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foi

  • Homélie - Messe des Quatre Papes

    Homélie du pape François - Messe du dimanche de la Miséricorde au cours de laquelle ont été canonisés les Papes Jean XXIII et Jean-Paul II - Rome, dimanche 27 avril 2014

     

    Au centre de ce dimanche qui conclut l'octave de Pâques, et que Jean-Paul II a voulu dédier à la divine Miséricorde, il y a les plaies glorieuses de Jésus ressuscité.

    Il les montre dès la première fois qu'il apparaît aux Apôtres, le soir même du jour qui suit le sabbat, le jour de la Résurrection. Mais ce soir-là Thomas n'est pas là ; et quand les autres lui disent qu'ils ont vu le Seigneur, il répond que s'il ne voyait pas et ne touchait pas les blessures, il ne croirait pas. Huit jours après, Jésus apparut de nouveau au Cénacle, parmi les disciples, et Thomas aussi était là ; il s'adresse à lui et l'invite à toucher ses plaies. Et alors cet homme sincère, cet homme habitué à vérifier en personne, s'agenouille devant Jésus et lui dit : " Mon Seigneur et mon Dieu ". ( Jn 20,28)  

    Les plaies de Jésus sont un scandale pour la foi, mais elles sont aussi la vérification de la foi. C'est pourquoi dans le Corps du Christ ressuscité les plaies ne disparaissent pas, elles demeurent, parce qu'elles sont le signe permanent de l'amour de Dieu pour nous, et elles sont indispensables pour croire en Dieu. Non pour croire que dieu existe, mais pour croire que Dieu est amour, miséricorde, fidélité. Saint Pierre, reprenant Isaïe, écrit aux chrétiens : " Par ses plaies vous avez été guéris " ( 1 P 2,24 et cf. Is 53,5)

    Jean XXIII et Jean-Paul II ont eu le courage de regarder les plaies de Jésus, de toucher ses mains blessées et son côté transpercé. Ils n'ont pas eu honte de la chair du Christ, ils ne se sont pas scandalisés de lui, de sa croix ; ils n'ont pas eu honte de la chair du frère (cf Is 58,7), parce qu'en toute personne souffrante ils voyaient Jésus. Ils ont été deux hommes courageux, remplis de la liberté et du courage (parresia) du Saint-Esprit, et ils ont rendu témoignage à l’Église et au monde de la bonté de Dieu, de sa miséricorde.

    Ils ont été des prêtres, des évêques, des papes du XXème siècle. Ils en ont connu les tragédies, mais n'en ont pas été écrasés. En eux, Dieu était plus fort ; plus forte était la foi en Jésus-Christ rédempteur de l'homme et Seigneur de l'Histoire ; plus forte était en eux la miséricorde de Dieu manifestée par les cinq plaies ; plus forte était la proximité maternelle de Marie.

    En ces deux hommes, contemplatifs des plaies du Christ et témoins de sa miséricorde, demeurait une " vivante espérance ", avec une " joie indicible et glorieuse " (1P 3,8). L'espérance et la joie que le  Christ ressuscité donne à ses disciples et dont rien ni personne ne peut les priver. L'espérance et la joie pascales, passées à travers le creuset du dépouillement, du fait de se vider de tout, de la proximité avec les pécheurs jusqu'à l'extrême, jusqu'à l’écœurement pour l'amertume de ce calice. Ce sont l'espérance et la joie que les deux saints papes ont reçues en don du Seigneur ressuscité, qui à leur tour les ont données au peuple de Dieu, recevant en retour une éternelle reconnaissance.

    Cette espérance et cette joie se respiraient dans la première communauté des croyants, à Jérusalem, dont nous parlent les Actes des Apôtres (cf. 2,42-47). c'est une communauté dans laquelle se vit l'essentiel de l’Évangile, c'est-à-dire l'amour, la miséricorde, dans la simplicité et la fraternité. 

    C'est l'image de l’Église que le Concile Vatican II a eu devant lui. Jean XXIII et Jean-Paul II ont  collaboré avec le Saint-Esprit pour restaurer et actualiser l’Église selon sa physionomie d'origine, la physionomie que lui ont donnée les saints au cours des siècles. N'oublions pas que ce sont  justement les saints qui vont de l'avant et font grandir l’Église. Dans la convocation du Concile, Jean XXIII a montré une délicate docilité à l'Esprit-Saint, il s'est laissé conduire et a été pour l’Église un pasteur, un guide guidé. Cela a été le grand service qu'il a rendu à l’Église ; il a été le Pape de la docilité à l'Esprit.

    Dans ce service du Peuple de Dieu, Jean-Paul II a été le Pape de la famille. Lui-même a dit un jour qu'il aurait voulu qu'on se souvienne de lui comme du Pape de la famille. cela me plaît de le souligner alors que nous vivons un chemin synodal sur la famille et avec les familles, un chemin que, du Ciel, certainement il accompagne et soutient.

    Que ces deux nouveaux saints pasteurs du peuple de Dieu intercèdent pour l’Église, afin que, durant ces deux années de chemin synodal, elle soit docile au Saint-Esprit dans son service pastoral de la famille. Qu'ils nous apprennent à ne pas nous scandaliser des plaies du christ, et à entrer dans le mystère de la miséricorde divine qui toujours espère, toujours pardonne, parce qu'elle aime toujours. 

     

     

  • Les récits de la Passion 07

    Textes tirés du livre " Jésus, simples regards sur le Sauveur " par Un moine de l’Église d' Orient - Ed. Chevetogne 1962

     

    117

    Mon enfant, tu ne sais pas encore ce que signifient ces mots : " Je me suis chargé de tes péchés." Tu penses avec horreur au mal cruel que tu as commis, soit récemment, soit il y a bien longtemps, envers telle personne, telle autre personne. Tu sais qu'elles ont souffert par toi et que réparer cette souffrance est maintenant impossible. Ecoute-moi. Je me suis substitué à ces victimes de ta cruauté égoïste. Ce n'est plus contre elles, c'est contre moi que se dresse ton offense. Je suis le nœud de la situation. Seul je la puis dénouer, parce que j'ai pris sur moi et le dommage causé et la cause du dommage, et parce qu'en moi résident l'expiation et le pardon. Quand il est trop tard pour réparer le mal à l'égard des victimes ou même si tu peux encore le réparer, projette sur moi, transpose en moi ton péché. Dépouille-toi de 118 tout lambeau de justice personnelle. Saisis, par la foi, la rédemption et le salut que je t'offre. Viens à moi n'attendant plus que ma miséricorde. Cesse de te demander : " Comment puis-je réparer ? " La réparation viendra  de ton union plus étroite avec moi. C'est par ta foi en moi, non par tes réparations, que tu seras justifié. Mais tu ne peux t'ouvrir à la foi vive, à la foi qui sauve, à ma grâce, à ma justice qui seule rend juste, si tu ne veux en accomplir les œuvres et en porter les fruits. C'est moi qui réparerai ; mais tu répareras par moi, avec moi, en moi. Pour réparer, commence par te jeter dans mes bras.

    Mon Sauveur, dis-moi encore comment tu te charges de mes péchés. 

    Oui, mon enfant, je veux te rendre plus attentif à ce mystérieux transfert. Je voudrais que plus d'hommes y soient attentifs. Beaucoup d'hommes éprouvent d'une manière très vive le brisement de cœur par lequel ils jettent  à mes pieds leurs péchés. Beaucoup d'hommes aussi sentent d'une manière très vive la paix et l'autorité qui accompagnent ma parole, lorsqu'elle annonce - lorsque mon Église annonce : " Tes péchés te sont remis." Mais il y en a moins qui sachent percevoir l'acte par lequel l'agneau de Dieu ôte le 119 péché et le prend sur lui-même. Je t'ai enseigné que je suis présent à ton péché, d'une présence à la fois condamnante et compatissante. j'implore alors ton regard, ton adhésion. Si tu me les donnes, le centre de l'acte se déplace. Ce n'est plus le péché qui se trouve au centre. Toutes les forces s'infléchissent. c'est moi qui, maintenant, occupe le centre. En cette seconde, tu es libéré. En cette seconde s'actualise ce qui s'est passé, lorsque, à Gethsémani et sur le Golgotha, j'ai assumé toi-même et ce péché. La crise n'est plus entre le péché et toi. Elle est entre toi et moi. De mon cœur, un rayon descend sur toi. Il t'attire, il te prend. Ton regard remonte jusqu'à moi. Tu laisses ton âme suivre le rayon...

