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Il faut bien comprendre que dans l'amour de Dieu il y a une triple gratuité.
Il y a la gratuité de l' Amour qui nous crée ; il y a la gratuité de l'Amour qui nous divinise ; et il y a la gratuité de l'Amour qui nous pardonne, c'est-à-dire qui nous rend perpétuellement ce que nous perdons perpétuellement par le péché ; mais c'est le pardon qui est la gratuité suprême.
Dans beaucoup de langues le préfixe "par" signifie "à fond" , "jusqu'au bout" : faire, parfaire : ce qui est fait jusqu'au bout. Eh bien, de même, donner par-donner. Par-donner c'est donner à fond, jusqu'au bout. Et Dieu se révèle comme étant un infini d'amour en se révélant comme une puissance infinie de pardon. J'aime bien poser la question suivante (ça surprend parfois les fidèles). Je vous la pose : à votre avis faut-il plus de puissance à Dieu pour créer ou pour pardonner ? En première approximation parce que nous sommes victimes de l'imagination et que nous vivons à la surface des choses nous répondons spontanément : c'est pour créer qu'il faut le plus de puissance. Ce n'est pas vrai. Ce n'est pas vrai. Il faut plus de puissance d'amour pour pardonner que pour créer. Et en Dieu il n'y a pas d'autre toute puissance que la puissance de l'Amour. Pardonner c'est recréer. C'est pulvériser une culpabilité, la réduire à néant. Nous, nous ne le pouvons pas. "Dieu seul pardonne" dit Verlaine dans un admirable poème "Sagesse". Dieu seul pardonne, nous, nous ne pouvons pas, nous faisons "comme si". Je puis vous dire : vous m'avez offensé, n'en parlons plus. Très bien, mais je n'ai pas le pouvoir de réduire à néant votre culpabilité. Vous restez avec votre culpabilité. Vous êtes heureux que je n'en tienne pas compte, mais je ne peux pas aller plus loin. Tandis que Dieu, il pulvérise la culpabilité ! Il la réduit à néant. C'est un philosophe non chrétien qui écrivait il n'y a pas tellement longtemps : "Dieu peut rétablir l'égalité originaire des consciences". Nous sommes peut-être quatre cents dans cette salle, très inégaux les uns par rapport aux autres. Parmi nous il y a de très grands pécheurs, parmi nous il y a de saintes âmes. Qui juge ? Dieu seul. Mais en tout cas, nos consciences ne sont pas égales. Le pardon divin rétablit l'égalité originaire des consciences. Je dis bien des consciences. Je ne dis pas des psychismes. Le psychisme ça regarde précisément la psychanalyse. Il y a parmi nous des psychismes parfaitement équilibrés. Il y a aussi probablement des psychismes démolis, traumatisés. Psychisme c'est pas la conscience. Ça regarde le médecin, le psychothérapeute, le psychanalyste. Mais la conscience, c'est-à-dire la pureté de la relation à Dieu : le pardon rétablit l'égalité originaire des consciences. Bernanos disait que c'est l'enfant que nous avons été qui nous attend à l'heure de notre mort pour nous introduire en Dieu. C'est très beau. Cela veut dire qu'on ne pardonne finalement qu'à des enfants. Ce que Dieu rejoint en nous quand il nous pardonne c'est précisément ce point profond qui est resté enfant. Non pas l'enfance du début de la vie parce que, comme dit Freud précisément, l'enfant est un "pervers polymorphe". Mais l'enfance que nous devons viser c'est l'enfance qu'il nous faut atteindre comme étant le sommet de l'âge adulte et qu'on atteint véritablement que dans l'agonie.
Un jour, faisant le voyage de Lyon à Strasbourg, je lisais un article d'un de mes confrères qui s'appelle le père Georges Morel, qui a écrit un gros livre sur saint Jean de la Croix et aussi un gros livre sur Nietzsche. Je lisais donc un article de lui. Et je tombe sur cette phrase : "Non seulement Dieu oublie l'offense, mais il oublie le péché lui-même." Je crois que j'ai fait un bond dans le compartiment. Et les gens qui étaient là étaient très étonnés en se demandant ce qui m'arrivait tellement j'ai trouvé ça prodigieux : non seulement Dieu oublie l'offense mais il oublie le péché lui-même ! C'est l'oubli total ! La toute puissance de l'Amour qui va jusqu'à cet oubli absolu. Alors la joie de Dieu c'est de révéler ce qu'il y a de plus profond en lui. Et ce qu'il y a de plus profond en lui c'est ce que j'appelle "une respiration pardonnante". C'est tout cela que je mets sous le titre : la vertu de pénitence. Si jamais les chrétiens en venaient à oublier tout ce que je viens de vous dire je crois que c'en serait fait de l'essentiel du christianisme. Par conséquent, quoi qu'il arrive, quels que soient les malaises qui peuvent se faire jour à la faveur des cultures nouvelles, quoi qu'il en soit de tout cela il y a quelque chose qui faut sauvegarder à tout prix c'est ce que j'appelle la vérité de notre relation à Dieu ; notre relation à Dieu n'est qu'une relation vraie que si c'est la relation d'un pécheur pardonné dans les bras d'un Père qui a des entrailles et qui pardonne.
Passons au sacrement de pénitence (8:42)
à suivre...prochain post
Père François Varillon s.j