Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Méditations mariales

  • Marie, femme du Troisième Jour

    Je voudrais que ce soit Marie en personne qui entre dans votre maison, qui y ouvre toute grande la fenêtre et vous souhaite de bonnes fêtes de Pâques.

    C'est un vœu immense, comme les bras du condamné étendus sur la croix ou élevés vers les cieux de la liberté. 

    Beaucoup de gens se demandent pourquoi l’Évangile, alors qu'il nous parle de Jésus se montrant ressuscité le jour de Pâques à de nombreuses personnes, comme à Marie-Madeleine, aux pieuses femmes et aux disciples, ne nous rapporte aucune apparition à sa mère.

    Moi, j'aurais une réponse : parce que c'était inutile !

    Lire la suite

  • Marie, femme de la chambre haute

    Texte extrait du livre de Tonino Bello : " Marie, femme de nos jours " édité par Médiaspaul 1998 (ISBN 2-7122-0688-6). Mgr Tonino Bello (1935-1993), évêque de Molfetta, dans les Pouilles, fut président du Mouvement Pax Christi d'Italie. Livre traduit de l'italien par Maria Malinowski et ses amis.

     

    115 Icône. Par ce terme, on désigne les images sacrées peintes sur bois, que les Orientaux vénèrent avec une dévotion particulière. Enveloppées de lumière, elles renferment une étincelle de mystère divin. C'est pour cela justement que quelqu'un les a définies comme les fenêtres du temps, ouvertes dur l'éternité.

    Icône. Par ce terme, peut-être à cause de la netteté des traits qu'on emploie pour leur esquisse, on désigne aujourd'hui les scènes bibliques qui renferment un message important de salut, avec la force immédiate des images.

    Eh bien, le premier chapitre des Actes enregistre une de ces icônes d'une splendeur extraordinaire, lorsqu'il dit qu'après l'Ascension, les apôtres, qui attendaient l'Esprit Saint, montèrent à la chambre haute, où ils se tenaient habituellement (Ac 1,13). Et il y avait aussi avec eux Marie, la mère de Jésus.

    C'est le dernier épisode biblique où l'on voit apparaître Marie. Elle se soustrait définitivement de la sorte, aux feux de la rampe. Du haut de cet emplacement. De l'étage supérieur. Comme pour nous indiquer les niveaux spirituels sur lesquels  doit se dérouler l'existence de chaque chrétien.

    En vérité, toute la vie de Marie s'est développée, pour ainsi dire, à haute altitude.

    Non pas qu'elle ait méprisé le domicile des pauvres gens. Bien au contraire. Les femmes des bergers échangeaient avec elle des laines et des fromages contre un drap cousu de ses mains. Ses voisines 116 ne s'aperçurent jamais du mystère caché dans cette vie apparemment si simple. Les paysannes de Nazareth ne firent pas non plus avec elle l'expérience de cette distance avec laquelle souvent celui qui fait carrière mortifie ses amis d'autrefois. Elles allaient au marché ensemble. Elle marchandait comme elles. Elle sortait avec les autres dans la rue, après les averses de l'été, pour endiguer les torrents de pluie. Et, les soirs de mai, sa voix résonnait dans la cour, jointe aux chœurs des anciennes mélopées orientales, mais sans dépasser les autres.

    Bref, Marie, même consciente de son extraordinaire destin, n'a jamais voulu vivre dans les beaux quartiers. Elle ne s'est jamais élevée sur un piédestal de gloire. Elle a toujours refusé les pinacles qui l'auraient privée de la joie de vivre au même niveau que les gens communs.

    Toutefois elle s'est certainement réservée un très haut observatoire d'où elle pouvait contempler non seulement le sens ultime de son aventure humaine, mais aussi les longues trajectoires de la tendresse de Dieu. (...)

    Sainte Marie, femme de la chambre haute, splendide icône de l’Église, tu avais déjà vécu ta propre Pentecôte au moment de l'annonce de l'Ange, quand l'Esprit Saint descendit sur toi et que la puissance du Très-Haut étendit sur toi son ombre (...)

    Donne à l’Église l'ivresse des hauteurs, la patience du long terme. (...) Préserve-la de la tristesse de s'enliser, sans issue, dans les périmètres étroits du quotidien. Fais-lui regarder l'histoire selon les perspectives du Royaume.

    Sainte Marie, femme de la chambre haute, aide les pasteurs de l’Église à habiter ces régions élevées de l'esprit (...). Attendris leur esprit pour qu'ils sachent dépasser la froideur d'un droit sans charité, d'un syllogisme sans fantaisie, d'un projet sans passion, d'un rite sans illumination, d'une procédure sans génie, d'un logos sans sophia. (...)

    Sainte Marie, femme de la chambre haute, fais-nous contempler de ta fenêtre les mystères joyeux, douloureux et glorieux de la vie (...) ce n'est qu'à cette hauteur que le succès ne donnera pas le vertige, et à ce niveau seulement les défaites nous empêcheront de nous laisser précipiter dans le vide (...) 

     

  • Marie, femme du silence

    Texte extrait du livre de Tonino Bello : " Marie, femme de nos jours " édité par Médiaspaul 1998 (ISBN 2-7122-0688-6). Mgr Tonino Bello (1935-1993), évêque de Molfetta, dans les Pouilles, fut président du Mouvement Pax Christi d'Italie. Livre traduit de l'italien par Maria Malinowski et ses amis.

     

    79 Parmi tant d'appellations adressées à Marie, dans lesquelles on ne sait s'il faut admirer davantage l'imagination des poètes ou la tendresse de la piété populaire, j'en ai trouvé une, particulièrement suggestive : Marie, cathédrale du silence. 

