Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

François Varillon - Page 2

  • Confession ou psychanalyse (5)

    Suite de la conférence de François Varillon (S.J) sur la confession. Je vous recommande de lire les textes 1 à 4 avant d'entreprendre la lecture de ce post, du moins pour se pénétrer de toute la richesse de cet enseignement. (Retranscription à partir d'un enregistrement).

    ---------------------------------------------------------------------------------

    [reprise dernière phrase]

    Mais Osée, toujours sur l'ordre de Dieu, donne des noms, dont le sens symbolique laisse présager que le malheur va s’appesantir à la fois sur la vie conjugale d'Osée et sur le destin d'Israël. En effet, Gomer ne tarde pas à quitter son mari et à se prostituer de nouveau. Peut-être va t-elle exercer, au service d'un sanctuaire, la prostitution que les païens considéraient comme sacrée. Alors dans sa colère et dans sa souffrance, Osée continue d'aimer la femme infidèle. Elle s'est vendue. Il la rachète. Si, pendant un temps d'épreuve, elle consent à rester fidèle, tranquille au foyer, sans se prostituer, sans se livrer à aucun homme, Osée pardonnera tout et un jour Gomer, purifiée, aura de nouveau son rang d'épouse. Evidemment Osée ne peut pas réintroduire Gomer en son foyer en acceptant qu'elle continue à se prostituer : ce ne serait plus de l'amour, ce serait de la mauvaise complaisance. Ce serait une complaisance indigne. De même, Dieu ne peut pas pardonner à Israël en fermant purement et simplement les yeux sur son idolâtrie, sur sa débauche, sur son injustice. Il faut que Gomer soit éprouvée. Il faut qu'elle réfléchisse et qu'elle renonce librement à la volupté adultère.

    Elle le fait, et Osée rend à Gomer, purifiée et amendée, la joie du premier amour. C'est la prodigieuse révélation du pardon dans l'Ancien Testament. Ce n'est pas la première, il y avait déjà l'histoire de Joseph pardonnant à ses frères dans le livre de la Genèse.

    Mais je voudrais vous proposer de réfléchir à un autre texte de l'Ancien Testament. C'est le livre de Jonas. S'il faut vingt minutes pour lire Osée, il faut vingt-cinq minutes pour lire le livre de Jonas. Je pense que ça vaut la peine. Combien de temps passez-vous à lire Paris-Match ou l'Express ou d'autres hebdomadaires ? Nous avons un examen de conscience à faire vous savez, sérieux. Et c'est prodigieux le livre de Jonas. C'est une fable. Quand on pense que les enfants apprennent les Fables de La Fontaine, et ce sont des chefs-d'oeuvre, et les éducateurs chrétiens n'ont pas songé à leur faire étudier la fable de Jonas, comment ça se fait ? Alors on pourra bien composer des problèmes sur le sacrement de pénitence, on ignore la base, le fondement.

    Le Livre de Jonas c'est une fine satire ou une sorte d'apologue contre les Juifs qui étaient scandalisés par la patience de Dieu à l'égard des païens. Au fond, les Juifs sont ennuyés que Dieu aime Ninive. Mais Dieu aime Ninive. Ninive, la grande capitale. Alors un jour, Dieu dit à Jonas : je te donne l'ordre d'aller à Ninive, et là-bas, tâche de leur faire un beau sermon. Tu leur diras : les amis, il y a beaucoup trop de péchés dans votre ville, si elle ne se repend pas, Dieu fera éclater sa colère.

    Mais Jonas, au lieu d'aller à Ninive, prend la direction opposée. Au lieu de prendre le bateau pour Ninive, il prend le bateau pour Tarsis. Exactement comme si Dieu me donnait l'ordre de prendre le train pour Paris et que je prenais le train pour Lyon !

    Une tempête effroyable survient. Le capitaine qui est un "bien-pensant" demande à tous les passagers de prier. Et Jonas qui n'a pas la conscience tranquille - parce qu'il n'a pas obéi à Yahvé - va se cacher au fond de la cale. On finit par le trouver et on lui dit : pourquoi tu ne pries pas toi ? Alors les mariniers se disent les uns aux autres : on va jeter le sort afin de savoir d'où vient le mal. Il y a un coupable parmi nous. Il est responsable de la tempête. Et le sort tombe sur Jonas et on jette Jonas à la mer.

    Dieu fit venir un gros poisson, un poisson qui engloutit Jonas. Dans le ventre du poisson, Jonas fait oraison. Il a le temps ! [rires de l'auditoire]. Et Jonas demande pardon à Dieu de lui avoir désobéi. Et Dieu lui pardonne. Dieu dit alors deux mots au poisson et le poisson crache Jonas sur la terre. Alors Dieu dit à Jonas : tu vois, je t'ai pardonné. Est-ce que tu vas maintenant m'obéir ? Je te réitère l'ordre d'aller à Ninive et d'y faire un grand sermon pour annoncer ma colère s'ils ne font pas pénitence. Alors cette fois Jonas obéit. Mais on sent bien qu'il est inquiet. Il voudrait se dérober. Visiblement, ce sermon  qu'il a à faire l'ennuie. Enfin, il fait son grand sermon dont voici le résumé : il y a beaucoup de péchés dans votre ville : encore quarante jours et Ninive sera détruite. A ce moment-là grand branle-bas dans la capitale. Tout le monde se met à jeûner, à se revêtir d'un sac du plus petit jusqu'au plus grand. Le roi lui-même enlève son manteau royal, se couvre d'un sac, quitte son trône, s’assoit sur la cendre, et il fait publier un décret ordonnant une pénitence générale.

    Qu'est-ce que vous voulez que Dieu fasse ?

    Naturellement Il pardonne à Ninive. Il ne met aucune de ses menaces à exécution. Alors Jonas est furieux et il dit à Dieu : je savais bien que tu allais passer. C'est toujours la même histoire ! Vous m'envoyez faire des sermons ; vous voulez que de votre part je profère des menaces, que je parle de votre colère. Croyez-vous que je ne commence pas à vous connaître ? Vous êtes un Dieu miséricordieux, vous pardonnez, vous êtes clément. C'est bien pour ça que je me suis enfui la première fois. De quoi est-ce que j'ai l' air ? J'annonce des choses terribles de votre part et puis, rien, vous pardonnez !  J'en ai assez de faire l'imbécile.

    Dieu lui dit : Jonas, as-tu raison de t'irriter ? Tu as tort d'être furieux !  

    Alors Jonas se met à bouder, et il va s'asseoir dans la banlieue, à côté des fortifs. Alors Dieu pousse la bienveillance jusqu'à faire pousser un ricin pour donner de l'ombre à Jonas. Mais à l'aube un ver pique le ricin  et le ricin sèche. Jonas est de plus en plus furieux. Il est en plein soleil. Il attrape la migraine. Et il dit : décidément la mort vaut mieux que la vie. Alors Dieu lui dit : fais-tu bien de t'irriter à cause de ce ricin ? Tu t'affliges au sujet d'un ricin pour lequel tu n'as pas travaillé et que tu n'as pas fait croître ; qui est venu en une nuit et qui a péri en une nuit. Et tu voudrais que moi je ne m'afflige pas au sujet de Ninive, la grande ville dans laquelle il y a plus de cent vingt mille hommes qui ne savent pas distinguer leur droite de leur gauche. Et des animaux en grand nombre. Et tu voudrais que je ne les aime pas ? Et tu voudrais que je ne leur pardonne pas ?

    C'est admirable. C'est admirable !

    Le péché de Jonas c'est de n'avoir pas participé à la joie de Dieu. La joie de pardonner.

    C'est le péché des pharisiens dans l’Évangile qui consiste à ne pas se réjouir avec Dieu du pardon accordé à Ninive repentie.  