  • On demande des pécheurs 14

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [97]

    Justice et miséricorde

    (...) Bien sûr, nous sommes " pour " la miséricorde, elle nous arrange et nous sommes alors portés à penser que la miséricorde est pour nous, quitte à croire que la justice est un peu pour les autres. La miséricorde paraissant entrer dans notre jeu, nous croyons la choisir, alors que nous cherchons simplement à en profiter, à l'exploiter. C'est là qu'est le malentendu : la miséricorde de Dieu est douce, certes, et beaucoup plus douce que nous ne le croyons, mais elle ne fait pas notre jeu comme nous l'imaginons.

    Que veut dire exactement la miséricorde ? Cela veut 98 dire : un cœur qui se penche sur la misère ; être miséricordieux, c'est tenir la misère, le mal de l'autre parce qu'on l'aime, comme si c'était le sien. D'une part, cela suppose qu'on a reconnu vraiment sa misère, qu'on a accepté d'être entamé par elle ; et il ne s'agit pas du tout d'une simple faiblesse, d'une espèce de bonasserie ou d'une indulgence facile ; non, il s'agit de reconnaître la misère dans sa vérité. D'autre part, cela suppose qu'on accepte - non parce qu'on y est obligé ou forcé, mais parce que l'amour la crée - une proximité, une affinité, une compréhension telle que l'on ne peut plus échapper à cette misère. 

    Les esprits forts pourront toujours accuser ceux qui fondent leur vie sur la miséricorde d'être des victimes de leur faiblesse, de tricher avec la dureté de l'existence, de s'évader du vrai combat, de se détourner du quotidien, en un mot : de s'aliéner.

    Certes, on pourra toujours accuser quelqu'un qui fait confiance à un amour, de se rendre esclave de celui à qui il a remis sa confiance. Mais il ne se détourne pas pour autant de la réalité.

    Ce serait oublier l'incroyable rigueur de l'amour quand il s'agit de Dieu. C'est un amour qui commence toujours par faire la lumière, et une lumière de plus en plus absolue. C'est le contraire de l'esclavage. Le Christ renvoie les hommes à leur liberté, à la reconnaissance de la vérité, à la dignité d'être source, porteur, créateur de leur destin.

    Le Christ n'est pas plus venu remplacer les boulangers de Palestine, qu'il ne vient dans notre vie servir de bouche-trou à nos insuffisances. Il est le seul dont l'amour n'est accaparant que dans la mesure où il nous rend libre, pleinement libre. S'il nous recrée, c'est qu'il veut que nous voulions notre bien, sans jamais nous 99 enchaîner à une affectivité qui serait dévorante.

    Si l'on aime pas la miséricorde pour elle-même, indépendamment de ses bénéfices, on découvre ce paradoxe affolant qu'on est incapable de la choisir , même pour être sauvé. Car, si on veut la miséricorde " pour être sauvé ", c'est encore de la justice qu'on réclame. On exige encore une certaine justice, oh ! bien sûr, au nom de la miséricorde ! Mais on voudrait s'en tirer sans avoir besoin d'aimer, sans avoir besoin d'approuver cette dépendance par rapport à l'amour de Dieu. Choisir la miséricorde, c'est ce complaire dans le fait que tout dépend du bon plaisir de Dieu.

    On peut comprendre ici que ce choix de la miséricorde, avec tout ce qu'il implique en profondeur et dont nous venons de parler, est l'âme de cette attitude foncièrement justificatrice, c'est-à-dire qui sauve par elle-même, attitude dont nous parle l' Écriture, et qui s'appelle la foi, la confiance en celui qui nous aime. On est sauvé parce qu'on croit volontiers aux promesses de Dieu, parce qu'on les aime en elles-mêmes, parce qu'on est déjà harmonisé, en affinité, aimanté par la source de ces promesses qui est l'amour. Seul l'amour croit à l'amour.

    Prenons un exemple : un père a deux fils : l'un bon, l'autre méchant. L'expérience est, hélas ! fréquente entre 100 enfants, entre frères et sœurs, par exemple au moment d'un héritage, où certains sont, pour ainsi dire, spontanément accordés à un regard bon, et où d'autres sont toujours plus ou moins crispés ou durs. Or l'expérience nous montre bien que, des deux fils, le méchant s'est comme rendu incapable d'entendre le langage de la bonté parce qu'il n'a plus d'affinité a priori avec elle. Il ne peut comprendre la bonté de son père, il ne peut plus la " choisir " car, à ses yeux, cette bonté n'est que faiblesse ou sottise. Dans la parabole du prodigue, le père est obligé d'expliquer au fils aîné : " Si tu m'avais compris..." ; or, justement il ne peut plus comprendre.

    C'est le tragique de notre vie : nous pouvons nous rendre capables ou non de choisir. Et pour choisir la miséricorde, il nous faut désarmer constamment, croire et attendre l'impossible de l'autre, refuser de notre jugement, de notre idée qu'ils soient les seules mesures de la réalité. Il faut nous obliger à nouveau, en face de chaque être, à admettre que nous n'avons pas forcément raison.

    Voilà ce que veut dire la miséricorde, ce que veut dire aimer ; c'est avoir un cœur qui accepte  d'être " liquéfier ", comme disait le curé d'Ars, un cœur qui se refuse à juger, et qui désarme inlassablement.

    A suivre...

              P. Bernard Bro, o.p

     

     

  • Le quart d'heure de prière (2)

    Suite du post du 13 mars 2011

     

    Le "moi" et notre vraie personne

    Un des pauvres lots de notre nature humaine, c'est de sentir toujours notre moi. Nous ne savons pas comment il s'est constitué, mais dès que nous réfléchissons un tout petit peu, nous n'avons aucune difficulté à découvrir qu'il y a en nous un énorme moi égoïste, un moi égocentrique, jouisseur, vaniteux, dominateur, un moi qui veut toujours tout ramener à lui...

    Et dès que nous cherchons un peu à aimer Jésus, nous souffrons terriblement de ce moi. C'est lui le grand obstacle à la vie intérieure, bien plus que toutes les conditions extérieures dans lesquelles nous pouvons nous trouver. Socrate déjà le disait : " convertis-toi toi-même !"

    Avant que le bon Dieu nous ait touchés, nous étions peut-être beaucoup moins tiraillés par ce moi... Notre moi nous faisait souffrir uniquement par les désagréments sociaux qu'il pouvait  nous attirer. Mais dès que l'Esprit Saint se donne un peu à nous, nous souffrons de notre moi, et cela prouve que nous n'y sommes déjà plus attachés. 

    L'amour de Jésus nous découvre ce moi, et nous donne le désir qu'il meure, pour que naisse notre vraie personne d'enfant de Dieu. Or c'est la prière, et la prière uniquement, qui peut former notre vraie personne, profondément. 

    La prière, en effet, repose sur cette foi que la grâce de Dieu est enfouie au plus profond de nous-mêmes dans la conscience d'amour du tout petit enfant. Cette grâce s'enracine en nous avec les trois vertus théologales : la foi, l'espérance, et la charité qui nous mettent directement en rapport avec Dieu et permettent au Saint Esprit d'intervenir en nous par ses dons.  (...)

                                                                            Suite au prochain post... 

     Le quart d'heure de prière - P. Thomas Philippe - Ed St Paul, 1994

    (Le P. Thomas Philippe (+) est à l'origine de l'Arche avec Jean Vanier)

  • la foi nous ouvre une route infinie

    [111] La foi est l'acte de marcher, d'aller de l'avant, sans s'arrêter ni regarder en arrière, acte de se laisser aspirer par un terme infini dont nous ne savons rien sinon qu'il est notre raison d'exister. Ce n'est pas remettre notre vie dans la main des dieux, c'est la prendre en charge et lui assigner un but, mais un but infini dont on éprouve que c'est lui qui nous a mis et nous maintient en route. Ce qui différencie la foi chrétienne de la croyance primitive et de toute autre croyance religieuse, c'est que le chrétien vise Dieu à travers un homme de notre histoire, Jésus : et c'est ce qui l'empêche de s'alinéner hors du monde et du temps. C'est aussi ce qui soumet la foi à l'épreuve de la vérité historique.

