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conférence sur l'Islam

  • L'Islam - conférence de François Varillon (7) suite et fin

    Suite et fin de la retranscription.

     

    Louis Massignon a écrit sur ce martyr mystique (Al-Halladj) une thèse  d'une prodigieuse érudition. [On peut visionner "Hallaj par Louis Massignon sur YouTube : http://www.youtube.com/watch?v=NWT79_r1ybc]

    Halladj croit en un Dieu qui créé par amour, qui s'entretient avec lui-même. S'entretenir avec soi-même : nous ne sommes pas loin d'une pluralité de personnes. Hallaj parle d'une vie intime de Dieu en lui-même. Il s'approche du christianisme. Il pressent que Dieu est Amour mais il ne croit pas en un Dieu qui va jusqu'au bout de l'Amour  c'est-à-dire qui appelle les hommes à partager sa popre vie. Hallaj ne peut pas admettre la parole de st Pierre en sa première lettre : "nous devenons participants de la nature divine". Et pour ce mystique, c'est une abomination de croire que Dieu puisse donner à l'homme une vocation proprement divine. Alors que pour nous c'est le coeur de notre foi, ce qui fait que nous sommes chrétiens ! Car en dehors de ça il n'y aurait aucune raison d'être chrétien.

    Si Dieu s'est fait connaître par Jésus-Christ comme Père, Fils et Esprit ce n'est évidemment pas pour que nous croyons abstraitement, conceptuellement. Affirmer trois Personnes au lieu d'Une : pourquoi faire ? Si Dieu se révèle comme Trinité c'est afin que nous sachions que le Père nous adopte dans son Fils et par son Esprit. Ce qui suppose l'Incarnation. Nous ne pouvons être fils que dans le Fils unique que incarné. Dieu nous fait la confidence de son secret (sur sa vie trinitaire) pour éclairer et réaliser notre insertion dans la vie de Dieu. Pas question pour un musulman d'être inséré dans la vie de Dieu. Le musulman est devant Dieu ; le chrétien est en Dieu. Quelle différence ! Différence du tout au tout.

    Je termine. Dans la morale de l'Islam, la bienveillance, la bonté jouent un rôle très important. Seulement il ne s'agira jamais pour eux "d'aimer comme Dieu aime" Ce qui fait la transcendance du christianisme c'est la vocation du chrétien à aimer comme Dieu aime. Mais c'est impossible pour le chrétien d'aimer comme Dieu aime s'il n'est pas en Dieu. Il ne s'agit pas de copier la charité divine comme le disciple copie les actions du maître qu'il admire. Ce n'est que par le Christ que l'homme peut être en Dieu comme saint Paul le répète plus de 100 fois dans ses Lettres. Et voilà pourquoi c'est la Trinité qui commande tout, absolument tout.

    Voilà quelques réflexions très sommaires je le reconnais, qui vise l'essentiel de la différence entre le Dieu de l'islam et le Dieu de Jésus Christ, et, à partir de là,  comment pourrait se constituer un dialogue extrêmement fécond entre chrétiens et musulmans.

                                                                                       François Varillon

  • L'Islam - conférence de François Varillon (6)

    Suite de la retranscription de la conférence du Père Varillon sur l'Islam (donnée dans les années 1970)

     

    [47] Qui est Jésus pour le Coran ? Une lecture superficielle pourrait laisser croire qu'il est comme pour les chrétiens Verbe de Dieu et Messie. [Pour le musulman] Il est venu au monde par ordre spécial de Dieu et il ressemble donc aux premières créatures, Adam et Ève, qui ont reçu l'existence par la parole divine. Vous voyez donc que Mahomet admet la conception virginale de Jésus. Mahomet admet aussi ses miracles et sa parfaite sainteté. Le Coran élève Jésus au-dessus des autres prophètes mais il ne reconnaît pas sa divinité, non plus que sa mission rédemptrice. [Pour le Coran] Jésus est celui qui possède l'esprit prophétique à un degré supérieur. Il paraît que Mahomet aurait dit un jour (ce n'est pas dans le Coran) : "Tout homme en naissant est saisi au côté par la griffe du diable excepté Jésus fils de Marie" et Mahomet se considère lui-même comme moins grand que Jésus. En effet sa naissance, à lui Mahomet, n'a pas été miraculeuse comme celle de Jésus. Jésus n'a pas subi l'esclavage du péché tandis que lui, Mahomet, dans le Coran même, avoue ses fautes et il en demande pardon à Dieu.