    Moralité de tout cela : le cœur de Dieu est plus grand et plus large que le cœur de l'homme. Et c'est tout cela que nous retrouvons dans le Nouveau Testament  avec les trois paraboles du chapitre quinzième de saint Luc.

                                                                                  A suivre....

                                                            François Varillon  S.J

  • Confession ou psychanalyse (4)

    Suite de la conférence de François Varillon (S.J) sur la confession. Je vous recommande de lire les textes 1 à 3 avant d'entreprendre la lecture de ce post, du moins pour se pénétrer de toute la richesse de cet enseignement. (Retranscription à partir d'un enregistrement audio).

    ---------------------------------------------------------------------------------

    Alors ce qu' il faut bien comprendre c'est que le chrétien qui se laisse sérieusement interroger, interroger en profondeur, à la racine même de lui-même par le phénomène de la misère dans le monde, la misère ou la faim dans le monde ; le chrétien qui se laisse sérieusement interroger par l'absence de justice, sociale ou internationale, celui qui se laisse sérieusement interroger par le fait de la lutte des classes, par la guerre, par sa propre responsabilité dans la guerre, même si la guerre se déroule très loin au Vietnam ou ailleurs, ou la révolution comme au Chili ; il est inévitable que, lorsque cet homme essaye de mettre au point son engagement chrétien la liste des péchés qu'on lui présente dans les manuels est d'un faible secours. Il a l'impression que ça n'a rien à voir. Et il réclame, plus ou moins consciemment, que le sacrement de pénitence soit revalorisé dans son sens comme dans sa forme. On ne peut pas dire purement et simplement qu'il a tort. C'est évident. Voilà assez sommairement expliquées les causes d'un malaise qui se traduit par un abandon progressif du sacrement de pénitence, et par cette sorte de cette mise en concurrence du sacrement de pénitence et de la psychanalyse.

    Pour essayer d'y voir clair je vous propose de bien distinguer trois choses : 1°) La vertu de pénitence ; 2°) le sacrement de pénitence ; 3°) le rite du sacrement de pénitence.

    Trois choses à distinguer très soigneusement.

    1°) D'abord la vertu de pénitence.

    J'hésite à prononcer ce mot de "vertu", vous savez à quel point le mot est dévalorisé. Parler de "vertu" à des jeunes, ils vous envoient immédiatement promener ! On les comprend, tellement le mot a été affadi. C'est dommage. Parce que, ce qu'il faudrait, c'est redonner à ce mot son sens premier, son sens latin. La vertu c'est l'énergie ; "virtus" c'est la force, c'est le courage. C'est ça le sens premier du mot "vertu". Au fond, ce que nous appelons "vertu" c'est la vérité de notre relation à Dieu. Il faut être existentiel, concret, réel. La vie, elle est faite de relations. Parmi nos relations, il y a une relation privilégiée, c'est la relation à Dieu. Il faut que cette relation soit vraie, authentique. Or la vérité de notre relation à Dieu c'est que nous sommes des enfants pardonnés dans les bras d'un Père qui pardonne.

    Ce qu'on appelle la vertu de pénitence c'est la prise de conscience de cette relation entre l'homme et Dieu. Si je me présente devant Dieu comme un innocent, ma relation à Lui n'est plus une relation vraie. Et si Dieu n'est pas pour moi avant tout Celui qui pardonne, ma relation à Lui n'est pas une relation vraie. La plus profonde de toutes les réalités c'est la réalité du pardon divin. Nous pourrions dire que la réalité du pardon de Dieu c'est le coeur du coeur de la révélation judéo-chrétienne.

    Vous savez que les païens avaient pressenti la grandeur du pardon. Les païens avaient un mot dont il est très dommage qu'on ne l'emploie plus guère dans la langue française : le mot "magnanimité". On a écrit il n'y a pas tellement longtemps une thèse de doctorat sur la "magnanimité". Etre magnanime c'est être à la fois courageux et être compatissant. Ce qu'on appelle la "grandeur d'âme" implique à la fois le courage et la compassion. Nous trouvons cela chez les païens. Lorsque Thésée a délivré des prisonniers du labyrinthe il élève un autel à la ....... (inaudible). Et dans l'Iliade, Achille est grand par son courage, bien sûr, mais aussi et surtout par sa compassion pour le vieux père de celui qui a tué son ami. Bossuet écrit : "Lorsque Dieu formait les entrailles de l'homme il y mit premièrement la bonté." Or Dieu a fait l'homme à son image, c'est donc Dieu d'abord qui a des "entrailles". C'est bien dommage que les fidèles ignorent que derrière les mots que nous utilisons si souvent : "miséricorde", "pitié" : Seigneur prends pitié ! O Christ prends pitié! derrière tous ces mots-là il y a une racine qui signifie "utérus", "matrice", "sein maternel". Quand nous disons : Seigneur prends pitié, cela veut dire : "souviens toi que tu as des entrailles de mère". C'est une invocation à la maternité presque "physique", "viscéral" de Dieu.

    Ce qui est au cœur de la révélation chrétienne c'est la révélation du pardon divin. Alors ce que j'appelle la vertu de pénitence c'est la prise de conscience de cette réalité qui est la plus profonde de toutes les réalités, à savoir que nous sommes des enfants pardonnés dans les bras d'un Père qui a des "entrailles" de mère  et qui nous pardonne. C'est toute la Bible !

    Alors je préfère vous donner quelques textes de l'Ancien Testament, parce que tout le monde connaît les textes de l'Evangile : la brebis perdue, la pièce de monnaie égarée, le fils prodigue qui revient, l'insolvable sans entrailles en saint Matthieu (ch.18). Je préfère vous indiquer quelques grands textes de l'Ancien Testament parce que, avant de parler du sacrement de pénitence,  il faut comprendre ce qu'est LA pénitence.

    Pénitence est un mot qui traduit assez mal le grec "metanoïa" qui signifie : "changement de mentalité", changement de vie, retournement intérieur. Métanoïa : c'est le mot qu'emploie Jean-Baptiste au début de l'Evangile. Nous traduisons : "faites pénitence". cela veut dire : "retournez-vous" ! "changez de manière d'être" ! "changez de perspective"  : c'est cela qui rend possible la pardon divin.

    Eh bien, parmi les textes de l'Ancien Testament, il y a d'abord le prophète Osée.

    Avez-vous lu le prophète Osée ?

    Vous en avez pour vingt minutes, pas plus. Il est proprement inouï que des catholiques n'aient pas lu le prophète Osée : je dis bien vingt minutes, pas plus. C'est prodigieux. C'est à partir du drame personnel d'Osée que Dieu nous révèle la profondeur de son pardon. Le livre d'Osée c'est une prophétie en actes. Ce ne sont pas des paroles. C'est la vie même d'Osée qui a une valeur prophétique. Il a une femme, une femme qui s'appelle Gomer. Et c'est une femme qui est portée à la prostitution. Osée a peur qu'elle transmette à ses enfants ses mauvais penchants. Alors il hésite à l'épouser. Alors Dieu intervient et lui dit : "épouse cette femme et ton mariage aura une valeur d'enseignement", ton mariage avec cette femme portée à la prostitution aura un sens prophétique. Osée épouse Gomer. Gomer lui donne des enfants. Mais Osée, toujours sur l'ordre de Dieu, donne des noms, toujours symboliques, qui laissent présager que le malheur va s’appesantir."  (32:11)

                                                                          A suivre prochain post.

                                                       François Varillon

     

     

     

  • Confession ou psychanalyse (3)

    Je poursuis la retranscription de la conférence du Père Varillon. Si vous n'avez pas suivi depuis le début, je ne peux que vous inviter à lire "Confession ou psychanalyse" 1 et 2.