     

    Joseph Moingt - Croire quand même, libres entretiens sur le présent et le futur du catholicisme.  Editions Tempsprésent  coll Semeurs d'Avenir 2010.

     

  • Chemin vers Pâques (21)

    [20]

    La troisième pâque de l'histoire est la nôtre. Il y a autant de pâques qu'il y a d'actes libres, d'élections, pour prendre le mot des Exercices [voir les Exercices spirituels de st Ignace, surtout les numéros 169-188), de décisions où l'on meurt à son égoïsme. Le fond des choses, c'est que chacune de nos décisions a une structure pascale. Chacune de nos décisions est une mort. Il faut mourir à son égoïsme, au regard sur soi, au souci de soi, pour s'occuper des autres tout simplement. C'est donc une mort ; notre foi est que cette mort est une résurrection.

    Tout est dans la décision, tout est là. Et quand nous disons que c'est la décision qui nous construit pour la vie éternelle, c'est vrai en rigueur de termes. Et cette décision a nécessairement une structure pascale. C'est une mort et c'est un passage au Christ. A tout instant, dans chacune de nos décisions, nous passons au Christ pour vivre éternellement d'une vie christifiée. Cela est la base de toute l'éducation de l'enfant : valeur du don, valeur de la décision, mourir à soi-même.

    Ne faisons pas les malins. Les chrétiens n'ont pas le privilège de la mort à soi-même. Il faut y aller doucement. Nous employons ce mot-là que d'autres n'emploient pas. (...) [21] (...) Nous n'avons absolument pas le monopole, mais nous croyons - et c'est cela  le message de l'Evangile - qu'en mourant à soi-même on passe au Christ, on vit de la vie même du Christ, on est christifié, on est divinisé. Et cette foi devrait nous donner l'énergie de nous trouver au premier rang toutes les fois qu'il faut mourir à soi-même pour faire un peu plus de justice et un peu plus de bonheur sur terre. Le scandale, c'est que notre foi, qui est la foi en la résurrection, c'est-à-dire dans le passage au Christ au coeur même de nos décisions, que cette foi-là ne nous donne pas l'énergie d'aller toujours au premier rang de ceux qui mènent le combat fraternel humain.

    Voilà qui répond à des tas de questions qui nous sont posées : qu'est-ce que la foi ajoute ? On entend cela continuellement. Les jeunes demandent : " Ca résout quoi la foi au Christ ?" Il n'y a pas autre chose à répondre. Croire que toute mort est une résurrection, et pas n'importe quelle résurrection, mais le passage au Christ même, à sa vie pour l'éternité. C'est cela qui devrait faire que les chrétiens aient toutes les initiatives, qu'ils soient au premier rang du combat. (...)

    Mais quand il s'agit de sacrifice, autrement dit de mort à soi-même, c'est maintenant. Je ne passerai pas au Christ après ma mort, j'y passe dans chacune de mes décisions. [22] Et à la mort, qu'est-ce qui se passe ? A la mort, je découvre que je suis devenu Christ par toute ma vie. Voilà ce qu'on peut dire pour comprendre le mystère pascal. Il ne faut pas séparer notre vocation à la divinisation de ce mystère de mort et de résurrection.

    François Varillon - La Pâque de Jésus - Ed Bayard 1999

     

  • Croire en Dieu : qu'est-ce à dire ? (3/3)

    [22] (...)  (suite du post précédent)

     

    Dans l'affirmation je crois en Dieu, nous avons discerné, avant tout, un don du ciel, même si ce ne fut qu'indistinctivement, comme par un "tâtonnement de l'âme". Ce n'est pas vraiment consciemment, par déduction ou par raisonnement, que j'arrive à la foi en Dieu, mais je la découvre tout simplement en moi, avec étonnement, joie et gratitude. C'est comme une présence mystérieuse, et en même temps parfaitement tangible, de Celui qui incarne totalement la paix, la joie, la sérénité, la lumière.

    Cette présence ne peut venir de moi-même, car cette joie, cette lumière et ce silence n'existent ni en moi, ni dans le monde qui m'entoure. D'où viennent-ils ? Je formule le mot qui exprime, nomme tout [24], et qui, détaché de cette expérience, de l'authenticité de cette présence n'a aucun sens : "Dieu". Je n'aurais pas pu prononcer ce mot incompréhensible, si je n'en avais pas l'expérience ; ce faisant, je libère, en quelque sorte, cette expérience, ce sentiment de sa subjectivité, de son côté éphémère, de son imprécision. Je désigne son contenu, et par là même j'accepte ce don  et je lui remets, dans un mouvement de retour, tout mon être. 

    Je crois en Dieu. Il apparaît alors que cette joie, que j'ai découverte tout au fond de mon âme, n'est pas uniquement mienne, n'est pas seulement mon expérience indicible, inexprimable, mais qu'elle me relie, d'une façon toute nouvelle, à autrui, à la vie, au monde ; elle devient comme une libération de la solitude à laquelle, dans une certaine mesure, sont condamnés tous les hommes. Car, si c'était une joie de trouver cette foi au fond de moi-même, dans ma conscience, il s'avère que la découverte de cette même foi, de cette même expérience chez les autres est une joie tout aussi grande. Et non pas uniquement dans cet instant, pour tous ceux qui m'entourent, pour mes semblables, mais aussi à travers le temps et l'espace. J'ouvre un livre ancien, écrit près de mille ans avant notre ère, dans un monde très différent du nôtre, et je lis :

    Seigneur, tu me sondes et me connais ; que je me lève ou m'assoie, tu le sais ;  Tu perces de loin mes pensées ; que je marche ou me couche, Tu le sens ; mes voies Te sont familières. La parole n'est pas encore sur ma langue, et déjà  Seigneur, Tu la sais tout entière. Derrière et devant, Tu m'enserres, Tu as mis sur moi Ta main. Prodige de savoir qui me dépasse, hauteur où je ne puis atteindre. Où irai-je loin de Ton esprit, où fuirai-je loin de Ta face ? Si j'escalade les cieux, Tu es là. Qu'au shéol je me couche, Te voici. Je prends les ailes de l'aurore, je me loge au plus loin de la mer, même là, Ta main me conduit, Ta droite me saisit.  Je dirai : - Que me couvre la ténèbre, que la lumière sur moi se fasse nuit. Mais la ténèbre n'est pas ténèbre devant Toi et la nuit comme le jour illumine. C'est Toi qui m'as formé les reins, qui m'a tissé au ventre de ma mère ; [25] Je te rends grâce pour tant de mystères : prodige que je suis, prodiges que Tes œuvres... Que Tes pensées, ô Dieu, sont difficiles, incalculable en est la somme ! Je les compte, il en est plus que sable ; je m'éveille, je Te retrouve encore... Sonde-moi, O Dieu, connais mon cœur, scrute-moi, connais mon souci ; vois, que mon chemin ne soit fatal, conduis-moi sur le chemin d'éternité.

    C'est le psaume 139, une prière écrite il y a quelques milliers d'années. Mais en la lisant, chaque fois je m'étonne : mon Dieu, voilà exactement ce que j'éprouve et ressens ; c'est ma propre expérience ; c'est à mon sujet et de ma part que cela est dit ; même ces mots enfantins, ce défaut d'élocution qui tente d'exprimer ce qui est au-delà des mots, tout ceci m'appartient. Cela veut dire que la foi vit depuis des siècles et que des millions de personnes ont ressenti la même chose, le cœur rempli de joie quand, dans une surabondance de foi, jaillissent ces paroles étonnantes : " mais la ténèbre n'est pas ténèbre devant Toi et la nuit comme le jour illumine..." Dans cette clarté, je vois le monde d'une façon nouvelle. Malgré toute son obscurité profonde, il lui pour moi dans sa lumière originelle et je clame : "prodiges que Tes œuvres..." Je me vois, me reconnais réellement d'une manière nouvelle ; bien que pécheur, faible, craintif et asservi, je répète les paroles du psaume : "Je te rends grâce pour tant de mystères : prodige que je suis..." Je suis doté d'une mystérieuse science intérieure, et je suis capable de reconnaître ce qui est sublime, merveilleux, glorieux. Je peux désirer une conduite et une vie élevée ; je peux distinguer entre une voie dangereuse et la voie éternelle.

