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exode

  • Chemin vers Pâque (19)

    [17]

    Pâque veut dire passage, passage par la mort, par le seuil de la mort. Il y a trois pâques dans l'histoire : la pâque des Hébreux ; la pâque du Christ que nous méditons en ce moment et notre pâque à nous.

    La pâque des Hébreux

    Dans la catéchèse courante, on raconte aux enfants des tas de petites histoires, mais on les laisse ignorer le livre de l'Exode, cela est scandaleux. Or il est extrêmement facile, me semble t-il, d'en rendre accessible l'essentiel à de jeunes enfants.

    Voilà donc des Hébreux qui sont une minorité opprimée en Egypte. Ils travaillent sous le fouet, avec un maigre salaire, leur portion d'oignons - les fameux oignons que l'on voit encore pendre de nos jours dans les petites baraques, comme en France on vend des marrons en hiver. Les Arabes qui n'ont pas d'argent achètent quelques sous, quelques centimes d'oignons. Un jour, le pharaon décida d'augmenter les cadences. Dans le monde moderne, tout le monde sait ce qu'est l'augmentation des cadences. (...) Augmentation des cadences [18], c'est-à-dire plus de travail sans augmentation de salaire. Le pharaon décida que les Hébreux transporteraient non seulement les briques pour la construction des maisons, mais qu'il leur faudrait aussi trouver de la paille et la transporter. On fabriquait les maisons avec des agglomérés de brique, de paille et de terre sèche. Oppression, donc.

    Moïse interrogea Yahvé en lui disant : " C'est intolérable. Ton peuple est opprimé." Et Yahvé répondit : " Oui, tu as raison, c'est intolérable. Je ne veux pas que mon peuple soit un peuple d'esclaves. J'ai entendu la clameur qui monte de mon peuple, le cri des opprimés..." C'est  l'esclavage. Alors Yahvé dit : " Tu vas prendre la tête de la colonne et tu vas les faire passer - pâque, c'est-à-dire passage - dans la terre que j'ai promise à tes Pères, la terre de Canaan et qui est la terre de la liberté. Je veux que mon peuple soit un peuple libre. " L'Evangile ne peut pas  être entendu par un peuple qui n'est pas libre, ce n'est pas possible. 

    Poussons un peu plus loin si nous voulons pouvoir dialoguer avec nos contemporains. Qu'est-ce que c'est que la liberté d'un peuple ? C'est toujours deux choses : l'indépendance politique et la prospérité économique. Quand l'une des deux manque, le peuple n'est pas un peuple libre. Or la terre de Canaan sera une terre d'indépendance politique et Dieu interviendra toutes les fois que l'indépendance politique sera menacée par les Assyriens, les Babyloniens, les Egyptiens... Prospérité économique : c'est la terre où coulent le lait et le miel (Cf. Ex 3,8) dit la Bible.

    Oui, mais entre l'Egypte de l'esclavage et la Palestine de la liberté s'étend un désert, immense, le désert du Sinaï, et ce désert doit être franchi. Tel est le désert, impossible de le contourner (...) Pas de métro, pas d'avion. Il faut traverser le désert. Quarante ans. Un chiffre symbolique évidemment, c'est-à-dire un temps très long. Nous retrouvons ce chiffre symbolique avec les quarante jours du carême, les quarante jours de Jésus au désert au commencement de sa vie publique... C'est la reprise des quarante ans, c'est-à-dire du temps très long de la traversée du désert.

    [19] Plus les Hébreux avancent dans le désert, plus ils ont le sentiment d'aller vers la mort. Ils tombent d'ailleurs comme des mouches. Une véritable retraite de Russie où ils sont affrontés non pas à la neige, mais au soleil et à la calcination. Ils ont faim et il faut le miracle de la manne. Ils ont soif et il faut que Moïse fasse jaillir l'eau du rocher avec sa baguette. Il y a le miracle des cailles. Et leur tentation c'est de regretter leurs oignons, comme le grain de blé qu'on enfonce en terre regrette son petit bonheur de quatre sous dans son grenier, et comme la chenille commence par regretter sa vie de chenille et la petite fille sa vie d'enfant.

    Alors, c'est la révolte. Ils veulent revenir en arrière. Claudel a transposé cela dans son Livre de Christophe Colomb. Lorsqu'au milieu de l'océan il n'y a plus à manger, plus rien à boire, etc., les soldats de Christophe Colomb se révoltent  et veulent revenir en arrière et ne pas découvrir le Nouveau Monde, qui est le symbole de la vraie vie.

    On ne peut pas court-circuiter le désert. On ne peut pas échapper à la mort comme seuil de la vraie vie. C'est le thème du désert, qui est fondamental dans la vie. (...)