     

    Vous comprenez bien que de nos jours, nous connaissons mieux qu'autrefois la part de la subjectivité et de tout ses conditionnements. Tous ses conditionnements que  précisément, à la suite de Freud, la psychanalyse étudie.  Aujourd'hui, nous savons beaucoup mieux qu'autrefois que l'homme n'est pas seulement nature, mais histoire. Il n'est pas seulement ce qu'il est : nature, nature humaine, mais histoire, dynamisme, en mouvement. En marche. En marche vers des valeurs que l'on ne peut pas atteindre d'un seul coup.

    Et c'est pourquoi nous sommes beaucoup plus sensibilisés qu'autrefois à l'orientation d'une vie. L'orientation, c'est cela qui est intéressant. Comment une vie est-elle orientée ? Est-ce qu'elle est orientée vers le triomphe des valeurs : justice, liberté, fraternité...? C'est à cela que l'homme moderne s'intéresse,  beaucoup plus qu'à une nomenclature d'actes envisagés isolément, à part de la trame vitale dont ils font partie.

    C'est l'orientation d'une vie qui importe.

    Etes-vous dans la bonne direction ? Marchez-vous d'un pas allègre vers cette bonne direction ? Et qu'en cours de route il y ait des chutes, des faux pas :  ça n'a pas tellement d'importance.  C'est l'orientation qui importe.

    Et d'autre part, nous avons appris, grâce aux travaux de la psychologie et de la psychanalyse, nous avons appris à ne pas être "chosistes" : nos actes ne sont pas des choses.

    Nous avons appris à considérer chacune de nos décisions ou de nos actions  comme ayant sa part de valeur et de non-valeur. Autrement dit, dans chacune de nos actions, il y a une part de lumière et une part de ténèbre. Nous ne croyons plus qu'il y ait des actes purement lumineux et des actes purement ténébreux. Nous répugnons, toujours grâce aux travaux de la psychologie et de la psychanalyse, à classifier systématiquement les actes humains dans des catégories sans nuances d'actes bons ou d'actes mauvais. Nous hésitons à dire : ceci est un péché, cela n'en est pas un. Nous disons beaucoup plus volontiers : dans tel acte il y a du péché, des éléments de péché, ou, comme dit très bien Claudel "une température continuelle de péché", même dans nos actes les meilleurs et les plus généreux. Et réciproquement :  aucun de nos péchés n'est purement péché.

    Dans tout acte vertueux il y a une température de péché : le repli sur soi, l'égoïsme, le fait de se mettre en avant, et à l'inverse, aucun péché n'est purement péché. Dans tout péché il y a une part de valeur. Cela concorde parfaitement avec la doctrine de saint Thomas d'Aquin : il n'y a pas de péché à l'état pur.

    Alors vous comprenez que dans cette optique d'une morale dynamique des valeurs, on ne peut plus juger sa propre conduite à la manière légaliste du pharisien de l'Evangile : il ne trouvait rien à se reprocher. Cet homme (pour qui le Christ s'est montré très sévère) avait réellement respecté son code, le code des prescriptions, le code des défenses, c'est un homme qui était pur aux yeux de la Loi et le Christ nous dit qu'à ses yeux, il est foncièrement pécheur.

    Celui qui prend les valeurs comme critère de moralité ne peut plus être pharisien. Mais par contre alors, tout en se sachant pécheur, il risquera de ne rien trouver de précis à accuser en confession selon le code établi. Perpétuellement, j'entends des hommes, des femmes me dire : " faut-il que je me confesse car je ne sais pas quoi vous dire : je ne sais qu'une chose c'est que je suis égoïste dans toute ma vie."

    L'égoïsme est répandu partout. Selon le code très précis des prescriptions et des défenses il n'y a rien de particulier.   [à suivre]

                                                                    Père Varillon

  • Confession ou psychanalyse (2)

    Extraits tirés d'une conférence du Père Varillon.

    C'est toujours l'image d'un Dieu législateur qui légifère en vertu d'une autorité dont il est jaloux : c'est Dieu, il a bien le droit de légiférer. Et quand il légifère eh bien il faut obéir aux lois qu'il a édictés. Et ce Dieu législateur tient une comptabilité rigoureuse de nos actes pour récompenser comme pour punir, bref nous ne sommes pas tellement loin du Dieu de l'Inquisition ! Alors est-ce que cette conception de Dieu qui était très fréquente hier, chez nos parents, chez nos grands-parents [NDLR : cette conférence a été donnée autour des années 1972-1975] et plus encore chez nos arrières grands-parents, est-ce que cette conception d'un Dieu législateur n'a pas laissé chez les fidèles d'aujourd'hui comme chez certains confesseurs d'ailleurs de vieux réflexes dont on a beaucoup de mal à se débarasser alors que la conscience, la conscience moderne, la conscience des hommes d'aujourd'hui qui vivent avec leur temps. Je parle des hommes sérieux bien sûr, je ne parle pas de ceux qui veulent à tout prix être "dans le vent" comme on dit. Je parle des hommes véritablement sérieux mais qui sont tributaires de la culture de leur temps, de notre temps.

    Ils découvrent de plus en plus que la véritable morale c'est une morale des valeurs. La justice est une valeur, la liberté est une valeur, la fraternité est une valeur. Alors si une certaine éducation infantile - et c'est celle que j'ai reçue quand j'étais jeune - nous a habitué à apprécier notre conduite en nous référant à une liste de péchés, à une liste d'obligations : ceci est permis, ceci est défendu. Tu as fait ce qui est défendu donc tu es coupable et tu dois t'en confesser. Et cela, nous le savons bien, avec une insistance particulière et parfois maladive il faut bien le dire, sur les questions sexuelles. Bref, un code détaillé de péchés mortels ou véniels ; un catalogue des actions bonnes et des actions mauvaises ; des actions permises et des actions défendues. Eh bien, tout cela apparaît aujourd'hui à la fois comme trop minutieux et pas assez exigeant. Les deux. Si l'on disait simplement : c'est trop minutieux alors il faudrait tenir pour suspects ceux qui voudraient........ cette minutie. Mais ils disent en même temps que ce n'est pas assez exigeant et que de tels catalogues de ce qui est permis et de ce qui est défendu risquent d'engendrer à la fois un scrupule névrotique et un moralisme confortable. Et il est bien évident que scrupule névrotique et moralisme confortable sont incompatibles avec un christianisme vrai, un christianisme profond, car enfin ce que nous appelons les exigences de Dieu ce n'est pas autre chose que nos propres exigences, ce que nous exigeons si nous voulons être véritablement des hommes. Le Christ en nous révélant Dieu nous révèle à nous mêmes, et il nous dit ce que sont, en profondeur, nos propres exigences que souvent nous connaissons très mal parce que nous vivons à la surface de nous-mêmes. Et que vivant à la surface de nous-mêmes, nous ne sommes pas tellement soucieux d'être authentiquement des hommes.

                                                                   A suivre....

        François Varillon

    Vous pouvez écouter ses conférences audio grâce à l'atelier des Carmélites de Saint-Sever (Calvados) www.atelierducarmel.com :

    http://www.atelierducarmel.com/nv/index/fr_catalogue1_0_8_0_5.html?panier[237]=0

     

  • Confession ou psychanalyse (1)

    Extraits tirés d'une conférence du Père Varillon.

