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François Varillon

  • L'Islam - conférence de François Varillon (7) suite et fin

    Suite et fin de la retranscription.

     

    Louis Massignon a écrit sur ce martyr mystique (Al-Halladj) une thèse  d'une prodigieuse érudition. [On peut visionner "Hallaj par Louis Massignon sur YouTube : http://www.youtube.com/watch?v=NWT79_r1ybc]

    Halladj croit en un Dieu qui créé par amour, qui s'entretient avec lui-même. S'entretenir avec soi-même : nous ne sommes pas loin d'une pluralité de personnes. Hallaj parle d'une vie intime de Dieu en lui-même. Il s'approche du christianisme. Il pressent que Dieu est Amour mais il ne croit pas en un Dieu qui va jusqu'au bout de l'Amour  c'est-à-dire qui appelle les hommes à partager sa popre vie. Hallaj ne peut pas admettre la parole de st Pierre en sa première lettre : "nous devenons participants de la nature divine". Et pour ce mystique, c'est une abomination de croire que Dieu puisse donner à l'homme une vocation proprement divine. Alors que pour nous c'est le coeur de notre foi, ce qui fait que nous sommes chrétiens ! Car en dehors de ça il n'y aurait aucune raison d'être chrétien.

    Si Dieu s'est fait connaître par Jésus-Christ comme Père, Fils et Esprit ce n'est évidemment pas pour que nous croyons abstraitement, conceptuellement. Affirmer trois Personnes au lieu d'Une : pourquoi faire ? Si Dieu se révèle comme Trinité c'est afin que nous sachions que le Père nous adopte dans son Fils et par son Esprit. Ce qui suppose l'Incarnation. Nous ne pouvons être fils que dans le Fils unique que incarné. Dieu nous fait la confidence de son secret (sur sa vie trinitaire) pour éclairer et réaliser notre insertion dans la vie de Dieu. Pas question pour un musulman d'être inséré dans la vie de Dieu. Le musulman est devant Dieu ; le chrétien est en Dieu. Quelle différence ! Différence du tout au tout.

    Je termine. Dans la morale de l'Islam, la bienveillance, la bonté jouent un rôle très important. Seulement il ne s'agira jamais pour eux "d'aimer comme Dieu aime" Ce qui fait la transcendance du christianisme c'est la vocation du chrétien à aimer comme Dieu aime. Mais c'est impossible pour le chrétien d'aimer comme Dieu aime s'il n'est pas en Dieu. Il ne s'agit pas de copier la charité divine comme le disciple copie les actions du maître qu'il admire. Ce n'est que par le Christ que l'homme peut être en Dieu comme saint Paul le répète plus de 100 fois dans ses Lettres. Et voilà pourquoi c'est la Trinité qui commande tout, absolument tout.

    Voilà quelques réflexions très sommaires je le reconnais, qui vise l'essentiel de la différence entre le Dieu de l'islam et le Dieu de Jésus Christ, et, à partir de là,  comment pourrait se constituer un dialogue extrêmement fécond entre chrétiens et musulmans.

                                                                                       François Varillon

  • L'Islam - conférence de François Varillon (6)

    Suite de la retranscription de la conférence du Père Varillon sur l'Islam (donnée dans les années 1970)

     

    [47] Qui est Jésus pour le Coran ? Une lecture superficielle pourrait laisser croire qu'il est comme pour les chrétiens Verbe de Dieu et Messie. [Pour le musulman] Il est venu au monde par ordre spécial de Dieu et il ressemble donc aux premières créatures, Adam et Ève, qui ont reçu l'existence par la parole divine. Vous voyez donc que Mahomet admet la conception virginale de Jésus. Mahomet admet aussi ses miracles et sa parfaite sainteté. Le Coran élève Jésus au-dessus des autres prophètes mais il ne reconnaît pas sa divinité, non plus que sa mission rédemptrice. [Pour le Coran] Jésus est celui qui possède l'esprit prophétique à un degré supérieur. Il paraît que Mahomet aurait dit un jour (ce n'est pas dans le Coran) : "Tout homme en naissant est saisi au côté par la griffe du diable excepté Jésus fils de Marie" et Mahomet se considère lui-même comme moins grand que Jésus. En effet sa naissance, à lui Mahomet, n'a pas été miraculeuse comme celle de Jésus. Jésus n'a pas subi l'esclavage du péché tandis que lui, Mahomet, dans le Coran même, avoue ses fautes et il en demande pardon à Dieu.

    Mahomet reconnaît donc la supériorité morale de Jésus,  mais comme prophète il se considère comme supérieur à Jésus. L'Islam ne croit pas que Jésus ait été crucifié. Il pense que c'est un homme qui ressemblait à Jésus qui a été mis en croix car dit-il il est impossible qu'un envoyé de Dieu ait été abandonné à la méchanceté des hommes. Si Jésus n'a pas été crucifié est-ce qu'il est mort de mort naturelle ? Eh bien, là-dessus le Coran ne dit rien de vraiment clair. Il se pourrait donc que l'Islam croit à une ascension de Jésus au Ciel, corps et âme. C'est du moins ce que pensent certains commentateurs, mais tous sont unanimes pour croire que le Christ reviendra sur terre et qu'il jouera un rôle le jour du Jugement.

    Et qu'est-ce qu'il fera pour commencer ?  eh bien, il commencera [d'après ces commentateurs musulmans] par exterminer tous les chrétiens ! En dehors des cas privilégiés d'Abraham et de Jésus, [pour l'Islam]  l'histoire de l'humanité s'inscrit dans un cadre stéréotypé. Il n'y a pas d' Histoire proprement dite, il n'y a que la juxtaposition d'une série de communautés qui se succèdent dans le temps.   Pas de progrès dans la révélation....  d'envoyé de Dieu (inaudible). En somme, la loi révélée à Moïse et l'Evangile révélé à Jésus  ce sont des corans avant la lettre de telle sorte que le musulman  peut trouver dans le Coran tout ce qui lui est nécessaire pour sa vie religieuse. A l'inverse du chrétien qui croit, lui, que le Nouveau Testament est la suite de l'Ancien ; que la Loi Nouvelle conduit l'ancienne à sa perfection ;  à l'inverse du chrétien qui par conséquent vit de toute la Bible (mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu si vous saviez ce que l'ignorance de l'Ancien testament par les chrétiens est considérable : c'est à pleurer mais c'est comme ça.)...le musulman lui n'a besoin de lire ni la Loi de Moise ni l'Evangile et comme la vision de l'histoire et du salut n'est pas la même dans le Coran et dans la Bible alors les Musulmans s'appuient sur certains versets du Coran pour dire que la Bible a été inspirée et c'est en comparant la Bible et le Coran qu'on peut juger de l'authenticité de la Bible : ce qui est authentique (pour les Musulmans)  c'est ce qui est dans le Coran.

    D'autre part, [pour les Musulmans] la maîtrise du monde a été remise à l' Islam comme  jadis la Terre promise  à Moise. Les musulmans ont donc le devoir de défendre l'Islam et de le faire triompher sur toute la terre, d'abord par la parole, par les moyens pacifiques et aussi, le cas échéant, les armes à la main. Un lien de fraternité unit tous les musulmans  qui doivent se sentir mobilisés côte à côte pour la cause de Dieu : d'où le prosélytisme discret mais constant que les fidèles exercent à l'égard des non-musulmans qui les entourent.

    Pour les musulmans, l'amour du prochain ne peut pas être mis sur le même plan que l'amour de Dieu. Cela ne veut pas dire que l'Islam ignore la charité fraternelle,[bien que le véritable frère ne soit pas l'homme mais le musulman] La charité [dans l'Islam] n'est pas constitutive de la foi,   simplement elle relève du commandement divin. Le musulman pratique la charité fraternelle parce qu'il y a un commandement de Dieu qui dit qu'il faut pratiquer la charité fraternelle.

    En d'autres termes, celui qui n'aimerait pas ses frères musulmans ne serait pas parfaitement obéissant à Dieu parce qu'il y aurait en lui un sentiment qui l'isolerait de ceux qui pratiquent cette obéissance. Un tel homme serait un menteur mais c'est le mensonge qui écarterait de lui la foi et non le fait pris en lui-même de ne pas aimer son prochain.  Ah j'aimerais que vous répondiez à la question : pourquoi est-ce que vous aimez votre prochain ? Est-elle différente de la raison pour laquelle le musulman aime son prochain et la raison pour laquelle VOUS chrétiens vous aimez ?  Est-ce que pour vous la charité fraternelle est un commandement de Dieu parmi d'autres commandements de Dieu ? Autrement dit est-ce que pour vous chrétien, la charité fraternelle est constitutive de la foi ? C'est là qu'il y a une différence assez considérable avec l'Islam.  Pour les musulmans la charité fraternelle est extérieure à la foi. Et les incroyants il faut les haïr pour Dieu (!). En d'autres termes, ce n'est pas l'homme simplement parce qu'il est homme que le musulman doit aimer mails le croyant en tant que croyant. En chrétienté, nous sommes dans un tel état de dégradation que nous aimons notre prochain parce que c'est un commandement de Dieu parmi les autres !

    Si un musulman perd la foi on le considérera comme membre de la communauté ; on le considérera comme politiquement musulman. Il n'y aura pas de rupture. On gardera une attitude extérieure de respect. En tout cas, la pression sociale ne permettra pas à l'apostat de traiter l'Islam comme par exemple Voltaire a traité le christianisme. C'est d'ailleurs là une situation qui évolue rapidement : ces dernières années, l'athéisme chez certains étudiants musulmans prend tout simplement la forme du communisme.

    Vous voyez donc que le dogme musulman représente un ensemble simple et extrêmement cohérent. C'est ici que se situe l'essentiel de notre propos. finalement, tout ce ramène à ceci : le Dieu de l'Islam n'est pas le Dieu du christianisme parce que le Dieu de l'Islam n'est pas Trinité. Si Dieu n'est pas Trinité, il est évident que Jésus ne peut pas être Dieu. Si Jésus n'est pas Dieu, la Révélation n'est pas pour l'Islam ce qu'elle est  pour les Eglises chrétiennes et du coup, la vision de l'Histoire n'est pas et ne peut pas être la même. Aucun compromis n'est possible. je dirais que le dialogue est nécessaire, bien sûr. Et autre chose le dialogue, autre chose le compromis. Aucun compromis n'est possible car la vision chrétienne de l'Histoire fondée sur la Révélation, elle-même fondée sur l'Incarnation, elle même fondée sur la Trinité, engage l'absolu de l'existence. J'en reviens toujours à la même chose : qu'est-ce que vous croyez ? Pourquoi êtes-vous chrétiens ? je crois que Dieu est Trinité ; je crois que Dieu s'est incarné ; je crois que la vocation de l'homme est de participer éternellement à la vie divine. Et ces trois choses se tiennent. Trois choses que l'Islam rejette purement et simplement. Le Coran rejette radicalement le dogme de la Trinité. C'est terrible mais l'Unité de Dieu est pour le Coran incompatible avec la Trinité des Personnes. ("Infidèle est celui qui dit que Dieu est Trinité" (sourate 5). En outre parler de "paternité divine" c'est un blasphème. Je crois qu'il y a chez Mahomet une impuissance métaphysique à concevoir la Trinité comme la perfection de l'Unique. Et je crois que tout est là. Pour nous chrétiens , la Trinité c'est la perfection de l'Unique car une Unité qui ne serait pas Trinité serait une plate Unité (a=a)

    Il y a des mystiques musulmans qui ont pressenti la Trinité. Si Dieu n'est pas Trinité nous ne pouvons pas dire que Dieu est Amour. Et si je devais choisir entre l'athéisme et un Dieu qui ne serait pas Trinité je choisirai l'athéisme ! Le plus grand des mystiques musulmans et le plus proche du christianisme est Al-Halladj qui fut flagellé, mutilé, accroché à un gibet puis décapité à Bagdad (en 922): c'était un mystique d'une prodigieuse érudition.  (A suivre...)

                                                               Père François Varillon

                                                                                                                                          

     

     

  • L'Islam - conférence de F. Varillon (5)

    Suite de la retranscription de la conférence du Père Varillon sur l'Islam

     (...)

    Je vous pose la question : qu'en pensez-vous ? 

