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prier

  • Préliminaires à la prière - 05

    * Croire intensément que Dieu est là

     

    Avant de parler à Dieu ou de l'écouter, il faut être convaincu de son existence. Conviction non pas cérébrale et comme extérieure à nous-mêmes, mais conviction vécue, actuelle, saisissant l'être tout entier et le courbant  en présence de son Créateur et Seigneur.

    Plus concrètement encore, il faut se persuader qu'un regard attentif et pénétrant nous enserre, le Regard du Dieu  vivant : Dieu est là près de moi, en moi, qui me regarde et qui m'appelle. Je le crois, j'en suis  sûr. Toute la pédagogie de Dieu dans l’Écriture n'a-t-elle pas consisté à convaincre Israël qu'il était un peuple passionnément regardé par son unique Pasteur ? Dès que s'ouvre la geste des Patriarches, dès qu'apparaissent les premiers  "chevaliers de la foi", Abraham, Isaac, Jacob, le Seigneur inaugurera magistralement sa leçon. Il s'agit de convaincre ces "primitifs" que le Très-Haut est un Dieu proche. A l'ombre d'un chêne, auprès d'une source, autour d'une pierre rayonne la Présence Glorieuse . Peu à peu ces nomades du désert, si peu friands d'aventures spirituelles apprennent en quelle proximité insoupçonnée se déroule leur banale existence.

    Le mot d'ordre donné à Abraham rappelle la densité de cette découverte : " Je suis El-Chaddaï (le Dieu des montagnes) marche en ma présence et sois parfait" (Gn 17,1). Plus tard, Jacob, au terme d'un songe révélateur, s'écriera : "En vérité, Dieu est en ce lieu  et je ne le savais pas" (Gn 28,16).

    En pratique, plusieurs moyens s'offriront pour nous saisir fortement de cette divine Présence. C'est la suggestion proposée par saint Ignace :

    Avant d'entrer en oraison (en prière), "J'élèverai ma pensée vers le ciel, considérant comment Dieu Notre-Seigneur me regarde" (Ex n° 75). Ma prière ne s'identifie en rien avec une considération philosophique ou morale. Elle ne s'apparente pas à une rêverie où je n'aurai qu'à me laisser aller au fil de l'eau. Je suis sous le regard de Quelqu'un, de Quelqu'un qui, en toute vérité, me voit. Là encore, ne sommes-nous pas instruits par l'expérience des hommes de la Bible ? Lorsque sur la montagne, Dieu rend à Abraham son fils Isaac, le père des croyants s'écrie : "Sur la montagne, Dieu pourvoit" ou selon le grec : "Dieu voit" (Gn 22,14). En d'autres endroits, notamment dans les Psaumes, il est sans cesse parlé "des paupières, des prunelles du Seigneur". Anthropomorphisme certes, mais combien suggestif ! Où que nous soyons, où que nous allions, un regard nous cherche, nous investit, nous scrute. Heureux qui consent à se laisser  regarder ! A son tour, il deviendra un "voyant" selon l'appellation que l’Écriture décerne aux anciens prophètes. Il saura traverser l'épaisseur des choses  et s'enhardir jusqu’à la pleine lumière, où Dieu habite. 

    Pratiquement, pour nous imprégner de cette certitude, peut-être sera t-il bon de nous répéter quelques uns des versets du psaume 129 : " Seigneur, tu me sondes et me connais - tu perces de loin mes pensées." Ou bien creuser cette magnifique interpellation : " Tu es le Seigneur, le Dieu qui contemple les siècles" (Eccl 36,17. trad Vulgate)

     

                        A suivre...

     

    Pierre Lauzeral - Préliminaires à la prière

  • Préliminaires à la prière - 04

    Les trois conditions requises pour prier - première condition

     

    Pour entrer en prière (en oraison), trois conditions sont requises :

    - se placer sous le regard de Dieu, (sous le regard de Dieu)

    - purifier son cœur, (la purification du cœur)

    - invoquer l'Esprit Saint. (l'invocation du Saint-Esprit)

     

    Ces trois moments introduisent à l'oraison. Ils peuvent être plus ou moins longs, plus ou moins forts, mais, sauf grâce spirituelle de dieu, ils en constituent comme le seuil, et nul ne pourra aisément entrer en prière s'il ne l'a franchi.

     

    Sous le regard de Dieu

    Pourquoi la plupart de nos prières sont-elles molles, ravagées de distractions, incapables d'émouvoir en profondeur les racines de l'âme ou de nous nourrir ? Reconnaissons-le sans ambages : souvent, trop souvent, nous avons omis de nous placer sous le regard du Seigneur. Aussi, semble-t-il utile de dérouler au ralenti les diverses phases de cette mise en présence de Dieu.

    * Se calmer

    On ne s'engouffre pas dans la prière. C'est folie de l'ignorer. La prière est avant tout exercice de foi et de foi vive. Comme Moïse, il faut  "voir l'Invisible" (Heb 11,21), le toucher, l'habiter, y établir sa demeure. Or, nous voici aux prises avec des réalités très visibles, contraignantes ou attirantes : nos affaires, nos soucis, nos passions, les provocations ou le divertissement de l'ambiance. Force nous est de nous arracher énergiquement à ce décor, à ces personnages, à nous-mêmes, de créer une zone de vide et de silence autour de nous et en nous, première étape de notre marche vers le Seigneur.

    Prier, en outre constitue une activité très sérieuse. C'est au Maître des mondes que je vais parler. Je deviens, éphémère et banal, celui qui tutoie Dieu ! Devant Lui, terre et ciel se taisent. Toute la Bible tonne sa grandeur et les prophètes qui le rencontrèrent tremblent au souvenir de ces rendez-vous peu rassurants. Je n'irai jamais aussi loin que ces familiers du Très-Haut. Combien plus, à leur exemple, dois-je prendre de précautions pour affronter cette Présence !

