Heidegger (1)

    (57) (...)

    Le premier grand ouvrage de Heidegger, "l'Etre et le Temps",  présente -  sur l'arrière-plan du problème de l'être qu'il a rendu à la discussion philosophique du XXe siècle -  une ample analyse de ce qui "  appartient" à l'être-là (dasein)  humain, de ce qui définit dans ses structures l'existence humaine concrète ; l'être humain est foncièrement différent de l'être d'une pierre, d'un animal, d'une machine ou d'une oeuvre d'art. Comment cela ? Il y a tout d'abord le fait que l'homme est prisonnier du  quotidien, son "être-là" comme " souci ", sa " déchéance"  au monde et à la dictature de l' "on"  anonyme. Mais il y a aussi les déterminations fondamentales de l'homme, et avant tout l'expérience radicale de son angoisse (influence de Kierkegaard) ;  par son expérience, il est confronté à l'incertitude de tout  étant, à la négativité du monde, à  l'inéluctabilité  de la mort. L'homme reste fondamentalement déterminé par sa temporalité, par son " être-jeté"  ( non librement choisi) dans la mort, par le fait qu' qu'il est tenu d'aller vers le non-être possible. " Dès qu'un homme vient à la vie, il est du même coup d'âge à  mourir." Heidegger cite là Ackermann de Bohême. Certes, l'homme vit -  telle est l'idée de Heidegger -  dans un constant inachèvement, dans l'espace du pas-encore ;  il n'est pas encore total, car dès ses débuts commence le processus qui le mènera à sa fin. On ne peut pas définir simplement cette marche vers la fin comme un "accomplissement", car elle débouche souvent sur un  inachèvement. À l'inverse pourtant, on ne peut pas non plus la considérer comme le simple fait  de "périr", de " mourir avec  toutes les bêtes". Que signifie alors cette marche vers la fin ?   Pour Heidegger, finir n'est pas simplement cesser,  sombrer, "être-à-la-fin" ;  c'est plutôt un mode d'être "pour la fin". Autrement dit, mourir est une manière d'être que l'homme assume dès qu'il est né. Ce n'est pas d'abord quelque chose qui concerne son avenir, mais une réalité 58  déjà et toujours présente. Il faut donc considérer le présent lui-même comme voué à la mort. L'existence humaine doit être comprise comme un "être-pour-la-mort". À l'inverse, c'est seulement à partir de la mort comme non-être  que peut se définir l'existence dans sa totalité. C'est uniquement à partir de la mort que l'existence devient existence  "totale".

    En conséquence, pour Heidegger la mort est plus que la mort biologique et naturelle. C'est plutôt un mode du pouvoir-être caractérisé par une créance sur l'être, une manière de se comporter, de s'appréhender soi-même. Par paradoxe, on peut dire que dans la mort, il s'agit de la possibilité de  l'impossibilité pure et simple d'exister, qui fait monter en nous une angoisse profonde. Il ne s'agit pas de la peur d'une réalité précise, mais de l'angoisse de quelque chose d'indéterminé, l'angoisse pour l'existence. L'angoisse et la mort ne  devraient  pas être écartées, esquivées devant le bavardage quotidien, comme on le fait assez souvent. Devant la mort, il vaut mieux se placer comme devant une réelle possibilité, se l'approprier, la devancer délibérément, comme  dit Heidegger. Dans cette course vers la mort se dévoile précisément à l'existence humaine la possibilité d'être authentiquement elle-même : dans une angoissante liberté pour la mort. Comment donc l'homme "s'accommodera-t-il " de la mort ? Selon Heidegger, il assumera son existence de néant par une libre décision et avec la détermination d'un être prêt à mourir, et il essaiera d'exister hors de lui-même, afin de parvenir de cette manière justement à son vrai lui-même et à sa propre totalité, en saisissant l'aujourd'hui, le présent comme possibilité d'être lui-même.

    Face à cette profonde interprétation dialectique de la vie comme "  être-pour-la-mort " une chose est claire. Peut-on prendre la mort plus au sérieux qu'en en faisant la clé de la compréhension et de l'interprétation de toute l'existence de l'homme ? A l'inverse, il faut bien se demander si une telle interprétation philosophique ne néglige pas trop, en fait, la négativité menaçante de la mort. N'est-ce pas trop minimiser la mort - mort que tout homme doit subir chacun pour soi  - que de l'identifier à la finitude de l'homme, que d'en faire, de façon aussi simplifiée, la structure ontologique de l'homme, et même encore de l'interpréter comme une excellente 59 "possibilité" de l'homme ? C'est la critique que fait Jean-Paul Sartre.

                                                                         A suivre...

    Hans Küng - Vie éternelle ? Ed du Seuil , 1985 ISBN 978-2-02-008604-2