    De même ce que Dieu envoie est bon parce que Dieu l'envoie, le jeûne de Ramadan pourrait être plus long ou plus court ; l'homme doit obéir sans raison, attention ! comprenez l'homme doit obéir sans raison bien cela veut dire que la seule raison de son obéissance est qu'elle est  un hommage que l'on rend à Dieu tout puissant. Je ne sais pas si ce soir il y a des musulmans dans cette assemblée, mais je souhaite ne pas trahir ce qu'il y a de meilleur dans la religion musulmane.

    Cette exaltation de la toute puissance de Dieu ne doit pas faire oublier que Dieu est très proche de l'homme... une sourate du Coran dit ceci (c'est très très beau) : " nous sommes plus près de Dieu que sa veine jugulaire". Par ailleurs, il ne faut pas trop se presser d'affirmer que l'Islam est fataliste et qu'il ne croit pas à la liberté humaine.   Je sais bien que de nombreux passages du Coran supposent incontestablement l'existence de la liberté. C'est très net notamment dans les versets sur la guerre sainte et dans les "Exhortations à bien agir". Ces versets sur l'existence de  la liberté et donc contre le fatalisme, sont mis en avant aujourd'hui par les penseurs musulmans qui veulent lutter contre le fatalisme paresseux. Il faut reconnaître certainement qu'il a été jadis le fait  de beaucoup de leurs coreligionnaires : ils s'appuyaient sur les textes qui soulignent la toute puissance de Dieu et qui disent : Dieu est Tout, Dieu sait tout, c'était donc écrit : inutile de se tracasser, les jeux sont faits. Les musulmans acceptent la décision de Dieu sans lui faire de reproches, par exemple la mort. [37:22]

    Le problème de la conciliation de la toute puissance de Dieu et de la liberté humaine, nous savons bien qu'il  n'est pas propre à l'Islam. Ce qui est vrai c'est que, dans sa lecture de la Bible, le Coran a tendance à multiplier les mentions de Dieu et à estomper les caractères humains. Une lecture comparée de la Bible et du Coran serait extrêmement instructive. Par exemple, dans le Coran c'est Dieu qui apprend à Adam les noms des créatures, dans la Bible c'est Adam qui nomme les créatures : il leur donne un nom (voir Gn 2 = Genèse chapitre 2) . C'est l'homme qui nomme les créatures. C'est très important quand on sait que dans le style biblique, nommer c'est affirmer  sa maîtrise sur l'objet,  Dieu seul est innommable : on ne peut pas maîtriser Dieu. Vous voyez donc que la différence entre les deux textes est considérable pour ce qui est de la valeur reconnue à l'homme. Dans le Coran c'est Dieu qui nomme, dans la Bible c'est l'homme. Autre exemple : dans le Coran, lorsqu' Abraham veut intervenir en faveur de Sodome, Dieu lui dit : rien à faire, tout est décidé, Sodome sera brûlé, il n'y a pas lieu d'intercéder;  et Abraham s'incline. Dans la Bible, il y a cette admirable intercession d'Abraham que vous connaissez (cf. Gn 18, 16-33), si humble et si touchante, que Dieu écoute jusqu'au bout. Eh bien ce passage pour le Coran est trop humain alors il le supprime.  Il faudrait aussi mettre en parallèle le récit des aventures de Joseph (voir Gn 37), tel qu'il est dans la Bible et tel qu'il est dans le Coran. Le Coran met sans cesse dans la bouche des personnages des prières, des invocations ; la Bible, elle, développe la situation de façon très humaine avec un sens discret mais aussi  fort de la présence de Dieu. Le récit biblique laisse subsister la fraîcheur et le naturel de ce qui est humain. Le Coran non : il biffe, il supprime. Et d'autre part, tout ce qu'il y a de cru dans la Bible, la présentation des hommes tels qu'ils étaient dans leur verdeur, la rudesse de leurs mœurs eh bien cela choque les musulmans : le Coran il  supprime !

    Il est donc certain que, relativement à la Bible l'Islam se fait de Dieu une idée moins humaine, sinon inhumaine. L'idée essentielle - je demande toute votre attention c'est extrêmement important à noter - car le dilemme auquel il ne faut pas qu'une pensée religieuse se laisse acculer c'est le dilemme suivant : ou Dieu ou l'homme ! Ce qu'on donne à Dieu on l'enlève à l'homme et réciproquement. C'est le dilemme mortel. Avec l'Incarnation, ce dilemme est impensable. Ou l'homme ou Dieu : qu'est-ce que ça veut dire ! C'est le même  qui est Dieu et qui est Homme et il s'appelle Jésus-Christ. [43:55]. La venue de Dieu dans l'humanité c'est une promotion de l'humanité mais si Dieu n'est pas Homme, ne devient pas Homme, l'humanité ne peut être qu'écrasée et irrémédiablement pécheresse face à la pire transcendance qu'elle affirme. Nous touchons le point essentiel de tout.

    L'Islam n'est cependant pas une religion froide. Dieu y apparaît bien comme le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob au sens où Pascal l'entend par opposition au Dieu des philosophes et des savants [cf. mémorial de Blaise Pascal du 23 novembre 1654]. Dans l'Islam il y a bel et bien un lien entre Dieu et l'homme. Ce lien c'est le prophétisme. Le Dieu de l'Islam n'est pas muet. Il parle aux hommes par ses prophètes et ses "envoyés". La doctrine musulmane distingue le simple prophète (nabi) et l'envoyé de Dieu (rasûl). Il y a beaucoup de prophètes mais quelques uns  seulement sont considérés comme des "envoyés" de Dieu. De tous les "envoyés" de Dieu, c'est Mahomet qui est le plus grand. La mission de Mahomet fut de redire une fois de plus qu'il faut se soumettre au Dieu unique et créateur. Mahomet a été envoyé en premier lieu aux Arabes, mais sa mission s'étend au monde entier. Dieu a enjoint à Mahomet de fonder une communauté de croyants [la oumma], c'est par Ismaël que Mahomet prétend se rattacher à Abraham [cf Gn 16,3]. Selon la tradition coranique Abraham lui-même vécut à la Mecque et y pria pour un futur prophète des Arabes. Abraham ne serait ni juif, ni chrétien mais "soumis à Dieu" c'est-à-dire musulman. C'est le sens du mot.

    Le cas de Jésus. Le cas de Jésus est également privilégié. [47:15]

                                                                                            F. Varillon s.j

                                                    A suivre...prochain post

                                                                              

     

  • L'Islam - conf de F. Varillon (4)

    Conférence de François Varillon (suite des posts précédents)

     

    L'Islam croit aussi aux prophètes, aux envoyés de Dieu. Et parmi ces prophètes et envoyés de Dieu, tout spécialement Mahomet. Mais la mission des envoyés de Dieu telle qu'elle apparaît aux Musulmans n'a pas été de faire évoluer la religion en l'approfondissant, en manifestant peu à peu des aspects inconnus du mystère de Dieu, non. Pour les Musulmans, l'Islam c'est la religion de toujours parce qu'elle est conforme à la nature humaine telle que Dieu l'a créée depuis le début de l'humanité jusqu'à nos jours, et bien sûr, les "vrais croyants" [vrais croyants pour les Musulmans] y ont adhéré : la nature humaine est immuable donc la religion est immuable aussi. La législation religieuse a bien dû subir quelques modifications, mais rien d'essentiel n'a été ajouté aux dogmes primitifs ; aucun mystère intrinsèquement surnaturel n'a été révélé : tout est resté au plan d'une religion naturelle. L'homme doit se soumettre à Dieu et à ses envoyés. Le mot même d'Islam signifie "soumission". L'islamique c'est le soumis. Le mot "islam" ne signifie pas seulement "soumission" il signifie aussi "salut". Musulman veut dire "soumis" et "sauvé".

    Le devoir de soumission est en effet le corollaire obligé de l'affirmation majeure du Coran : Dieu est le Tout Puissant. Et je crois qu'il faut dire que toute la religion est contenue dans le mot "obéir". Le musulman agit quand l'ordre d'agir lui est présenté au nom de Dieu, qu'il s'agisse de la vie courante, qu'il s'agisse de périodes de crise (comme sont par exemple les guerres saintes) ou qu'il s'agisse tout simplement du culte.(31:24). Un culte qui est fait de paroles, de gestes, inclinations, prosternations, jeûne (le ramadan). Evidemment ces paroles et ces gestes peuvent paraître tout extérieur et donner lieu à un ritualisme très matériel. Prenons garde : n'allons pas caricaturer une religion qui n'est pas la nôtre. En disant légèrement et superficiellement : il leur suffit de se prosterner le front contre la terre ou contre le sable, il leur suffit de réponde à l'invitation du muezzin cinq fois par jour...On pourrait croire que c'est très extérieur, oh pas du tout !  C'est autrement sérieux. Monsieur Roger Arnaldez [1911 - 2006] qui est le premier islamologue de France depuis la mort de Louis Massignon ; Mr Arnaldez qui a été assez longtemps professeur à la faculté des lettres de Lyon [de 1956 à 1968] et qui maintenant est professeur à la Sorbonne [1969-1978] explique les choses très bien, écoutez ça : " Dieu n'impose pas des devoirs trop difficiles. Non pas pour que la religion soit superficielle, mais pour que l'homme n'aie pas à fournir un effort où il pourrait croire qu'il offre à Dieu quelque chose. Ce serait détruire la religion que de s'imaginer qu'on peut donner quelque chose à Celui qui est le Créateur de toutes choses." Il y a, dans le culte musulman bien compris, un dépouillement qui réduit la part de l'homme au seul acte d'obéir.

    Je vous pose la question : qu'en pensez-vous ?  

                                                                          

                                                                       A suivre... prochain post.

  • L'Islam - conf de F. Varillon (3)

    Suite de la conférence.

    Le credo coranique comporte sept articles.

    1. je crois en Dieu ; 2. je crois à ses anges ; 3. je crois à son Livre ; 4. je crois à ses prophètes ; 5. je crois au dernier jour ; 6. je crois à la prédestination du Bien et du Mal de la part du très Haut ; 7. je crois à la résurrection après la mort.

    Le 1er article, je crois en Dieu, a trait à tout ce qui concerne la nature divine, à la vie intime de Dieu, et à son action dans le monde. Dieu a 99 noms. Le grand nom de Dieu, Allah, est le 100e qui couronne tous les autres. De tous ces noms le plus important c'est celui qui signifie l'unité : Dieu est Un. C'est le dogme fondamental du Coran, la pierre angulaire de son édifice religieux : Dieu est Un, il n'y a qu'un seul Dieu. En faisant reconnaître partout cette unicité de Dieu, Mahomet voulait faire cesser les luttes religieuses de l'humanité. Et cette affirmation de l'unicité de Dieu était à ses yeux la cause de la supériorité du Coran sur..... des autres religions. Lisez le Coran, vous verrez qu'il n'y a presqu'aucune page qui ne contienne la fameuse formule :  " Il n'y a point d'autre Dieu que Allah" Et la mission de Mahomet comme prophète est d'engager les Arabes à abandonner les divinités de la terre pour adorer un seul Dieu.  Il semble cependant que Mahomet ne soit pas arrivé d'emblée à professer l'unicité de Dieu. Il semble bien qu'il adora d'abord trois divinités. Et c'est probablement des influences juives et chrétiennes qui le poussèrent par la suite à rétablir la religion d'Abraham. Une sourate (un verset du Coran) précise qu'Abraham n'associait pas d'autres êtres à Dieu et qu'il mérita pour cela le titre de croyant et d'ami de Dieu.

    Le Coran donne des preuves philosophiques de l'existence de Dieu, elles sont très élémentaires, il n'y a pas à s'en étonner le moins du monde, dans la Bible il n'y en a pas. Par exemple nous lisons ceci : " Si Dieu est créateur, on ne peux lui associer les génies qu'il a créés, puisqu'ils sont créés ils ne sont pas créateurs " ou encore :   "La pluralité des dieux entraînerait la discorde parmi eux et la supériorité des uns sur les autres. Chaque dieu s'emparerait de sa création et les uns seraient plus élevés que les autres." Mahomet n'a pas présenté ce dogme de l'Unicité de Dieu comme une révélation nouvelle. Non. Il pense avoir simplement éliminé le polythéisme arabe et cela d'autant plus facilement que l'idée d'un Dieu Unique ne s'était jamais complètement effacée en Arabie et qu'elle restait sous-jacente aux croyances communes.