    (...) Il est vrai à la lettre que les cabinets de psychothérapie et de psychanalyse sont assiégés. Pour ce qui est de la confession, les catholiques qui ne l'ont pas abandonnée complètement s'interrogent sur son utilité ou sur sa nécessité. On sent bien que, de toute manière, elle leur ait à charge.  Et plus d'un, pour des raisons qui ne sont pas des raisons de facilité, des raisons de laissez-aller moral, verraient d'un bon œil la suppression du sacrement de pénitence. Nous entendons fréquemment des propos dans le genre de celui-ci : " pourquoi faut-il aller raconter ses péchés à un homme plutôt que de les confesser directement à Dieu, puisque ce qui compte, après tout, c'est la conversion intérieure." Il y en a qui redoutent que la confession ne soit une façon de se déculpabiliser à bon compte, une sorte de pratique magique et routinière de "vider son sac". C'est ainsi qu'un jeune homme de 25 ans disait récemment : " C'est tout de même trop facile, on commet des péchés, on va voir le curé dans sa boite, on lui raconte quelques histoires et le tour est joué, on repart à zéro. Dans ce cas, autant aller trouver une machine automatique, une machine à absolutions."

    Les uns redoutent les confesseurs rigoristes, voire scrupuleux,  qui traitent le cas qu'on leur présente un peu comme ils le faisaient au temps de leur jeunesse cléricale, dans les exercices de séminaire, comme s'ils avaient devant eux  un péché en quelque sorte abstrait et non pas un homme pécheur dans sa complexité vivante. Les autres redoutent tout autant les confesseurs débonnaires  qui débitent une exhortation toute faite qui n'a pas de lien avec l'accusation qu'ils ont entendue et des problèmes réels du pénitent. Il semble bien que la confession telle qu'elle se pratique encore actuellement dans l'Eglise, soit devenue une pierre d'achoppement pour des catholiques de plus en plus nombreux. Disons donc qu'il y a un malaise. 

    Alors la première chose à faire c'est de chercher les causes du malaise.

    Je pense qu'il faut laisser de côté tout ce qui serait orgueil, relâchement, absence d'esprit de sacrifice, refus d'humiliations. Il y a un peut-être un peu de tout cela. Mais je pense tout de même qu'il y a quelque chose de plus profond. Et c'est là que nous commençons à saisir qu'il peut y avoir une sorte de concurrence entre le sacrement de pénitence et la psychanalyse ou, plus généralement, la psychothérapie. En effet, la conscience humaine a évolué dans le sens d'une découverte progressive d'un Dieu qui n'est pas d'abord Juge mais qui est d'abord Père. On comprend très mal que la pénitence soit traditionnellement présentée comme un "tribunal" ; c'est  une expression qui était classique autrefois : "le tribunal de la pénitence". Ce mot de "tribunal" évoque à la conscience un contexte juridique et même policier qui relève d'un âge révolu Le mot "tribunal" fait penser à un Dieu autoritaire qui dicte des lois. Et des lois plus ou moins arbitraires : c'est comme ça parce que c'est comme ça. Des lois auxquelles il faut obéir minutieusement si l'on veut gagner le ciel et éviter l' enfer.

                                                                                A suivre...

     

                                            Père François Varrillon  

     

     

     

     

     

     

  • jugement universel et jugement particulier

    NOTE DE L' AUTEUR DE CE BLOG : 

    Ici François Varillon aborde un sujet extrêmement sensible. Ce texte a été écrit dans les années 1955-1958. Par la suite sa réflexion s'est enrichie sur ce sujet. Je compte mettre une conférence sur le même thème donnée par F. Varillon 20 ans plus tard.

     

    [366]

    Il faut d'abord envisager le jugement en son unité. Car il est un, plus profondément qu'il n'est multiple. Il s'achève seulement à la fin des temps, quand toute sa "matière" est donnée : alors son caractère social et cosmique est manifesté. En tant qu'individuel, il se réalise à la mort de chacun. Mais à ce double point de vue, il commence déjà au cours de l'histoire, à laquelle il est coextensif. 

    Le Jugement universel

    La doctrine du jugement dernier a été préparée et préfigurée dans l'Ancien Testament  par la notion du "jour de Yahvé". On entend par là toute intervention extraordinaire de Dieu pour éprouver, châtier, sauver : image du dernier Jour, et commencement de Jugement (cf. Amos 5, 18-20 ; et Sophonie, le prophète par excellence du "jour de Yahvé"). [367]. Le dernier Jour est celui de la délivrance d'Israël, de son salut définitif (cf. Daniel 7, 9-14 ; 12,1-3) : ce salut ne sera pas accordé à tous sans distinction, mais seulement à ceux dont les noms sont inscrits sur le Livre de vie ; en ce jour les morts ressusciteront et seront traités selon leurs mérités, " les uns pour la vie éternelle, les autres pour l'opprobre, pour la honte éternelle." Par ailleurs, le problème de la destinée individuelle est posé dans la littérature sapientielle sous la forme de la justice et de la rétribution.  Cette double ligne de développement aboutit à la révélation, dans le Nouveau Testament, du Jugement pleinement spirituel, universel et transcendant (Mt 16,27 ; 25,31-46 ; 2 Thes 1, 3-12 ; 2 Co 5,10 ; Rm 14,10 ; Jn 5,27-30). L'idée du jugement dernier est au premier plan de l'eschatologie des Pères, liée à la Parousie et à la résurrection : " Personne ne nie, écrit saint Augustin, personne ne doute que Jésus-Christ doive faire un dernier jugement, comme il est annoncé dans les saintes Écritures , sinon celui qui, par je ne sais quel aveuglement, refuse de croire aux Écritures mêmes." (De civ. Dei, XX,30). Plus tard, quand l'idée du retard de la vision béatifique aura été tout a fait abandonnée, le jugement universel perdra de son importance  au profit du jugement particulier.

    Le jugement particulier.

    Il est de foi définie que les justes "n'attendent pas" la fin des temps pour entrer dans la béatitude (Dz, 464,531) ; dès leur mort, les hommes sont jugés, et leur sort déterminé. Le jugement particulier, cependant, en tant que jugement n'est pas de foi comme le jugement général : l'Eglise n'en parle pas explicitement  [368] ni précisément dans les documents du Magistère. Quelques passages de l'Ecriture, à la vérité assez rares, insinuent l'idée d'une rétribution suivant immédiatement la mort : le pauvre Lazare emporté dans le sein d'Abraham tandis que le riche descend en enfer (Lc, 16, 22 sq.), Jésus promettant au bon larron une récompense "aujourd'hui même" (Lc 23,43), saint Paul exprimant sa certitude d'être réuni au Christ après sa mort, comme si mourir et être avec le Christ c'était tout un (2 Co 5,8 ; Phil 1,23). Mais une telle certitude n'implique pas un enseignement clair et explicite sur un jugement particulier distinct du jugement universel ; elle procède bien plutôt d'une expérience religieuse, celle d'une union infrangible avec le Christ, inaccessible aux événements extérieurs. Cette certitude coexiste, dans l'oeuvre de saint Paul, avec l'espérance du retour du Seigneur dans la gloire et de la réunion en Lui de tous les chrétiens. A partir de cette tension intérieure à la pensée paulinienne (certitude mystique de la possession actuelle du Terme, du Jugement déjà accompli, de la Présence donnée, et attente eschatologique), une doctrine explicite du jugement particulier pourra s'édifier. Elle se développera en liaison avec le problème du retard de la vision, posant maladroitement, en termes temporels, de multiples questions sur l'intervalle qui sépare deux jugements.

    Deux aspects d'une même réalité

    La fin de l'histoire est transcendante ; mais l'histoire elle-même n'aurait pas de sens si cette fin n'était déjà présente en elle et ne lui servait de critère. L'eschatologie chrétienne maintient une tension entre le Royaume toujours à venir et cependant déjà là. Elle croit à la réalité objective des événements derniers comme à l'actualité présente du jugement de Dieu. [369] La Tradition a progressivement dégagé l'eschatologie individuelle de l'eschatologie générale. La tentation serait plutôt aujourd'hui, passant en quelque sorte à l'autre extrême, d'absorber le général dans l'individuel jusqu'à ne plus voir dans la Parousie qu'un symbole de la réalité qui se révèle à la mort de chaque individu.

