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Lavement des pieds
Le lavement des pieds n'est pas d'abord un enseignement moral, mais d'abord le dévoilement d'un mystère. Le christianisme est bien au-delà de la morale. Certes, il implique une morale, mais en lui-même, il est bien au-delà. Aussi je vous propose de lire cette scène du lavement des pieds en la commentant par le grand texte de la lettre de saint Paul aux Philippiens sur la kénose (Phil 2,5-9); C'est là que se trouve le mot ekenôsen, en latin exinanivit : il s'est anéanti. C'est la révélation de l'humilité de Dieu. Et si j'ai choisi cette scène, c'est parce qu'elle nous fournit l'occasion de revenir sur la vérité du fondement, l'humilité de Dieu (Cf. "Vivre le christianisme" de F. Varillon et les cinq instructions sur le fondement). La toute puissance, la force, qui s'incline devant ce qui est le plus petit, le plus faible. La puissance de Dieu n'est en aucune manière la puissance telle qu'on l'entend dans le monde. En aucune manière. Jamais. C'est la force spirituelle, la puissance spirituelle, qui consiste à s'incliner librement devant ce qui est le plus petit. Ici je déclare mon impuissance à dire mieux les choses. Il faut réaliser au-dedans de soi que la puissance infinie de Dieu, c'est son humilité infinie. Cette puissance dont aucun homme, dont aucun ange n'est capable, même le plus grand. Le plus grand ange, qui vous voit et qui voit Dieu, est impuissant, lui, à s'incliner librement et en toute vérité devant ce qui est le plus faible et le plus petit. C'est cela, la puissance de Dieu et il n'y en a pas d'autre. C'est une puissance infinie d'abaissement. L' Incarnation est l'humilité éternelle de Dieu. Voilà pourquoi Jésus est l'esclave... Il naît pour révéler ce qu'est la puissance de Dieu, qui est la puissance d'être le serviteur du plus petit. En dehors de là, il n'y a pas de spiritualité, il n'y a qu'un Dieu Jupiter qui est je ne sais quoi ou quelle cause du cosmos ; on dira tout ce qu'on voudra. Cela n'a rien à voir avec Dieu, rien. Et, une fois de plus, je m'interroge en me demandant s'il m'est possible en toute vérité d'avoir une relation d'amour avec un autre Dieu que ce Dieu-là.
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Tout à l'heure au cours de la liturgie, vous lisiez ce qui est écrit : "Dieu tout-puissant et miséricordieux..." Il faut comprendre ainsi : " Dieu dont la puissance est la miséricorde." Il n'y a pas une puissance et une miséricorde. (...)
Jésus est l'esclave, il entre en esclavage, il est au plus bas, à genoux devant les hommes. C'est cela sa puissance. Allez donc vous mettre à genoux devant quelqu'un. Pour cette puissance d'aimer, il faut la toute-puissance infinie. C'est cela, la kénose. La part qui ne peut pas être ravie à Dieu, c'est le regard de Jésus agenouillé devant les apôtres. En Jésus agenouillé devant les apôtres, avec son linge autour des reins et qui frotte les pieds des apôtres, pleins de poussière, et qui les regarde de bas en haut, à ce moment là Dieu commence à nous être révélé dans sa vérité. C'est cela, le Dieu de vérité (...) il n'y a pas d'autre Dieu possible (...). Ou cela est vrai, ou c'est l'athéisme qui est la vérité.
Ce n'est pas par des raisonnements qu'on arrive à comprendre cela. Il faut contempler et il faut revivre par le dedans. La puissance d'aimer est un anéantissement de soi. Et Jésus dit à Pierre : " Si je ne te lave pas, tu n'auras pas de part avec moi. Car la vie éternelle que je suis venu apporter aux hommes, c'est cette vie-là. C'est cela qui sera la vie éternelle et qui constituera la béatitude." Or, moi, je cherche la béatitude dans un autre genre de puissance. Non seulement moi, mais tout le monde pécheur. Le message que nous avons à livrer au monde est là. (...)
F. Varillon - La Pâque de Jésus - Ed Bayard 1999