     Les attributs de Dieu sont distincts de son nom. Les attributs de Dieu découlent de l'essence de Dieu. On distingue 8 attributs de Dieu : 1. Dieu est le Vivant. "Il est le vivant, il ne meurt pas, sa vie est éternelle, immuable" Selon l'enseignement du Coran, la vie de Dieu suppose l'indépendance de l'être divin. 2. Le deuxième attribut de Dieu c'est l'omniscience. Il sait tout, il entend tout. Dieu est instruit de tout ce que nous faisons : "pas une feuille ne tombe sans qu'il n'en ai connaissance...", "sa science embrasse tout". 3. Le troisième attribut c'est la toute-puissance. Toute puissance aussi bien dans l'ordre physique, que dans l'ordre moral. [en christianisme, la puissance de Dieu est la puissance de l'Amour, et ça change tout]. Dieu ne peut pas tout. Pour Mahomet, Dieu peut tout. 4. Le quatrième attribut c'est la vue 5. Le cinquième attribut : l'ouïe. 6. sixième attribut : la parole. La moindre lettre du moindre mot du Coran est parole de Dieu. Le Coran est la parole de Dieu incréé. Pour l'Islam, la parole de Dieu est un Livre, pour les chrétiens la Parole de Dieu est un Evénement (l'Incarnation) ou, plus exactement : une Personne : la Personne même de Jésus-Christ. 7. Le septième attribut de Dieu c'est la volonté. Il veut aider les hommes en leur expliquant clairement ses volontés, en leur rendant son joug léger. Dans le Coran la volonté de Dieu est liée à sa toute puissance. 8. Enfin, le huitième attribut de Dieu c'est sa puissance créatrice.

    Cette liste nous semble fastidieuse. Nous avons là une théologie qui est bien élémentaire. Je dirai presque que c'est du bon sens sauf ! ce qui concerne le Livre.  Et pourtant, les quelques textes que j'ai cités montrent que le Coran se fait de Dieu une idée très haute. Il est clair d'ailleurs que l'enseignement de Mahomet sur Dieu trahit l'influence du judaïsme et même du christianisme, quoi qu’à un degré moindre. Mahomet recourt à des images et à des comparaisons simples, très simples pour exprimer des notions simples qu'il ne pouvait pas trouver dans le polythéisme des anciens arabes. Et je dirai que la simplicité  du dogme musulman explique sans doute pour une large part sa puissance de séduction : c'est très simple. Les grands thèmes de l'Unicité absolu de Dieu, de la toute puissance, de la bonté de Dieu reviennent à toutes les pages du Coran : c'est très simple.

    L'Islam croit aussi aux prophètes, aux envoyés de Dieu... 

     

                                                                                              A suivre

     

     

  • L'Islam - conf de F. Varillon (2)

    Suite de la conférence.

    Mais ils n'affirment pas pour autant que l'histoire ait  un contenu. L'Islam proclame la transcendance de Dieu mais nie l'Incarnation. Dès lors, même au plan de la Création, le Dieu chrétien diffère profondément du Dieu musulman. Je dis bien : même au plan de la Création. On serait tenté de penser : le christianisme et l'Islam croient au même Dieu créateur mais ensuite ils sont différents parce que  le christianisme croit en l'Incarnation et l'Islam n'y croit pas. Autrement dit croire en l'Incarnation ou n'y pas croire ne changerait en rien la manière d'envisager le mystère de la Création. Je crois que penser ainsi serait une grave erreur. Pour  le christianisme, c'est le mystère de l'Incarnation qui éclaire le mystère de la Création. La foi chrétienne en l'Incarnation modifie l'idée qu'on peut se faire de la Création. Pour celui qui croit à l'Incarnation, le mystère de la Création nous dit quelque chose du mystère de Dieu, du mystère de l'intériorité divine c'est-à-dire de la Trinité. Nous dirons tout à l'heure que l'affirmation d'un Dieu Trinité est pour l'Islam le blasphème majeur. Le christianisme qui affirme que Dieu est Trinité, c'est-à-dire un éternel échange d'amour entre Trois Personnes, le christianisme croit que la gratuité de la Création procède de la gratuité de cet amour qui est intérieur à Dieu lui-même. Parler de la Création à partir d'un Dieu absorbé en soi, parler d'un Dieu créateur comme d'un Infini sans amour c'est aller devant des difficultés telles qu'il sera presque impossible de ne pas réintroduire dans l'idée de création cet émanantisme que précisément la Bible exclut radicalement. L'Islam se garde de réintroduire cet émanantisme qui est propre à toutes les religions asiatiques, mais il ne le fait qu'en se contentent d'affirmer purement et simplement l'absolu transcendance de Dieu, une transcendance qui n'est pas une transcendance d'amour. J'y reviendrai parce que c'est là la différence essentielle entre le Dieu de l'islam et le Dieu du christianisme. Et c'est là raison pour laquelle je vous parle de l'islam avant de vous parler du judaïsme. Il eut été plus logique de commencer par le judaïsme. Mais avec l'Islam on voit beaucoup plus clairement que le mystère de la Trinité est la clef de tout et que toutes les insuffisances des religions non chrétiennes se ramènent à la négation ou la méconnaissance de la Trinité. A cause de cette différence essentielle, parce que tout se tient, il n'est pas possible d'identifier le Dieu créateur de Mahomet et le Dieu créateur de Jésus-Christ. Pour le chrétien qui va au fond des choses, la gratuité de l'acte créateur n'est concevable que s'il on admet la gratuité des échanges d'amour qui constitue la vie éternelle de la Trinité. Pour l'islam, l'essence de la religion c'est la proclamation de la transcendance de Dieu. Et l'Histoire n'a pas de contenu. L'Histoire c'est plutôt le lieu d'une perpétuelle dégradation  du monothéisme que le rôle des prophètes est de ramener à sa pureté. Le judaïsme pense que l'Histoire représente un dessein d'amour de la part de Dieu, mais le judaïsme reste tourné vers la venue à venir du Messie qui est le signe de cet amour. La venue du Messie marquera la fin du temps. Pour les chrétiens, l'événement essentiel : l' Incarnation  est situé au centre du temps. Et le temps s'articule comme une histoire qui comporte des étapes successives et qui prend ainsi valeur et signification.

    Nous pouvons maintenant ouvrir le Coran.

                                                                                     A suivre...

     

  • L'Islam - conf de F. Varillon (1)

    Retranscription d'une conférence donnée par le père François Varillon dans les années 1970.

     

    Il y a un fond commun aux trois grandes religions qui sont issues d'Abraham : le judaïsme, l'islam et le christianisme. Ces trois religions issues d'Abraham sont monothéistes, c'est-à-dire qu'elles croient en un Dieu unique qui est le créateur du monde. Unicité de Dieu (Un seul Dieu), transcendance de Dieu, création du monde par Dieu : c'est par là que le monothéisme se distingue des spéculations les plus hautes de la Grèce et de l'Inde dans lesquelles les frontières de l'absolu et du relatif, de l'Un et du Multiple ne sont jamais tout à fait nettes, en sorte qu'on ne sait jamais bien si le monde ne se résorbe pas en Dieu ou si Dieu ne se dissout pas dans le monde. Nous oublions parfois à quel point l'affirmation biblique de la Création du monde par un Dieu unique et transcendant est original. Original par rapport aux conceptions philosophiques de la Grèce antique et aux conceptions religieuses de l'Orient. La déclaration initiale de la Bible : "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre"  s'oppose de la manière la plus  nette à toute forme de panthéisme ou d'émanantisme (émanantisme, du mot latin signifiant s'écouler - comme si le monde s'écoulerait  de Dieu lui-même ). L'affirmation biblique c'est l'affirmation d'une distinction radicale entre le monde et Dieu. Si le monde se distingue radicalement de Dieu, il est l'oeuvre d'une volonté libre. Et si Dieu est une volonté libre il est une Personne. Le Dieu d'Abraham donc le Dieu du judaïsme, de l'islam et du christianisme n'est pas un principe impersonnel dont le monde serait une émanation nécessaire comme le ruisseau émane nécessairement de la source et comme le rayon ou la nappe de lumière émane nécessairement du foyer lumineux. Le philosophe grec Anaximandre, ouvrant les bras comme pour embrasser la totalité de l'univers, s'écriait :  "tout cela est Dieu". D'autres, bien sûr,  éviteront de déifier la nature comme telle mais ils ne pourront voir en elle qu'un reflet, un reflet de l'éternel principe...reflet manifesté de l'essence non manifestée.

    La Bible dit tout autre chose : elle dit : Dieu est, Dieu est personnel, Dieu veut que le monde soit. Le monde commence d'être, le monde est une réalité distincte de Dieu : voilà l'idée biblique qui est commune au christianisme, au judaïsme et à l'islam. Les conséquences de cette idée sont considérables.  La Bible affirme que Dieu contemplant son ouvrage vit qu'il était bon. En effet, la distinction entre le Créateur et la Création entraîne que l'univers n'est pas une sorte de dégradation du divin mais au contraire, une réalité en croissance ou, s'il on préfère, "en genèse". Pour beaucoup de philosophies et de religions, ce monde multiple, complexe, dans lequel nous sommes plongés est un éparpillement de Dieu, un éloignement par rapport à l'absolu, comme le fleuve qui, en s'éloignant de la source, finit par se perdre dans les sables. Donc finalement, pour ces philosophies, le monde, ce monde est un mal. Et c'est pourquoi disait Platon, il faut s'évader de ce monde d'ici-bas vers là-haut. Un pessimisme radical affecte ces philosophies et ces religions : le temps n'est qu'illusion et vieillissement. Le processus platonique est négatif. Le devenir n'est qu'écoulement, dispersion : nous allons vers la mort. A l'inverse, l'idée biblique de Création - dont je répète qu'elle est commune au christianisme, au judaïsme et à l'islam - implique que le temps a de la valeur. Il est non pas une dispersion et une dégradation, mais une maturation, une parturition, une invention. Non pas une chute de l'absolu au néant mais une montée du néant à l'absolu. Prenez les images évangéliques que vous connaissez bien : l'image de l'arbre qui croît, de la graine qui fructifie, du ferment qui fait lever la pâte etc. : toutes ces images expriment bien l'essentiel positivité du réel. Disons en termes modernes que la Bible révèle que le monde est essentiellement une Histoire. L'islam, comme le judaïsme et comme le christianisme, affirme ce Dieu unique et Créateur. (7:36)

                                                                     A suivre....

                                                                                                                       

  • L'Eucharistie (7 et fin)

    Suite de la retranscription d'une conférence donnée par le Père Varillon en 1975. (Je vous invite à lire les 6 posts précédents avant d'aborder ce dernier post).

    La Présence réelle (suite)

    Seulement à ce niveau là le langage devient extrêmement difficile. On pourrait dire que ce qui demeure c'est l'aspect "phénoménal" [au sens philosophique du terme] du pain et du vin. Mais je ne me vois pas parler, dans une homélie ou un catéchisme, de l'aspect "phénoménal" du pain et du vin. L'être est ce que Dieu veut qu'il soit. Je suis membre du Corps du Christ, ça ne m'empêche pas d'être français, homme et non pas femme, etc. Autrement dit, toute ma réalité humaine, naturelle.. tout cela subsiste mais cela n'empêche pas que mon identité la plus profonde c'est d'être le Corps du Christ.

    En résumé si vraiment  le pain c'est l'homme, il ne faut pas dire : le Christ remplace le pain car cela voudrait dire que le Christ remplace l'homme ; il faut dire : c'est le pain donc l'homme qui devient le Corps du Christ, c'est l'activité humaine humanisante de l'homme que dans et par l'Eucharistie le Christ divinise pour nous faire devenir....(inaudible)

    Réponse du Père Varillon à des questions de l’auditoire

    A propos de l'intercommunion entre catholiques et protestants.

    Le Mystère de l'Eucharistie est lié à un ensemble doctrinal. Il faut être lucide et bien voir que sur nombre de points essentiels, catholiques et protestants n'ont pas encore une pensée commune. Il y a deux théories. Les uns disent : commençons par l'intercommunion c'est à dire vivons ensemble et vivons d'abord le mystère eucharistique : c'est une première manière d'envisager les choses. Il y a une autre manière qui consiste à dire qu'il n'est pas très honnête  de partager le Christ entre personne qui n'ont pas la même idée du Christ. En effet il y aurait un véritable contre-sens et peut être même une vraie malhonnêteté. Moi, je pencherai plutôt pour la première position. (...)

     

     

  • L'Eucharistie (6)

    La Présence réelle (suite de la conférence donnée par le père Varillon en 1975)

    (...)