    Certes, il est difficile aujourd'hui de faire l'expérience du silence dans les cathédrales des métropoles. Mais celui qui y entre poussé par l'envie de prier y découvrira toujours un lieu favorable. En s'asseyant et en observant, il lui suffira d'élever son regard au-dessus du sol, et il trouvera le silence caché là-haut, dans les pénombres des arcades, dans les croisées des ogives. Et, s'il regarde encore plus haut, il se laissera séduire par la hauteur de la voûte, il s'imaginera lui aussi, comme le poète de L'infini, dans " les espaces illimités qui sont au-delà, et les silences surnaturels, et le calme profond..."

    Marie est justement comme une cathédrale gothique qui garde le silence. Jalousement. Elle ne le rompt pas, même quand elle parle. Comme le silence du temple qui, là-haut, joue avec les lumières colorées des fenêtres géminées, avec les mosaïques des chapiteaux et avec les courbes de l'abside. Silence qui n'est pas rompu mais exalté  par le gémissement de l'orgue ou par les cadences mystérieuses du chant grégorien, montant d'en bas.

    Mais pourquoi Marie est-elle la cathédrale du silence ?

    80 Avant tout parce qu'elle est une femme qui parle peu. Dans l’Évangile, elle parle à peine quatre fois. A l'annonce de l'ange. Quand elle chante le Magnificat. Quand elle retrouve Jésus au Temple. Et à Cana de Galilée.

    Puis, après avoir recommandé aux serviteurs des noces d'être à l'écoute de l'unique parole qui compte, elle se tait pour toujours.

    Mais son silence n'est pas seulement absence de voix. Il n'est pas vide de bruit. Ni même le résultat d'une ascèse particulière de la sobriété. C'est, au contraire, l'enveloppe théologique d'une présence. La coquille d'une plénitude. Le sein qui garde la Parole.

    L'un des derniers versets de la lettre aux Romains nous offre la clé d'interprétation du silence de Marie. Il parle de Jésus-Christ comme de la révélation du mystère gardé dans le silence durant des temps éternels (Rm 16,25). 

    Christ, mystère silencieux. Secret, c'est-à-dire caché. Littéralement enveloppé de silence. En d'autres termes, le Verbe de Dieu dans le sein de l'éternité était emmailloté de silence. En entrant dans le sein de l'histoire, il ne pouvait pas avoir d'autres langes. Et Marie les lui a offerts, en sa personne. 

    Elle est devenue ainsi le prolongement terrestre de ce mystérieux silence du ciel. Elle est devenue le symbole pour qui veut garder les secrets d'amour. Et pour nous tous, assourdis par le vacarme, elle est restée le tabernacle silencieux de la Parole : Elle gardait fidèlement toutes ces choses en son cœur (Lc 2,51)

     

    Sainte Marie, femme du silence, ramène-nous aux sources de la paix. Permets que nous ne soyons pas 81 assaillis par les mots. Par les nôtres, avant tout. Mais aussi par ceux des autres.

    Fils du bruit, nous pensons dissimuler l'insécurité qui nous tourmente à travers le rabâchage de nos interminables discours. Fais-nous comprendre que c'est seulement lorsque nous nous serons tus que Dieu pourra nous parler. Solidaires du vacarme, nous sommes persuadés de pouvoir exorciser la peur en haussant le volume de nos transistors : fais-nous comprendre que Dieu parle à l'homme uniquement sur les sables du désert, et que sa voix n'a rien à voir avec les décibels de nos tapages. (...)

    82 Sainte Marie, femme du silence, admets-nous à ton école. Tiens-nous loin de la foire du vacarme dans laquelle nous risquons de nous assourdir, à la limite de la dissociation de notre personnalité. Préserve-nous de la volupté morbide des nouvelles, qui nous rend sourds à la " Bonne Nouvelle ". Rends-nous opérateurs de cette écologie acoustique qui nous redonne le goût de la contemplation même dans le tourbillon de la ville. Convaincs-nous que les grandes choses de la vie, la conversion, l'amour, le sacrifice et la mort, mûrissent seulement dans le silence.

    Mère très douce, nous voulons te demander une dernière chose. Toi qui, comme le Christ sur la croix, as expérimenté le silence de Dieu, ne t'éloigne pas de nous à l'heure de l'épreuve. Quand le soleil s'éclipse pour nous, quand le ciel ne répond plus à notre cri, quand la terre devient du sable mouvant sous nos pas et que la peur de l'abandon risque de nous désespérer, reste à nos côtés. dans ces moments-là, romps même le silence pour nous dire des paroles d'amour !

    (...)

     

     

     

  • Marie, femme en chemin

    Texte extrait du livre de Tonino Bello : " Marie, femme de nos jours " édité par Médiaspaul 1998 (ISBN 2-7122-0688-6). Mgr Tonino Bello (1935-1993), évêque de Molfetta, dans les Pouilles, fut président du Mouvement Pax Christi d'Italie. Livre traduit de l'italien par Maria Malinowski et ses amis.

     

    67 Si les personnages de l’Évangile avaient eu une sorte de compteur kilométrique incorporé, je pense que Marie aurait gagné le prix des marcheurs les plus infatigables.

    Jésus mis à part, naturellement.

    Mais lui, on le sait, s'était tellement identifié avec le chemin qu'il confia un jour aux disciples qu'il avait invités à le suivre : Je suis le chemin.

    Le chemin. Pas le voyageur !

    Comme Jésus est donc hors concours, c'est sans aucun doute Marie qui se retrouve en tête, dans la classification des pèlerinages évangéliques.

    On la trouve toujours en chemin, d'un côté à l'autre de la Palestine et même jusqu'à l'étranger.