    La tradition de l’Église ne l'a pas oublié qui, depuis longtemps, introduit ses prêtres  et ses moines à l'Adoration par un psaume appelé "Invitatoire" : "Venez adorons le Seigneur" (Ps 94,6). Tandis qu'il est comme graduellement conduit vers le Seigneur de toute majesté , l'homme peut s'apaiser "et, reins ceints, lampe allumée" (Lc 12,35), sortir au-devant du Maître en attente."

    Concrètement pour faire oraison, il conviendra  de rechercher un lieu calme, un silence extérieur favorisant la détente nerveuse et la délivrance des pensées étrangères. Chacun doit, selon ses possibilités, appliquer le conseil du Seigneur : "Pour toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre  et prie ton Père" (Mt 6,6). En fait, plus ce "secret" l'environnera, plus notre prière  se placera sous le regard du Père. 

    Pourquoi ne pas insister encore sur la création d'une atmosphère de recueillement comme  le suggère saint Ignace : les volets clos, un rideau tiré, une table nette, la Bible ouverte , voilà qui favorise l'entrée en oraison. 

    Enfin, pourquoi ne pas inviter celui qui va prier  à se détendre physiquement : respirer lentement, au besoin, s'étendre quelques secondes délasse le corps et laisse l'âme comme délivrée. Si l'on vient d'entendre les points d'oraison et que la tête  soit lourde, une rapide promenade, un oubli momentané de tout, facilite le début de la méditation ou de la contemplation. 

    Quant aux distractions légères  qui affleurent l'imagination, il ne faut pas s'en préoccuper, mais les laisser couler comme l'eau.

    Bref, si j'ai créé des conditions favorables de recueillement, il est bien assuré que troubles et énervements intérieurs se décanteront plus aisément.

                                                                        A suivre....

     

    Pierre Lauzeral - Préliminaires à la prière

     

      prochain post :  Se placer sous le regard de Dieu : croire intensément que Dieu est là.

     

  • Le quart d'heure de prière (3)

    La spiritualité chrétienne est tellement différente de la spiritualité stoïcienne, par exemple ! Certaines personnes (mais elles sont rares) pourront réserver chaque jour un petit quart d'heure pour un exament de conscience, uniquement d'un point de vue moral. Le petit quart d'heure dont je vous parle se place à un point de vue très différent : c'est très bien de venir chaque jour en face de soi, mais si c'est pour constater  chaque jour qu'on est rempli de défauts et d'infidélités, si c'est pour sentir chaque jour qu'on est incapable de suivre le règlement qu'on s'est soi-même donné, c'est très décourageant !

    Au contraire, la parabole des ouvriers de la onzième heure est tellement réconfortante : nous sentons bien que nous avons raté toute notre journée, nous sentons que nous n'avons rien fait de ce que Dieu voulait, mais nous croyons que dans cet humble quart d'heure de prière, Dieu peut tout rattraper par sa miséricorde.

    Ou encore mieux, nous pensons au bon larron, et à la fin de notre misérable journée, à la mort de cette journée, nous pouvons toujours dire : " Mon Dieu, aie pitié de moi !" Cette journée alors peut être la meilleure, parce que Dieu peut nous donner une grâce qui répare tout ce que nous avons pu faire de mal, et nous rendre plus humbles que si tout avait été bien à nos yeux.

    Cet acte de foi nous empêche par là-même de tomber dans un des dangers les plus forts actuellement : le dégoût de soi-même, et le découragement. Ce petit quart d'heure de prière concilie tout à fait le sentiment d'être un pauvre pécheur et la certitude que notre personne, dans ce qu'elle a de plus profond, de plus secret, est connue et aimée de Dieu.

                                                                                    A suivre au prochain post...

    Père Thomas Philippe - Le Quart d'heure de prière - St Paul Editions religieuses

  • Le quart d'heure de prière (2)

    Suite du post du 13 mars 2011

     

    Le "moi" et notre vraie personne

    Un des pauvres lots de notre nature humaine, c'est de sentir toujours notre moi. Nous ne savons pas comment il s'est constitué, mais dès que nous réfléchissons un tout petit peu, nous n'avons aucune difficulté à découvrir qu'il y a en nous un énorme moi égoïste, un moi égocentrique, jouisseur, vaniteux, dominateur, un moi qui veut toujours tout ramener à lui...

    Et dès que nous cherchons un peu à aimer Jésus, nous souffrons terriblement de ce moi. C'est lui le grand obstacle à la vie intérieure, bien plus que toutes les conditions extérieures dans lesquelles nous pouvons nous trouver. Socrate déjà le disait : " convertis-toi toi-même !"

    Avant que le bon Dieu nous ait touchés, nous étions peut-être beaucoup moins tiraillés par ce moi... Notre moi nous faisait souffrir uniquement par les désagréments sociaux qu'il pouvait  nous attirer. Mais dès que l'Esprit Saint se donne un peu à nous, nous souffrons de notre moi, et cela prouve que nous n'y sommes déjà plus attachés. 

    L'amour de Jésus nous découvre ce moi, et nous donne le désir qu'il meure, pour que naisse notre vraie personne d'enfant de Dieu. Or c'est la prière, et la prière uniquement, qui peut former notre vraie personne, profondément. 

    La prière, en effet, repose sur cette foi que la grâce de Dieu est enfouie au plus profond de nous-mêmes dans la conscience d'amour du tout petit enfant. Cette grâce s'enracine en nous avec les trois vertus théologales : la foi, l'espérance, et la charité qui nous mettent directement en rapport avec Dieu et permettent au Saint Esprit d'intervenir en nous par ses dons.  (...)

                                                                            Suite au prochain post... 

