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Durer dans la prière

"Ce fantastique effort de la prière de tous les jours" (Saint-Exupéry, Carnets).

Vous, Antoine de Saint-Exupéry, qui avez écrit cette phrase, faisiez-vous donc partie des amis de la prière ? En tout cas, merci pour ce mot si compréhensif. Mais pourquoi "fantastique effort" ? Parce que ce n'est pas une petite chose que de durer, par ce moyen qui ne rassasie pas notre sensibilité, dans un amour pour un objet qui, lui-même, ne touche en aucune manière notre sensibilité. Seule la grâce divine de la charité théologale nous attache à Dieu. Or, ce n'est pas une mince affaire que de rester attentif, chaque jour, pour demander cette grâce, et pour l'accueillir.

Fantastique effort, cette prière qui continue, alors que les sentiments et aspirations de l'âme se dessèchent. Fantastique, cette patience de l'homme contre le silence de Dieu. Fantastique, cette poursuite d'un amour qui ne vient pas, et qui semble ne jamais vouloir venir. Fantastique, ce pauvre boiteux qui ne quitte pas le Tout-Puissant, et marche du même pas.

Fantastique effort, que de supporter ce poids des stations à genoux ! Mais non, ne parlons pas de cela, et n'exagérons pas ! Si nous ne portions jamais d'autre poids que celui-là, quelle allégresse ! Nous irions sûrement à l'extrême de nos possibilités, et les mélodies chanteraient d'elles-mêmes dans notre âme !

"Et maintenant, dit le Seigneur, si tu aimes le fantastique, tu sais, enfant, ce qu'il te reste à faire ?" Hélas ! mon Seigneur et Maître, si vous m'attirez dans cette voie, vous allez me rendre bizarre dans mon propre milieu !" Accepte, enfant, le ridicule attaché à une vie de grandes prières. Sache seulement apprécier, selon les certitudes de la foi, les possibilités secrètes que t'offre une telle vie. J'aime les cœurs qui choisissent. Et pour t'aider à choisir, écoute la leçon d'un petit apologue (adapté d'après Les Sentences des Pères du désert) . "Voici un chien qui aboie et galope avec ardeur sur une piste où il a vu et senti le gibier. d'autres chiens des fermes voisines, voyant courir leur congénère, se mettent derrière lui en aboyant et galopant de confiance. mais ceux-ci n'ont ni vu ni senti le gibier, et, très vite, ils se demandent ce qu'ils font là, derrière cet enragé, et ils abandonnent. Seul le premier poursuivra jusqu'au bout, jusqu'à la saisie, parce qu'il a une expérience qui manque aux autres. Ce chien te paraît-il ridicule dans sa poursuite ? Alors toi, demande-toi qui donc, dans ton aventure personnelle, joue le rôle de gibier".

Puisqu'il s'agit de durer dans la prière, pratiquons soit la prière vocale, lentement répétée (oraisons, chapelet), soit l'oraison contemplative, ou un libre mélange des deux. Seules, en effet, ces formes de prière peuvent obtenir le résultat recherché : exciter la vertu de foi juste assez pour lui permettre  de veiller, supporter sans perte les longues étapes, exercer l'amour peu senti, infusé par Dieu. Les autres formes de prière (oraison discursive, énumération de demandes) ne servent guère, si même elles ne gênent pas. (...)

Lorsque la prière personnelle atteint une certaine fréquence, il n'y a plus lieu de chercher si elle est fervente ou non. Assiduité signifie ferveur; et fidélité sauve tout.

Je mène ma vie de prière bien mal ? Peu importe, je continue. Mieux vaut continuer qu'abandonner. J'aime Dieu bien mal. Continuez. Mieux vaut continuer que cesser. (...)

Lorsqu'on connaît la pauvreté de sa propre prière, on éprouve le besoin d'y mettre au moins la quantité. Et lorsqu'on y met la quantité, on commence à obtenir vraiment ce qu'on espère. Quel que soit le moment de votre existence où vous êtes arrivé, il vous est encore possible d'ajouter un moment de prière à ceux que vous avez déjà faits, fussent-ils innombrables. Vous avez ainsi toujours devant vous une oeuvre essentielle, une possibilité, la plus ferme des diverses possibilités dont je vous entretiens dans ces pages.  

Père Jérôme, Écrits monastiques, Editions  du Sarment, 2002

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