    Présence réelle qui fait difficulté pour beaucoup et il faut bien reconnaître qu'il y a là, au plan de l'explication, quelque chose qui est un peu difficile et extrêmement mystérieux.

    Pour exprimer les choses, il y a un langage théologique. Le langage théologique classique vient du Concile de Trente et le mot que nous employons c'est le mot : " transsubstantiation". Comme les mots "conversion", "espèces", "apparence", le mot "transsubstantiation" est devenu inintelligible à tout le monde. Vous comprenez bien qu'à chaque époque de l'histoire nous entendons la Parole de Dieu à travers des cadres de pensée, à travers des conditions d'existence que nous recevons de la civilisation et de la culture. La véritable théologie procède d'un effort qui doit être constamment repris pour annoncer la foi de toujours dans le langage d'une culture mouvante. Toute culture qui vient au jour interpelle la foi. Cette culture interpelle l'Eglise, interpelle la foi. Vous parlez de "transsubstantiation, expliquez-vous ! Qu'est-ce que vous voulez dire ? Et il arrive que l'Eglise réponde avec des mots humains qui n'ont pas l'éternelle jeunesse de l'Evangile.

    Et je m'en vais vous proposer un texte : je vous lis le texte du Concile de Trente concernant la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie. Posez-vous la question : est-ce que je comprends ? Posez-vous cette question très sincèrement. Voici ce texte  : " Le Concile enseigne et professe que dans le Sacrement de l'Eucharistie , après la consécration du pain et du vin, Notre Seigneur Jésus-Christ vrai Dieu et vrai Homme, est présent vraiment, réellement et substantiellement sous l'apparence de ces réalités sensibles que sont le pain et le vin." Un peu plus loin, le Concile précise : "le Christ n'est pas seulement présent en signe, en figure ou par sa vertu, mais toute la substance du pain et du vin se trouve changée vraiment et réellement en la substance du Corps et du Sang du Christ cependant que demeurent les espèces ou les apparences du pain et du vin. Ce changement est appelé de façon très approprié : "transsubstantiation". " voilà. Tout cela est vrai ! rigoureusement vrai ! Mais à l'époque du Concile de Trente cela ne faisait pas problème, car la science n'était pas en ce temps là ce qu'elle est maintenant. Il y a le pain tel qu'il est sur notre table avec une certaine forme : c'est une flûte, ou un petit pain, c'est une couronne, une baguette, il est frais ou il est rassis, il a un certain poids, il a une couleur ou il est bien doré... : tout cela ce sont les apparences du pain. Qu'est-ce que de nos jours nous appelons la "substance" du pain ? c'est le pain tel qu'on peut l'analyser dans un laboratoire pour voir quels sont les éléments qui le constituent. Je n'ai pas de compétence particulière mais tout ce que je sais c'est que dans le pain il y a du gluten. Il n'y a pas que ça. Dans un laboratoire on analyse les éléments qui constituent le pain pour voir en quoi consiste la substance du pain. Et vous n'allez pas quand même imaginer que dans une hostie consacrée qui serait analysée chimiquement dans un laboratoire vous y trouverez le Corps du Christ. Jamais ! Jamais l'Eglise n'a prétendu une absurdité pareille ! Donc quand le Concile de Trente parlait de "transsubstantiation" (changement de substance) il ne s'agissait pas de la substance telle que nous l'entendons aujourd'hui. Qu'il s'agisse du pain tel qu'il apparaît sur notre table ou qu'il s'agisse du pain quand il est analysé dans un laboratoire c'est exactement la même chose. Ce n'est pas à ce niveau là que se situe la conversion du pain dans le Corps du Christ. Alors vous allez me dire : à quel niveau cela se situe ? La question est très difficile parce qu'elle est philosophique et que là c'est un mystère extrêmement profond. je pense que là il faut être très modeste et dire simplement : un être est ce qu'il est pour Dieu, en profondeur. La réalité profonde d'un être n'est pas sa réalité physico-chimique. Le pain et le vin sont réellement le Corps et le Sang du Christ, en profondeur, mais à un niveau qui n'a rien à voir avec la réalité physico-chimique. Entre catholiques et protestants la question de la présence réelle ne fait pas difficulté parce que si on a vraiment compris que la réalité la plus profonde dire que le Christ est réellement présent dans l'Eucharistie ou dire que sa présence est signifiée, c'est exactement la même chose. Alors je sais qu'il y a eu des controverses depuis la Réforme entre catholiques et protestants, à mon sens elle sont totalement périmées. L'important c'est de ne pas se tromper sur la signification du mot substance. Jamais saint Thomas d'Aquin n'imaginait une seconde qu'en analysant chimiquement une hostie consacrée on y trouverait le Corps du Christ. Jamais. Mais dans les siècles qui ont suivi la grande époque de la philosophie de saint Thomas d'Aquin il y a eu de la dégradation intellectuelle et les conflits se sont situés dans une zone tout à fait médiocre. Je reconnais qu'au plan pastoral, au plan de l'éducation de la foi, on ne sait pas trop comment s'exprimer. Je pense qu'il faut dire d'abord ceci : après la consécration, ce qui demeure ce sont les apparences sensibles du pain tel qu'il est sur notre table ainsi que leurs propriétés physico-chimiques (la substance physico chimique). Le changement se situe en une zone beaucoup plus profonde au niveau de ce que j'appelle "l'être et le signe" 

                                                                      A suivre...prochain post

                                                                      François Varillon s.j

     

  • L'Eucharistie (5)

     Suite du post précédent.

    Note : Retranscription d'une conférence de François Varillon (+ 1977). Les carmélites de Saint Sever ont un atelier de cassettes/CD : une grande partie des conférences du P. François Varillon peut être commandée chez elles. Le Père Varillon - spécialiste de Paul Claudel - c'est une voix. J'ai fait le choix de retranscrire quelques unes de ses conférences pour vous donner l'envie de poursuivre votre lecture avec les différents ouvrages qu'il a écrit ou votre écoute d'autres conférences enregistrées par les carmélites de St Sever (Calvados).

    ... qui s'est poursuivi par le travail du semeur, ensuite du moissonneur sans oublier tous ceux qui ont fabriqué les charrues, la moissonneuse-lieuse...travail qui s'est poursuivi avec le meunier, le boulanger, toux ceux qui ont fabriqué le pétrin : quelle histoire ! Quelle histoire contenue dans ce morceau de pain ! Voilà une feuille de papier : c'est pas une chose, c'est toute une histoire : c'était d'abord un arbre dans la forêt, et par une série de transformations successives le bois est devenu ce papier qui va servir à un usage humain ; ce papier sur lequel un grand écrivain écrira un chef d'oeuvre. Transformation de la nature par le travail et, du même coup, transformation des relations humaines car le travail n'est pas solitaire, le travail est lié à la communauté : les hommes travaillent ensemble. Eh bien, c'est cela que je porte sur l'autel et que le Christ va transformer en son propre corps. Autrement dit, le Christ transforme divinement ce que j'ai transformé humainement. Si vous ne transformez rien humainement, si vous ne travaillez pas, si vous ne vous efforcez pas de transformer les relations des hommes (soit les relations inter-personnelles, soit par le truchement des institutions politiques, économiques lesquelles conditionnent les relations des hommes entre eux, tout se tient), si vous ne transformez pas la nature par le travail ; si vous ne transformez pas les institutions sociales ou politiques par l'engagement institutionnel qu'est-ce que signifie l'eucharistie ? Car l'Eucharistie ce n'est pas le Christ tombé dans un morceau de pain !

    Mon père qui était dans l'industrie du papier me racontait à quel point il avait été impressionné à l'Exposition de Paris en 1897, l'année où l'on avait inauguré la Tour Eiffel. Et, il y avait sur le Champs de Mars la galerie des machines  et l'on assistait à tous les stades de la fabrication du papier. A un bout de la galerie, il y avait un tronc d'arbre qui arrivait de la forêt et à l'autre bout le papier. Et mon père - qui était un professionnel - me disait à quel point cela l'avait intéressé d'assister à la transformation de la nature : le bois en papier. Je lui répondais : remplace le papier par le pain et tu comprendras ce qu'est l'Eucharistie. Et je lui disais : imagine au bout de la galerie les sacs de blé arrivés de la campagne : ils sont déjà le fruit du travail et, à l'autre bout de la galerie le pain sortant du four du boulanger. Alors le pain sorti du four du boulanger on le mangera dans des repas humains qui excluront encore plus qu'ils ne rassembleront. Et le pain sur l'autel le Christ le transformera en son propre corps. Ce que nous avons transformé en pain par notre vie, le Christ le transforme divinement.

    Pour aider à faire comprendre j'aime bien rappeler cette anecdote.

    Il s'agissait de religieuses d'un style assez "antique" qui étaient toutes heureuses de me montrer une petite brochure composée pour faire comprendre le mystère de l'Eucharistie à des enfants. Elles étaient très fières : "regardez mon père comment on fait des choses merveilleuses...." Sur la première page il y avait une hostie dessinée puis, entre la première et la seconde page, il y avait une tirette ; et on disait aux enfants de tirer ! L'enfant tirait et l'hostie s'en allait. Et à la place de l'hostie on voyait apparaître le Christ ! 

    Je les ai regardés et je leur ai dit :

    - " Mais avez vous passé un contrat avec le parti communiste ? Le parti communiste se sert de vous mes soeurs pour favoriser le marxisme !"

    - "Mais comment mon père, qu'est-ce que vous voulez dire ? " 

    - " Qu'est-ce que vous racontez aux enfants ?! Le Christ qui vient remplacer le pain !? Le pain c'est l'homme, c'est le travail de l'homme. Et vous dites que le Christ vient remplacer l'homme, autrement dit Dieu s'est fait homme pour remplacer l'homme !? Alors il y a de quoi être marxiste pour le coup."

    - " Mais comment mon père, je ne comprends pas "

    - " Mais vous êtes purement et simplement hérétique, ma sœur."

    - "Mais enfin, vous exagérez ! "

    - " Pardon ma sœur !    Le concile de Trente a refusé le mot de "substitution : il n'est pas vrai que le Christ se substitue au pain. L'usage du mot "substitution" est hérétique. Le mot que le concile de Trente a adopté c'est le mot conversio : c'est le pain qui est converti en le Corps du Christ. C'est le pain, c'est-à-dire l'homme, qui devient le corps du Christ. J'ai un peu l'impression que beaucoup de chrétiens s'imaginent que les choses se passent ainsi. Ne dites jamais que le Christ vient remplacer l'homme. Jamais ! Le Christ vient diviniser l'homme. Nous sommes sur terre pour être divinisés, pour devenir ce qu' Il est. Mais nous ne pouvons devenir ce qu' Il est que si nous accomplissons notre tache humaine. Et la tache humaine ce sera toujours le travail qui transforme la nature et puis l'action institutionnelle qui transforme les relations des hommes entre eux par le biais des institutions."

    Alors  les pauvres sœurs - je ne sais plus bien comment ça s'est terminé - mais elles étaient bien embêtées. Elles étaient un peu moins fières.  C'est en étant pleinement humain qu'on devient divin, par la grâce de Dieu bien sûr. Ce n'est pas nous qui devenons Dieu : c'est Dieu qui se donne pour nous transformer en Lui. Vous comprenez alors que le signe de la nourriture est fondamental.

    Il reste quelques mots à dire sur la Présence réelle.  

     

                                       A suivre...

                             P. François Varillon

          

                                                                

     

  • L'Eucharistie (4)

    Suite du post précédent.

    Note : Retranscription d'une conférence de François Varillon (+ 1977). Les carmélites de Saint Sever ont un atelier de cassettes/CD : une grande partie des conférences du P. François Varillon peut être commandée chez elles. Le Père Varillon - spécialiste de Paul Claudel - c'est une voix. J'ai fait le choix de retranscrire quelques unes de ses conférences pour vous donner l'envie de poursuivre votre lecture avec les différents ouvrages qu'il a écrit ou votre écoute d'autres conférences enregistrées par les carmélites de St Sever (Calvados).