     Le quart d'heure de prière - P. Thomas Philippe - Ed St Paul, 1994

    (Le P. Thomas Philippe (+) est à l'origine de l'Arche avec Jean Vanier)

  • Durer dans la prière

    "Ce fantastique effort de la prière de tous les jours" (Saint-Exupéry, Carnets).

    Vous, Antoine de Saint-Exupéry, qui avez écrit cette phrase, faisiez-vous donc partie des amis de la prière ? En tout cas, merci pour ce mot si compréhensif. Mais pourquoi "fantastique effort" ? Parce que ce n'est pas une petite chose que de durer, par ce moyen qui ne rassasie pas notre sensibilité, dans un amour pour un objet qui, lui-même, ne touche en aucune manière notre sensibilité. Seule la grâce divine de la charité théologale nous attache à Dieu. Or, ce n'est pas une mince affaire que de rester attentif, chaque jour, pour demander cette grâce, et pour l'accueillir.

    Fantastique effort, cette prière qui continue, alors que les sentiments et aspirations de l'âme se dessèchent. Fantastique, cette patience de l'homme contre le silence de Dieu. Fantastique, cette poursuite d'un amour qui ne vient pas, et qui semble ne jamais vouloir venir. Fantastique, ce pauvre boiteux qui ne quitte pas le Tout-Puissant, et marche du même pas.

    Fantastique effort, que de supporter ce poids des stations à genoux ! Mais non, ne parlons pas de cela, et n'exagérons pas ! Si nous ne portions jamais d'autre poids que celui-là, quelle allégresse ! Nous irions sûrement à l'extrême de nos possibilités, et les mélodies chanteraient d'elles-mêmes dans notre âme !

    "Et maintenant, dit le Seigneur, si tu aimes le fantastique, tu sais, enfant, ce qu'il te reste à faire ?" Hélas ! mon Seigneur et Maître, si vous m'attirez dans cette voie, vous allez me rendre bizarre dans mon propre milieu !" Accepte, enfant, le ridicule attaché à une vie de grandes prières. Sache seulement apprécier, selon les certitudes de la foi, les possibilités secrètes que t'offre une telle vie. J'aime les cœurs qui choisissent. Et pour t'aider à choisir, écoute la leçon d'un petit apologue (adapté d'après Les Sentences des Pères du désert) . "Voici un chien qui aboie et galope avec ardeur sur une piste où il a vu et senti le gibier. d'autres chiens des fermes voisines, voyant courir leur congénère, se mettent derrière lui en aboyant et galopant de confiance. mais ceux-ci n'ont ni vu ni senti le gibier, et, très vite, ils se demandent ce qu'ils font là, derrière cet enragé, et ils abandonnent. Seul le premier poursuivra jusqu'au bout, jusqu'à la saisie, parce qu'il a une expérience qui manque aux autres. Ce chien te paraît-il ridicule dans sa poursuite ? Alors toi, demande-toi qui donc, dans ton aventure personnelle, joue le rôle de gibier".

    Puisqu'il s'agit de durer dans la prière, pratiquons soit la prière vocale, lentement répétée (oraisons, chapelet), soit l'oraison contemplative, ou un libre mélange des deux. Seules, en effet, ces formes de prière peuvent obtenir le résultat recherché : exciter la vertu de foi juste assez pour lui permettre  de veiller, supporter sans perte les longues étapes, exercer l'amour peu senti, infusé par Dieu. Les autres formes de prière (oraison discursive, énumération de demandes) ne servent guère, si même elles ne gênent pas. (...)

    Lorsque la prière personnelle atteint une certaine fréquence, il n'y a plus lieu de chercher si elle est fervente ou non. Assiduité signifie ferveur; et fidélité sauve tout.

    Je mène ma vie de prière bien mal ? Peu importe, je continue. Mieux vaut continuer qu'abandonner. J'aime Dieu bien mal. Continuez. Mieux vaut continuer que cesser. (...)

    Lorsqu'on connaît la pauvreté de sa propre prière, on éprouve le besoin d'y mettre au moins la quantité. Et lorsqu'on y met la quantité, on commence à obtenir vraiment ce qu'on espère. Quel que soit le moment de votre existence où vous êtes arrivé, il vous est encore possible d'ajouter un moment de prière à ceux que vous avez déjà faits, fussent-ils innombrables. Vous avez ainsi toujours devant vous une oeuvre essentielle, une possibilité, la plus ferme des diverses possibilités dont je vous entretiens dans ces pages.  

    Père Jérôme, Écrits monastiques, Editions  du Sarment, 2002

  • la prière trinitaire

    Je vais essayer (...) de vous dire en quelques mots quels sont les critères d'une prière vécue au nom de Jésus, c'est-à-dire à l'imitation et à la suite de la sienne. Les points de discernement précédents s'appliqueraient à toute prière, même non chrétienne, qui chercherait à être vraie. Que pourrions-nous ajouter pour une prière qui se met dans la coulée du mystère trinitaire ?

    Prenons simplement les trois pôles de ce mystère: le Père, le Fils et l'Esprit.

    1. Notre prière chrétienne est une prière qui gravite autour du pôle qu'est le Père, source absolue, auquel tout vivant doit « la vie, le mouvement et l'être», comme le dit S. Paul. La prière s'avère ici, pour nous, être vraiment le lieu du Réel. Dieu est «Je suis» et le Père en tant que Père nous conduit toujours vers le maximum de réalité, cette réalité qu'il fait exister lui-même. Par conséquent, ta prière sera le lieu de l'accueil intégral de ce «réel». Autrement dit, l'espace de la prière doit ne rien exclure. Tout peut exister dans cet espace, être évoqué, que ce soit la vue de nos erreurs ou de nos péchés, l'impasse du moment ou la souffrance ou l'impuissance ou le mal, à l'œuvre dans le monde: dès l'instant que c'est réel, cela peut être là, dans la prière.