    La foi, enfin, m'apprend que tout, en ce monde, parle de Dieu. Le manifeste, s'illumine par Lui : le matin radieux et les ténèbres de la nuit, le bonheur et la joie, de même que la souffrance  et le chagrin. Si beaucoup ne le voient pas, c'est parce que moi-même, et des croyants semblables à moi, sommes de trop faibles témoins de cette foi : depuis l'enfance, nous entourons l'homme de petitesse, de mensonge ; nous lui suggérons de ne pas rechercher, ni désirer ce qui est profond, mais de se contenter d'un bonheur mesquin et illusoire, d'un succès médiocre et fallacieux ; nous rivons son attention à des choses vaines, futiles. Alors son intuition [26] mystérieuse de la lumière et de l'amour est étouffée par les ténèbres gluantes de l'incrédulité et du scepticisme, tandis que le monde s'emplit d'égoïsme, de malveillance, de haine. Mais même dans ces ténèbres, dans cette chute terrible et cette trahison, Dieu ne nous abandonne pas. Et tous ces propos que je viens d'énoncer seraient impuissants et vains, si, en confessant ma foi en Dieu, j'omettais, en conclusion, de confesser aussi ma foi en cet Homme unique Dieu venu en ce monde, pour y régénérer et sauver chacun d'entre nous.

    Je crois en Dieu, mais Dieu - dans toute la plénitude de la joie que nous apporte le don de Sa présence en nous - se révèle en Christ.

     

    Alexandre Schmemann - Vous tous qui avez soif - Ed YMCA-Press - F.X de Guibert  - Paris 2005 - ISBN : 2-85065-xxx-x & 2-7554-0032-3

  • Croire en Dieu : qu'est-ce à dire ? (2/3)

    [21]

    "Dieu, personne ne L'a jamais vu". Cela n'a pas été dit par un athée, ou par un croyant hésitant dans sa foi, ni par quelqu'un qui vaque à ses affaires sans avoir le temps de s'intéresser à des sujets élevés. Cela a été dit par l'apôtre Paul, dont la foi embrase, à travers les siècles, toute personne qui prend en mains le texte de ses épîtres.

    "Dieu, personne ne L'a jamais vu". Mais que signifie alors cette foi séculaire ? Quelle est sa visée ? Que met-on dans ce mot le plus mystérieux de tous les mots créés par l'homme et le plus incompréhensible d'un point de vue logique ? Jusqu'à présent, je n'ai parlé que des deux premiers mots de cette affirmation Je crois en Dieu. Du je, par lequel elle commence et de la foi que ce je confesse. Je disais que la foi est avant tout une abnégation de sa propre personne, qui n'est possible que si l'homme sait pourquoi et reconnaît ce à quoi il s'offre, à l'instar de ce qui se passe lorsque l'amour s'enflamme dans son cœur, au moment où paraît la personne aimée. Mais voilà, l'être aimé, nous le voyons, en le voyant, nous ne reconnaissons, et en le reconnaissant, nous l'aimons; Tandis que Dieu "personne ne L'a jamais vu ". Cela veut-il dire que nous Le sentons ?

    C'est précisément à ce stade, au moment où nous devons exprimer l'essentiel, donc l'inexprimable, que se révèlent la pauvreté, l'insuffisance des mots. Il est absolument évident que les termes "sentiments, ressentir" peuvent traduire tellement d'humeurs, d'états d'âme différents, qu'à partir de là nous ne pouvons pas bâtir la foi, ni la déduire. Il s'agit bien d'un "sentiment", mais d'un sentiment profondément différent de tous les autres, et qui leur est totalement étranger. Car au sujet des sentiments on peut dire ce qu'on dit souvent des goûts : "Ils ne se discutent pas" ! Une chose plaît à l'un, une autre à d'autres. L'un sent d'une certaine façon, tandis qu'un autre sent différemment. Si notre foi n'est qu'un de ces sentiments éphémères, si elle ne dépend que de nos émotions passagères, alors effectivement on ne peut pas en discuter. Ceux qui luttent contre la foi, veulent la réduire justement à un "sentiment", à une émotion subjective. Les uns disent qu'ils croient dans le mystérieux chiffre 13 qui porte malheur, d'autres en des formules magiques, des incantations ou [22] bien en l'eau bénite, etc. Il s'ensuit que, derrière cette foi, il n'y a aucune connaissance solide (car "Dieu, personne ne L'a jamais vu"), ni même aucun sentiment cohérent, car les sentiments sont fondés sur des dispositions émotionnelles d'un individu donné. Pour cette raison, je le répète, le terme sentiment est insuffisant, ou bien il doit alors être précisé, purifié de tout ce qui, en lui, est étranger à la foi en tant que telle.

    En quoi consiste la particularité absolument unique de ce sentiment que nous appelons la foi ? C'est évidemment dans le fait qu'elle est une réponse, et toute réponse suppose la présence de celui à qui on répond et atteste en même temps aussi cette présence. La foi est une réponse, non seulement de l'âme, mais de l'homme dans sa totalité, de tout son être, qui soudain a entendu, perçu quelque chose, et qui se livre entièrement à cet élan qu'il a ressenti.

    Dans le langage chrétien on peut exprimer cela ainsi : "la foi vient de Dieu", c'est-à-dire de Son appel, de Son initiative. Elle est toujours une réponse à Dieu, don de soi à Celui qui se donne Lui-même. Comme le formule de façon admirable Pascal, "Dieu nous dit : tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais pas déjà trouvé".  C'est parce que la foi est une réponse, un mouvement en retour, qu'elle reste aussi une recherche, une soif, une aspiration. Je cherche  en moi-même, dans mon expérience, dans mes sentiments, une réponse à la question : pourquoi je crois ? Et je ne la trouve pas.

    Que représente Dieu pour moi ? Est-ce une explication du monde, de la vie ? Non, car pour moi, il est évident que premièrement, ce n'est pas grâce à ces explications que je crois en Lui, et deuxièmement, ma foi en Dieu n'explique justement d'une façon rationnelle tous les mystères, toutes les énigmes du monde. Il m'est arrivé plus d'une foi de me retrouver près du lit d'un enfant mourant dans d'atroces douleurs. Pouvais-je, alors, expliquer quoi que ce soit à ceux qui m'entouraient, démontrer, justifier comme on dit, religieusement, cette souffrance et cette mort ? Non, je pouvais seulement dire : Dieu est là, Dieu existe, et confesser, à travers les douloureuses questions terrestres, toute l'infinitude de cette présence. Non la foi n'est pas le fruit de la nécessité d'une explication. Mais d'où vient-elle alors ? De la peur des souffrances d'outre-tombe, de la crainte d'une élimination totale, d'un besoin [23] égoïste, farouchement enraciné en moi, de ne pas disparaître. Non, car les raisonnements philosophiques les plus savants au sujet de l'au-delà me paraissent un balbutiement d'enfant.

    Que puis-je donc savoir sur tout cela ? Que puis-je dire aux autres ? Ce n'est pas parce que je désire une vie au-delà de la mort, une certaine éternité, que je crois en Dieu ; mais je crois en la vie éternelle, parce que je crois en Dieu. Alors, à la question qui prime sur toutes les autres : pourquoi je crois ? Je ne peux répondre qu'une seule chose : c'est parce que Dieu m'a donné cette foi, et me la donne constamment. Il me l'a donnée justement comme un don, comme un présent : c'est ce qu'attestent la joie et la paix, totalement affranchies des événements de ce monde et de cette vie, que je ressens en moi. Je n'en fais, hélas,  pas toujours l'expérience, voire rarement ; parfois, dans ces moments où le mot Dieu cesse d'être un mot, pour devenir un lieu où coulent des torrents de lumière, d'amour, de beauté, où coule la vie même.

    " Joie et paix dans l'Esprit Saint" , disait l'apôtre Pierre, et il n'existe pas d'autres mots, car lorsqu'on croit et que l'on vit de cette foi on n'a plus besoin de mots : ils deviennent presque impossibles à formuler... Mais alors on est en droit de me poser la question : pourquoi certains croient-ils, alors que d'autres ne croient pas ? Y a-t-il une sélection, des élus ? Pourquoi y a-t-il ceux qui ont cru et qui ont perdu la foi ? ce sont des questions vraiment importantes, fondamentales.