     

    Car nos repas humains ne peuvent signifier qu'une fraternité limitée et qui est déjà réalisée alors que l'Eucharistie c'est l'exigence de travailler à une réconciliation qui n'est pas faite. Je me rappelle - après les événements de mai 68 - certains syndicalistes ouvriers : "moi je veux bien communier à côté d'autres syndicalistes même s'ils n'appartiennent pas aux mêmes syndicats que moi  mais il m'est absolument impossible de communier aux côtés du patron". Alors vous voyez comment l'Eucharistie pourrait être faussée. Si l'Eucharistie n'est que le couronnement d'une entente qui existe déjà au plan humain ; je ne sais pas quel est l'avenir des paroisses dans l'Eglise mais ce que je puis dire c'est que le grand avantage de la paroisse c'est qu'il y a là des hommes de tous les milieux, de toutes les conditions, de tous les âges et de toutes les options politiques et cela c'est normal. L'Eucharistie prend son véritable sens lorsque sont côte à côte, à la table sainte, le patron, le cadre, l'ingénieur, l'ouvrier, le paysan, l'homme d'un certain âge, les jeunes et ainsi de suite, tous les hommes dont il est évident qu'ils ne sont pas réconciliés, et qu'on les retrouvera, demain lundi, opposés les uns aux autres dans les combats humains : combats professionnels, combats politiques, combats syndicaux.

    Un des plus beaux souvenirs de ma vie c'est cette réunion à Lyon, il y a une dizaine d'années [donc dans les années 1960]. il y avait là (dans cette entreprise Rhône-Poulenc) des ingénieurs, des cadres supérieurs, des agents de maîtrise, des employés, des ouvriers. Et pendant deux heures on avait discuté ferme sur les problèmes de l'entreprise. On avait discuté ferme assez fraternellement bien sûr mais sans aboutir à un résultat. Et lorsque nous allions nous séparer un ouvrier s'est levé tout d'un coup pour dire : écoutez ! nous sommes quand même des chrétiens ; c'est en tant que chrétiens que nous nous sommes réunis, nous n'allons pas nous séparer comme ça ; si vous le voulez bien nous allons dire le  Notre Père. Tout le monde s'est levé et ces hommes, qui un quart d'heure avant s'opposaient les uns aux autres au plan temporel, au plan des problèmes industriels, problèmes de l'entreprise, tous les hommes ont dit le Notre Père. L'idéal aurait été qu'au lieu de dire le Notre Père, on célèbre l'Eucharistie.  L'Eucharistie sur place. L'Eucharistie célébrée avec des hommes et des femmes dont les intérêts étaient - sur le plan humain - divergents. Alors autant je veux bien que l'on célèbre des eucharisties domestiques, autant cela peut permettre de retrouver un certain sens communautaire et fraternel de la célébration eucharistique, autant je pense qu'il faut quand même faire attention car, au terme, il pourrait y avoir une déviation assez grave.

    Il est assez triste de penser qu'un certain nombre de chrétiens "assistent" à la messe (assiste : cet horrible mot) ou prétendent participer à la messe sans comprendre que cela n'a un sens que s'ils s'y engagent à se sacrifier pour travailler à la réconciliation des hommes. "Nous proclamons ta mort Seigneur Jésus" cela veut dire : je m'engage à mourir. Mourir à mon égoïsme, mourir à tout ce qui maintient les privilèges.  "Nous célébrons ta Résurrection" : m'engageant à mourir (et tout de suite ! ce soir ! demain !) pour qu'il y ait plus de justice et d'amitié vraie entre les hommes, c'est là du même coup que je ressuscite, c,est-à-dire que je passe à la vie divine. Lorsque nous avons parlé de la Résurrection, vous vous souvenez, nous avons dit qu'elle ne se produit pas après la mort. La résurrection ce n'est pas un transfert dans un beau jardin. C'est à l'intérieur de chacune de nos décisions que nous mourons à notre égoïsme et que nous passons à la vie divine. C'est pour cela que toute eucharistie est une eucharistie du travail. Naguère la JOC, la JAC, avait rendu cela assez sensible en instituant des messes du travail. Certains d'entre vous ont peut être connu cet extraordinaire congrès de la JOC au Parc des Princes à Paris où pendant toute la nuit on a préparé l'eucharistie qui devait être célébrée à l'aube. Et on a vu des ouvriers, des ouvrières de tous les corps de métier, concourir pour construire l'autel où devait se célébrer l'eucharistie.

    Et de même à la campagne ces "messes de la terre" où les fruits de la terre, les fruits du travail de l'homme, étaient offerts à Dieu. Nous ne consacrons pas du blé et du raisin mais du pain et du vin. Le blé et le raisin sont déjà les fruits du travail de l'homme, c'est bien ce que nous disons dans la prière de l'offertoire.  Mais le pain n'est pas seulement fruit de la terre, il est aussi le fuit du travail des hommes. En fabriquant du pain, l'homme transforme la nature pour la rendre véritablement humaine. Et c'est ce pain qui est de la nature transformée par le travail de l' homme, que nous portons  sur l'autel pour qu'il devienne le corps du Christ. Ce qui veut dire que le Christ ne se rend pas présent en "tombant" du ciel dans un morceau de pain (comme s'il fallait porter du pain sur l'autel pour qu'il sache où se mettre ! Pas du tout.) c'est tout le travail de l'homme, toute l'activité transformante de l'homme que nous portons sur l'autel et qui s'achève dans une transformation dans le corps du Christ. Personnellement j'aime beaucoup, quand j'en ai le loisir, arriver à la sacristie un peu en avance et faire une courte méditation sur le morceau de pain, l'hostie que je prends dans la boite et que je tiens dans mes mains. Je regarde ce morceau de pain et je dis :  ce n'est pas un caillou, ce n'est pas une chose, ce n'est pas un objet, ce morceau de pain c'est toute une histoire qui a commencé par le travail du laboureur. 

                    A suivre....prochain post.

                    François Varillon s.j

                                                                      

  • L'Eucharistie (3)

    Suite du post précédent. Retranscription d'une conférence orale donnée dans les années 1970.

     

    Et il n'y a pas tellement longtemps que l'on avait dans notre vocabulaire : " assister à...." " assister à la messe." ! L'assistance à la messe ! C'est effrayant ! L'emploi de ce mot était vraiment  le signe qu'on y comprenait plus rien ! Car on assiste à une cérémonie, bien sûr, mais qu'est-ce que ça veut dire "assister à un repas" ? On n'assiste pas à un repas on participe à un repas. Les gens n'y comprennent plus rien.

    Une tendance se fait jour à l'heure actuelle de célébrer l'Eucharistie par petits groupes : on appelle cela des "eucharisties domestiques", qui sont célébrées sur une table d'une salle-à-manger, à la fin d'une réunion où on a étudié l'évangile ensemble. Notez que je n'y vois aucune difficulté et que toutes les fois qu'on me demande de célébrer l'eucharistie à la fin d'une réunion sur la table de la salle-à-manger, je le fais très volontiers. Il y a là quelque chose de véritablement fraternel qui aide à comprendre le sens communautaire de l'Eucharistie. Seulement il faut prendre garde à ceci : est-ce que l'Eucharistie existe pour célébrer une fraternité qui est déjà là ou pour nous dire l'exigence d'une fraternité qui n'est pas encore là et qu'il s'agit de réaliser en retroussant ses manches pour travailler à faire un monde plus fraternel ? 

    Le danger de ces "eucharisties domestiques" où l'on est quelques uns, très amis, très fraternels, en général du même milieu, j'ajouterais : en général de la même tendance politique, sauf exception ; l'Eucharistie célébrée entre gens qui au plan humain pensent la même chose autrement dit qui sont déjà liés entre eux par la culture, le milieu social, l'option politique. Que penseriez-vous d'une eucharistie qui ne serait que le couronnement de cette fraternité déjà réalisée au plan humain ? A la limite, le sens de l'Eucharistie serait faussé. Car l' Eucharistie n'est pas le couronnement d'une fraternité qui est déjà là, c'est l'exigence profonde d'une fraternité qui n'est pas encore là et qu'il s'agit justement de réaliser par le sacrifice de notre vie. En ce sens il faut dire que l'Eucharistie est la "critique permanente de nos repas humains." Pourquoi ? Parce que nos repas humains ne rassemblent qu'un tout petit nombre d'hommes et excluent le plus grand nombre. Supposez que vous réunissez chez vous pour un repas de fête une vingtaine de personnes : ce sera déjà pas mal et un gros travail pour la cuisinière, mais les autres ? Les autres sont exclus. Allons plus loin. Le morceau que vous mangez d'autres ne le mangent pas ; vous vous l'appropriez. Vous me direz que la remarque est enfantine : pas du tout. La remarque veut dire que lorsque nous vivons en France dans une société d'abondance il y a des millions et des millions d'hommes qui meurent de faim, c'est ça ce que ça veut dire.  Alors quand on comprend les choses c'est là que ça devient tout à fait sérieux. Et cela veut dire que, sur le plan humain, il n'y a pas de rassemblement sans exclusion. Vous excluez beaucoup plus que vous ne rassemblez. Par conséquent le repas humain - le repas de tous les jours ou le repas du dimanche ou le repas de fête  - est le signe d'une fraternité très limitée qui est déjà réalisée : gens du même milieu, de la même culture.

    Figurez-vous que j'ai été alerté lorsque, au cours d'une réunion d'hommes et de femmes très fraternels, n'est-ce pas, on avait commencé la soirée par le repas, le repas humain et puis, après le repas, on avait travaillé sur un texte d'évangile et on avait décidé de terminer la réunion à 11 heures du soir par l'Eucharistie. Pourquoi l'Eucharistie ? A quoi bon puisqu'au début de la soirée nous avons pris déjà un repas ensemble ? Pourquoi faire intervenir un deuxième repas ? Est-ce que le premier repas n'est pas déjà le signe de notre fraternité ? On n' invite pas à sa table des gens qui sont nos ennemis ! Alors pourquoi doubler le repas humain que nous avons pris à 8 heures du soir par un second repas que l'on prend à 11 heures du soir où l'on va faire intervenir le Christ : qu'est-ce que c'est que cette doublure ? A quoi bon ? Alors j'ajoute : la remarque m'a alerté. Cela m'a aidé à faire comprendre que le repas humain c'est un repas qui exclut beaucoup plus qu'il ne rassemble. Le repas humain signifie une amitié, une fraternité déjà réalisée alors que l'Eucharistie signifie l'engagement que nous devons prendre pour travailler à réaliser une fraternité qui n'est pas du tout réalisée ! Car vous ne me ferez jamais croire que tous les hommes du monde sont réconciliés : la fraternité universelle n'existe pas. Elle n'existe même pas dans notre propre famille. Elle n'existe même pas dans notre immeuble, probablement.  Il faut la faire. Et si le Christ mort et ressuscité intervient c'est afin de nous fournir l'énergie nécessaire [par la participation à sa propre Vie] pour travailler à la réconciliation universelle de tous les hommes. Là nous pouvons le faire. Les uns à une échelle très modeste, d'autres à une échelle beaucoup plus importante qui sera économique, sociale ou politique. Alors vous comprenez ce que je voulais dire en disant : l'Eucharistie est la critique de nos repas humains. 

                     A suivre....

                     François Varillon s.j

  • L'Eucharistie (2)

    Suite du post précédent. Retranscription d'une conférence enregistrée dans les années 1970.