    Le jugement particulier et le jugement général sont les deux aspects d'une même réalité profonde. Nous ne disons pas : d'un même fait ; car ici et là on est hors du temps. Mais l'un et l'autre jugement se rapportent à des points de rupture différents de notre existence temporelle, de l'histoire de chacun de nous et de l'histoire du monde. Le jugement particulier porte sur une existence qui actuellement s'achève; le jugement général, sur l'humanité et le cosmos, en tant que tels, qui meurent pour ressusciter. Entre les deux, si l'on peut ainsi parler, et sachant qu'on parle ainsi du point de vue du temps - il y a la maturation du Corps mystique, l'espérance de la perfection de sa taille.

     

    Le Christ Juge

    C'est le Christ qui est notre Juge. le Jugement est, du point de vue de Dieu, ce qui, du nôtre, est option définitive. car l'option consiste à être pour ou contre le Christ. Nous reconnaissons, ou non, le Christ ; par suite, il nous reconnaît, ou non. Amici mei estis... Nescio vos...Ce sont les deux termes du jugement. C'est par rapport au Christ que l'homme est responsable. Par rapport à sa croix. Il est jugé sur l'attitude qu'il prend par rapport à sa Passion et à sa mort, c'est-à-dire par rapport à l'Amour car

    Il nous aime et nous a lavés de nos péchés par son sang, il a fait de nous un royaume de prêtres pour son Dieu et Père ; à lui donc gloire et puissance pour les siècles des siècles, amen. Voici qu'il vient, escorté des nuées ; chacun le verra, même ceux qui l'ont transpercé, et sur lui se lamenteront toutes les races de la terre. Oui, amen ! C'est moi l'Alpha et l'Omega, dit le Seigneur Dieu, Il est, Il était et Il vient, le Maître de tout (Apoc, 1,5-8)                     

                                               

     

    F. Varillon - Eléments de doctrine chrétienne tome 2 - Ed. de l'Epi DDB - 1961

     

     

  • l'éternité et un jour

     Le temps et l'éternité

    [363]

    Le temps n'est pas une réalité indépendante des êtres qui durent. Il n'est pas une sorte de réceptacle dans lequel se déroulerait leur devenir. Les êtres ne sont pas dans le temps: c'est le temps qui est en eux. Il y est comme la mesure de leur durée, s'ils sont matériels ou liés à la matière. C'est donc par son corps que l'homme est temporel.

    Au temps s'oppose l'éternité. On peut la concevoir d'abord comme une durée indéfinie et sans limite, un devenir sans termes, c'est-à-dire sans commencement ni fin. Platon et Aristote attribuaient une telle éternité au monde. Mais ce n'est pas une éternité qui s'oppose au temps : c'est bien plutôt l'éternité du temps. En effet, prolonger indéfiniment le temps n'affranchit pas du temps, n'exclut pas de l'existence les caractères qui sont propres aux êtres temporels, à savoir le changement, la succession, le devenir, la multiplicité. C'est pourquoi on ne pense correctement ni le temps  ni l'éternité, si l'on traduit graphiquement celle-ci par une ligne horizontale indéfinie, et celui-là par une section finie de cette ligne. 

    Pour concevoir intemporellement l'éternité, c'est-à-dire pour l'opposer réellement au temps, il faut [364] la définir comme une existence totalement et parfaitement présente à l'esprit et embrassée par lui. Ainsi transcendante au temps, affranchie des caractères du temps, hétérogène au temps, l'éternité ne lui est cependant pas étrangère : c'est elle qui lui donne sa consistance et sa densité spirituelle. Dieu est la Source de notre être  ; or notre être est temporel ; dire que Dieu est la Source de notre être, c'est donc dire équivalemment que l' Eternité est la source du temps. Le temps n'existe que par ce qu'il possède en lui d'éternité.

    Il faut donc penser l'éternité à partir du présent : sa représentation graphique la moins grossière serait une ligne verticale abaissée sur un point signifiant le présent. Ainsi peut-on comprendre qu'elle soit ce qui donne au présent - à mon présent - son poids, ce qui le gonfle de substance spirituelle. Ainsi peut-on comprendre aussi que le jugement, le ciel et l'enfer soient déjà présents au monde.

    L'imagination nous égare quand elle nous conduit à nous représenter comme temporels les événements qui constituent nos fins dernières. Notre mouvement instinctif est d'imaginer chacun de ces événements comme affecté d'une certaine durée qui se déploie dans un temps interne. Ainsi, disons-nous volontiers, l'âme "attend" au purgatoire  que sa purification soit achevée ; après quoi, "elle attend" au ciel la résurrection des corps. En outre, nous imaginons ces événements, ainsi déployés dans un temps interne, comme reliés les uns aux autres par un temps externe qui les englobe et les contient.
    Résistant à de tels entraînements, on peut comprendre, en fonction des distinctions ci-desus rappelées, certaines formules usuelles, comme " l'âme est jugée après la mort, purifiée après le jugement", etc. Elles ont d'abord, dans le langage du temps, un sens négatif. Elles signifient [365] que le jugement n'a pas lieu avant la mort, ni le purgatoire avant le jugement, que l'entrée au ciel ne précède pas le purgatoire, ni le jugement général la résurrection. Elles nient une antécédence temporelle de tel événement par rapport à tel autre. 

    Mais en outre, et positivement, elles affirment un rapport de dépendance entre tel événement et tel autre. Ainsi : la mort est la condition du jugement, le purgatoire est la condition de la béatitude, la mort du monde est la condition de la résurrection.

    On ne peut aller plus loin.

    On ne peut pas dire : le jugement suit temporellement la mort et précède temporellement le purgatoire. Mais on ne peut pas davantage affirmer que les trois événements sont simultanés ; car un rapport de simultanéité implique, lui aussi, référence au temps.

    L'Eglise enseigne que la béatitude des élus et l'enfer des damnés sont éternels. Elle ne dit pas, pour autant, qu'il n'y a pas de différence entre l'éternité des créatures et l'éternité de Dieu. Seul l'Infini absolument infini est éternel absolument. L'éternité de l'homme divinisé est contingente et limitée. Limitée par une limite qui n'est pas celle du temps, et qui ne peut être que mystérieuse  à l'intelligence humaine actuellement soumise aux catégories de l'espace et du temps. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que notre éternité est une participation à celle de Dieu, comme notre vie (de grâce et de gloire) est une participation à sa vie. Participation telle que l'activité du ciel ne se déploie pas dans le temps, ne se "déroule pas" - on dirait plus justement qu'elle "s'enroule", - ne se construit pas successivement et partie par partie.

    L'éternité  de l'enfer, affirmée par l'Ecriture (le feu qui ne s'éteint pas, le ver qui ne meurt pas, la chaos infranchissable), [366] a été niée à plusieurs reprises et de diverses façons. Les "conditionnalistes" (Arnobe) n'accordaient la survie qu'aux justes, et vouaient les "mauvais" à l'anéantissement. Les "restitutionnistes" (Origène) croyaient que tous les pécheurs seraient réintégrés dans le ciel. Contre ces théories et leurs survivances, l'Eglise a défini l'éternité de l'enfer, laissant à la réflexion théologique la tâche difficile d'en préciser l'exacte nature (...) C'est seulement en ce sens qu'il n'a pas de fin que l'on dit éternel le feu de l'enfer.... C'est pourquoi il n'y a pas de véritable éternité en enfer, mais plutôt un temps...).

     

                                                                          

    François Varillon - Eléments de doctrine chrétienne t2 - Ed le l'Epi DDB 1961

  • Chemin vers Pâques (24)

    [55]

    Gethsémani

    (...) Nous le contemplons à Gethsémani prostré comme un pauvre homme. Celui qui a dit : " Le Père et moi nous sommes un "(Jn 10,30), celui qui a dit : " Ma nourriture, c'est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé " (Jn 4,34), pour lui, à ce moment-là, pour sa conscience d'home, le Père est comme n'étant pas.