    Voyage aller et retour à Nazareth aux montagnes de Judée, pour aller voir sa cousine, avec cette espèce de supplément rapide cité par Luc, assurant qu'elle rejoignit la ville en hâte. Voyage jusqu'à Bethléem. De là, à Jérusalem pour la présentation au Temple. Expatriation clandestine en Égypte. Retour prudent en Judée avec le laissez-passer délivré par l'ange du Seigneur, puis de nouveau à Nazareth. Pèlerinage à Jérusalem avec une " réduction de groupe " et double parcours avec excursion dans la ville à la recherche de Jésus. On la trouve encore au milieu de la foule, où elle le rencontre en Galilée, errant de village en village, peut-être avec un peu l'idée de le faire rentrer à la maison. Finalement, elle est sur les sentiers du Calvaire, au pied de la croix, 68 où l'étonnement de Jean prononçant le mot stabat exprime, plutôt que la pétrification douloureuse d'une course perdue, l'immobilité de statue de qui attend sur le podium le prix de la victoire !

    Icône de la marche sans répit, on ne la trouve assise qu'au festin du premier miracle. Assise, non pas immobile. Elle ne sait pas rester au repos. Elle ne court pas avec le corps, mais avec l'âme. Et si ce n'est pas elle qui va vers l'heure de Jésus, elle fait venir cette heure à elle, en faisant tourner à l'envers les aiguilles de la montre, jusqu'au moment où la joie de Pâques fait irruption sur la table des hommes.

    Elle est toujours en chemin. Et, de plus, sur un chemin qui monte.

    Depuis qu'elle s'est acheminée vers la montagne, jusqu'au jour du Golgotha, ou même jusqu'au crépuscule de l'Ascension, lorsqu'elle monta avec les disciples dans la Chambre haute, dans l'attente de l' Esprit, ses pas sont toujours scandés par l’essoufflement des altitudes.

    Elle aura fait aussi les descentes. Jean en mentionne une, lorsqu'il dit qu'après les Noces de Cana, Jésus descendit vers Capharnaüm avec sa mère. Mais l'insistance avec laquelle l’Évangile accompagne du verbe " monter " ses voyages à Jérusalem non seulement fait allusion à la poitrine qui s'essouffle ou aux pieds  qui gonflent, mais plus encore indique que le pèlerinage de Marie sur la terre est symbole de toute la fatigue d'un exigeant itinéraire spirituel. 

     

    Sainte Marie, femme de la route, comme nous voudrions te ressembler pendant nos courses haletantes, mais nous n'avons pas de but. Nous sommes 69 des pèlerins comme toi, mais sans sanctuaire où aller. Nous sommes plus rapides que toi, mais le désert engloutit nos pas. Nous marchons sur l'asphalte, mais le bitume efface nos traces.

    Forçats du " marche ou crève ", il manque dans notre sac du pèlerin la carte routière qui donne un sens à nos voyages. Et, avec toutes les voies de raccordement que nous avons à notre disposition, notre vie ne se rattache à aucune bretelle constructive, nos roues tournent à vide sur les boulevards circulaires de l'absurde et nous nous retrouvons inexorablement à contempler les mêmes panoramas.

    Donne-nous, nous t'en prions, le goût de la vie. Fais-nous savourer l'ivresse des choses. Offre des réponses maternelles aux questions que nous posons à propos du sens de notre marche interminable. Et, si, sous nos pneus violents, les fleurs ne poussent plus comme autrefois sous tes pieds nus, fais que nous ralentissions au moins nos courses effrénées pour jouir de leur parfum et admirer leur beauté.

    Sainte Marie, femme en chemin, fais que nos sentiers soient des instruments de communication avec les autres, comme les tiens le furent, et non pas des rubans isolants à l'aide desquels nous assurons notre solitude aristocratique.

    Libère-nous de l'anxiété de la métropole et donne-nous l'impatience de Dieu.

    L'impatience de Dieu nous fait marcher plus vite pour rejoindre nos compagnons de route. Le stress de la métropole, au contraire, nous rend spécialistes du dépassement. Elle nous fait gagner du temps, mais nous fait perdre le frère qui marche à côté de nous. Elle met dans nos veines la frénésie de la vitesse, mais elle vide nos journées de tendresse. Elle nous fait appuyer sur l'accélérateur, mais elle ne 70 donne pas à notre hâte, comme à la tienne, des saveurs de charité. (...)

    Sainte Marie, femme en chemin, " signe d'espérance sûre et de consolation pour le peuple de Dieu en marche ", fais-nous comprendre que nous devons chercher sur le tableau de l'histoire, plus que sur les cartes géographiques, les chemins de nos pèlerinages. C'est sur ces itinéraires que croîtra notre foi. (...)

    Si tu nous vois égarés au bord de la route, arrête-toi, ô douce Samaritaine, et verse sur nos plaies l'huile de la consolation et le vin de l'espérance. Et remets-nous ensuite sur la bonne voie. Des brouillards de cette " vallée de larmes ", où se consument nos afflictions, fais-nous tourner les yeux vers les monts d'où viendra le secours. Alors sur nos chemins fleurira l'exultation du Magnificat.

    Comme en ce lointain printemps, lorsque tu es montée sur les hauteurs de Judée.

     

     

     

     

  • Marie, femme courageuse

    Texte extrait du livre de Tonino Bello : " Marie, femme de nos jours " édité par Médiaspaul 1998 (ISBN 2-7122-0688-6). Mgr Tonino Bello (1935-1993), évêque de Molfetta, dans les Pouilles, fut président du Mouvement Pax Christi d'Italie. Livre traduit de l'italien par Maria Malinowski et ses amis.

     

    63 C'est peut-être une conséquence du Ne crains pas prononcé par l'ange de l'Annonciation. En tout cas, depuis ce moment-là, Marie a affronté la vie avec une force d'âme incroyable, et elle est devenue le symbole des " Mères Courage " de tous les temps.