    Un critère s'ensuit: c'est la capacité de faire face. Voilà, me semble-t-il, comment on peut juger de la prière de quelqu'un: cette prière lui permet-elle de faire face à la réalité qui s'impose à lui ? y compris à la croix qui intervient dans son existence?

    La prière comme lieu du réel est aussi le lieu de la vérification de ce réel. Comment suis-je intégré dans cette réalité qu'il m'est donné de vivre? Comment est-ce que j'y joue ma partition? Voici donc un autre critère de la prière: la capacité d'affiner notre ajustement dans le quotidien. Autrement dit, lorsque quelqu'un  sort de la prière est-il plus capable d'avoir des réponses adéquates dans sa vie? Non pas que cela soit exigible en un instant, nous savons bien que c'est très lent, mais avance-t-on ou non dans ce sens?

    En outre, en relation avec le Père comme Source, un des lieux du réel pour nous est celui où nous reconnaissions que tout vient de Lui, où nous pouvons rattacher notre vie, notre action, à son action à Lui, à sa volonté sur nous, même dans l'obscurité de la manière dont elles s'accomplissent. D'où un nouveau critère de la prière qui est la capacité de bénir, de vivre ce que la  Bible appelle l'acte de bénédiction, à propos de ce que l'on vit, de la réalité au sein de laquelle il nous est donné d'exister. C'est un des apports très positifs du Renouveau charismatique: apprendre à bénir Dieu  pour toutes choses. Une force de paix se dégage de cette bénédiction.

    2. Voyons maintenant la prière en tant que reproduisant celle du Fils, Serviteur de Yahveh. La prière ici est vue comme le lieu où l'on passe par le retournement pascal. Je vous renvoie aux versets du chapitre 12 de S. Jean (27 ss.), où Jésus s'interroge devant sa Passion:

    Maintenant mon âme est troublée, et que dirai-je? Père, sauve-moi de cette heure? Mais c'est précisément pour cette heure que Je suis venu. Père, glorifie ton Nom.

    Jésus opère une sorte de retournement, «Père, sauve-moi de cette heure», c'est pratiquement la prière des psaumes, c'est le cri du psalmiste aux abois. Jésus va transformer la prière par un abandon encore plus total au Père:

    Père, glorifie ton Nom! Non pas ma volonté, mais la tienne,

    cela étant vécu dans la perception que cette volonté divine, si elle est épousée, aimée, désirée, est aussi libératrice pour les autres.

    Cela donne comme critère d'une telle prière les traits de l'humilité, de l'abnégation, d'une offrande de soi pour que le salut advienne à nos frères. Ce qui exclut du domaine de la prière tout ce qui serait de l'ordre des querelles pour des prééminences, des convoitises, pour des pouvoirs ou des charismes (comme Paul essaie  de le faire comprendre aux Corinthiens) ou des traits de suffisance ou d'arrogance. Chaque fois que des gens, dans leur prière, manifestent ces traits-là, on peut dire qu'ils prient d'une prière qui n'est pas encore passée par le creuset de la prière du Fils à Gethsémani et dans le mystère pascal. Ils célèbrent peut-être Dieu, ils sont peut-être pleins de bons sentiments, ils ont découvert l'univers spirituel mais, en fait, ils sont encore d'avant le mystère pascal.

    3. La prière enfin est accomplie dans l'Esprit, c'est-à-dire qu'elle est disponible a ce Souffle de vie qui circule dans le monde et dans l'Église, et qu'elle est ouverte à la communion. Cela donne comme critères d'une prière vraiment chrétienne: une capacité de louange; une capacité d'intercession active, de prendre vraiment en charge autrui dans la prière, en particulier «le souci de toutes les Églises»; l'acquiescement au service «me voici, envoie-moi». Une prière dans l'Esprit doit aboutir à cela; constamment, l'envoi, la mission est là au cœur de la prière, parce que c'est le même Esprit qui anime et habite et insuffle notre prière et qui, en même temps, ne cesse d'envoyer les disciples pour l'accomplissement de l'Évangile et du salut. A quoi j'ajouterai ce qui convient au Souffle, c'est-à-dire une espèce de magnanimité dans la prière, rien d'étriqué mais une large respiration!

    A-M. Besnard - Vers Toi, j'ai crié - Cerf 1979, pp. 125-129

  • Prier c'est échapper à quelque chose

    Prier, c'est échapper à quelque chose, c'est chercher à échapper à quelque chose. Toute la question va être de savoir à quoi on cherche à échapper quand on se met en prière. Dans les psaumes, Dieu est souvent présenté comme un Refuge ou comme un Rocher: « Vers toi, mon Rocher, je cours, vers toi ma Citadelle imprenable » Ce vocabulaire du refuge n'a pas bonne presse. Je voudrais d'abord le réhabiliter, pour avoir précisément le droit de critiquer ensuite la manière dont on va chercher «refuge». A ceux qui vous font facilement reproche d'aller chercher «refuge», on a envie de dire: N'avez-vous jamais, à un moment de votre vie, eu besoin de trouver un  refuge ? En haute montagne il y a des « refuges », et les alpinistes savent bien les utiliser pour ne pas mourir de froid au milieu de leur ascension ; mais évidemment aussi celui qui monterait au refuge pour s'y claquemurer sans plus vouloir en sortir ni faire l'ascension de la cime, celui-là ne serait pas un alpiniste.