    Et que me dit l'Evangile ?

    Il me dit premièrement que Jésus éprouve la souffrance de vouloir être seul et de ne pas pouvoir rester seul. Vous pourrez prendre le récit, soit dans saint Matthieu 26, 36-46, soit dans saint Marc 14, 32-42, soit dans saint Luc 22,40-46, peu importe. Vous pouvez aller d'un évangile à l'autre. Saint Marc notamment indique nettement que Jésus allait et venait du groupe des apôtres, qui se sont endormis au rocher, au rocher où il aura sa sueur de sang. Un va-et-vient. Quand il est dans la solitude, il ne peut pas la supporter et il va trouver les apôtres. Et, quand il est auprès des apôtres, une urgence secrète le renvoie à la solitude. Tout pèse : et la solitude et [56] la société des hommes. (...)

    Deuxième chose que me dit l'Evangile : " Il tombait." Marc emploie l'imparfait de la répétition. Il faut traduire : "Il chancelait, il titubait, il ne pouvait se tenir debout, il ne faisait que tomber." Il a sur lui le poids de tout le péché du monde ; tout cet égoïsme que j'ai découvert en moi, tout cet égoïsme que j'ai lu sur la carte du monde dans la méditation du Règne (voir la note ci-dessous), tout cela, lui qui n'est pas pécheur, il le vit. Il a pris tout le péché sur lui. Il est en tout semblable à nous, sauf la responsabilité d'être pécheur. (...)

    Mystère insondable. Songez que, dans le premier chapitre de l'évangile de saint Jean, vous trouverez ensemble les deux mots Verbum et agnus. Jésus est le Verbe de Dieu, Dieu-Verbe, et en même temps il est l'agneau qui porte le péché du monde et qui ne l'enlève qu'en le portant, parce qu'il ne joue pas la comédie. (...) [57] Dans L'annonce faite à Marie (Paul Claudel), on voit Violaine baiser le lépreux. Le lépreux est purifié et c'est elle qui est devenue lépreuse. C'est absolument cela. Pour nous purifier de la lèpre, le Christ devient le lépreux de l'humanité. Toutes les controverses avec les confessions protestantes ou réformées sont venues de ce que les protestants n'ont jamais pris cela en vérité, en profondeur. Ils ont parlé de Jésus revêtu d'un manteau. Non, ce n'est pas un manteau qui le recouvre, c'est son être même dans sa profondeur.

    Troisièmement, l'Evangile emploie des mots que je dois méditer. "Jésus éprouve un dégoût, une nausée". Je sais ce que c'est que la nausée. J'essaie de réaliser ce qu'a pu être la nausée du Christ, la nausée d'être devenu le péché du monde. L'Evangile me parle aussi de honte et puis de peur. Si je n'ai jamais connu la honte, j'ai certainement connu la peur, la peur de mourir, la peur de souffrir, la peur viscérale, la peur de l'homme qui redoute la souffrance.

    Quatrièmement, l'Evangile me dit que, dans tout cela, titubant, allant et venant, comme l'homme dans le plus total désarroi, rempli de nausée, de honte et de peur, il prie et " il prie en répétant toujours la même parole - eumdem sermonem dicens (Mt 26,44 dans la traduction latine de la Vulgate). Nous avons de la peine, nous, à prier dans la difficulté, dans le désarroi, dans le dégoût. C'est à ce moment-là que nous avons le plus de peine à prier. Il faut que notre difficulté à prier soit notre prière même. Et que dit-il dans cette prière ? C'est la prière absolument parfaite, le modèle de toute prière. Une prière à deux temps, qui ne sont pas successifs mais simultanés. Le premier temps, c'est le cri humain. On pourrait presque dire le cri de l'animal, le cri de la bête qui a peur. "Que ce calice s'éloigne de moi !"  Et que le Christ ait dit cela pour nous est beau. Cela signifie que nous pouvons le dire  nous aussi, que nous pouvons pousser le cri humain, le cri de l'animal qui a peur : "Que ce calice s'éloigne !" C'est légitime, c'est permis, c'est humain. De même que Jésus a pleuré au tombeau de Lazare, pleuré sur Jérusalem, il dit " Que ce calice s'éloigne !". Mais en même temps : " Que ta volonté soit faite !" Pour nous, il existe toujours un décalage entre les deux, plus ou moins ; pour lui les  [58] deux sont simultanés. Son cri devient le cri filial. En même temps qu'il exprime sa peur d'homme, il est complètement soumis à la volonté du Père : " Que ta volonté se fasse !", le fiat de Jésus avec Dieu. 

    Je réfléchis. Dans ma vie, il y aura des moments où je ne pourrai pas dire autre chose que fiat, où ma prière ne sera pas une méditation avec des idées   mais simplement ce murmure, peut-être même à peine articulé, un fiat dans la profondeur, à peine perceptible par nous, mais perceptible par Dieu.

    "Alors, me dit l'Evangile, à ce moment-là, un ange lui apparut." Qu'est-ce que cet ange ? Peu importe le genre littéraire, cet ange est à la foi la présence et l'absence du Père. Il est la présence du Père parce qu'il vient de la part du Père, et il est l'absence du Père parce qu'il n'est pas le Père, il n'est qu'un ange.

    Présence, absence. Le clair-obscur où Dieu nous est présent comme absent, comme caché. Nous connaissons, nous en avons l'expérience ; ce sont de véritables expériences spirituelles de notre vie. Parce qu'il y a cette présence-absence, le Christ n'est pas désespéré, il ne peut pas être désespéré. Cette absence-présence du Père nous dit que, dans le plus profond désarroi, il n'est pas désespéré. Un peu comme dans ces tableaux de Rembrandt ou des paysagistes hollandais, sombres, les arbres tendus dans la tempête, déchiquetés, il y a une lumière quelque part. On ne sait pas où est la source lumineuse, mais il y en a une, suffisamment pour que les ténèbres ne soient pas totales. L'ange signifie que l'âme de Jésus est dans les ténèbres les plus profondes, mais il y a un point lumineux qui empêche le désespoir, un tout petit point, ce que les mystiques appellent "la cime de l'âme". D'autres disent "le fond de l'âme". Cela suffit pour qu'on ne soit pas désespéré. Et cela suffit pour que Jésus, au moment où Judas apparaît à l'entrée du jardin, ait la force d'aller au-devant de lui et de se tenir debout. le petit point lumineux qui suffit pour qu'on ait le courage de se tenir debout et de faire son travail. 

    Alors je m'unis à tous ceux qui tomberont, qui sont dans les ténèbres. (...) [59] Tout en m'unissant à tous ceux qui souffrent dans le monde - ce Christ qui est en agonie jusqu'à la fin du monde (cf. Blaise Pascal, Pensées) -, je pense au moment dans ma vie où, peut-être, j'en serai là et où je n'aurai qu'une ressource : croire que le Christ a agonisé plus que moi et que son agonie me donne le pouvoir de me tenir debout, de sourire aux hommes et de faire mon travail.

     

    ---------------------------------------------------------------------------------

    Note :

    François Varillon, jésuite, donne les Exercices spirituels de Saint Ignace à des retraitants, par conséquent la terminologie employée est celle des Exercices. La méditation du "Règne" ouvre la deuxième semaine des Exercices n° 91-100.  