    C'est clair : elle aussi a eu à compter avec la peur.

    Peur de ne pas être comprise. Peur de la méchanceté des hommes. Peur de ne pas y arriver. Peur pour la santé de Joseph. Peur pour le destin de Jésus. Peur de rester toute seule... Combien de peurs !

    S'il n'y avait pas encore de sanctuaire consacré à la "  Madone de la peur ", il faudrait le bâtir. Nous nous réfugierions dans ses nefs. Car nous tous, comme Marie, nous sommes traversés par ce sentiment très humain qui est le signe le plus clair de notre limite.

    Peur du lendemain. Peur qu'un amour cultivé depuis longtemps puisse prendre fin tout à coup. Peur pour un fils qui ne trouve pas de travail et qui a dépassé la trentaine. Peur pour l'avenir de la plus jeune de la maison qui rentre toujours après minuit, même en hiver, et à qui on ne peut rien dire, car elle répond mal. Peur pour la santé qui décline. Peur de la vieillesse. Peur de la nuit. Peur de la mort...

    Alors, dans le sanctuaire consacré à la " Madone de la peur " devenue " Madone de la confiance ", chacun de nous pourrait retrouver la force d'avancer, en redécouvrant les versets d'un psaume que Marie 64 aura prononcé à mi-voix qui sait combien de fois : Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi...tous les jours de ma vie (Ps 23,4)

    Madone de la peur, donc. Non pas de la résignation. Car elle n'a jamais baissé les bras en signe de résignation, et elle ne les a jamais levés pour dire qu'elle se rendait. Une seule fois elle s'est rendue : quand elle a prononcé son fiat et s'est constituée prisonnière de son Seigneur.

    A partir de ce moment-là, elle a toujours réagi avec une détermination incroyable, allant à contre-courant et dépassant les difficultés inouïes devant lesquelles tout le monde aurait capitulé. De la gêne de l'accouchement dans une étable jusqu'à l'expatriation forcée pour échapper à la persécution d'Hérode. Des jours amers de l'asile politique en Égypte, à la prise de conscience des prédictions menaçantes de la prophétie de Siméon.  Des sacrifices d'une vie peu aisée, pendant trente années de silence, au jour amer où la boutique du charpentier, parfumé de vernis et de souvenirs, fut fermé pour toujours. Des serrements de cœur provoqués  par certaines nouvelles qui circulaient sur son fils, au moment du calvaire quand, défiant la violence des soldats et le ricanement du peuple, elle se dressa courageusement au pied de la croix.

    Son épreuve à elle était difficile. Marquée, comme pour son fils mourant, par le silence de Dieu. Une épreuve sans mise en scène et sans aucune réduction sur le prix de la souffrance, qui fait comprendre le sens de cette antienne résonnant dans la liturgie du Vendredi Saint : " O vous tous qui passez, arrêtez-vous et voyez s'il existe une douleur semblable à la mienne. "

    65 Sainte Marie, femme courageuse, dans une célèbre homélie prononcée il y a quelques années à Zapopan, au Mexique, Jean-Paul II [le 30 janvier 1979] a dressé le plus beau monument que le magistère de l’Église ait jamais élevé à ta fierté humaine, en disant que tu te présentes comme un modèle pour " ceux qui n'acceptent pas passivement les circonstances adverses de leur vie personnelle et sociale, ni ne sont victimes de l'aliénation ". 

    Ainsi, tu ne t'es pas résignée à subir l'existence. Tu as combattu. Tu as affronté les obstacles à visage découvert. Tu as réagi face à tes difficultés personnelles et tu t'es rebellée contre les injustices sociales de ton temps. Tu n'as donc pas été cette femme entièrement consacrée à sa maison et à son église, comme certaines images pieuses voudraient nous le faire croire. (...)

    Ainsi, sainte Marie, femme courageuse, toi qui pendant les trois heures d'agonie au pied de la Croix as absorbé, comme une éponge, les afflictions de toutes les mères de la terre, donne-nous un peu de ta force d'âme. (...) Soulage les souffrances de toutes les victimes des injustices. apaise les larmes cachées de tant de femmes qui, dans l'intimité de leurs maisons, sont systématiquement et abusivement opprimées par les hommes. (...)

    66 Sainte Marie, femme courageuse, toi qui sur le Calvaire as gagné toi aussi la palme du martyre, encourage-nous par ton exemple à ne pas nous laisser abattre par l'adversité. Aide-nous à porter le fardeau des tribulations quotidiennes, non pas avec l'esprit des désespérés, mais avec la sérénité de celui qui se sait blotti dans le creux de la main de Dieu. Et, si la tentation d'en finir nous effleure parce que nous n'en pouvons plus, tiens-toi auprès de nous. Assieds-toi sur nos trottoirs désolés. Redis-nous des paroles d'espérance.

    Alors, réconfortés par ton souffle, nous t'invoquerons par la prière la plus ancienne qui ait jamais été écrite en ton honneur : " Nous nous réfugions sous ta protection, Sainte Mère de Dieu ; ne méprise pas les supplications que nous t'adressons dans l'épreuve ; mais délivre-nous sans cesse de tout péril, ô Vierge comblée de gloire et de bénédictions."

     

  • Marie, femme du premier pas

    Texte extrait du livre de Tonino Bello : " Marie, femme de nos jours " édité par Médiaspaul 1998 (ISBN 2-7122-0688-6). Mgr Tonino Bello (1935-1993), évêque de Molfetta, dans les Pouilles, fut président du Mouvement Pax Christi d'Italie.