    Ce n'est pas l'existence du «refuge» qui pose question, c'est l'usage que l'on en fait. Que Dieu soit notre refuge, pourquoi pas, mais est-ce un «refuge» du genre «terrier» pour se terrer, ou bien un «refuge» du genre «désert» ou «montagne», au sens biblique de ces mots? Un sociologue décrivant les jeunes  d'aujourd'hui les voit se créer des «niches» où ils fuient une société dans laquelle ils ne se sentent pas à l'aise et où ils cherchent à se réchauffer entre eux. La prière, pour certains, fait partie de ces «niches», pour d'autres ce sera la drogue, pour d'autres, la musique pop ou simplement du «Whisky» avec les camarades. Telle est l'alternative: la prière sera-t-elle une «niche» écologique ou bien sera-t-elle ce qu'elle fut pour Jésus quand il s'en allait vers le désert ou vers la montagne? Lui aussi essayait d'échapper à quelque chose: lisez les textes et prenez garde à quoi (par exemple: Mc 1,35, 39 ; Jn 6, 15). Voilà, je crois, la question qui est posée à notre désir.

    Qu'il y ait en nous désir et besoin d'échapper a certaines choses, c'est normal et légitime. Mais la question est de savoir à quoi nous voulons échapper. Si c'est aux exigences inéluctables de notre vie, aux confrontations inévitables avec la souffrance, à certains conflits, à certaines difficultés, n'est-ce pas vouloir échapper à la Volonté de Dieu? Comment donc cela pourrait-il être une prière, quel que soit le jeu auquel nous avons l'impression de nous adonner, en criant: «Seigneur, Seigneur ...»?

    Mais si nous voulons échapper à ce qui nous empêche d'être justement dans la pleine réalité, si nous voulons par exemple échapper à l'emprisonnement possible de notre action par nos conceptions trop étroites, si nous voulons échapper à l'affadissement de notre âme soumise au conformisme et à la banalisation qui règnent dans notre milieu, alors c'est autre chose! Il est normal de vouloir échapper à ces risques de dégénérescence en allant, non pas vers le trou d'un terrier, mais vers ces grands horizons du désert ou de la montagne bibliques où nous pourrons respirer de nouveau à la  hauteur de Dieu.

    Telle est la question qu'il faut poser à notre désir. En fin de journée, en déchargeant son fardeau devant le Seigneur, se demander : Qu'est-ce que je viens chercher maintenant? De quoi veux-je à tout prix me débarrasser? Ou, au contraire, qu'est-ce que je veux à  tout prix rejoindre? Il y a des jours ou, honnêtement, vous devrez avouer que vous voulez vous débarrasser de ce qui fait votre vie, votre prière sera alors de vous ressaisir pour obtenir du Seigneur la force de porter le fardeau. Ou, au contraire, vous voulez vous débarrasser de toute la part d'inauthenticité qui a pesé sur vos épaules pendant la journée, à cause des circonstances et votre prière cherchera à rejoindre la vraie souffrance des gens ou les vrais drames du monde ou la vraie Parole de Dieu.

    A-M. Besnard - Vers Toi, j'ai crié - Cerf 1979, pp. 117-118

  • prier en ce monde

    La prière la plus élémentaire, la plus universelle, celle qui hante les religions d'un bout à l'autre, y compris la religion d'Israël, n'est jamais que la modulation indéfiniment variée du thème unique: Ah! Seigneur, sauve-moi ! (sauve ma vie, sauve mon âme). Cela nous paraît grossier et indigne d'un homme évolué. N 'oublions pas que c'est dans cette prière-là que Jésus lui- même s'est trouvé entraîné à Gethsémani; et n'oublions pas que sous les vêtements somptueux, voire sous les travestis subtils de notre culture supérieure, la psychologie des profondeurs nous ramène nous aussi, et quoique nous voudrions nous flatter d'y échapper, à ce drame fondamental. S'il en est ainsi, on comprend que la poussée actuelle vers une prière  renouvelée soit à mettre en rapport étroit avec ce drame assez universel et radical que j'appellerai : la détresse du moi chez l'homme moderne. S'il est vrai que la prière est le cri d'un sujet désirant, en quête d'aboutissement dans son désir et d'accomplissement de sa subjectivité, comment ne pas se demander est, qui est au juste ce sujet qui prie quand il y a prière ? Un homme prie: qu'est-ce que cela veut dire ? Qu'est-ce qui s'exprime là? Qui prie quel Dieu et en vertu de quoi ? Autrefois la réponse pouvait sembler aisée. Qui prie ? mais, vous le voyez bien: un tel, militant de ceci, de cela; un tel, membre de ce tiers-ordre qui s'est  engagé à prier comme ceci ou comme cela; monsieur le curé, à qui l'Église a solennellement confié sa prière objective, fonctionnalisée, obligatoire.

    Aujourd'hui la réponse n'est plus si simple, et je dis qu'elle ne peut être apportée si l'on ne prend pas conscience de la détresse du moi chez l'homme moderne. Qu 'est-ce que je veux dire par là?

    Je veux dire que l'homme, en tant que moi, que sujet individuel éprouve une peine croissante à savoir qui il est, à garder son identité et déjà à la connaître. Et que  cette question n'est pas un de ces irritants problèmes  secondaires qui viennent se greffer sur le développement de l'humanité et qui font perdre un temps précieux qu'il vaudrait mieux consacrer à des problèmes plus sérieux. Cette question est l'une des plus importantes que l'humanité ait à porter et à éclairer dans les générations à venir. Je ne peux ici que très succinctement rappeler les composantes de ce problème, au risque d'être outrageusement schématique.

    En gros: la société occidentale s'est édifiée sur le mythe et l'idéologie du plein développement de ce que nous nous glorifions d'appeler la personne: la conquête politique des droits civiques, l'idéologie démocratique, les valeurs culturelles dominantes, les motivations du progrès de la science et de la technique - tout en principe a été finalisé par l'épanouissement maximum du maximum de sujets personnels.