     

    François Varillon - La Pâque de Jésus - Ed Bayard, 1999

     

  • Chemin vers Pâques (23)

    [44]

    Lavement des pieds

    Le lavement des pieds n'est pas d'abord un enseignement moral, mais d'abord le dévoilement d'un mystère. Le christianisme est bien au-delà de la morale. Certes, il implique une morale, mais en lui-même, il est bien au-delà. Aussi je vous propose de lire cette scène du lavement des pieds en la commentant par le grand texte de la lettre de saint Paul aux Philippiens sur la kénose (Phil 2,5-9); C'est là que se trouve le mot ekenôsen, en latin exinanivit : il s'est anéanti. C'est la révélation de l'humilité de Dieu. Et si j'ai choisi cette scène, c'est parce qu'elle nous fournit l'occasion de revenir sur la vérité du fondement, l'humilité de Dieu (Cf. "Vivre le christianisme" de F. Varillon et les cinq instructions sur le fondement). La toute puissance, la force, qui s'incline devant ce qui est le plus petit, le plus faible. La puissance de Dieu n'est en aucune manière la puissance telle qu'on l'entend dans le monde. En aucune manière. Jamais. C'est la force spirituelle, la puissance spirituelle, qui consiste à s'incliner librement devant ce qui est le plus petit. Ici je déclare mon impuissance à dire mieux les choses. Il faut réaliser au-dedans de soi que la puissance infinie de Dieu, c'est son humilité infinie. Cette puissance dont aucun homme, dont aucun ange n'est capable, même le plus grand. Le plus grand ange, qui vous voit et qui voit Dieu, est impuissant, lui, à s'incliner librement et en toute vérité devant ce qui est le plus faible et le plus petit. C'est cela, la puissance de Dieu  et il n'y en a pas d'autre. C'est une puissance infinie d'abaissement. L' Incarnation est l'humilité éternelle de Dieu. Voilà pourquoi Jésus est l'esclave... Il naît pour révéler ce qu'est la puissance de Dieu, qui est la puissance d'être le serviteur du plus petit. En dehors de là, il n'y a pas de spiritualité, il n'y a qu'un Dieu Jupiter qui est je ne sais quoi ou quelle cause du cosmos ; on dira tout ce qu'on voudra. Cela n'a rien à voir avec Dieu, rien. Et, une fois de plus, je m'interroge en me demandant s'il m'est possible en toute vérité d'avoir une relation d'amour avec un autre Dieu que ce Dieu-là.  

    [45]

    Tout à l'heure au cours de la liturgie, vous lisiez ce qui est écrit : "Dieu tout-puissant et miséricordieux..." Il faut comprendre ainsi : " Dieu dont la puissance est la miséricorde." Il n'y a pas une puissance et une miséricorde.  (...)

    Jésus est l'esclave, il entre en esclavage, il est au plus bas, à genoux devant les hommes. C'est cela sa puissance. Allez donc vous mettre à genoux devant quelqu'un. Pour cette puissance d'aimer, il faut la toute-puissance infinie. C'est cela, la kénose. La part qui ne peut pas être ravie à Dieu, c'est le regard de Jésus agenouillé devant les apôtres. En Jésus agenouillé devant les apôtres, avec son linge autour des reins et qui frotte les pieds des apôtres, pleins de poussière, et qui les regarde de bas en haut, à ce moment là Dieu commence à nous être révélé dans sa vérité. C'est cela, le Dieu de vérité (...) il n'y a pas d'autre Dieu possible (...). Ou cela est vrai, ou c'est l'athéisme qui est la vérité.

    Ce n'est pas par des raisonnements qu'on arrive à comprendre cela. Il faut contempler et il faut revivre par le dedans. La puissance d'aimer est un anéantissement de soi. Et Jésus dit à Pierre : " Si je ne te lave pas, tu n'auras pas de part avec moi. Car la vie éternelle que je suis venu apporter aux hommes, c'est cette vie-là. C'est cela qui sera la vie éternelle et qui constituera la béatitude." Or, moi, je cherche la béatitude dans un autre genre de puissance. Non seulement moi, mais tout le monde pécheur. Le message que nous avons à livrer au monde est là. (...)

    F. Varillon - La Pâque de Jésus - Ed Bayard 1999

  • Chemin vers Pâques (22)

    [22]

    La mort, commencement d'une résurrection.

    J'attire votre attention sur ce point : la résurrection est à l'intérieur même de la mort. Le Christ monte à sa résurrection. Evidemment, au plan de l'histoire, au plan du phénomène, comme diraient les philosophes, cela ne vient qu'après trois jours. Mais faites bien attention, il ne ressuscite pas trois jours après. Ce qui se passe trois jours après, c'est qu'il se fait voir ressuscité... Il n'y a pas une mort suivie d'une résurrection. C'est la mort même qui est le passage en Dieu.

    Si notre résurrection n'est pas totale à l'heure de notre mort, après avoir rendu le dernier soupir, c'est le commencement d'une résurrection. Mais le commencement de la résurrection est immédiat. On ne fait pas antichambre. Une âme séparée dans l'antichambre pour attendre de reprendre son corps à la fin du temps, cela est de la mythologie pure et simple. Qu'est-ce que cette âme séparée de son corps ? Saint Thomas d'Aquin a buté sur cette question. On ne peut pas dire cependant que nous ressuscitons totalement à notre mort, car notre résurrection ne peut être totale que lorsque tous nos frères seront assis à la table du Père de famille, comme nous l'avons médité dans la parabole des chômeurs (cf. F. Varillon, Le message de Jésus, p. 179-194); ce qui veut dire que notre mort inaugure une nouvelle histoire, qui est l'histoire de notre résurrection. Elle commence et elle ne sera pleinement [23] achevée qu'à la fin des temps, quand le monde entier sera devenu le corps du Christ. Car la véritable identité du monde, c'est d'être le corps du Christ. Et cela en profondeur, avant d'être un ensemble de protéines, ou de tout ce que vous voudrez. (...) Dans son dernier livre, que je vous conseille beaucoup, le père Martelet (Gustave Martelet - Résurrection, eucharistie et genèse de l'homme, Desclée, Paris 1972) montre bien que ce qui nous est donné dans l'eucharistie, sous forme d'un petit morceau de pain et de vin, c'est le monde dans son identité la plus profonde. Le monde est le corps du Christ et il ne le sera pleinement qu' à la fin des temps.

    F. Varillon - La Pâque de Jésus -  Ed. Bayard 1999 

  • Chemin vers Pâques (21)

    [20]

    La troisième pâque de l'histoire est la nôtre. Il y a autant de pâques qu'il y a d'actes libres, d'élections, pour prendre le mot des Exercices [voir les Exercices spirituels de st Ignace, surtout les numéros 169-188), de décisions où l'on meurt à son égoïsme. Le fond des choses, c'est que chacune de nos décisions a une structure pascale. Chacune de nos décisions est une mort. Il faut mourir à son égoïsme, au regard sur soi, au souci de soi, pour s'occuper des autres tout simplement. C'est donc une mort ; notre foi est que cette mort est une résurrection.

    Tout est dans la décision, tout est là. Et quand nous disons que c'est la décision qui nous construit pour la vie éternelle, c'est vrai en rigueur de termes. Et cette décision a nécessairement une structure pascale. C'est une mort et c'est un passage au Christ. A tout instant, dans chacune de nos décisions, nous passons au Christ pour vivre éternellement d'une vie christifiée. Cela est la base de toute l'éducation de l'enfant : valeur du don, valeur de la décision, mourir à soi-même.

    Ne faisons pas les malins. Les chrétiens n'ont pas le privilège de la mort à soi-même. Il faut y aller doucement. Nous employons ce mot-là que d'autres n'emploient pas. (...) [21] (...) Nous n'avons absolument pas le monopole, mais nous croyons - et c'est cela  le message de l'Evangile - qu'en mourant à soi-même on passe au Christ, on vit de la vie même du Christ, on est christifié, on est divinisé. Et cette foi devrait nous donner l'énergie de nous trouver au premier rang toutes les fois qu'il faut mourir à soi-même pour faire un peu plus de justice et un peu plus de bonheur sur terre. Le scandale, c'est que notre foi, qui est la foi en la résurrection, c'est-à-dire dans le passage au Christ au coeur même de nos décisions, que cette foi-là ne nous donne pas l'énergie d'aller toujours au premier rang de ceux qui mènent le combat fraternel humain.