     

    39 Il me faut le demander aux spécialistes. Je ne peux pas comprendre, en effet, pourquoi ce mot qui me semble dans le texte grec si rempli d'allusions, n'est pas passé dans les traductions. Je m'explique.

    Au premier chapitre de son Évangile, Luc dit que, lorsque l'ange fut parti de Nazareth, Marie partit en hâte vers la montagne pour se rendre dans une ville de Juda (Lc 1,39). Dans le texte original, après le mot Marie il y a un participe : anastasa. Cela signifie à la lettre " s'étant levée ". Cela pourrait être une locution stéréotypée, c'est-à-dire un de ces nombreux termes qui reviennent si souvent et qui, dans nos discours, servent de transition entre un récit et un autre. S'il en était ainsi, étant donné son manque de sens, son omission dans les traductions serait pleinement justifiée.

    Mais la parole anastasa, à bien l'examiner, a la même racine que le substantif anastasis, mot classique qui indique l'événement central de notre foi, à savoir la résurrection du Seigneur. Si bien qu'on pourrait tranquillement la traduire par " ressuscitée ".

    Et, tenant compte alors du fait que Luc relit l'enfance de Jésus à la lumière des événements de Pâques, est-il hors de propos de supposer que le mot anastasa soit plus qu'un stéréotype inexpressif ? Est-il trop risqué de penser que cela veut être une allusion à Marie comme symbole de l’Église " ressuscitée ", partant en hâte porter la bonne nouvelle au monde ? Est-ce trop d'affirmer que ce mot contient la tâche missionnaire de l’Église qui, après la résurrection 40 du Seigneur, a le devoir de porter dans son sein Jésus Christ afin de l'offrir aux autres, comme le fit justement Marie avec Élisabeth ?

    Là, je me risque.

    Une conclusion me semble de toute façon évidente : même si le mot anastasa n'a pas l'ampleur théologique dont j'ai parlé, il souligne toutefois au moins une chose, la détermination de Marie.

    C'est elle qui décide de se déplacer la première : elle n'est sollicitée par personne. C'est elle qui s'invente ce voyage : elle ne reçoit de conseils de personne. C'est elle qui décide de faire le premier pas : elle n'attend pas que les autres prennent l'initiative.

    Des allusions si discrètes de l'ange, elle a conclu que sa cousine devait se trouver dans de sérieuses difficultés.

    Aussi, sans différer la chose et sans se demander si c'était à elle de décider ou non, elle a fait ses bagages et est partie à travers les montagnes de Judée. " En hâte " de surcroît. Ou, selon une traduction : " avec préoccupation ".

    IL y a tous les éléments pour lire, à travers ces rapides échappées verbales, le caractère entreprenant de Marie. Mais sans déranger. Caractère confirmé d'ailleurs au moment des noces de Cana, quand, après s'être rendue compte de l'embarras des époux, et sans en avoir été priée par eux, elle joua le premier coup et fit échec et mat au roi. 

    Dante Alighieri avait bien raison d'affirmer que la bonté de la Vierge ne secourt pas seulement celui qui se tourne vers elle, mais que " souvent elle prévient les désirs avec libéralité ". 

     

    Sainte Marie, femme du premier pas, ministre très douce de la grâce prévenante de Dieu, " lève-toi " encore une fois en toute hâte, et viens nous aider avant qu'il ne soit trop tard. Nous avons besoin de toi. N'attends pas nos supplications. Préviens chacun de nos gémissements de pitié. (...)

    Quand le péché nous entraîne et paralyse notre vie, n'attends pas notre repentir. Préviens notre appel au secours. Cours tout de suite auprès de nous et organise l' espérance autour de nos défaites. Si tu ne vas pas plus vite que nous, nous serons incapables même de remords. Si tu ne prends pas l'initiative, nous resterons dans la boue. Et, si ce n'est pas toi qui creuses dans notre cœur des citernes de nostalgie, nous ne sentirons même plus le besoin de Dieu.

    Sainte Marie, femme du premier pas, qui sait combien de fois, dans ta vie terrestre, tu auras étonné les gens pour avoir toujours devancé les autres aux rendez-vous du pardon. Qui sait avec quelle sollicitude, après avoir reçu un affront de ta voisine d'en face, tu t'es " levée " la première et tu as frappé à sa porte, en la libérant de l'embarras, sans refuser son étreinte ? Qui sait avec quelle tendresse, dans la nuit de la trahison, tu t'es " levée " pour recueillir dans ton manteau les larmes amères de Pierre ? Qui sait avec quel battement de cœur, tu es sortie de la maison pour détourner Judas du chemin du suicide ? Quel dommage que tu ne l'aies pas trouvé. Mais on peut gager qu'après avoir déposé Jésus, tu sois allée le descendre de l'arbre lui aussi et que tu lui aies placé les membres dans la paix de la mort. 

    42 Donne-nous, nous t'en prions, la force de nous mettre en route les premiers chaque fois qu'il faut pardonner. Empêche-nous de renvoyer à demain une rencontre de paix que nous pouvons conclure aujourd'hui. Brûle nos indécisions. Détourne-nous de nos perplexités calculées. Libère-nous de la tristesse de notre attentisme épuisant. Et aide-nous afin qu'aucun de nous ne laisse son frère sur les charbons ardents en répétant avec mépris : " C'est à lui de bouger le premier !" 

    Sainte Marie, femme du premier pas, experte comme aucune autre de la méthode préventive, habile à donner la réplique avant tout le monde, très rapide à jouer d'avance dans les matchs du Salut, joue aussi par avance sur le cœur de Dieu.

    Afin que, lorsque nous frapperons à la porte du ciel et paraîtrons devant l’Éternel, tu préviennes sa sentence. " Lève-toi " pour la dernière fois de ton trône de gloire et viens à notre rencontre. Prends-nous par la main et couvre-nous de ton manteau. Avec un éclair de miséricorde dans les yeux, préviens son verdict de grâce. Ainsi nous serons sûrs du pardon. 