                                                             à suivre...

    Alexandre Schmemann - Vous tous qui avez soif - Ed YMCA-Press - F.X de Guibert  - Paris 2005 - ISBN : 2-85065-xxx-x & 2-7554-0032-3

     

     

  • Pépites

    50. (...) Les "intégrismes" de toutes natures élargissent le désert spirituel d'Occident. (...)

    52. (...) L'obéissance seule n'a jamais converti personne. On ne peut que proposer dans la liberté : sinon on révèle qu'on est victime soi-même du mal qu'on veut guérir. (...)

    53. (...) Le pardon peut devenir subtile vengeance. L'amour tyrannie. Comment entendrait-il la parole qui invite à sortir puisqu'il a déjà tout accompli. Ses clefs sont au fond du puits. (...)

    54. (...) Qu'on peut aimer chrétiennement pour échapper à la déchirure de l'amour. Qu'on peut servir les pauvres pour s'assurer de sa supériorité. (...)

    68. A l'origine de la foi il y a l'intuition du retournement de toutes choses (...)

    79. Dès la Bible l'athéisme se manifeste :

    " L'insensé a dit dans son coeur : il n'y a pas de Dieu. " [psaume n° ?]

    81-82. Votre attachement au Christ n'impressionne que vous-mêmes et ceux de votre cercle. Car s'attacher c'est être avec lui en ce lieu de détachement, crucifiant qui le rend présent à autrui, à l'ennemi qui vous refuse, à l'incroyant. Consentir à l'exode, laisser bouger sa vie, avoir confiance, c'est à dire foi.

    83-84. Au coeur du christianisme, contre toutes les idées du monde moderne, contre toutes les preuves que sont l'exploitation, l'écrasement, l'insignifiance des individus de la fourmilière, il y a la révélation de la valeur infinie, unique de chaque créature : donc une source de liberté et de grâce pour tout être humain, croyant ou non, de toutes cultures; l'invitation "révolutionnaire" pour chacun à ne ressembler qu'à lui-même et à nul autre.

    86. (...) le monde et l'Evangile sont inconciliables. Je ne prie pas pour le monde.

     

    98-99.Le "deviens ce que tu es" est devenu : Deviens l'homme que tu dois être pour être considéré. On te surveille. Réalise le modèle. C'est ta seule chance pour passer les tests, l'entretien qui va décider de l'embauche. Et capital ! oublie, mon enfant, le refoulement qu'il t'a fallu opérer, et que tu es malheureux malgré tous les plaisirs que te propose la société en échange de ta joie intime.

    99. Le tragique n'est pas qu'un homme meurt et que retombent à la nuit un regard unique, une parole nourrie de l'expérience d'une vie ; le tragique n'est surtout pas qu'il n'ait rien su de l'atome ou des quasars : le tragique est qu'un homme puisse mourir sans avoir eu la moindre idée ni la moindre expérience de la richesse inouie de l'infini du dedans. Les Eglises pourraient aider beaucoup d'hommes à se tenir debout.

    101. N'aggravez pas l'imposture des dictatures et des démocraties douces, en les justifiant pour ainsi dire, qui font régner un ordre prétentieux et puéril qui n'est supportable qu'à cause du confort, de l'argent, de mille gadgets, tout ce qui fait vivre hors de soi.

    102. La foi n'est ni publique ni collective. Elle ne peut que germer dans l'individuel. C'est après qu'elle se manifeste publiquement. Et si l'expression collective peut éveiller la foi : c'est un individu qui la reçoit.

    105. Tout ce qui prétend agir sur des masses pour déclencher des réflexes augmente les ténèbres du monde en assimilant la foi au fonctionnement des opinions.

    167. Jusqu'à ce que l'écriture-parole se soit mise à voir pour moi j'aurai vécu dans la cage des mots non sans un certain bonheur : celui du prisonnier qui sait que les portes vont s'ouvrir. Notamment Marc et Jean me parlaient à l'esprit et au coeur, comme m'atteignaient Nietzsche, Chestov, Rilke qui déblayaient, St Jean de la Croix, Eckhart. Quelle dilatation. Certes l'esthétique avait beaucoup part, mais j'adhérais à la substance des mystères chrétiens en Eglise.

    171. Les hommes du siècle souffrent de prière refoulée.

    185. Les hommes qui ont perdu contact avec leur murmure ou qui le confondent avec les mots du mental-social de fabrication sont des malheureux. Malheur à vous, scribes et pharisiens... "Gnomes aveugles, quelle sève allez-vous recueillir dans ces os secs ?" ainsi que s'exprimait Lin-Tsi devant ses disciples, il y a un millénaire.

    187. Un jour vous vous trouverez devant vos télés muettes et aveugles, disant  : qui nous rendra notre âme ? Vos téléphones à écran, reliés aux banques de données ne sonneront plus. Les ordinateurs de poche ne serviront plus à rien. Rien ne masquera plus l'ennui qui vous aspire.

    204. Tout langage est prière, pont sur l'abscence. Le Livre est toujours à lire, à écouter, à arracher à l'interprétation. Abrupt à chaque fois. Sinon il n'y a qu'arrêt.

    204. " L'homme qui n'est mu que par des affaires extérieures, dit Eckhart, montre qu'il est mort. On vit que dans la mesure où l'on agit par un mouvement intérieur." Mais il ne faut pas trop savoir ce qu'est Dieu.  

    214. Les hommes de ce temps, comme de tous les temps, espèrent une parole personnelle qui les invite "durement" à se situer par rapport à l'inhumanité du monde, aux prétendues fatalités, à l'argent, au bruit des opinions, aux prétentions des pouvoirs qui fabriquent leur information, leur culture, leur jeunesse, leurs retraités, leurs vieillards, leurs électeurs.

     

    Jean Sulivan - L'exode - Cerf, 1988 - ISBN 2-204-02895-9 (première édition Desclée de Brouwer 1980) 

    http://www.chapitre.com/CHAPITRE/fr/BOOK/sulivan-j/exode,943271.aspx

     

     

  • impitoyable démythisation

    54. Au cœur de la rencontre, pas de découvertes chiffrables : mais la Personne singulière de Jésus-Christ : " Nous avons trouvé le Messie " (Jn 1,41) Le croyant tombe désormais sous sa Seigneurie rayonnante, sous son emprise : " J'ai été empoigné par le Christ Jésus " (Phil 3,12). Le christianisme est plus une compagnie qu'une vérité ; et la fréquentation fidèle de Jésus confère à cette amitié une densité toujours croissante. "Je sais en qui j'ai cru", s'écrie Paul après des années de service apostolique ( 2 Tm 1,12) Cela ne supprime certes pas les difficultés, les nuits, la sensibilité à l'incroyance des autres ; cela n'évacue même  pas l'impression de croire à quelque chose d'énorme, de dur à avaler. Mais la possibilité de fuir, que le Christ suggère lui-même ("Voulez-vous partir vous aussi ?"), paraît insensée : " Seigneur, à qui irions nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle " (Jn 6, 67-68)

    Parce qu'elle est indissolublement une vocation dans une conversion, la foi apostolique s'ordonne non à musarder avec un Dieu oisif, mais à servir avec le Serviteur de Yahvé. Le croyant est un être actif (mais pas un activiste), qui emploie tout son amour à satisfaire - fût-ce à grands frais - la volonté d'un Père qui travaille avec son Fils ( Jn 5,17). Ce qui unit à Dieu, ce n'est, de soi, ni la prière, ni l'action, ni la passion : c'est l'exécution empressée du bon plaisir divin, perçu jour après jour au moyen du discernement spirituel, sans que l'on puisse jamais être en possession d'une programmation préétablie et définitive. Il y a, dans l'engagement de suivre le Christ, comme une sorte de blanc-seing, qui ne tolère aucune clause limitative. Le pivot de la foi apostolique, ce n'est ni l'oraison, ni le zèle : l'intériorité et l'extériorité cachent autant de pièges ; elles peuvent, l'une comme l'autre, servir de prétexte à l'assouvissement  d'un besoin égoïste, à une dérobade face à la Volonté du Père. C'est plutôt l'abnégation de qui consent, d'entrée de jeu, à recevoir sa vie d'un Autre, et refuse d'anticiper le choix : " Un Autre te nouera ta ceinture, et te mènera où tu ne voudrais pas " (Jn 21,18).

