Incorrigibles maladroits que nous sommes ! Toujours nous cherchons "autour" : nous cherchons la circonstance autour de Jésus qui va nous permettre de le comprendre, nous cherchons le signe au-dehors de lui qui va nous permettre de croire en lui, nous cherchons à le situer et à l'expliquer par des repères extérieurs à lui. Certes, il y a un temps pour s'approcher, pour considérer les circonstances, les signes, les repères. Mais la foi commence lorsque le regard se détache de toutes ces choses autour et s'attache à celui qui au centre, parle, et qui simplement est là, lui-même : "Croyez-m'en ! je suis dans le Père et le Père est en moi. Du moins, croyez-le à cause des œuvres" (Jn 14,11) (...) c'est à sa seule parole que Jésus veut que nous suspendions notre foi, parce qu'il ne peut justement pas en être autrement s'il est vraiment Celui qu'il dit être.
Voici qui explique de façon suprême le décousu, la brièveté, la sobriété de l’Évangile : Jésus n'apporte jamais rien d'autre que lui-même. En furent déconcertés, irrités et égarés, ceux qui attendaient du Messie qu'il apporte d'abord quelque chose. Il n'apporte rien, il vient ! Cela se voit assez dans la nudité de Bethléem : toute la religion chrétienne est fondée sur cet événement qui déroute tout sentiment religieux et déboute toute autre religion. Jésus n'apporte rien que le mystère qu'il est, venant dans le monde. [le mystère n'est pas à entendre comme quelque chose d'incompréhensible, d'ésotérique mais comme quelque chose -ici la connaissance de Jésus-Christ - dont la profondeur est infinie, comme un océan sans rivage. Note de l'auteur de ce blog]
Jésus révèle le Père, et seul il peut le révéler, non comme un messager qui ne serait que le porteur d'une nouvelle confiée par un autre et étrangère à lui, mais comme celui qui est à la fois le "teneur" du message, et sa teneur. Jésus nous révèle le Père, et seul il peut le révéler, non pas en nous l'expliquant du dehors, fort d'on ne sait quelle science théologique transcendante, mais en existant simplement et en plénitude de son existence de Fils, en respirant simplement et en plénitude sa conscience d'être Fils. (...) C'est pourquoi, à la question de Philippe qui lui dit : " Montre-nous le Père, et cela nous suffit ", il répond : " Voilà si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ? " Qui m'a vu a vu le Père " (Jn 14,8-9). Ne nous moquons pas de Philippe, car sa question est la nôtre...(...) Il y a une demi-méconnaissance du Christ qui fait partie de nos déficiences de croyants. Il y a une insensibilité à sa filiation divine qui nous empêche de connaître vraiment le Père : " Voilà si longtemps que je suis avec vous..."
Albert-Marie Besnard - Un certain Jésus - Ed. du Cerf, 1968. pp 76-78