    Or la personnalité qui s'est ainsi développée semble, chez chacun, avoir été beaucoup moins la fameuse personne libre, responsable et heureuse, qu'un moi à la fois exacerbé et aliéné. Un moi dont on flatte tous  les besoins, pour lequel même on crée toutes sortes de besoins nouveaux, et qu'en même temps on soumet à les frustrations de plus en plus douloureuses. Bruno  Bettelheim écrit: «L'homme moderne souffre de son incapacité à faire un choix, qu'il croit inévitable, entre la liberté et l'individualisme d'une part, le confort matériel de la technologie moderne et la sécurité d'une société de masse collective d'autre part. A mes yeux, c'est le véritable conflit de notre temps! » (B. Bettelheim, Le coeur conscient. R. Laffont, p. 59) L'illustration à la fois réelle et symbolique de cette situation pourrait être donnée par ce que nous appelons l'érotisme ambiant: les sens de l'individu sont éveillés, surexcités; et, en même temps, sont ôtées à la plupart les possibilités réelles d'accomplir dans une relation heureuse leur sexualité. Le même Bruno Bettelheim ecrit encore: « ... une époque qui offre tant de possibilités d'échapper à l'identité personnelle en raison du confort et des distractions qu'elle propose, exige un renforcement proportionnel du sentiment d'identité. Une époque qui incite l'homme à laisser la machine pourvoir à ce qui est essentiel à son existence exige, plus qu'une autre société, que l'homme discerne clairement ce qui est essentiel et ce qui est contingent, notion dont il n'avait pas besoin lorsque le superflu était rare.» (B. Bettelheim, Le coeur conscient, ibid p. 117)

    De telles contradictions dans la civilisation mènent l'homme à la détresse  (...) 

    Les sciences humaines, en effet, tendent à jeter un doute mortel sur la valeur et la consistance de notre moi personnel. Par exemple, « la psychanalyse représente, comme le rappelle P. Ricœur commentant Freud, la troisième et probablement la plus cruelle des humiliations infligées au narcissisme. Après l'humiliation cosmologique que Copernic lui-même  infligea, ce fut l'humiliation biologique, issue de l'œuvre de Darwin. Et maintenant, voici la psychanalyse qui lui révèle que " l'Ego n'est pas maître en sa propre demeure "; l'homme qui savait déjà qu'il n'est ni le seigneur du cosmos, ni le seigneur des vivants, découvre qu'il n'est même pas le seigneur de sa psychè » (P. Ricoeur - De l'interprétation, Essai sur Freud, Ed du Seuil, p.414

    Ou encore l'ethnologie structuraliste amène l'un de ses plus illustres représentants à remarquer : « ... j'existe. Non point, certes, comme individu ; car qui suis-je, sous ce rapport, sinon l'enjeu à chaque instant remis en cause de la lutte entre une autre société, formée de quelques milliards de cellules nerveuses abritées sous la termitière du crâne, et mon corps, qui lui sert de robot ? Ni la psychologie, ni la métaphysique, ni l'art ne peuvent me servir de refuge, mythes désormais passibles, aussi par l'intérieur, d'une sociologie d'un nouveau genre qui naîtra un jour et ne leur sera pas plus bienveillante que l'autre. Le moi n'est pas seulement haïssable: il n'a plus de place entre un nous et un rien.» (C. Lévi-Strauss, Tristes Tropiques, Plon, pp. 374-375)

    Les sociologues nous montrent que le nous n'a pas beaucoup plus de fondement ultime et justifié, mais il a en a plus que le moi, qui ne vit que pris et nourri par les mailles de son réseau. Et la sourde conscience d' habiter une planète qui comporte désormais des milliards d'individus en accroissement constant et rapide contribue à humilier un moi déjà apeuré par les effets sur sa vie quotidienne, pourtant encore très timides, des nécessaires structurations collectives. L'homme  (est-il tenté de rêver dans ses cauchemars) est-il autre  chose qu'une molécule un peu plus perfectionnée que les autres? Le rassemblement momentané, sous l'organisation d'un cerveau et d'un psychisme particuliers, mais point très remarquables, de quelques données biologiques éphémères ?  

    Je ne crois pas que ces questions soient des épouvantails rhétoriques qui n'effraient que quelques esprits romantiques. De façon indicible peut-être et confuse, mais réelle, c'est le «sens» (si l'on ose dire !) qui transpire de notre culture ambiante, et c'est cela que respirent l'homme de la rue, et davantage d'abord la jeunesse, laquelle est infiniment plus vulnérable et plus sensible, étant encore neuve, à la modification des climats culturels.

    Cette compréhension de l'homme par lui-même qui l'amène à critiquer sérieusement ce qu'il appelait jusqu'ici son moi, nous le vivons en Occident comme  une descente vers l'absurde. Or l'absurde est intolérable.

    Il me semble que c'est ici très précisément que joue la rencontre singulière entre notre Occident et l'Orient asiatique; que le moi ne soit qu'un agrégat momentané d'éléments physiques, psychiques, historiques, c'est le fond de la pensée asiatique. Depuis des millénaires, l 'Orient vit avec la conviction que le moi est impermanent et n'est qu'illusion ou non-être. Or cette conviction, il la vit non comme le comble de l'absurdité et de l' inacceptable mais comme le principe même d'une libération et d'une sérénité.

    Je crois que c'est cela qui frappe l'Occidental, qui d' une part veut se réaliser, qui d'autre part apprend à longueur de science que le moi n'est rien, et qui enfin veut pourtant trouver une issue. Il découvre justement  une civilisation qui a fait de la renonciation au moi la condition de la réalisation véritable: comment ne se sentirait-il pas mû, par une logique irrésistible, à explorer de tels chemins? Même s'il ne se doute pas, au point de départ, de ce que cela peut lui coûter. (...)