    55. Là encore se produit une impitoyable démythisation, bien plus rigoureuse que la critique intellectuelle à froid, parce qu'elle nous arrache des illusions qui tiennent à notre chair. Toute conversion s'est effectuée dans une certaine fermentation, dans un bouillonnement de pulsions généreuses, ce qui appelle une clarification progressive. Comme les apôtres, nous suivons moins Jésus-Christ que nos idées sur Jésus-Christ, et le Seigneur s'attaque, chaleureusement, aux articles organiques" qui viennent dénaturer notre acte de foi. Dans l'Evangile, il ne cesse de bousculer l'incrédulité de ses compagnons, qui s'accrochent à des représentations inexactes du Royaume, complices de leurs intentions impures. Il en est de même pour chacun de nous.  

    André Manaranche - Je crois en Jésus-Christ aujourd'hui - Seuil 1968 

  • Le cyclone de la Pentecôte

    51. Il ne s'agit pas de régresser vingt siècles en arrière, en désertant la problématique de notre temps, pour retrouver une sorte de pureté première qui monopoliserait tout l'Esprit-Saint. L'histoire de l'Eglise n'est pas celle d'une lente dégradation de la foi. Le cyclone de la Pentecôte, en propulsant au-dehors les apôtres timorés, a balayé le mythe d'un âge d'or du christianisme ; le Cénacle n'est pas un paradis perdu.

    Reste que l'expérience des Douze, consignée dans l'Ecriture, sert de référence aux siècles postérieurs. Aussi notre foi contemporaine, dont nous savons les manifestations si vivantes, doit-elle sans cesse se confronter à la conscience que les compagnons de Jésus  ont eue du Royaume de Dieu, de sa logique interne, de ses méthodes et de sa fin. En effet, le Christ qui grandit dans notre monde ne peut différer du Christ que révèle l'Ecriture. Si le déchiffrage que nous faisons actuellement du Dessein paternel ne correspondait plus à la Révélation apostolique, si cette dernière semblait comme dépassée par nos capacités présentes d'interprétation, ce serait le signe navrant que nous aurions changé de foi en cours de route, même à travers la continuité d'une même formulation. 

    Mais en quoi consiste, au juste, l'expérience des Douze ? Lorsqu'il fut question de remplacer Judas, le critère donné par Pierre fut le suivant : " Il faut donc que, de ces hommes qui nous ont accompagnés tout le temps que le Seigneur Jésus a vécu au milieu de nous, en commençant au baptême de Jean jusqu'au jour où il nous fut enlevé, il y en ait un qui devienne avec nous témoin de sa résurrection" (Ac 1, 21-22). Bien sûr, une telle définition correspond à une expérience intransmissible, même aux évêques ; et Paul lui-même  dut justifier, pour ceux qui se réclamaient de Céphas ( 1 Co 1,12), sa qualité d'apôtre et la valeur de son "évangile" personnel : " Ne [52] suis-je pas apôtre ? N'ai-je donc pas vu Jésus, Notre-Seigneur ? "(1 Co 9,1). Pourtant, quel que soit notre appel, nous devons entrer dans cet itinéraire spirituel, qui va de l'apparition de Jésus-Christ jusqu'à sa disparition. 

    Ce cheminement que nous restitue après coup la rédaction évangélique, dans une lumière postérieure aux événements, nous pouvons en baliser ainsi les étapes : 1°) la foi constituée ; 2°) la foi engagée ; 3°) la foi scandalisée ; 4°) la foi confirmée ; 5°) la foi professée.

    André Manaranche - Je crois en Jésus-Christ aujourd'hui - Seuil 1968

     

  • du temps et de l'éternité

    En vérité, en vérité je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit en Celui qui m'a envoyé, celui-là a la vie eternelle.  Jn 5,24

    Voilà le grand mystère de la foi, qui nous met dans l'éternité. La foi, c'est vivre le mystère de l'éternité dans le temps, c'est faire que l'éternité assume chaque instant de notre vie. C'est par l'instant présent, et par lui seul, que l'éternité peut assumer le temps, et nous serons vraiment croyants que dans la mesure où l'éternité assumera réellement chaque instant de notre vie. Si nous vivons de l'instant présent dans la foi, nous vivons quelque chose d'éternel, nous sommes saisis par l'éternité : c'est le mystère de Dieu qui s'empare de nous. Le mystère de l' Incarnation, pour nous, c'est Dieu présent à l'intérieur de la succession du temps.

    Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau t.2 -Ed. St Paul 1999. p 232

    ISBN : 2 85049 781 9

    Les ouvrages ainsi que les conférences  de Marie-Dominique Philippe sont disponibles à Notre-Dame de Rimont (71390 Fley. Site internet : www.stjean.com)

  • L'oeillet du Saint-Esprit

    " (...) Il y a à Fribourg (en Suisse) des peintures d'un grand artiste qu'on appelle "le peintre à l'oeillet" parce qu'il signaint toujours ses tableaux par un petit oeillet. N'est-ce pas magnifique, de mettre un petit oeillet comme signature, au lieu de signer de son nom ? Le Saint-Esprit signe d'une manière semblable. C'est très caché, mais il y a réellement une signature particulière du Saint-Esprit, qu'il faut discerner dans la foi. C'est cela le discernement des esprits. Il y a aussi, bien sûr, la signature du démon, une grosse signature ! Le Saint-Esprit, lui, signe toujours par la pauvreté, parce qu'il est le Père des pauvres. Et le Père des pauvres ne prend que les pauvres ; les autres, il les laisse. "Vous voulez aller votre chemin ? Très bien, allez-y !" Le Saint-Esprit ne va pas nous faire des remontrances, il nous laissera tranquille, parce qu'il est très respectueux de notre liberté. Mais il est le Père des pauvres, et cela il le montre  toujours. 

    A Abraham Dieu avait précisé : "Va vers le pays que je te montrerai, vers la terre de Canaan ", et à Jean-Baptiste il demande d'aller au désert sans rien lui dire. C'est différent ! La foi n'est pas directement la pauvreté ; c'est l'espérance qui est la pauvreté. La foi réclame une direction, une orientation, elle réclame une doctrine. Car il faut avoir une doctrine - mais il faut toujours la dépasser. La doctrine est nécessaire, il faut connaître la parole de Dieu, il faut connaître quelle est la vérité de Dieu. Et la foi nous conduit vers la terre de Canaan, elle fait de nous des étrangers dans la culture du monde d'aujourd'hui. L'espérance, elle, nous met au désert, dans la pauvreté ; elle exige de nous de ne pas savoir où nous allons, d'être comme portés par l'Esprit saint, et puis... d'attendre - la patience divine ! Il ne nous est pas dit combien de temps Jean-Baptiste a attendu au désert, cela fait partie de la pauvreté. Car si on le savait on dirait : " Voilà, j'ai fait un an de noviciat, je suis formé... !" Pas du tout. C'est toute notre vie que nous sommes novices du Saint-Esprit ; et plus nous avançons, plus nous le sommes, quel que soit notre âge. Nous devons aller toujours plus loin dans la pauvreté, car elle n'a pas de limites. Je parle de la pauvreté intérieure, bien sûr. La pauvreté extérieure est un signe, mais la pauvreté intérieure est un abîme qui creuse en nous le don de crainte ; et la pauvreté intérieure nous donne cette docilité parfaite à l'Esprit-Saint. "

     

    Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau (t1) - 1 ère édition, 1978. 3 ème tirage : Ed St Paul 2005 pp.185-186 (ISBN : 2-35117-001-6)

  • Témoin du Christ

    Etre témoin du Christ dans notre vie, c'est laisser toujours le Christ "passer devant", c'est-à-dire faire passer la foi, l'espérance, la charité avant notre intelligence, nos désirs et nos sympathies ou antipathies. Il faut que la foi soit toujours première et que nous ne croyions pas dans la mesure où nous avons "compris" - ce ne serait plus la foi. La foi, c'est une adhésion au mystère de Dieu parce que Dieu nous a donné sa lumière. Et nous adhérons dans l'obscurité, parce que la lumière de Dieu nous dépasse et excède la capacité naturelle de l'intelligence qui, par le fait même, en est aveuglée. La foi est une adhésion inconditionnelle, parce que nous adhérons à la lumière de Dieu. Nous savons qu'elle n'est pas irrationnelle, mais "super-intelligible". Nous savons que croire, ce n'est pas imprudent, mais "super-prudent"; Il faut donc toujours que la foi passe avant l'intelligence. Autrement, nous retombons dans un humanisme, nous ne sommes pas chrétiens, et nous ne rendons pas témoignage au Christ.