    (...)

     

  • Marie, femme accueillante

    Texte extrait du livre de Tonino Bello : " Marie, femme de nos jours " édité par Médiaspaul 1998 (ISBN 2-7122-0688-6). Mgr Tonino Bello (1935-1993), évêque de Molfetta, dans les Pouilles, fut président du Mouvement Pax Christi d'Italie.

     

    35 Cette phrase, que l'on trouve dans un texte du concile, est magnifique par sa doctrine et sa concision. Elle dit qu'à l'annonce de l'ange, la Vierge Marie " accueillit dans son cœur et dans son corps le Verbe de Dieu ". 

    Dans son cœur et dans son corps.

    Elle fut donc disciple et mère du Verbe. Disciple, parce qu'elle se mit à l'écoute de la Parole et la conserva pour toujours dans son cœur. Mère, parce qu'elle offrit son sein à la Parole et qu'elle la garda pendant neuf mois dans l'écrin de son corps. Saint Augustin ose dire que Marie fut plus grande pour avoir accueilli la Parole dans son cœur que pour l'avoir accueilli dans son sein.

    Pour comprendre jusqu'au fond la beauté de cette vérité, les mots ne suffisent peut-être pas. Il faut recourir aux expressions visuelles. Le mieux est de remonter à une célèbre icône orientale représentant Marie, avec son divin Fils Jésus dessiné sur sa poitrine. Cette icône est appelée Vierge du signe, mais on pourrait l'appeler " Vierge de l'accueil " car, avec ses avant-bras levés vers le haut, dans l'attitude de celle qui s'offre ou qui se rend, elle apparaît comme le signe vivant de l'hospitalité la plus gratuite.

    Elle l'accueillit dans son cœur.

    C'est-à-dire qu'elle fit place, dans ses pensées, aux pensées de Dieu ; mais elle ne se sentit pas pour autant réduite au silence. Elle offrit volontiers le terrain vierge de son esprit à la germination du Verbe ; 36 mais elle ne s'estima expropriée en rien. Elle lui céda avec joie le sol le plus inviolable de sa vie intérieure ; mais sans avoir à réduire les espaces de sa liberté. Elle donna une demeure stable au Seigneur dans les lieux les plus secrets de son âme ; mais elle ne sentit pas sa présence comme une violation de domicile.

    Elle l'accueillit dans son corps.

    C'est-à-dire qu'elle sentit le poids physique d'un autre être qui prenait demeure dans son sein de mère. Elle adapta donc ses rythmes à ceux de son hôte. Elle changea ses habitudes en fonction d'une tâche qui ne lui facilitait certainement pas la vie. Elle consacra ses jours à la gestation d'une créature qui ne lui épargnerait ni préoccupations ni soucis. Et, puisque le fruit béni de ses entrailles était le Verbe de Dieu qui s'incarnait pour le salut de l'humanité, elle comprit qu'elle avait contracté "une dette d'accueil " envers tous les fils d'Eve, qu'elle aurait à payer de ses larmes. 

    Elle accueillit dans son cœur et dans son corps le Verbe de Dieu.

    Cette hospitalité fondamentale en dit long sur la façon d'être de Marie. Ses mille autres accueils, dont l’Évangile ne parle pas, nous pouvons les deviner facilement. Personne ne fut jamais repoussé par elle. Tous trouvèrent refuge sous son ombre. De ses voisines à ses anciennes compagnes de Nazareth. Des pauvres du quartier aux voyageurs de passage. De Pierre, en larmes après sa trahison à Judas, qui n'a peut-être pas réussi, cette nuit-là, à la trouver chez elle...

     

    37 Sainte Marie, femme accueillante, aide-nous à accueillir la Parole dans l'intimité de notre cœur. C'est-à-dire à comprendre, comme tu as su le faire, les irruptions de Dieu. Il ne frappe pas à notre porte pour nous sommer de déménager mais pour remplir de lumière notre solitude. Il n'entre pas dans notre maison pour nous passer les menottes, mais pour nous rendre le goût de la vraie liberté. 

    Nous le savons, c'est la peur du nouveau qui nous rend souvent inhospitaliers envers le Seigneur qui vient. Les changements nous dérangent. Et, comme il bouleverse toujours nos pensées, remet en question nos programmes et met en crise nos certitudes, chaque fois que nous entendons ses pas, nous évitons de le rencontrer, en nous cachant derrière une haie, comme Adam parmi les arbres de l’Éden. Fais-nous comprendre que, si Dieu dérange nos projets, il ne gâche pas notre fête. S'il trouble notre sommeil, il ne nous ôte pas la paix. Et, une fois que nous l'aurons accueilli dans notre cœur, notre corps aussi  brillera de sa lumière. 

    Sainte Marie femme accueillante, rends-nous capable de gestes d'hospitalité envers nos frères. (...) 38 Dissipe, nous t'en prions, nos défiances. Fais nous sortir de la tranchée de nos égoïsmes corporatifs. Romps les ceintures de nos coalitions. Relâche nos fermetures hermétiques envers qui est différent de nous. Abats nos frontières : les frontières culturelles avant les frontières géographiques. Ces dernières cèdent désormais sous le choc des " autres peuples ", mais les premières restent imperméables. Puisque nous sommes contraints à accueillir les étrangers à l'intérieur de notre terre, aide-nous à les accueillir aussi au cœur de notre civilisation.  (...)