    Par sa participation au destin historique de l'humanité dont il est, le croyant éprouve en lui la réalité de la détresse dont nous parlions. Il porte les questions qui en découlent et il chemine aussi sur certaines pistes d'exploration. Mais il lui est advenu quelque chose d'inaliénable: croire, pour lui, signifie qu'il donne réponse en partenaire personnel à un Dieu personnel. Certes, la démystification du moi qu'opère le monde moderne l'amène à ne pas croire trop vite avoir compris ce qu'est une personne. Le croyant ne sait peut-être pas, a priori, ce qu'est une personne ni s'il est une personne: mais il le découvre par l'acte même par lequel Dieu le rejoint et lui redit en quelque sorte, sur le mode adoptif, ce que le Christ a entendu au sortir du baptême dans le Jourdain: «Tu es mon Fils bien-aimé.»  

    A-M Besnard - Vers Toi j'ai crié - Cerf 1979, pp. 36-43.49-50

  • Notre Dieu est un Dieu qui vient

    Caractéristiques sont les expressions par lesquelles tente de se dire l'expérience du croyant. Dieu parle. Ce n'est pas n'importe quelle parole, mais une parole en langage d'homme et intelligible à l'homme, le saisissant dans son destin, l'interpellant dans sa personnalité et dans sa liberté. Par elle l'homme se sent rejoint d'une manière unique, atteint « au cœur ». Il confesse que « Dieu était ici et je ne le  savais pas » (Gn 28, 16). Le croyant n'a justement plus d'abord à s'interroger sur la distance et le lieu d'où lui parvient la voix de Dieu, car il la découvre « tout près de lui, sur ses lèvres et dans son cœur » (cf. Dt 30, 14 ; Rm 10, 8).

    Et pourtant il ne s'y trompe pas, cette voix résonne chez lui, elle n'est pas de lui. La foi se définit comme le don inexplicable et gratuit qui lui permet d' identifier Celui qu'il est en train de rencontrer. Quelque chose en lui sait désormais, même si toutes ses facultés n'en sont pas encore convaincues, qu'il n'y a pas  erreur : « Celui qui te parle, c'est Lui » (cf. Jn 9,37). Le Dieu biblique se révèle Dieu dans l'acte imprévisible par lequel il abolit tout un système de distances (et donc toute une problématique religieuse, toute une piété psycho-cosmique) et se manifeste comme Celui-qui-vient, comme Celui qui est advenu à l'homme.

    Lorsqu'il est là, il se dit de façon suprême dans le Nom qui signifie « Je suis », mais ce Je-suis n'est pas l'identité d'un Etranger, car cela laisse entendre aussi Je-suis-avec-vous. D'ailleurs le Christ lui-même le confirme: il serait indigne de l'homme d'adorer un Dieu dont la voix lui serait étrangère, car même les brebis fuient les étrangers « parce qu'elles ne connaissent pas la voix des étrangers » (Jn 10, 5). Ainsi le Dieu vivant prend-il toujours les devants : lorsqu'il vient, il  ne parle pas avec complaisance des Ailleurs mystérieux ni des Autres mondes d'où il serait censé arriver, mais nous le trouvons toujours là où l'homme est appelé à être et où il ne se trouve pas encore. Chacun le rencontrant découvre avec stupeur qu'il est plus  intimement de son propre pays que lui-même : n'est-ce pas la constatation qui se dégage des rencontres de Jésus dans l'Évangile ? Seul un Dieu qui se dévoile tel peut être Dieu: voilà notre conviction chrétienne. 

    Evidemment l'homme pose des questions: le croyant a constamment envie de demander: «Maître, quand es-tu arrivé ici ? » (Jn 6, 25), ou comment es-tu venu ? ou comment cela peut-il se faire ? Celui qui vient ne perd jamais de temps à répondre en personne et de manière révélée à de telles questions, il les élude toujours. Non qu'elles soient absurdes : la théologie pourra s'employer à y faire correspondre des explications convenables, mais elles ne constituent plus des préalables de la relation avec Dieu puisque justement par sa « venue », Dieu les a en quelque sorte court-circuitées. La vraie réponse du Dieu advenant, c'est simplement sa manifestation: « C'est bien Moi » (Lc 24, 39), accompagnée des signes auxquels il se laisse reconnaître. 

    Tel est le porche chrétien de la prière : non plus, pour « se mettre en présence de Dieu », arpenter en esprit les abîmes supposés des transcendances inconnaissables et imaginer l'Extra-monde où siégerait le  Dieu semblable à rien, mais plus humblement considérer l'une ou l'autre des traces du Dieu advenu, tressaillir et reconnaître, dans le tréfonds vivant d'une foi sans cesse donnée à neuf, la vérité de cette venue « C'est moi » - « Oui, Seigneur, je crois que c'est Toi, que Tu es, que ton Esprit me donne de t'invoquer par ton vrai Nom, que Tu t'es ouvert à moi pour que je m'ouvre à Toi », pénétrer alors plus avant dans l'amitié « christomorphe» de ce Moi miséricordieux et trinitaire.  

    A-M. Besnard - Vers Toi j'ai crié - Cerf 1979, pp.65-68

  • Demeurer dans la rencontre (1)

    La prière est un chemin privilégié pour demeurer avec le Christ, l'écouter et le rencontrer ici et maintenant comme la Parole que Dieu nous adresse. Écouter, ce n'est pas, en effet, faire mémoire d'un personnage du passé, mais rencontrer l'Emmanuel, « Dieu avec nous ». L'écouter, ce n'est pas se projeter non plus dans un avenir imaginaire, espérer une perfection future, mais croire en lui et en la réalité actuelle de son amour pour nous.