     

     Le Christ, Lui, parce qu'Il est Dieu et parce qu'Il est sans péché peut renoncer à son existence naturelle et historique. Il peut mourir au monde des hommes sans cesser d'être pour l'humanité l'Epoux qui se donne. Et tout est là. Le Christ est donc le seul à pouvoir accomplir le vœu suprême de l'Amour c'est-à-dire se faire la véritable nourriture de l'humanité, réaliser la fusion, sans confusion, et devenir vraiment, en rigueur de termes, la chair de notre chair. Cela revient à dire que les épousailles ne peuvent se réaliser en plénitude  que dans l'union que le Christ réalise avec nous dans l'Eucharistie. Et le mariage devra essayer, autant qu'il est possible ici-bas, de se modeler (c'est ça le mariage chrétien) sur les épousailles que le Christ réalise avec l'humanité lorsqu'il se fait sa nourriture et qu'il devient vraiment la chair de sa chair. Si j'insiste là-dessus très fortement c'est que il y a une tendance, à l'heure actuelle, à se contenter, quand il s'agit de l' Eucharistie, du symbolisme du repas, c'est-à-dire le fait que l'on est ensemble et que l'on partage un repas fraternel. Remarquons qu'il est très important qu'il y ait un repas fraternel et l'Eucharistie c'est bien un repas fraternel. Seulement ce n'est pas n'importe quel repas.  Ce n'est pas seulement l'union des hommes entre eux à l'occasion d'un repas, c'est l'union de chacun avec le Christ qui a pour conséquence nécessaire l'union des hommes entre eux. Or, une certaine tendance à l'heure actuelle, très dangereuse, consiste à mettre tellement l'accent sur l'union des hommes entre eux qu'on finit par oublier que cette union des hommes entre eux ne peut être quelque chose de solide et d'efficace que si c'est l'union de chacun avec le Christ. On risque d'abolir le "vertical" au profit de "l'horizontal". Ce qu'on appelle le "vertical" c'est l'union au Christ ; ce qu'on appelle l' "horizontal" c'est l'union des hommes entre eux. La réalité c'est que le vertical et l'horizontal ne peuvent pas être séparés. Et vous comprenez pourquoi l'Eucharistie c'est le sacrement du mystère de la Mort et de la Résurrection du Seigneur ; car si le Seigneur Jésus n'était pas mort  Il ne pourrait pas être nourriture. Le fond du mystère eucharistique c'est que le Christ mort et ressuscité se fait notre nourriture pour devenir (beaucoup plus radicalement qu'une étreinte qui rapproche un instant  deux corps) la chair de la chair de l'humanité. Et l'humanité qui reçoit le Corps du Christ est entraînée dans ce mystère de Mort et de Résurrection de telle sorte qu'en recevant l'Eucharistie nous nous engageons à mourir à tout ce qui est égoïsme et limitations humaines et à travailler du même coup  à la réconciliation des hommes entre eux. Voilà le fond des choses qu'il ne faut pas oublier et que certains risquent de mettre en sourdine. L'Eucharistie est un repas, bien sûr, mais un repas dans un contexte pascal : Pâques c'est la Mort et la Résurrection du Seigneur. D'ailleurs la nouvelle liturgie nous permet de bien comprendre les choses puisque nous disons, explicitement, aussitôt après la consécration : "Nous proclamons ta mort Seigneur Jésus ; nous célébrons ta Résurrection et nous attendons ta venue dans la Gloire." Le pain et le vin sont consacrés c'est-à-dire qu'ils deviennent le Corps et le Sang du Christ en liaison avec la Passion : "au moment d'être livré et d'entrer librement dans sa Passion Jésus prit du pain, le bénit, le rompit et le donna en disant : ceci est mon corps". Car si le Christ n'était pas allé jusqu'au bout de l'amour c'est-à-dire la mort, Il ne pourrait pas se donner à nous en nourriture et réaliser du même coup ce qu'aucun mariage humain  ne peut réaliser c'est-à-dire la véritable fusion sans confusion de deux en un. Dans le mystère de l'Eucharistie il y a donc deux dominantes : c'est une manducation et une manducation ensemble.  Manducation c'est-à-dire intimité "conjugale" avec le Christ ; "manducation ensemble" c'est-à-dire communion avec autrui en vue de la réconciliation des hommes dans l'amour. Au lieu de dire "nous allons communier" car le mot risque d'être un peu abstrait disons donc : nous allons manger le Christ "ensemble". Alors c'est sur "ensemble" qu'il s'agit de ne pas se tromper. On mange "ensemble" c'est vrai mais ce n'est pas l'ensemble qui se réalise dans un repas ordinaire. Autrement dit le lien qui unit les convives n'est pas leur volonté commune d'être ensemble. Il n'y a pas d'eucharistie authentique sans un engagement profond à mourir à son égoïsme pour travailler à l'union des hommes entre eux.

    Le lien qui unit les convives n'est pas le lien qui unit les convives dans un repas ordinaire (la volonté d'être ensemble et de manger ensemble).  Quand il s'agit de l'Eucharistie c'est le Christ lui-même qui unit les chrétiens. La célébration eucharistique n'est pas un acte individuel. C'est un acte communautaire, c'est un acte social, c'est très vrai, c'est incontestable. Mais n'allons pas pour autant mettre en doute la transcendance de l'origine et de la signification  de l'Eucharistie : c'est le Christ qui convoque au repas fraternel.  

    C'est un fait que beaucoup de nos contemporains ne comprennent plus grand chose à l'Eucharistie. Le geste tout simple du repas que l'on prend ensemble est devenu - sous la pression de l'impératif du nombre - une cérémonie, pour un peu un spectacle.

                         A suivre...prochain post

                         François Varillon s.j

  • L'Eucharistie (1)

    Retranscription d'une conférence orale donnée par François Varillon (années 1970).

     

    Ne vous attendez pas à ce que je vous fasse un exposé complet sur l'Eucharistie.  Il est impossible d'envisager en une heure tous les aspects de ce mystère qui est vraiment le mystère central de notre foi qui résume tout. Mais je suis obligé de choisir un certain nombre de points  les plus importants  me semble t-il à l'heure actuelle, étant donné les tendances qui peuvent se faire jour ici où là dans l'Eglise et qui risqueraient soit de minimiser, soit de fausser le sens de l'Eucharistie. Mon exposé sera très  classique mais je vais m'efforcer d'exprimer les choses  les plus traditionnelles en un langage qui soit accessible à tous.

    La première chose qu'il faut dire c'est que l'Eucharistie est essentiellement une nourriture. C'est le Sacrement du Christ qui se donne lui-même en nourriture aux hommes pour les transformer en lui-même. Dans la nourriture ordinaire, c'est la nourriture qui se transforme en nous. C'est ce que nous mangeons qui devient notre chair et notre sang. Dans l'Eucharistie, et étant donné qu'il s'agit de Dieu lui-même, c'est l'inverse qui se produit : c'est le Christ qui nous transforme en lui-même pour que nous devenions ce qu'il est. L'Eucharistie est un sacrifice parce que le Christ fait don de lui-même en nourriture. Et c'est un sacrement parce que le Christ se rend présent sous le signe d'une nourriture. Il est très important de ne pas oublier que c'est véritablement là l'essentiel :  nourriture c'est le mot clé. Toute réflexion sur l'Eucharistie qui ne prendrait pas pour point de départ cette réalité du Christ qui se donne en nourriture risquerait d'être faux.  Je pense que la meilleure manière de comprendre les choses c'est de comparer l'Eucharistie au mariage. La comparaison entre l' Eucharistie et le mariage est quelque chose de traditionnel  dans l'Eglise. On n'imagine pas le nombre d'écrivains de l'Antiquité, du Moyen-âge qui ont écrit pour faire comprendre le rapprochement entre la mariage et l' Eucharistie. Pour bien comprendre ce qu'est le mariage il faut penser à l'Eucharistie. Et quand on parle de l'Eucharistie, pour bien comprendre ce qu'elle est, il faut penser au mariage. En effet, l'Eucharistie comme le mariage est un mystère d'union, d'union dans l'amour et par l'amour. Le dessein fondamental de Dieu quand il crée c'est de s'unir tous les hommes dans l'amour pour leur faire partager sa vie propre. Ce qu'on peut exprimer en disant que si Dieu crée c'est afin d'épouser l'humanité. Le dessein d'épouser l'humanité est déjà présent au cœur de l'Acte créateur. Et si Dieu s'incarne et s'il devient un homme dans la personne du Christ c'est afin de réaliser ce dessein. Dessein d'union. Or le vœu profond, le désir profond  de l'amour conjugal ne s'arrête pas à l'étreinte de deux corps qui restent extérieurs l'un à l'autre. Dans l'amour conjugale, on réalise bien sûr cette étreinte amoureuse de deux corps, mais les deux corps restent inévitablement extérieurs l'un à l'autre. Le vœu profond de l'amour ce n'est pas seulement cette étreinte qui laisse les corps l'un en dehors de l'autre. Le désir profond qui est au cœur de l'amour c'est la fusion. La fusion de deux en un. Une fusion sans confusion. Evidemment nous n'analysons pas toujours ce que nous éprouvons dans le désir amoureux. Le véritable désir qui est dans l'amour c'est cette fusion dans laquelle chacun ne veut exister que pour se laisser "consommer" par l'autre en devenant "sa nourriture" et - comme dit saint Paul - en devenant la chair de sa chair. En réalité, ce désir profond de l'amour ne peut jamais s'accomplir ici-bas pour ne faire qu'un en rigueur de terme avec celui ou avec celle que nous aimons. Entrer dans l'amour c'est toujours entrer dans la souffrance sans oublier que c'est toujours entrer dans la joie. La joie d'aimer est supérieure à toute autre joie. Il est inutile d'insister tellement c'est évident. Entrer dans l'amour c'est toujours enter dans la souffrance parce que l'amour ne peut pas être parfaitement achevé ici-bas. La mort naturelle n'accomplit pas l'amour, elle y met au contraire un obstacle puisqu'on disparaît, que l'autre -celui ou celle qu'on aime, n'est plus là. 

                   A suivre...

                   François Varillon s.j

  • Confession ou psychanalyse (11 et fin)

    [suite des posts précédents]

     Si au contraire je m'aperçois qu'il me faut un certain laps de temps pour vérifier l'orientation de ma vie, eh bien je vais décider d'attendre un certain temps avant de m'approcher du sacrement de pénitence : que chacun prenne ses responsabilités. Si la fréquence est excessive c'est la routine. Si au contraire la fréquence est trop rare, alors on risque de perdre le sens du péché, et du même coup le sens de Dieu et également l'aspect communautaire et collectif du péché.

    A partir d'ici, la conférence est finie.  François Varillon répond alors à des questions de l'auditoire (Q= question  R= réponse de F.V) 

    R/ Vous avez compris qu'il y a deux choses qui sont absolument essentielles : 1°) c'est l'esprit de pénitence, la conscience de ce qu'est la grandeur du pardon divin. La profondeur même de Dieu c'est la gratuité absolue de l' Amour et puis le sentiment que dans nos actes, même les plus généreux, il n'y a pas le désintéressement absolu. Aucun d'entre nous n'est absolument désintéressé : or c'est ça le péché. 2°) La pénitence comme sacrement c'est aussi essentiel. L'Eglise ne laissera jamais tomber le sacrement. Mais alors quelle forme il revêtira dans l'avenir, alors là c'est une toute autre affaire.

    Q/ Que devient la contrition ?

    R/  C'est l'essentiel de tout. J'essaye de me mettre dans la peu da la personne qui a écrit ce billet. J'ai un peu peur que cette personne se souvienne un peu vaguement de son catéchisme, n'est-ce pas, avec les différentes parties du sacrement de pénitence : la confession, l'aveu, la contrition et le ferme propos. Autrement dit j'ai très peur que la personne qui a écrit ce billet se situe au plan des notions. Des notions abstraites et non pas au plan de la réalité profonde des choses. Que serait le pardon accordé à quelqu'un qui ne regretterait pas sa faute ? Que serait le pardon qui est l'acte le plus profond de l'amour si cet acte profond de l'amour ne rejoignait pas l'amour de la créature. Que peut être l'amour dans une créature pécheresse sinon le regret de manquer d'amour. Moi je suis assez content de ce genre de question. je garde soigneusement ce genre de question. Parce que c'est cela qui m'aide à comprendre que beaucoup de chrétiens sont encore dans des idées abstraites. Comme si la vie chrétienne était un ensemble de prescriptions  : il faut qu'il y ait la contrition, il faut qu'il y ait le ferme propos.... Heureusement qu'il faut qu'il y ait le ferme propos ! Qu'est-ce que serait cet amour qui dirait : j'ai péché, tu me pardonnes mais je continuerai comme avant ! Alors que devient la contrition ? Elle devient de plus en plus l'essentiel du sacrement. Précisément c'est dans la mesure où le monde moderne prend de plus en plus conscience de la réalité des choses que l'essentiel doit apparaître, beaucoup plus vigoureusement qu'avant. Alors, s'il y a eu tout au long de l' Histoire de l'Eglise des discussions interminables, même des polémiques entre différentes écoles de théologie sur la contrition parfaite, sur la contrition imparfaite (qu'on appelait aussi "attrition"), je pense qu'il importe que nous ayons là un langage nouveau, un langage que nos contemporains puissent comprendre. Alors qu'il soit bien entendu que la contrition ne revêtira pas nécessairement un aspect sensible. Le regret d'avoir été "moche", ce regret ne s'accompagne pas nécessairement d'une  souffrance physique, d'une douleur physique. Mais  il est bien évident qu'un mari pourra souffrir sensiblement, physiquement, d'avoir dit du mal à sa femme, d'avoir fait souffrir  sa femme parce que c'est sa femme et qu'il a pour sa femme un amour sensible et qu'il n'éprouvera pas la même souffrance sensible vis-à-vis de quelqu'un qui ne fait pas partie de sa famille. Ca c'est humain, c'est normal. Or, comme Dieu est invisible, comme Dieu ne tombe pas sous le sens, on n'aime pas Dieu comme on aime une femme, c'est très différent, c'est d'un tout autre ordre. Alors la contrition sera identique au ferme propos. C'est le même mot en latin qui signifie regretter et désirer. Ça veut dire que le regret c'est un désir qui porte sur le passé : je désire n'avoir pas commis tel acte. C'est-à-dire : je voudrais ne l'avoir pas commis. Je regrette que ça ait eu lieu. Alors cela implique que je désire que ça ne se renouvelle pas à l'avenir.