     

     

     

     

     

     

  • Marie, femme de l'attente

    Texte extrait du livre de Tonino Bello : " Marie, femme de nos jours " édité par Médiaspaul 1998 (ISBN 2-7122-0688-6). Mgr Tonino Bello (1935-1993), évêque de Molfetta, dans les Pouilles, fut président du Mouvement Pax Christi d'Italie.

     

    23 La véritable tristesse, ce n'est pas que le soir, en rentrant chez toi, tu ne sois attendu par personne. Mais c'est lorsque tu n'attends plus rien de la vie. Et la solitude la plus sombre, ce n'est pas lorsque tu trouves ton foyer éteint, mais c'est quand tu n'as plus envie de l'allumer, même pour un éventuel hôte de passage.

    Bref, quand tu penses que pour toi la musique est finie. Que désormais les jeux sont faits. Qu'aucune âme vivante ne viendra frapper à ta porte. Qu'il n'y aura plus ni sursaut de joie, ni tressaillement de stupeur. Pas même  un frémissement de douleur pour une tragédie humaine, puisqu'il ne te reste plus personne pour qui tu t'inquiètes.

    La vie, alors, s'écoule insipide vers un épilogue qui n'arrive jamais, comme une bande magnétique qui a fini trop tôt sa chanson, et qui se déroule interminablement, en silence, jusqu'à son extrémité.

    Attendre... ou bien expérimenter le goût de vivre.

    On a souvent dit que la sainteté d'une personne se mesurait à l'épaisseur de ses attentes. Peut-être est-ce vrai ?

    Si c'est ainsi, il faut en conclure que Marie est la plus sainte des créatures, justement parce que sa vie apparaît scandée par les rythmes joyeux de l'attente.

    Déjà le pinceau de Luc l'identifie avec une marque initiale chargée d'attente : accordée en mariage à un homme de la maison de David (Lc 1,27). C'est-à-dire : fiancée.

    24 Il n'échappe à personne quelle moisson d'espérances et de battements de cœur suggère ce mot, que chaque femme expérimente comme un prélude à de mystérieuses tendresses.

    Avant même que son nom ne soit prononcé dans l’Évangile, on dit de  Marie qu'elle était fiancée. Vierge dans l'attente. Dans l'attente de Joseph. A l'écoute du bruissement de ses sandales quand le soir descend, lorsque, sentant le bois et le vernis, il allait venir lui parler de ses rêves.

    Mais jusque dans la dernière image avec laquelle Marie prend congé des Écritures, elle est saisie par l'objectif dans une attitude d'attente.

    Là, dans le Cénacle, à l'étage supérieur, en compagnie des disciples, dans l'attente de l'Esprit. Écoutant le bruit de son aile, au point du jour, quand parfumé d'onctions et de sainteté, il allait descendre sur l’Église pour lui indiquer sa mission de salut.

    Vierge en attente, au début.

    Mère en attente, à la fin.

    Et, dans la voute soutenue par ces deux états, l'un si humain et l'autre si divin, il y a cent autres attentes brûlantes.

    L'attente de Lui, pendant neuf mois si longs. L'attente d'accomplissements légaux qu'elle a fêtés entre les restrictions imposées par sa pauvreté et les réjouissances partagées avec sa parenté. L'attente du jour, le seul qu'elle aurait voulu repousser à jamais, le jour où son fils quitterait la maison pour ne plus y revenir. L'attente de l'Heure : la seule pour laquelle elle ne pouvait freiner son impatience, et dont elle aurait voulu faire déborder immédiatement, le poids de la grâce sur la table des hommes. L'attente du dernier râle de son fils unique cloué sur  25 le bois. L'attente du troisième jour, vécu en veille solitaire, devant le rocher.

    Attendre, c'est l'infini du verbe aimer. Dans le vocabulaire de Marie, c'est plutôt aimer à l'infini.

     

    Sainte Marie, Vierge de l'attente, donne-nous de ton huile, parce que nos lampes s'éteignent. Vois : nos réserves se sont consumées. Ne nous envoie pas chez d'autres marchands. Allume à nouveau dans nos âmes les anciennes ardeurs qui nous brûlaient de l'intérieur, quand il suffisait d'un rien pour nous faire tressaillir de joie : l'arrivée d'un ami lointain, le rouge du soir après l'orage, le crépitement de la bûche qui en hiver surveillait les retours à la maison, le son des cloches carillonnant les jours de fête, l'arrivée des hirondelles au printemps, l'odeur âcre qui sortait des pressoirs à huile, les chants d'automne qui montaient des moulins l'arrondi tendre et mystérieux du ventre maternel, le parfum de lavande qui faisait irruption quand on préparait un berceau. 

    Si aujourd'hui nous ne savons plus attendre, c'est parce que nous sommes à court d’espérance. Ses sources se sont asséchées. Nous souffrons d'une crise profonde du désir. Et, désormais satisfaits des mille succédanés qui nous assaillent, nous risquons de ne plus rien attendre, pas même de ces promesses surnaturelles qui ont été signées avec le sang du Dieu de l'Alliance.

    Sainte Marie, femme de l'attente, soulage la douleur des mères souffrant pour leurs fils qui, sortis un jour de la maison, n'y sont jamais revenus, tués dans un accident ou séduits par les appels de la jungle ; dispersés par la fureur de la guerre ou aspirés par le tourbillon des passions ; engloutis par la 26 fureur de l'océan ou bouleversés par les tempêtes de la vie.  (...)

    Sainte Marie, Vierge de l'attente, donne-nous une âme de veilleur.

    (...)

    Fait-nous comprendre qu'il ne suffit pas d'accueillir : il faut attendre. Accueillir est parfois un signe de résignation. Attendre est toujours un signe d’espérance. Rends-nous pour cela ministres de l'attente. Quand le Seigneur viendra, ô Vierge de l' Attente, qu'il nous surprenne, grâce à ta complicité maternelle, la lampe à la main.  