    Voilà qui répond à des tas de questions qui nous sont posées : qu'est-ce que la foi ajoute ? On entend cela continuellement. Les jeunes demandent : " Ca résout quoi la foi au Christ ?" Il n'y a pas autre chose à répondre. Croire que toute mort est une résurrection, et pas n'importe quelle résurrection, mais le passage au Christ même, à sa vie pour l'éternité. C'est cela qui devrait faire que les chrétiens aient toutes les initiatives, qu'ils soient au premier rang du combat. (...)

    Mais quand il s'agit de sacrifice, autrement dit de mort à soi-même, c'est maintenant. Je ne passerai pas au Christ après ma mort, j'y passe dans chacune de mes décisions. [22] Et à la mort, qu'est-ce qui se passe ? A la mort, je découvre que je suis devenu Christ par toute ma vie. Voilà ce qu'on peut dire pour comprendre le mystère pascal. Il ne faut pas séparer notre vocation à la divinisation de ce mystère de mort et de résurrection.

    François Varillon - La Pâque de Jésus - Ed Bayard 1999

     

  • Chemin vers Pâques (20)

    [19]

    Le deuxième passage est la pâque du Christ, celle que nous méditons en ce moment. Lui qui est l'homme, l'homme en plénitude, lui passe à son tour. Là, ne faisons pas d'éloquence, prenons les mots mêmes de saint Paul (Phil 2,6-7) : Il passe de la vie en forme d'esclave (forma servi) à la vie en forme de Dieu (forma Dei). La vie en forme d'esclave, c'est sa vie de peines. Il a pleuré, il a eu chaud, il a eu froid, il a souffert de la mort de Lazare... Entre la vie en forme d'esclave et la vie en forme de Dieu, il y a un désert. Ce désert, [20] c'est le Calvaire. Jésus ne peut monter à la vie en forme de Dieu, à son introduction au coeur de la Trinité, qu'en montant au Calvaire. Tout est là, vous le sentez bien. Au plan de ce qu'on éprouve, c'est la montée au Calvaire, les souffrances ; au plan de la réalité profonde des choses, c'est la montée à la vraie vie, la vie divine.

    Dans l'Eucharistie, le pain "meurt" à son état de pain. il est très vrai que ce n'est plus du pain. Cela ne signifie pas que le pain est remplacé par le corps du Christ  ; ce serait un mépris de l'homme, comme nous l'avons médité. [Quand elle grandit] la petite fille n'est pas remplacée par une femme, la chenille n'est pas remplacée par un papillon, le grain de blé n'est pas remplacé par un épi. C'est le pain qui devient le corps du Christ, c'est l'homme christifié. C'est cela, le mystère de mort.

    François Varillon - La Pâque de Jésus - Bayard Ed. 1999

  • Chemin vers Pâque (19)

    [17]

    Pâque veut dire passage, passage par la mort, par le seuil de la mort. Il y a trois pâques dans l'histoire : la pâque des Hébreux ; la pâque du Christ que nous méditons en ce moment et notre pâque à nous.

    La pâque des Hébreux

    Dans la catéchèse courante, on raconte aux enfants des tas de petites histoires, mais on les laisse ignorer le livre de l'Exode, cela est scandaleux. Or il est extrêmement facile, me semble t-il, d'en rendre accessible l'essentiel à de jeunes enfants.

    Voilà donc des Hébreux qui sont une minorité opprimée en Egypte. Ils travaillent sous le fouet, avec un maigre salaire, leur portion d'oignons - les fameux oignons que l'on voit encore pendre de nos jours dans les petites baraques, comme en France on vend des marrons en hiver. Les Arabes qui n'ont pas d'argent achètent quelques sous, quelques centimes d'oignons. Un jour, le pharaon décida d'augmenter les cadences. Dans le monde moderne, tout le monde sait ce qu'est l'augmentation des cadences. (...) Augmentation des cadences [18], c'est-à-dire plus de travail sans augmentation de salaire. Le pharaon décida que les Hébreux transporteraient non seulement les briques pour la construction des maisons, mais qu'il leur faudrait aussi trouver de la paille et la transporter. On fabriquait les maisons avec des agglomérés de brique, de paille et de terre sèche. Oppression, donc.

    Moïse interrogea Yahvé en lui disant : " C'est intolérable. Ton peuple est opprimé." Et Yahvé répondit : " Oui, tu as raison, c'est intolérable. Je ne veux pas que mon peuple soit un peuple d'esclaves. J'ai entendu la clameur qui monte de mon peuple, le cri des opprimés..." C'est  l'esclavage. Alors Yahvé dit : " Tu vas prendre la tête de la colonne et tu vas les faire passer - pâque, c'est-à-dire passage - dans la terre que j'ai promise à tes Pères, la terre de Canaan et qui est la terre de la liberté. Je veux que mon peuple soit un peuple libre. " L'Evangile ne peut pas  être entendu par un peuple qui n'est pas libre, ce n'est pas possible. 

    Poussons un peu plus loin si nous voulons pouvoir dialoguer avec nos contemporains. Qu'est-ce que c'est que la liberté d'un peuple ? C'est toujours deux choses : l'indépendance politique et la prospérité économique. Quand l'une des deux manque, le peuple n'est pas un peuple libre. Or la terre de Canaan sera une terre d'indépendance politique et Dieu interviendra toutes les fois que l'indépendance politique sera menacée par les Assyriens, les Babyloniens, les Egyptiens... Prospérité économique : c'est la terre où coulent le lait et le miel (Cf. Ex 3,8) dit la Bible.

    Oui, mais entre l'Egypte de l'esclavage et la Palestine de la liberté s'étend un désert, immense, le désert du Sinaï, et ce désert doit être franchi. Tel est le désert, impossible de le contourner (...) Pas de métro, pas d'avion. Il faut traverser le désert. Quarante ans. Un chiffre symbolique évidemment, c'est-à-dire un temps très long. Nous retrouvons ce chiffre symbolique avec les quarante jours du carême, les quarante jours de Jésus au désert au commencement de sa vie publique... C'est la reprise des quarante ans, c'est-à-dire du temps très long de la traversée du désert.

    [19] Plus les Hébreux avancent dans le désert, plus ils ont le sentiment d'aller vers la mort. Ils tombent d'ailleurs comme des mouches. Une véritable retraite de Russie où ils sont affrontés non pas à la neige, mais au soleil et à la calcination. Ils ont faim et il faut le miracle de la manne. Ils ont soif et il faut que Moïse fasse jaillir l'eau du rocher avec sa baguette. Il y a le miracle des cailles. Et leur tentation c'est de regretter leurs oignons, comme le grain de blé qu'on enfonce en terre regrette son petit bonheur de quatre sous dans son grenier, et comme la chenille commence par regretter sa vie de chenille et la petite fille sa vie d'enfant.

    Alors, c'est la révolte. Ils veulent revenir en arrière. Claudel a transposé cela dans son Livre de Christophe Colomb. Lorsqu'au milieu de l'océan il n'y a plus à manger, plus rien à boire, etc., les soldats de Christophe Colomb se révoltent  et veulent revenir en arrière et ne pas découvrir le Nouveau Monde, qui est le symbole de la vraie vie.

    On ne peut pas court-circuiter le désert. On ne peut pas échapper à la mort comme seuil de la vraie vie. C'est le thème du désert, qui est fondamental dans la vie. (...)

    C'est la première pâque de l'histoire, le premier passage de la vie présente à la vie divine.  

    Francois Varillon - La Pâque de Jésus - Bayard Editions 1999