    Du point de vue du salut, il n'y a plus d'histoire : les derniers temps sont advenus. Dieu est là. Faire oraison, c'est s'ouvrir à l'actualité de cette présence. Mais quelle exigence, quelle immersion dans la limite du temps condensé ainsi en ce moment présent ! Pourtant cette porte étroite donne sur la Vie (cf. Mt 7, 13 s). La prière, comme enfouissement dans le moment présent, est relation à Dieu et perception de la Vie éternelle. Mais l'intensité de ce présent est telle, qu'elle exige de notre part un engagement sans cesse renouvelé. Face à un si grand mystère, nous serons toujours des débutants, comme ces enfants qui seuls ont accès au Royaume (cf. Mt 18,3 s). L'oraison choisie comme un infatigable commencement nous situe dans une attitude de conversion, de disponibilité à la Parole. Dieu ne parle qu'aujourd'hui au sens où sa Parole est relation à des vivants dans l'aujourd'hui de leur liberté. D'une certaine manière, tout le temps de l'oraison se passe à commencer, car nous ne sommes maîtres ni de notre capacité à demeurer présents à Dieu, ni de sa libre initiative. Etre présent, c'est demeurer disponible à Quelqu'un.

    S'il ne dépend pas de nous de pouvoir y parvenir, notre engagement est malgré tout essentiel. Il se traduit par la ferme décision de vivre dans la foi une véritable rencontre. Prier nécessite une conscience suffisante et de soi-même et de Dieu. La présence à soi-même implique la conscience de notre existence corporelle, mais aussi celle de notre condition pécheresse. L'examen de conscience nous place sous le jugement de la Parole qui dénonce toute glorification de soi. L'humble reconnaissance du péché témoigne de l'ouverture à la gratuité de la Présence: « Oui, réfléchissez, et comprenez, en l'approchant, à qui vous allez parler, ou à qui vous êtes en train de parler. Nous pourrions vivre mille existences sans concevoir les égards que mérite ce Seigneur devant qui tremblent les anges. Il commande à tout. Il peut tout. Sa volonté agit" (Thérèse d'Avila). L'oraison est une rencontre entre le croyant et Dieu. La prière n' a pas lieu si l'un des deux manque au rendez-vous et nous devinons sans peine lequel est concerné par ce risque. La présence à Dieu peut paraître médiocre et parfois inexistante, mais ce qui compte est la détermination du croyant à la vivre. « L'oraison mentale c'est entendre ces vérités. » (Thérèse d'Avila) (...) 

     

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB 2008, pp. 197-198

  • chemin de prière

    S' il est vrai que la prière est un lieu essentiel pour la vie filiale et l' expérience du Règne, nous pouvons être étonnés de constater que Jésus  n'en ait pas fait une priorité dans la formation de ses disciples. Ils étaient pourtant loin de vivre comme lui une communion constante avec Dieu. En dehors de la participation à l'office de la synagogue, nous ne voyons pas souvent Jésus demander à ses disciples de prier. En saint Marc, la seule mention de  la prière concerne son lien avec la foi dans la prière de demande (cf. Mc 11, 24). Matthieu articule un enseignement sur la prière avec la mention du jeûne et de l'aumône (cf. Mt 6,1-18). Luc montre souvent Jésus en prière, mais celui-ci ne prend pas l'initiative de former ses disciples en ce sens. Il faut attendre que ceux-ci en fassent la demande: ils veulent que Jésus leur enseigne à prier comme Jean le Baptiste le fit pour ses propres disciples (cf. Lc 11, 1-4). Il ne s'était donc pas préoccupé de le faire auparavant ! Pourquoi cela, si ce n'est que, par sa seule présence, Jésus conduit ses disciples à Dieu. Ne pourrait-on pas dire que Jésus vit une communion si totale avec Dieu qu'il suffit aux disciples d'être avec lui pour vivre dans cette même communion?

    Il en va de même pour nous. En demeurant comme les disciples avec le Christ tout au long de nos journées, non pas en pensant constamment à lui, mais en vivant de son Esprit, nous discernons avec lui la présence agissante de Dieu dans les événements et les personnes. À l'école de son humilité, nous pouvons nous émerveiller et rendre grâce en toutes choses, l'humilité véritable étant en effet cette attitude de louange par laquelle nous reconnaissons que la vie est un don à recevoir en toutes circonstances. La Bonne Nouvelle (cf. Mc 1, 15) est l'annonce de l'initiative de Dieu nous rejoignant dans le Christ sans attendre que nous ayons parcouru le monde pour le trouver. Sa vie en nous, c'est notre foi. Celle-ci est décision, acte de la liberté, expérience intérieure, communion à la louange du Christ et ouverture au monde dans la vigilance du cœur: « Plus que sur toute chose, veille sur ton cœur, c'est de lui que jaillit la vie » (Pr 4,23).

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB, 2008 p. 93

  • Se laisser regarder

    Prier c'est nous laisser regarder par Dieu avec tout ce qui nous réjouit et tout ce qui nous fait mal, avec nos enthousiasmes, mais aussi avec les boulets que nous traînons, avec tous ceux qui nous accompagnent, ceux qui nous portent et ceux que nous tirons, tous ceux qui nous tiennent au coeur et que le Seigneur connaît encore mieux que nous. Si notre prière consistait à essayer de les oublier un instant pour être plus libres de courir vers lui comme des voyageurs sans bagages, le Seigneur nous trouverait bien légers. Alors qu'il veut nous accueillir lourds de tous ceux que nous portons.

    Un mari au chômage, un enfant qui se drogue, l'attente angoissée d'un résultat médical, mais aussi les émotions d'une affection partagée, ne sont pas des distractions dans la prière, à mettre entre parenthèses. C'est ce qui en fait le poids et le prix. Il nous faut essayer de convertir nos préoccupations en prière : il y a alors celles qui disparaissent d'elles-mêmes, relativisées, minimisées, par rapport à l'amour qui nous enveloppe, et il y a celles qui font vraiment partie de nous-mêmes, et dont nous découvrons que le Seigneur se soucie bien avant nous.

    J.N Bezançon - Dieu n'est pas bizarre - Ed. Bayard & Centurion 1996. p. 43