     

    Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau (t1) - 1 ère édition, 1978. 3 ème tirage : Ed St Paul 2005 pp.153-154 (ISBN : 2-35117-001-6)

  • pourquoi ne suis-je pas bouddhiste ?

    (...) " Pourquoi suis-je catholique et non pas bouddhiste ? " Il y a de très grands bouddhistes - j'en ai rencontrés. J'ai eu un ami musulman qui semblait avoir une vraie vie mystique, une véritable vie d'adoration, une vie de prière étonnante. Chaque fois du reste, que je le voyais, il me demandait une bénédiction en disant : " Nous sommes frères en Dieu ". Oui, c'est vrai, dans le Dieu créateur nous sommes frères mais je prie un jour pour qu'il ait la lumière plénière. Pourquoi ne sommes-nous pas musulmans ? C'est pourtant très grand ? D'une certaine manière, l'Islam a gardé beaucoup plus que nous l'adoration. Quand on visite Damas, ville sainte, on voit des choses qu'on ne verrait absolument pas chez nous. Quand on sonne la prière, le coiffeur fait sortir son client, même si ses cheveux ne sont pas entièrement coupés - peu importe ! puis, déployant son petit tapis, il fait son adoration devant tout le monde. Où verrait-on cela chez les chrétiens ? L'adoration d'un véritable musulman qui croit, c'est merveilleux à voir. On peut alors se demander : " Mais pourquoi suis-je chrétien ? " Le motif profond est celui-ci : le christianisme a uni l'homme à Dieu. C'est Dieu qui est venu vers nous et qui nous a élevés jusqu'à lui. Le coeur de l'homme est devenu le coeur de Dieu. L'amour à l'égard de Dieu et l'amour à l'égard du prochain, cela ne fait qu'un. Là on touche ce qui est caractéristique de la vie chrétienne, ce qui en elle est unique : il n'y a qu'un seul amour. L'amour à l' ègard de Dieu et l'amour à l'égard du prochain, c'est le même amour. Cela, on ne le trouve dans aucune autre religion. C'est vrai : le coeur de l'homme est devenu le coeur de Dieu, et le lieu de rencontre de l'homme avec Dieu, c'est le Christ, en qui l'homme et Dieu sont unis d'une unité substantielle, personnelle.

    Il est bon de se rappeler cela, parce que quelquefois les traditions religieuses semblent être mieux gardées dans l'islam, ou dans d'autres religions, que dans la religion chrétienne. Pourquoi ? Parce que, justement, le chrétien dépasse les traditions religieuses. Ce qui caractérise la vie chrétienne, c'est la foi, la foi en Christ, en le Verbe devenu chair, Dieu au milieu de nous. La vie chrétienne, c'est en premier lieu la contemplation. Donner la primauté aux traditions religieuses est une matérialisation de la vie chrétienne, car celle-ci n'est pas premièrement tradition religieuse - heureusement. Les traditions religieuses, en effet, considérées en elles-mêmes, indépendamment de leur source, se matérialisent toujours. Le grand danger qui menace l'islam, c'est le progrès technique, scientifique, économique, contre lequel les traditions religieuses, prises en elles-mêmes, ne peuvent pas se défendre. C'est un fait : cela ne "tient" pas, et c'est un phénomène qu'il serait très intéressant d'étudier de près. En face des progrès scientifiques et économiques, seule la foi peut demeurer, parce qu'elle dépasse le conditionnement humain. C'est Dieu lui-même qui vient vers nous, c'est Dieu qui nous assume. La foi vient de Dieu, c'est un don de Dieu, alors que les traditions religieuses viennent de l'homme et tendent vers Dieu. (...)

    On me dira : " Il y a une foi dans l'islam ". C'est vrai ; mais la foi de l'islam est dépassée et submergée par les traditions religieuses et, de ce fait, ce sont les choses extérieures, l'aspect moral, l'aspect de la lettre, qui dominent, et non plus la parole vivante reçue dans la foi. Ce qui est si merveilleux dans la vie chrétienne, c'est que nous recevons une parole vivante qui nous lie à une personne - je dis bien : à une personne - et non pas à une loi ni à une doctrine. La doctrine existe, les traditions religieuses existent, mais elles sont secondes et demandent d'être sans cesse purifiées par la foi. Il ne faut pas supprimer les traditions religieuses en s'opposant à elles ; il faut les purifier, les décanter dans une lumière de foi. Cette lumière de la foi nous est montrée dans toute sa puissance et toute sa force dans le Prologue de saint Jean.

    Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau (t1) - 1 ère édition, 1978. 3 ème tirage : Ed St Paul 2005 pp.150-151 (ISBN : 2-35117-001-6)

  • Sens du miracle

    " Va, ta foi t'a sauvé."

    Cette phrase est étonnante à un double titre. Jésus ne dit pas: Ta foi t'a guéri, mais Ta foi t'a sauvé, ce qui montre bien que la santé du corps est le signe d'un relèvement de la personne tout entière. En atteignant les corps, Jésus rejoint les cœurs. Il ne s'agit pas seulement de l’intervention d'un guérisseur plein de compassion, mais de l'action du Sauveur qui rétablit la personne non seulement dans son intégrité physique mais dans sa relation aux siens et à Dieu.

    C' est pourquoi une telle action ne peut se faire sans la libre décision de celui qui en est le bénéficiaire. D'une façon étonnante, l'expression « Ta foi t'a sauvé» présente aussi l'homme guéri comme l'auteur de son salut. Jésus s'efface, il attribue la guérison non à lui-même mais à celui qui a cru, car il discerne dans ce qui vient de se passer l'action de son Père partageant sa force à celui qui croit. On retrouve ici l'effet, si je peux dire, de la discrétion de Dieu. Elle nous situe dans une perspective d'alliance: elle appelle et suscite la foi qui permet au croyant d'entrer en relation et en communion avec Dieu, et Dieu lui partage sa vie et le rend participant de sa force.

    Tel est l'un des messages des miracles évangéliques. Les circonstances rendent parfois très difficile l'acceptation de ce message car, si la foi peut beaucoup, il lui est parfois aussi beaucoup demandé.

     Bernard Rey - La discrétion de Dieu - Cerf 1997, p.68   

  • Confiance dans la Parole

    Quand tout va mal, Dieu est accusé de silence et il est remplacé ;  quand tout va bien, il est oublié car on n'en a plus besoin. Dans les deux cas, on renonce à la Parole, ne lui laissant pas le temps de prendre racine, quitte à reprocher à Dieu, plus tard, de garder le silence. En réalité, les hommes ne l'écoutent plus:

    Ils m'abandonnent, moi, la source d'eau vive, pour se creuser des citernes, des citernes fissurées qui ne retiennent pas l'eau. [Jr 2, 13.]

    La Bible et notre propre histoire nous apprennent où peut mener un tel oubli de Dieu. Ayant perdu l'écoute de la Parole de l'Autre qui révèle le sens de toutes choses - et ce sens se situe en dehors de l'humanité qui n'est pas sa propre source -, beaucoup se centrent sur eux-mêmes  et entendent maîtriser la totalité de leur destinée. Ils lui vouent leur cœur, leur vie et leur pouvoir. Mettant tout au  service du profit et de leur propre bonheur personnel, ils n'hésitent pas à asservir leurs frères à leurs propres desseins, comme Adam et Ève voulant se situer par eux-mêmes à l'origine du bien et du mal, comme Caïn jaloux d'Abel et l'éliminant, comme Abraham lui-même, reniant son épouse et la laissant partir comme sa sœur dans la maison de Pharaon, comme nous si souvent et ceux qui nous entourent.