    Soyez réels. C'est ça l'essentiel.

     

                                                                   François Varillon s.j

     

     

  • Confession ou psychanalyse (10)

    [suite du post 9 et des précédents]

    Ce que touche la psychanalyse, ce que la psychanalyse veut guérir c'est le psychisme. Or le psychisme c'est tout autre chose que l'âme même si psychisme, psychanalyse, psychothérapie comportent le mot "psyché" qui veut dire "âme" en grec. Personnellement je pense que le spirituel commence là où le psychologique finit.  Le psychique, le psychologique, l'homme peut y jeter la sonde. Sur le divan d'un psychanalyste, l'homme peut sortir en quelque sorte tout un passé qui est le fruit de son psychisme, mais cela n'a rien à voir avec le spirituel. On n'est pas responsable de son psychisme. Il y a des gens qui ont la manie du vol, il y a des obsédés, il y a des pervers au plan sexuel, des exhibitionnistes par exemple ou des voyeurs. Je ne dis pas que dans tout cela il n'y a pas de péché, je n'en sais rien, mais je dis : Dieu seul le sait. Car le péché se situe au plan spirituel  là où Dieu seul pénètre. Tandis que ce qui relève du psychisme, le psychanalyste l'étudie et parviendra à savoir pour quelles raisons tel homme n'est jamais parvenu à se guérir de l'homosexualité. Je pense par exemple à un grand écrivain qui multiplie les ouvrages pour nous raconter ce qu'a été sa vie d'homosexuel en même temps que son désir d'être un véritable chrétien : Julien Green, de l'Académie française. Je ne commets aucune indiscrétion en parlant de lui, parce que lui-même ne cesse de nous dire ce qu'a été sa vie où, constamment, il y a eu un grand désir de Dieu, une méditation quotidienne de la Bible et, en même temps, quelque chose d'irrépressible en lui dans le sens de l'homosexualité, mais alors ça c'est le psychisme. Sa relation profonde avec Dieu elle était d'ordre spirituel. Le spirituel est au-delà du psychique. Le psychique est intermédiaire, si vous voulez, entre le corps et l'esprit. Il tient des deux.  C'est ce qui touche aux névroses, aux psychoses, à tous les déséquilibres caractériels. Il est possible à Freud et à tous les disciples de Freud d'y jeter la sonde. On a dit que Freud avait allumé une torche dans l'inconscient : c'est très vrai. Alors le confesseur ne va pas s'amuser à faire de la psychanalyse, il est incompétent, et puis ce n'est pas son métier. Le confesseur transmet le pardon de Dieu à l'homme pécheur. Si le pénitent qui est là a besoin  d'un traitement psychanalytique alors le confesseur pourra lui donner le conseil d'aller trouver un psychanalyste. (...)

    "Je vous absous de votre culpabilité profonde telle que Dieu la voit." Le psychanalyste dit : "je ne sais pas si vous êtes coupable devant Dieu, ce n'est pas mon affaire. Mais ce que je constate à vous écouter c'est qu'il y a dans votre psychisme un traumatisme, alors on va essayer d'y remédier." C'est une toute autre affaire.  C'est Jean Lacroix qui insiste beaucoup là-dessus et il va jusqu'à écrire : "le spirituel commence là où le psychologique finit". Ce qui ne veut pas dire d'ailleurs que le psychologique ne soit pas une voie d'accès vers le spirituel ; et très souvent, en effet,  il est bon que les hommes soient libérés au plan psychique - alors là la psychanalyse peut être utile - alors étant libérés, ils pourront marcher d'un pas plus allègre vers une véritable humanité.

    Je conclus.

    Quoi qu'il en soit de tout cela, il faut à tout prix revaloriser le sacrement de pénitence. La première chose à faire pour le valoriser, comme dit un de mes confrères qui a des mots percutants, le Père Manaranche : " il faut que le sacrement de pénitence cesse d'être le paillasson de l'Eucharistie" Il veut dire cette sorte de tapis-brosse pour essuyer quelques obsessions chaque fois qu'on s'approche du sacrement de l'Eucharistie.  Il ajoute : "le sacrement de pénitence devrait être une véritable célébration" La rencontre avec le Dieu qui pardonne : quelle célébration ! On ne va pas se confesser pour recevoir un coup d'éponge ! Il faut en sortir ! Tout cela c'est de l'infantilisme à haute dose ! Alors la fréquence de la confession devra être mesurée par l'intensité de la vie spirituelle. Un chrétien qui se confesse à son rythme ne devrait pas -sauf cas grave caractérisé - se sentir obliger d'y recourir chaque fois que sa conscience l'inquiète sur un cas  particulier. Et le Père Manaranche ajoute encore : "  le sacrement du pardon sortira du discrédit où il semble actuellement s'engloutir dans la mesure où les fidèles pourront y voir un acte positif accompli pour lui-même et englobant bien au-delà d'une culpabilité particulière la totalité de leur existence croyante  avec ses responsabilités". Pour revaloriser le sacrement de pénitence je dirais : on va se confesser pour trouver le Christ en son lieu. Or le Christ il est avec les pécheurs. Je vais me confesser cela veut dire : je vais m'asseoir à la table des pécheurs. C'est son lieu. Il est avec les pécheurs. C'est ce que dit l'Evangile. Et moi, je ne dois pas me situer dans la catégorie des justes. Or, je pose un geste visible, historique, aux yeux de mes frères et de mes sœurs pour rejoindre le Christ là où il est, et m'asseoir avec lui à la table des pécheurs.

    Ensuite et enfin, je propose pour revaloriser le sacrement de pénitence que l'on fasse se rejoindre les deux sens du mot "confession". Confession au sens d'aveux et confession au sens où l'on parle d'une confession de foi au sens où l'on célèbre dans la liturgie les confesseurs, les saints confesseurs. Il faut faire se rejoindre les deux sens du mot. Par l'aveu, par la confession au sens d'aveu je confesse que le fond de Dieu c'est d'être une puissance infinie de pardon. On revalorisera le sacrement de pénitence dans la mesure où l'on cessera d'y voir une lessive au moins quand il s'agit de ce que Bernanos appelle : "la fourmilière des péchés véniels". Il peut y avoir des cas graves, alors là c'est une autre affaire :  un adultère vraiment consenti, poursuivi, maintenu envers et contre tout, alors là bien sûr. De même les injustices flagrantes en matière grave alors là il n'y a pas de problème : c'est le sacrement de pénitence, il est fait pour cela. Mais pour le reste, pour "la fourmilière de nos péchés véniels" , pour cette "température continuelle de péché" dont parle Claudel....[coupure !] j'adore la profondeur de Dieu et la profondeur de Dieu c'est le pardon. Et je l'adore autrement qu'avec des mots, je l'adore, ça en vaut la peine,  avec un acte, un geste, une décision qui se traduit par l'aveu de mon péché. Je ne vous dirai rien sur la fréquence du sacrement de pénitence car l'Eglise n'a pas à donner dessus des consignes. C'est à nous à inventer notre vie spirituelle. Nous avons à créer jour après jour notre vie avec Dieu. Si je m'aperçois que je suis en train de perdre le sens du péché et, du même coup, le sens de Dieu, je décide de me confesser plus souvent.

                                                                                  A suivre...... prochain post

                                                        François Varillon s.j

  • Confession ou psychanalyse (9)

    [suite du post 8 ]

    Le rite du sacrement de pénitence.

    Oh alors là mesdames et messieurs, attendez vous à des changements. Il y en aura. Il y en aura parce que les choses ne peuvent pas continuer comme elles sont. Et que tout au long de l'histoire de l'Eglise il y a constamment eu des changements. Dites vous bien qu'il n'y a pas de chapitre plus difficile en théologie que l'histoire du sacrement de pénitence. Alors ne comptez pas sur moi pour vous raconter toutes les mutations, toutes les fluctuations, tous les changements qui se sont produits au cours de l'histoire. Comme dit le père Karl Rahner avec beaucoup d'humour : "Ce n'est quand même pas saint Joseph qui a fabriqué le premier confessionnal."  Le premier confessionnal date du XVIe siècle. Comme disait Jacques Maritain qui n'est pas un farfelu, qui est au contraire l'homme le plus sérieux qui soit, il dit : "ce meuble sinistrement cocasse". En effet, le confessionnal un meuble "sinistrement cocasse" ça date du XVIe siècle. C'est un cardinal, c'est un très saint homme, saint Charles Borromée, qui a institué à Milan cette espèce de meuble "sinistrement cocasse".

    Alors, j'emprunte à un journal qui s'appelle Le Monde,  sous la signature de Robert Solé, qui est correspondant du Monde à Rome pour les choses religieuses,  il a fait un article excellent pour résumer en quelques mots cette histoire compliquée du sacrement de pénitence. Figurez-vous que ce n'est qu'au IIIe siècle que s'est fixée une discipline pénitentielle réservée aux fautes graves, pratiquée une seule fois dans la vie. Une seule fois. La confession apparaît alors comme l'unique planche de salut après le baptême. Une fois. L'acte est public mais l'aveu est privé et les peines d'une très grande sévérité. On vous donnait pour pénitence d'aller à Jérusalem, ou d'aller à Saint Jacques de Compostelle, en Espagne. Et à cause de ça les gens hésitaient à se confesser et attendaient la fin de leur vie pour qu'on ne leur donne pas - alors qu'ils étaient des vieillards - comme pénitence d'aller à Jérusalem ou à Saint Jacques de Compostelle. L'expiation s'accompagne d'une véritable excommunication qui peut se prolonger à perpétuité. Et cela poussera nombre de chrétiens à ne demander la pénitence que sur leur lit de mort. Ce n'est qu'au VIIe siècle que la confession telle que nous la connaissons a été importée en France par des moines venus d'Irlande. Alors progressivement, à partir de cette date,  la confession devient privée, périodique et puis, à partir du IVe concile de Latran, c'est-à-dire 1215, elle devient obligatoire une fois par an pour les péchés mortels. Cette évolution s'accompagne d'une liberté pour le pénitent de choisir son confesseur et d'une obligation pour celui-ci de garder rigoureusement le secret : c'est l'origine du secret de confession. mais les fautes graves jugées particulièrement  scandaleuses comme l'inceste, le parricide ou l'hérésie, devront encore, pour un temps, faire l'objet d'une pénitence publique.

    Le confessionnal fait son apparition au 16e siècle. Et savez-vous pourquoi on a inventé le confessionnal ? Robert Solé dit les choses avec discrétion : "ce meuble destiné à séparer le pénitent du confesseur semble avoir été créé dans un souci de décence à une époque où les mœurs étaient quelque peu relâchées." C'est très bien dit, c'est discrètement dit ! Il n' y a pas tellement longtemps, le code de droit canonique précisait : [le code de droit canonique d'alors était celui promulgué en 1917 remplacé par un nouveau code en 1983. Lorsque cette conférence a été donnée vers 1973/1975 ce code était déjà en cours de révision. Note de l'auteur de ce blog.]. Ce code précisait que "la grille à travers laquelle se parlent le prêtre et le pénitent doit être fixe ! et munie de trous étroits ! L'article que j'ai sous les yeux est de 71. Donc en 71 il était toujours interdit d'accorder aux femmes l'absolution en dehors du confessionnal. Or, des enquêtes ont montré que c'était elles qui souffraient le plus du caractère rébarbatif de ce meuble, "sinistrement cocasse" comme dit jacques Maritain dans son dernier ouvrage. Bon, c'est vous dire qu'il ne faudra pas vous étonner si des changements profonds ont lieu dans le rite du sacrement de pénitence. Vertu de pénitence : rien de plus fondamental. Ça touche au fond de Dieu [voir les posts précédents sur ce sujet]. Sacrement de pénitence : l'Eglise ne l'abandonnera jamais. Le rite du sacrement de pénitence : je ne suis pas prophète. Comment les choses se passeront-elles demain ? Certainement il y aura multiplication des cérémonies pénitentielles. Les cérémonies pénitentielles ont une raison d'être très profonde car il y a des péchés collectifs, il y a des péchés de "milieu", des péchés de classe sociale,  des péchés de nation... Nous participons à un péché qui est collectif, et il est bien certain que pendant trop longtemps, nous avons considéré le péché comme étant quelque chose de purement individuel. Il se peut qu'à l'heure actuelle on exagère en sens inverse. Il se peut que, mettant très fortement l'accent et avec raison sur l'aspect collectif de la pénitence, on oublie qu'il y a des responsabilités qui sont très personnelles et très individuelles ; et c'est la raison pour laquelle je pense pour ma part qu'on ne supprimera jamais la confession auriculaire. Seulement, il faudra qu'une éducation se fasse auprès des chrétiens pour qu'ils ne cherchent pas dans le sacrement de pénitence l'équivalent d'une psychanalyse. En première approximation, en surface, on serait tenté de dire : absolution collective, cérémonie pénitentielle pour le peuple chrétien, pour les péchés du peuple chrétien. Les cas particuliers alors cela relève de la thérapeutique psychologique ou psychanalytique. Non. Jamais vous ne m'entendrez dire une chose pareille. Je pense que le sacrement de pénitence et la psychanalyse ne se situent absolument pas sur le même plan. 

