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succédanés

  • Marie, femme de l'attente

    Texte extrait du livre de Tonino Bello : " Marie, femme de nos jours " édité par Médiaspaul 1998 (ISBN 2-7122-0688-6). Mgr Tonino Bello (1935-1993), évêque de Molfetta, dans les Pouilles, fut président du Mouvement Pax Christi d'Italie.

     

    23 La véritable tristesse, ce n'est pas que le soir, en rentrant chez toi, tu ne sois attendu par personne. Mais c'est lorsque tu n'attends plus rien de la vie. Et la solitude la plus sombre, ce n'est pas lorsque tu trouves ton foyer éteint, mais c'est quand tu n'as plus envie de l'allumer, même pour un éventuel hôte de passage.

    Bref, quand tu penses que pour toi la musique est finie. Que désormais les jeux sont faits. Qu'aucune âme vivante ne viendra frapper à ta porte. Qu'il n'y aura plus ni sursaut de joie, ni tressaillement de stupeur. Pas même  un frémissement de douleur pour une tragédie humaine, puisqu'il ne te reste plus personne pour qui tu t'inquiètes.

    La vie, alors, s'écoule insipide vers un épilogue qui n'arrive jamais, comme une bande magnétique qui a fini trop tôt sa chanson, et qui se déroule interminablement, en silence, jusqu'à son extrémité.

    Attendre... ou bien expérimenter le goût de vivre.

    On a souvent dit que la sainteté d'une personne se mesurait à l'épaisseur de ses attentes. Peut-être est-ce vrai ?

    Si c'est ainsi, il faut en conclure que Marie est la plus sainte des créatures, justement parce que sa vie apparaît scandée par les rythmes joyeux de l'attente.

    Déjà le pinceau de Luc l'identifie avec une marque initiale chargée d'attente : accordée en mariage à un homme de la maison de David (Lc 1,27). C'est-à-dire : fiancée.

    24 Il n'échappe à personne quelle moisson d'espérances et de battements de cœur suggère ce mot, que chaque femme expérimente comme un prélude à de mystérieuses tendresses.

    Avant même que son nom ne soit prononcé dans l’Évangile, on dit de  Marie qu'elle était fiancée. Vierge dans l'attente. Dans l'attente de Joseph. A l'écoute du bruissement de ses sandales quand le soir descend, lorsque, sentant le bois et le vernis, il allait venir lui parler de ses rêves.

    Mais jusque dans la dernière image avec laquelle Marie prend congé des Écritures, elle est saisie par l'objectif dans une attitude d'attente.

    Là, dans le Cénacle, à l'étage supérieur, en compagnie des disciples, dans l'attente de l'Esprit. Écoutant le bruit de son aile, au point du jour, quand parfumé d'onctions et de sainteté, il allait descendre sur l’Église pour lui indiquer sa mission de salut.

    Vierge en attente, au début.

    Mère en attente, à la fin.

    Et, dans la voute soutenue par ces deux états, l'un si humain et l'autre si divin, il y a cent autres attentes brûlantes.

    L'attente de Lui, pendant neuf mois si longs. L'attente d'accomplissements légaux qu'elle a fêtés entre les restrictions imposées par sa pauvreté et les réjouissances partagées avec sa parenté. L'attente du jour, le seul qu'elle aurait voulu repousser à jamais, le jour où son fils quitterait la maison pour ne plus y revenir. L'attente de l'Heure : la seule pour laquelle elle ne pouvait freiner son impatience, et dont elle aurait voulu faire déborder immédiatement, le poids de la grâce sur la table des hommes. L'attente du dernier râle de son fils unique cloué sur  25 le bois. L'attente du troisième jour, vécu en veille solitaire, devant le rocher.

    Attendre, c'est l'infini du verbe aimer. Dans le vocabulaire de Marie, c'est plutôt aimer à l'infini.

     

    Sainte Marie, Vierge de l'attente, donne-nous de ton huile, parce que nos lampes s'éteignent. Vois : nos réserves se sont consumées. Ne nous envoie pas chez d'autres marchands. Allume à nouveau dans nos âmes les anciennes ardeurs qui nous brûlaient de l'intérieur, quand il suffisait d'un rien pour nous faire tressaillir de joie : l'arrivée d'un ami lointain, le rouge du soir après l'orage, le crépitement de la bûche qui en hiver surveillait les retours à la maison, le son des cloches carillonnant les jours de fête, l'arrivée des hirondelles au printemps, l'odeur âcre qui sortait des pressoirs à huile, les chants d'automne qui montaient des moulins l'arrondi tendre et mystérieux du ventre maternel, le parfum de lavande qui faisait irruption quand on préparait un berceau. 

    Si aujourd'hui nous ne savons plus attendre, c'est parce que nous sommes à court d’espérance. Ses sources se sont asséchées. Nous souffrons d'une crise profonde du désir. Et, désormais satisfaits des mille succédanés qui nous assaillent, nous risquons de ne plus rien attendre, pas même de ces promesses surnaturelles qui ont été signées avec le sang du Dieu de l'Alliance.

    Sainte Marie, femme de l'attente, soulage la douleur des mères souffrant pour leurs fils qui, sortis un jour de la maison, n'y sont jamais revenus, tués dans un accident ou séduits par les appels de la jungle ; dispersés par la fureur de la guerre ou aspirés par le tourbillon des passions ; engloutis par la 26 fureur de l'océan ou bouleversés par les tempêtes de la vie.  (...)

    Sainte Marie, Vierge de l'attente, donne-nous une âme de veilleur.

    (...)

    Fait-nous comprendre qu'il ne suffit pas d'accueillir : il faut attendre. Accueillir est parfois un signe de résignation. Attendre est toujours un signe d’espérance. Rends-nous pour cela ministres de l'attente. Quand le Seigneur viendra, ô Vierge de l' Attente, qu'il nous surprenne, grâce à ta complicité maternelle, la lampe à la main.