    C'est la première pâque de l'histoire, le premier passage de la vie présente à la vie divine.  

    Francois Varillon - La Pâque de Jésus - Bayard Editions 1999

  • à main forte et à bras étendu

    61. Yahvé, c'est celui qui se révèle d'une façon non pas étrangère, 62. mais étrange, selon son absolue liberté. Il n'est pas lié à un lieu plus qu'à un autre, parce qu'il se révèle sur une montagne située en dehors du chemin des hommes, et qu'on atteint seulement au terme d'un laborieux détour, après un total dépaysement.

    Il n'est pas lié à un instant plus qu'à un autre, parce que, sur cette montagne, il se permet de tarder (Ex 32,1), signifiant par là qu'il se manifeste quand il veut, et que nul ne peut lui intimer des sommations pour le faire descendre à sa guise.

    Il n'est pas lié à une figure plus qu'à une autre, et récuse catégoriquement toutes celles que l'homme tenterait de lui donner, même pour lui faire fête (Ex 32,5); car personne ne peut avoir prise sur lui. Tout cela, le diacre Etienne l'a fort bien compris après la Pentecôte (Ac 7, 35-50). Bref, Yahvé se révèle dans des phénomènes de rupture, au-delà même du prodigieux, dans un souffle imperceptible (1 R 19, 11-12).

    Le prier, c'est accepter la privation de toute image, même sacrée : ce n'est pas pour rien que l'Evangile lie la prière avec le jeûne, et la retraite avec la tentation. Car Yahvé est éprouvant : le Christ, au désert, l'a lui-même expérimenté.  

    Yahvé, c'est au rebours d'Elohim [Elohim, mot pluriel, correspond à ce que nous nommerions aujourd'hui la divinité], celui qui ne demande ni culte ni sanctuaire. Au Sinaï, lui seul fait quelque chose, à quoi le croyant acquiesce, dans cet abandon total que la Bible nous dépeint de deux manières : se déchausser devant le Buisson (Ex 4,5), se voiler le visage dans la brise qui passe (1 Ro 19,13). Aucune liturgie, aucune pierre dressée, aucune dédicace ; l'homme ne touche à rien, en ce lieu qui ne lui appartient pas, situé qu'il est sous la nuée. Il croit à la présence, et se laisse chérir par ce Dieu qui "aime le premier " (1 Jn 4,19) (...)

    Yahvé (...) c'est un nom propre, personnalisé, donc une confidence amicale (Ex 33,11). Et ce nom, chose remarquable, c'est un verbe, un verbe non pas auxiliaire mais actif : " Je suis ", c'est-à-dire : "Je te suis présent, intensément." 

    Yahvé, ce n'est pas d'abord le créateur (cette notion viendra bien plus tard) : c'est le rédempteur attentif : " J'ai vu la détresse de mon peuple... j'ai entendu son cri... je suis descendu pour le faire sortir d'Egypte " (Ex 3, 7-10) Le Dieu d'Israël se révèle 63. donc comme une puissante philanthropie, qui va mettre en branle toute une histoire libératrice. Il ne se livre pas comme un concept métaphysique ( "l'étant" ), dont il suffirait d'admettre que "ça existe", mais comme le Seigneur des événements, comme l'intervention efficace " à main forte et à bras étendu ". Il ne s'offre pas comme un déisme oisif, mais comme une tendresse agissante.

    Yahvé, c'est celui qui envoie en mission, qui propulse énergiquement Moïse (si réticent !) vers Pharaon, et Elie vers Jéhu, pour leur faire exécuter une oeuvre précise et combien difficile, au milieu de l'hostilité générale. L'apostolat plante ses racines dans une expérience de ce type ; la mission est mystique. C'est fort de cette révélation si intime et si dense que l'envoyé affronte l'opposition, quitte, s'il succombe un temps au découragement, à revenir comme Elie, se blottir à nouveau au creux du rocher, pour vérifier la présence, ré-entendre l'amour et recevoir une nouvelle impulsion missionnaire. Il redescend alors de la montagne le visage rayonnant à son insu (Ex 34,29) ; et Paul a bien compris  que le ministre de l'Evangile, pour avoir contemplé Dieu sur la face  de Jésus-Christ, est encore plus étincelant que Moïse ( 2 Co 3, 7-8). 

    Telle est l'expérience originelle d'Israël, qui imprègne toute son histoire, et dont Jésus sera la perfection achevée, lui dont le nom signifie " Yahvé sauve" (Mt 1,21)

    André Manaranche - Je crois en Jésus-Christ aujourd'hui - Seuil 1968