     

  • Marie, femme de tous les jours

    Texte extrait du livre de Tonino Bello : " Marie, femme de nos jours " édité par Médiaspaul 1998 (ISBN 2-7122-0688-6). Mgr Tonino Bello (1935-1993), évêque de Molfetta, dans les Pouilles, fut président du Mouvement Pax Christi d'Italie.

     

    16 Qui sait combien de fois je l'ai lue, sans éprouver d'émotion. L'autre soir toutefois, cette phrase du concile, citée sous une image de la Vierge, m'apparut si audacieuse que je suis allé à la source pour en vérifier l'authenticité.

    C'est en effet au quatrième paragraphe du Décret sur l'apostolat des laïcs, qu'il est écrit textuellement : " Marie menait sur la terre une vie semblable à celle de tous, remplie par les soins et les labeurs familiaux."

    " Marie vivait sur la terre ", non dans les nuages. Ses pensées n'étaient pas éthérées. Ses gestes portaient la marque du concret.

    Même si Dieu l'appelait souvent à la contemplation, elle ne se sentait pas dispensée de la fatigue d'avoir les pieds sur terre.

    Loin des abstractions des visionnaires, loin des évasions des mécontents ou des échappatoires des illusionnistes, elle tenait obstinément sa maison dans le terrible quotidien.

    Mais il y a plus encore. " Elle vivait une vie semblable à celle de tous." C'est-à-dire semblable à la vie de sa voisine. Elle buvait l'eau même du puits. Elle pilait le grain dans le même mortier. Elle s'asseyait à la fraîcheur de la même cour. Elle aussi rentrait fatiguée, le soir, après avoir glané dans les champs.

    A elle aussi, on a dit un jour : " Marie, tu commences à avoir des cheveux blancs." Elle s'est alors 17 regardée dans la fontaine et a éprouvé, elle aussi, un sentiment de vive nostalgie, comme toutes les femmes du monde, quand elles s'aperçoivent que la jeunesse vient à se faner.

    Mais on n'a pas fini d'être surpris, car apprendre que la vie de Marie fut, comme la nôtre, " remplie par les soins et les labeurs familiaux ", nous la rend si participante des fatigues humaines que cela nous fait entrevoir que notre pénible quotidien n'est peut-être pas aussi banal que nous le pensions.

    Oui, elle aussi a eu ses problèmes : de santé, d'argent, de relation, d'adaptation.

    Qui sait combien de fois elle est rentrée du lavoir avec un mal de tête ou perdue dans ses pensées parce que, depuis plusieurs jours, Joseph voyait les clients se faire plus rares à l'atelier.

    Qui sait à combien de portes elle a frappé en demandant quelques journées de travail pour son Jésus à la saison des olives.

    Qui sait combien de fois, en plein midi, elle s'est évertuée à retourner et à tailler dans la pelisse déjà usée de Joseph un manteau pour son fils afin qu'il ne fasse pas trop mauvaise figure au milieu de ses camarades de Nazareth.

    Comme toutes les épouses, elle aura eu des moments de crise avec son mari dont, taciturne comme il l'était, elle ne comprenait pas toujours les silences.

    (...)

    Comme toutes les femmes, elle aura souffert de l'incompréhension, même de la part de ses deux plus 18 grands amours sur la terre. Elle aura craint de les décevoir. Ou de ne pas être à la hauteur de son rôle.

    Et, après avoir épanché dans les larmes la peine d'une solitude immense, elle aura finalement trouvé dans la prière, faite en commun, le bonheur d'une communion située bien au-delà de la nature humaine.

    Sainte Marie, femme de tous les jours, tu es peut-être la seule à pouvoir comprendre que notre folie de te ramener dans les limites de notre expérience terre à terre n'est pas un signe de désacralisation.

    Si nous osons, pour un instant, enlever ton auréole, c'est parce que nous voulons voir combien tu es belle la tête découverte.

    Si nous éteignons les projecteurs dirigés sur toi, c'est qu'il nous semble ainsi pouvoir mieux mesurer la toute-puissance de Dieu qui, derrière les ombres de ta chair, a caché les sources de la lumière.

    Nous savons bien que tu as été destinée à naviguer en haute mer. Mais, si nous te contraignons à voguer près de la côte, ce n'est pas pour te réduire à pratiquer notre petit cabotage. C'est  pour que, en te voyant si proche des plages de notre découragement, nous puissions prendre conscience que nous sommes appelés aussi à nous aventurer sur les océans de la liberté.

    Sainte Marie, femme de tous les jours, aide-nous à comprendre que le chapitre le plus fécond de la théologie n'est pas celui qui te place au centre de la Bible ou de la patristique, de la spiritualité ou de la liturgie, des dogmes ou de l'art. Mais c'est celui qui te place à l'intérieur de la maison de Nazareth. Là 19 où, parmi les marmites et les métiers à tisser, au milieu des larmes et des prières, entre les pelotes de laine et les rouleaux de l’Écriture, tu as expérimenté dans la profondeur de ta féminité toute simple, des joies sans malice, des amertumes sans désespoirs, des départs sans retours. 

    Sainte Marie, femme de tous les jours, libère-nous des nostalgies de l'épopée et apprends-nous à considérer la vie quotidienne comme le chantier où se construit l'histoire du Salut.

    Libère-nous de nos peurs pour que nous puissions expérimenter comme toi, l'abandon à la volonté de Dieu, dans la monotonie du temps et dans la lente agonie des heures qui passent.

    Et reviens marcher discrètement à nos côtés, ô créature extraordinaire, amoureuse des choses ordinaires, toi qui, avant d'être couronnée Reine du Ciel, as avalé la poussière de notre pauvre terre.