    Par la foi, celui qui entend et accepte l'appel de Dieu choisit de faire confiance à sa Parole sans autre garantie que l'engagement de celui qui la dit. Cette décision  est à prendre et à reprendre : avec lucidité car le croyant a ses faiblesses, et avec une confiance radicale car celui auquel il s'en remet l'a façonné avec amour. La voie que Dieu propose est difficile, exigeante, nous l'avons vu, mais le croyant a l' assurance que celui qui l'a appelé ne lui manquera pas. 

    Bernard Rey - La discrétion de Dieu - Cerf 1997, pp.30-31   

  • décentrement de soi

    La foi identifiée à un acte de liberté privilégie l'attitude intérieure sur l'adhésion extérieure. Jésus, à la suite des prophètes, a opposé la droiture de conscience et la pureté d'intention à l'hypocrisie d'une religion ritualiste. La Parole que Dieu nous adresse en son Fils appelle à croire tout simplement en l'amour dont elle témoigne, un amour efficace, capable de recréer l'humain jusqu'à le rendre digne de Dieu pour la vie éternelle. Cet amour divin, décentré de lui-même, se donne à chacun(e) d'une manière unique. Il est descendu au plus profond de la perdition pour ouvrir à la lumière le plus ténébreux. D'une parole, il relève sans le briser le roseau froissé et, de son souffle, il éveille la mèche qui faiblit (cf. Is 42,3). Croire, c'est alors prier, être présent à quelqu'un, écouter, accueillir. C'est offrir sa vie à celui qui en est le sens, la justification et le fondement ultime.

    Il ne faudrait pas déduire de cela que la qualité de l'acte de foi se mesure à la ferveur sensible de la prière. Il se vit au contraire à travers tous les états de la conscience, des plus heureux aux plus sombres en passant par cette banale aridité que la fidélité appelle à traverser humblement. Il n'est pas synonyme par exemple de certitude paisible, car l'angoisse du doute n'empêche pas de le poser. La décision de croire peut en effet passer par des heures plus difficiles lorsque l'épreuve fait basculer la vie dans le non-sens. Croire, c'est alors parfois perséverer sans but dans l'ouverture du coeur. Et pourtant, la prière comme acte de foi met réellement en relation avec Dieu tel qu'il est en lui-même, par-delà les modalités de sa présence et de son action. Elle est communion avec lui dans la foi quelle qu'en soit l'expérience sensible. Elle est relation d'amitié, dialogue, jeu incessant de la liberté, du désir et de l'intelligence. Elle est parfois silencieux abandon du cœur à la Parole qui l'habite.

    Certes, nous espérons connaître cette douce dilatation intérieure, cette libération de la source des larmes, cette paix incompréhensible et donnée. Nous aspirons à ce sentiment de plénitude qui surgit parfois dans la joie d'exister, la certitude d'être. Cependant, nous ne devons jamais nous attacher à quelque forme d'expérience, car la foi, en tant que relation à l'Autre, est décentrement de soi. Accueillir la Parole, c'est consentir plus  radicalement à certaines heures, à cette perte qui est au cœur de l'annonce évangélique : « Appelant à lui la foule en même temps que ses disciples, il leur dit : Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même, qu'il se  charge de sa croix, et qu'il me suive. Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l'Évangile la sauvera » (Mc 8,34 s). Le renoncement qu'implique la marche à la suite de Jésus peut être directement le fruit d'un choix positif comportant exigences et ruptures. Il peut se vivre aussi plus prosaïquement en accueillant avec foi les épreuves qui affectent notre vie matérielle ou affective. Il peut enfin concerner directement notre relation à Dieu à travers l'expérience de la nuit spirituelle. Jean de la Croix insiste sur cette purification continuelle de la foi comme condition de son authenticité.

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB, 2008. pp 85-86

  • La question de Philippe

    Incorrigibles maladroits que nous sommes ! Toujours nous cherchons   "autour" : nous cherchons  la circonstance autour de Jésus qui va nous permettre de le comprendre, nous cherchons le signe au-dehors de lui qui va nous permettre de croire en lui, nous cherchons à le situer et à l'expliquer  par des repères extérieurs à lui. Certes, il y a un temps pour s'approcher, pour considérer les circonstances, les signes, les repères. Mais la foi commence lorsque le regard se détache de toutes ces choses autour et s'attache  à celui qui au centre, parle, et qui simplement est là, lui-même : "Croyez-m'en ! je suis dans le Père et le Père est en moi. Du moins, croyez-le à cause des œuvres" (Jn 14,11) (...) c'est à sa seule parole que Jésus veut que nous suspendions notre foi, parce qu'il ne peut justement pas en être autrement s'il est vraiment Celui qu'il dit être.

    Voici qui explique de  façon suprême le décousu, la brièveté, la sobriété de l’Évangile : Jésus n'apporte jamais rien d'autre que lui-même. En furent déconcertés, irrités et égarés, ceux qui attendaient du Messie qu'il apporte d'abord quelque chose. Il n'apporte rien, il vient ! Cela se voit assez dans la nudité de Bethléem : toute la religion chrétienne est fondée sur cet événement qui déroute tout sentiment religieux et déboute toute autre religion. Jésus n'apporte rien que le mystère qu'il est, venant dans le monde. [le mystère n'est pas à entendre comme quelque chose d'incompréhensible, d'ésotérique mais comme quelque chose -ici la connaissance de Jésus-Christ - dont la profondeur est infinie, comme un océan sans rivage. Note de l'auteur de ce blog]

    Jésus révèle le Père, et seul il peut le révéler, non comme un messager qui ne serait que le porteur d'une nouvelle confiée par un autre et étrangère à lui, mais comme celui qui est à la fois le "teneur" du message, et sa teneur. Jésus nous révèle le Père, et seul il peut le révéler, non pas en nous l'expliquant du dehors, fort d'on ne sait quelle science théologique transcendante, mais en existant simplement et en plénitude de son existence de Fils, en respirant simplement et en plénitude  sa conscience d'être Fils. (...) C'est pourquoi, à la question de Philippe qui lui dit : " Montre-nous le Père, et cela nous suffit ", il répond : " Voilà si longtemps que je suis  avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ? " Qui m'a vu a vu le Père " (Jn 14,8-9). Ne nous moquons pas de Philippe, car sa question est la nôtre...(...) Il y a une demi-méconnaissance du Christ qui fait partie de nos déficiences de croyants. Il y a une insensibilité à sa filiation divine qui nous empêche de connaître vraiment le Père : " Voilà si longtemps que je suis avec vous..."

    Albert-Marie Besnard - Un certain Jésus - Ed. du Cerf, 1968. pp 76-78

     

  • En la personne de Jésus

    Aucune valeur chrétienne, aucune vérité chrétienne n'est vécue ou proposée en soi, mais toujours en la personne de Jésus ; l'amour d'autrui n'atteint son épanouissement suprême qu' en la personne de Jésus ; la virginité consacrée ou l'indissolubilité du mariage ne sont défendues et vivables qu'en la personne de Jésus.

    Il s'agit donc de la connaître, cette personne. De se trouver sous le feu de son regard, sous le vent de sa parole. Sinon, comment peut-on être chrétien ? Mais prenons garde aussi que certains, sous couleur de n'avoir que Jésus à la bouche et dans leur dévotion, se créent un Jésus à leur convenance qui risque de n' être pas conforme à la réalité.

    Apprenons à lire et à méditer l’Évangile : que nous y aide cette force irremplaçable de l'imagination grâce à laquelle le détail concret nous parle, la scène s'anime, les paroles s'allument ; mais attention à ne pas céder à l'entraînement, à ne pas rajouter au document, à ne pas fabuler fantastiquement ou psychologiquement sur des voies sans issue. L'équilibre est délicat à tenir ; heureusement, c'est la foi, c'est l'Esprit Saint, qui le tient en nous, si nous demeurons soucieux de vérité. Toute la vérité sur l'humanité de Jésus, mais rien que la vérité : " Ce qu'on rajoute vient du Malin " (Mt. 5,37).

    Alors ayant appris à discerner les intentions et les genres propres des différents évangiles, nous aimerons leur sobriété qui en dit finalement si long.  

     

    Albert-Marie Besnard - Un certain Jésus - Ed. du Cerf, 1968