                                                           .... à suivre prochain post.

                                                                   François Varillon s.j 

     

     

  • Confession ou psychanalyse (8)

    (suite du post 7)

    Le sacrement de pénitence.

    Il y a deux choses à dire ici. Soyez tranquilles, l'Eglise n'abandonnera jamais le sacrement de pénitence, ce n'est pas possible. Ce qu'il s'agit de comprendre c'est pourquoi ce pardon de Dieu qui est le fond de Dieu nous atteint par et dans un sacrement ?

    Deux choses.

    La première c'est que nous ne sommes pas seulement pécheurs vis-à-vis de Dieu, nous sommes pécheurs vis-à-vis de nos frères. Tout péché quel qu'il soit (même le plus intérieur, même celui qui se manisfeste le moins à l'extérieur) est à la fois contre Dieu, contre les autres et contre soi-même. Le propre du péché c'est d'introduire la division. Triple division : division d'avec Dieu, division d'avec les autres hommes et  division d'avec moi-même.  S'il en est ainsi, comprenons que Dieu veuille que la réconciliation avec lui soit également une réconciliation avec les autres hommes. Autrement dit, s'il me réconcilie avec lui, c'est par le  moyen d'une réconciliation avec les autres hommes. Le sacrement c'est essentiellement l'acte de l'Eglise qui me transmet le pardon de Dieu par la médiation du pardon des autres hommes mes frères. Quand je vais me confesser c'est un homme qui m'absout au nom de Dieu. Cet homme qui m'absout au nom de Dieu c'est un prêtre, donc il parle au nom de Dieu. Mais en même temps c'est un homme : il me pardonne au nom de tous mes frères que j'ai offensés par le péché. Il n'y a rien à comprendre au sacrement de pénitence si nous ne comprenons pas que nous sommes tous solidaires dans le péché et c'est cela que nous appelons le péché originel mais nous sommes tous solidaires dans la réconciliation. On demande parfois quelle différence il peut y avoir entre une communauté d'hommes qui ne sont pas chrétiens et une communauté de chrétiens. La première réponse que je ferai est la suivante : nous devons dans une communauté chrétienne nous regarder les uns les autres avec des regards qui pardonnent les uns aux autres. Vous avez tous ici à me pardonner d'être un religieux très médiocre, très infidèle au portrait que saint Ignace de Loyola traçait du jésuite selon son cœur, j'en suis extrêmement loin et vous avez à me le pardonner. Et moi j'ai à vous pardonner d'être aussi  des pères de famille, des époux ou des épouses en dessous de votre tâche. J'ai à vous pardonner d' être engagés de façon trop timide dans la tâche humaine pour un monde plus juste et plus fraternel. J'ai à vous pardonner vos entêtements, vos timidités. Nous avons à nous regarder les uns les autres avec un regard chargé de pardon ; c'est tout cela qui nous est signifié dans le sacrement de pénitence : un acte d'Eglise.

    Alors la deuxième chose qui est très proche de la première c'est que dans le sacrement, le pardon de Dieu m'atteint dans mon identité la plus profonde. Il faut que ce pardon de Dieu m'atteigne au fond, au fond ! Mais quel est le fond de moi ? Qui êtes-vous finalement ? Quel est le fond de vous-mêmes ? Qu'est-ce que vous mettez sur votre carte de visite ? Vous pouvez mettre : célibataire, marié, tant d'enfants, telle profession, et puis après ? Plus profond ?  Qu'est-ce qu'il y a tout à fait au fond ? Qui êtes-vous ? En profondeur ultime quel est le fond de votre être ? Membre de l'Eglise ! C'est-à-dire du Christ. Membre du corps du Christ.  C'est votre identité la plus profonde. C'est là que le pardon du Christ vous rejoint et c'est pourquoi la pénitence est un sacrement d'Eglise, dans l'Eglise, par l'Eglise. Jamais l'Eglise n'abandonnera le sacrement de pénitence, jamais. Et c'est pourquoi il faut que chacune de nos confessions soit une sorte de protestation contre la tendance qui est naturelle à l'homme de diluer la foi, de dissoudre la foi dans une sorte de religiosité plus ou moins  sentimentale. Quand je vais me confesser j'oriente mon être tout entier... (suite inaudible)

    La foi c'est quelque chose de visible, et quelque chose d'historique donc de sacramentel.

    Vertu de pénitence, sacrement de pénitence. Troisièmement :  le rite du sacrement de pénitence. (15:14)

                                                            A suivre...prochain post

     

                                                               François Varillon s.j

  • Confession ou psychanalyse (7)

    (...)

    Il faut bien comprendre que dans l'amour de Dieu il y a une triple gratuité.

    Il y a la gratuité de l' Amour qui nous crée ; il y a la gratuité de l'Amour qui nous divinise ; et il y a la gratuité de l'Amour qui nous pardonne, c'est-à-dire qui nous rend perpétuellement ce que nous perdons perpétuellement par le péché ; mais c'est le pardon qui est la gratuité suprême.

    Dans beaucoup de langues le préfixe "par" signifie "à fond" , "jusqu'au bout" : faire, parfaire : ce qui est fait jusqu'au bout. Eh bien, de même,  donner par-donner. Par-donner c'est donner à fond, jusqu'au bout. Et Dieu se révèle comme étant un infini d'amour en se révélant comme une puissance infinie de pardon. J'aime bien poser la question suivante (ça surprend parfois les fidèles). Je vous la pose : à votre avis faut-il plus de puissance à Dieu pour créer ou pour pardonner ? En première approximation parce que nous sommes victimes de l'imagination et que nous vivons à la surface des choses nous répondons spontanément : c'est pour créer qu'il faut le plus de puissance. Ce n'est pas vrai. Ce n'est pas vrai. Il faut plus de puissance d'amour pour pardonner que pour créer. Et en Dieu il n'y a pas d'autre toute puissance que la puissance de l'Amour. Pardonner c'est recréer. C'est pulvériser une culpabilité, la réduire à néant. Nous, nous ne le pouvons pas. "Dieu seul pardonne" dit Verlaine dans un admirable poème "Sagesse". Dieu seul pardonne, nous, nous ne pouvons pas, nous faisons "comme si". Je puis vous dire : vous m'avez offensé, n'en parlons plus. Très bien, mais je n'ai pas le pouvoir de réduire à néant votre culpabilité.  Vous restez avec votre culpabilité. Vous êtes heureux que je n'en tienne pas compte, mais je ne peux pas aller plus loin. Tandis que Dieu, il pulvérise la culpabilité ! Il la réduit à néant. C'est un philosophe non chrétien qui écrivait il n'y a pas tellement longtemps : "Dieu peut rétablir l'égalité originaire des consciences". Nous sommes peut-être quatre cents dans cette salle, très inégaux les uns par rapport aux autres. Parmi nous il y a de très grands pécheurs, parmi nous il y a de saintes âmes. Qui juge ? Dieu seul. Mais en tout cas, nos consciences ne sont pas égales.  Le pardon divin rétablit l'égalité originaire des consciences. Je dis bien des consciences. Je ne dis pas des psychismes. Le psychisme ça regarde précisément la psychanalyse. Il y a parmi nous des psychismes parfaitement équilibrés. Il y a aussi probablement des psychismes démolis, traumatisés. Psychisme c'est pas la conscience. Ça regarde le médecin, le psychothérapeute, le psychanalyste. Mais la conscience, c'est-à-dire la pureté de la relation à Dieu : le pardon rétablit l'égalité originaire des consciences. Bernanos disait que c'est l'enfant que nous avons été qui nous attend à l'heure de notre mort pour nous introduire en Dieu. C'est très beau. Cela veut dire qu'on ne pardonne finalement qu'à des enfants. Ce que Dieu rejoint en nous quand il nous pardonne c'est précisément ce point profond qui est resté enfant. Non pas l'enfance du début de la vie parce que, comme dit Freud précisément, l'enfant est  un "pervers polymorphe". Mais l'enfance que nous devons viser c'est l'enfance qu'il nous faut atteindre comme étant le sommet de l'âge adulte et qu'on atteint véritablement que dans l'agonie.

    Un jour, faisant le voyage de Lyon à Strasbourg, je lisais un article d'un de mes confrères qui s'appelle le père Georges Morel, qui a écrit un gros livre sur saint Jean de la Croix et aussi un gros livre sur Nietzsche. Je lisais donc un article de lui. Et je tombe sur cette phrase : "Non seulement Dieu oublie l'offense, mais il oublie le péché lui-même." Je crois que j'ai fait un bond dans le compartiment. Et les gens qui étaient là étaient très étonnés en se demandant ce qui m'arrivait tellement j'ai trouvé ça prodigieux : non seulement Dieu oublie l'offense mais il oublie le péché lui-même ! C'est l'oubli total ! La toute puissance de l'Amour qui va jusqu'à cet oubli absolu. Alors la joie de Dieu c'est de révéler ce qu'il y a de plus profond en lui. Et ce qu'il y a de plus profond en lui c'est ce que j'appelle  "une respiration pardonnante". C'est tout cela que je mets sous le titre : la vertu de pénitence. Si jamais les chrétiens en venaient à oublier tout ce que je viens de vous dire je crois que c'en serait fait de l'essentiel du christianisme. Par conséquent, quoi qu'il arrive, quels que soient les malaises qui peuvent se faire jour à la faveur des cultures nouvelles, quoi qu'il en soit de tout cela il y a quelque chose  qui faut sauvegarder à tout prix c'est ce que j'appelle la vérité de notre relation à Dieu ; notre relation à Dieu n'est qu'une relation vraie  que si c'est la relation d'un pécheur pardonné dans les bras d'un Père qui a des entrailles et qui pardonne.

    Passons au sacrement de pénitence (8:42)

                                                                   à suivre...prochain post

                                                            Père François Varillon s.j

  • Confession ou psychanalyse (6)

    suite du post 5

     

    Ces pages extraordinaires dont Péguy disait que si tous les exemplaires de l' Évangile devaient être détruits dans d'immenses incendies, il faudrait au moins que l'on puisse  conserver la parabole de l'enfant prodigue, le chapitre quinzième de saint Luc.

    Et je ne vais pas vous raconter la parabole de l'enfant prodigue ; je préfère vous inviter à des retraites où alors nous méditerons cette page longuement, une journée entière. Mais je vous rappelle cette scène de l’Évangile où Pierre demande timidement à Jésus combien de fois il faut pardonner. Chez les Juifs on considérait que pardonner plus de trois fois c'était quand même de l'exagération. Ce n'était plus de la bonté c'était de la bêtise. Alors il [Pierre] dit timidement à Jésus : est-ce qu'il faut pardonner jusqu'à sept fois ?  Alors Jésus le regarde et lui dit : "sept fois ?! Soixante-dix fois sept fois" ! Ce qui veut dire que ce n'est pas une affaire de quantité, c'est une affaire de qualité.

    Il faut pardonner comme on respire. Dieu pardonne "comme il respire". Alors toute la question c'est que la respiration "pardonnante" de Dieu nous atteigne. Dieu - et là j'insiste beaucoup - il pardonne comme il respire. Il n'attend pas que nous soyons confessés pour nous pardonner. 

     

                                                                      A suivre....

                                                                     François Varillon s.j