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éternité

  • l'éternité et un jour

     Le temps et l'éternité

    [363]

    Le temps n'est pas une réalité indépendante des êtres qui durent. Il n'est pas une sorte de réceptacle dans lequel se déroulerait leur devenir. Les êtres ne sont pas dans le temps: c'est le temps qui est en eux. Il y est comme la mesure de leur durée, s'ils sont matériels ou liés à la matière. C'est donc par son corps que l'homme est temporel.

    Au temps s'oppose l'éternité. On peut la concevoir d'abord comme une durée indéfinie et sans limite, un devenir sans termes, c'est-à-dire sans commencement ni fin. Platon et Aristote attribuaient une telle éternité au monde. Mais ce n'est pas une éternité qui s'oppose au temps : c'est bien plutôt l'éternité du temps. En effet, prolonger indéfiniment le temps n'affranchit pas du temps, n'exclut pas de l'existence les caractères qui sont propres aux êtres temporels, à savoir le changement, la succession, le devenir, la multiplicité. C'est pourquoi on ne pense correctement ni le temps  ni l'éternité, si l'on traduit graphiquement celle-ci par une ligne horizontale indéfinie, et celui-là par une section finie de cette ligne. 

    Pour concevoir intemporellement l'éternité, c'est-à-dire pour l'opposer réellement au temps, il faut [364] la définir comme une existence totalement et parfaitement présente à l'esprit et embrassée par lui. Ainsi transcendante au temps, affranchie des caractères du temps, hétérogène au temps, l'éternité ne lui est cependant pas étrangère : c'est elle qui lui donne sa consistance et sa densité spirituelle. Dieu est la Source de notre être  ; or notre être est temporel ; dire que Dieu est la Source de notre être, c'est donc dire équivalemment que l' Eternité est la source du temps. Le temps n'existe que par ce qu'il possède en lui d'éternité.

    Il faut donc penser l'éternité à partir du présent : sa représentation graphique la moins grossière serait une ligne verticale abaissée sur un point signifiant le présent. Ainsi peut-on comprendre qu'elle soit ce qui donne au présent - à mon présent - son poids, ce qui le gonfle de substance spirituelle. Ainsi peut-on comprendre aussi que le jugement, le ciel et l'enfer soient déjà présents au monde.

    L'imagination nous égare quand elle nous conduit à nous représenter comme temporels les événements qui constituent nos fins dernières. Notre mouvement instinctif est d'imaginer chacun de ces événements comme affecté d'une certaine durée qui se déploie dans un temps interne. Ainsi, disons-nous volontiers, l'âme "attend" au purgatoire  que sa purification soit achevée ; après quoi, "elle attend" au ciel la résurrection des corps. En outre, nous imaginons ces événements, ainsi déployés dans un temps interne, comme reliés les uns aux autres par un temps externe qui les englobe et les contient.
    Résistant à de tels entraînements, on peut comprendre, en fonction des distinctions ci-desus rappelées, certaines formules usuelles, comme " l'âme est jugée après la mort, purifiée après le jugement", etc. Elles ont d'abord, dans le langage du temps, un sens négatif. Elles signifient [365] que le jugement n'a pas lieu avant la mort, ni le purgatoire avant le jugement, que l'entrée au ciel ne précède pas le purgatoire, ni le jugement général la résurrection. Elles nient une antécédence temporelle de tel événement par rapport à tel autre. 

    Mais en outre, et positivement, elles affirment un rapport de dépendance entre tel événement et tel autre. Ainsi : la mort est la condition du jugement, le purgatoire est la condition de la béatitude, la mort du monde est la condition de la résurrection.

    On ne peut aller plus loin.

    On ne peut pas dire : le jugement suit temporellement la mort et précède temporellement le purgatoire. Mais on ne peut pas davantage affirmer que les trois événements sont simultanés ; car un rapport de simultanéité implique, lui aussi, référence au temps.

    L'Eglise enseigne que la béatitude des élus et l'enfer des damnés sont éternels. Elle ne dit pas, pour autant, qu'il n'y a pas de différence entre l'éternité des créatures et l'éternité de Dieu. Seul l'Infini absolument infini est éternel absolument. L'éternité de l'homme divinisé est contingente et limitée. Limitée par une limite qui n'est pas celle du temps, et qui ne peut être que mystérieuse  à l'intelligence humaine actuellement soumise aux catégories de l'espace et du temps. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que notre éternité est une participation à celle de Dieu, comme notre vie (de grâce et de gloire) est une participation à sa vie. Participation telle que l'activité du ciel ne se déploie pas dans le temps, ne se "déroule pas" - on dirait plus justement qu'elle "s'enroule", - ne se construit pas successivement et partie par partie.

    L'éternité  de l'enfer, affirmée par l'Ecriture (le feu qui ne s'éteint pas, le ver qui ne meurt pas, la chaos infranchissable), [366] a été niée à plusieurs reprises et de diverses façons. Les "conditionnalistes" (Arnobe) n'accordaient la survie qu'aux justes, et vouaient les "mauvais" à l'anéantissement. Les "restitutionnistes" (Origène) croyaient que tous les pécheurs seraient réintégrés dans le ciel. Contre ces théories et leurs survivances, l'Eglise a défini l'éternité de l'enfer, laissant à la réflexion théologique la tâche difficile d'en préciser l'exacte nature (...) C'est seulement en ce sens qu'il n'a pas de fin que l'on dit éternel le feu de l'enfer.... C'est pourquoi il n'y a pas de véritable éternité en enfer, mais plutôt un temps...).

     

                                                                          

    François Varillon - Eléments de doctrine chrétienne t2 - Ed le l'Epi DDB 1961

  • Mais il y a la prière...

    Le nœud du problème de l'homme, ce n'est pas l'homme lui-même ; c'est un Objet, infiniment beau, situé au-dessus de l'homme et qui rendra l'homme heureux dans un contact personnel, pour l'éternité. Et avant même cette éternité, aujourd'hui déjà ; et à la portée de quiconque cherche, il y a la douceur, l'innocence, l'apaisement, dans la vérité de Jésus-Christ. Pour tendre une main secourable aux perdus de l'amour, égarés sur de mini-objets, il faut se perdre soi-même dans l'amour pour Dieu, le véritable Objet.

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  • Albert Camus : " j'ai des amis catholiques"

    Le 7 janvier 1960, je suis en fin de tournage [le dialogue des Carmélites]. La veille, après visionnage des "rushes", je suis rentré chez moi à Versailles et me suis couché au plus tôt, pour être sur le plateau le lendemain à neuf heures. Le 7, j'arrive au studio, comme d'habitude en avance sur les autres. Je vais boire un café à la cantine. Un journal traîne sur la table : en première page, un titre : Camus a été tué dans un accident de la route. Michel Gallimard conduisait. Il est lui-même mourant.

    Rien comme la mort pour vous révéler les liens qui vous rattachent à un être. Camus est mort. Mon premier réflexe : je prie aussitôt pour lui. Depuis l'enfance, j'ai ce réflexe devant la mort. Je sais qu'elle n'est qu'une mutation décisive, et, à vrai dire, je n'éprouve aucune inquiétude pour Camus : s'il y a jamais eu au monde un homme de bonne volonté, l'un de ceux à qui fut promise la paix, c'est bien lui. Il se disait animé d'une "incroyance passionnée". Je suis moi-même possédé par une foi passionnée. Quelle surprise pour-lui d'avoir subitement changé de registre : plus d'espace, plus de temps, plus de catégories rationnelles dont il s'est toujours méfié, mais l'âme toute nue, comme on est nu à la naissance, et recueillie en des mains maternelles. "La chute", "l'exil", "le Royaume", ce qui n'était pour lui que mythes littéraires, tout cela maintenant a pris son poids dans la réalité, la réalité d'un monde autre. (...) Dans la ténèbre de cette mort soudaine, il m'a semblé saisir pour la première fois l'âme de Camus comme l'éclair révèle dans un miroir l'iamge fugitive du reflet d'un autre". (Bruckberger pp.102-103)

    " J'ai des amis catholiques, et pour ceux d'entre qui le sont vraiment, j'ai plus que de la sympathie, j'ai le sentiment d'une partie liée. C'est qu'en fait ils s'intéressent aux mêmes choses que moi. A leur idée, la solution est évidente, elle ne l'est pas pour moi...Mais ce qui nous intéresse, eux comme vous, c'est l'essentiel ". Lettre d' Albert Camus à Francis Ponge - 30 août 1943 (Pléiade, Essais, p.1596)

     

    " J'ai dû mal m'expliquer avec Camus, pour moi la solution n'est pas "évidente". saint Augustin a dit : " Qu'y a-t-il d'étrange à ce que tu ne comprennes pas. Si tu comprends , ce n'est pas Dieu ! " C'est vrai, pourtant, que je ne saurais trouver meilleure définition à l'amitié, entre Camus et moi, que celle d'une "partie liée" (Bruckerberger pp.99-100)

     

    " Les femmes étaient prêtes, bien peignées, parfumées, bijoutées, élégantes. Il est étonnant qu'une cabine de bateau, si exiguë, contienne tant de colifichets. Le repas puis le retour vers le bateau, tard dans la nuit, sont la fête des retrouvailles. La conversation est légère, futile, avec cette insouciance et cette gentillesse que nous avons toujours eues entre nous, la rosserie parisienne laissée au vestiaire. On vivait.  On riait, jouissant à plein de la minute présente, de sa grâce, de la douceur de la nuit hellénique. Que notre joie est juste, sonne juste ! Avant de se quitter, on se promet, on se jure, de refaire cette réunion à Paris, avec les mêmes, rien que les mêmes, pas un de plus, pas un de moins. Quand ? On a bien le temps d'y penser. Non ! on n'a plus le temps. Avant dix-huit mois, Camus et Michel Gallimard seront morts.

    Cette ultime rencontre sur le port de Rhôdes a eu sur-le-champ, et pour moi plus encore par la suite, quelque chose  de tout à fait miraculeux. Décidément, ici-bas, nous ne voyons jamais que l'envers d'une tapisserie, interminable comme celle de Bayeux, et dont l'endroit ne se dévoile que le temps d'un éclair : brefs et épars coups de projecteur sur mon destin, et qui restent la plupart du temps indéchiffrables. Toute ma vie est tissée de rencontres fortuites et majeures. (pp.100-101)

    R.L Bruckberger - A l'heure où les ombres s'allongent - Albin Michel 1989 ISBN 2-226-03619-9