    Mahomet reconnaît donc la supériorité morale de Jésus,  mais comme prophète il se considère comme supérieur à Jésus. L'Islam ne croit pas que Jésus ait été crucifié. Il pense que c'est un homme qui ressemblait à Jésus qui a été mis en croix car dit-il il est impossible qu'un envoyé de Dieu ait été abandonné à la méchanceté des hommes. Si Jésus n'a pas été crucifié est-ce qu'il est mort de mort naturelle ? Eh bien, là-dessus le Coran ne dit rien de vraiment clair. Il se pourrait donc que l'Islam croit à une ascension de Jésus au Ciel, corps et âme. C'est du moins ce que pensent certains commentateurs, mais tous sont unanimes pour croire que le Christ reviendra sur terre et qu'il jouera un rôle le jour du Jugement.

    Et qu'est-ce qu'il fera pour commencer ?  eh bien, il commencera [d'après ces commentateurs musulmans] par exterminer tous les chrétiens ! En dehors des cas privilégiés d'Abraham et de Jésus, [pour l'Islam]  l'histoire de l'humanité s'inscrit dans un cadre stéréotypé. Il n'y a pas d' Histoire proprement dite, il n'y a que la juxtaposition d'une série de communautés qui se succèdent dans le temps.   Pas de progrès dans la révélation....  d'envoyé de Dieu (inaudible). En somme, la loi révélée à Moïse et l'Evangile révélé à Jésus  ce sont des corans avant la lettre de telle sorte que le musulman  peut trouver dans le Coran tout ce qui lui est nécessaire pour sa vie religieuse. A l'inverse du chrétien qui croit, lui, que le Nouveau Testament est la suite de l'Ancien ; que la Loi Nouvelle conduit l'ancienne à sa perfection ;  à l'inverse du chrétien qui par conséquent vit de toute la Bible (mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu si vous saviez ce que l'ignorance de l'Ancien testament par les chrétiens est considérable : c'est à pleurer mais c'est comme ça.)...le musulman lui n'a besoin de lire ni la Loi de Moise ni l'Evangile et comme la vision de l'histoire et du salut n'est pas la même dans le Coran et dans la Bible alors les Musulmans s'appuient sur certains versets du Coran pour dire que la Bible a été inspirée et c'est en comparant la Bible et le Coran qu'on peut juger de l'authenticité de la Bible : ce qui est authentique (pour les Musulmans)  c'est ce qui est dans le Coran.

    D'autre part, [pour les Musulmans] la maîtrise du monde a été remise à l' Islam comme  jadis la Terre promise  à Moise. Les musulmans ont donc le devoir de défendre l'Islam et de le faire triompher sur toute la terre, d'abord par la parole, par les moyens pacifiques et aussi, le cas échéant, les armes à la main. Un lien de fraternité unit tous les musulmans  qui doivent se sentir mobilisés côte à côte pour la cause de Dieu : d'où le prosélytisme discret mais constant que les fidèles exercent à l'égard des non-musulmans qui les entourent.

    Pour les musulmans, l'amour du prochain ne peut pas être mis sur le même plan que l'amour de Dieu. Cela ne veut pas dire que l'Islam ignore la charité fraternelle,[bien que le véritable frère ne soit pas l'homme mais le musulman] La charité [dans l'Islam] n'est pas constitutive de la foi,   simplement elle relève du commandement divin. Le musulman pratique la charité fraternelle parce qu'il y a un commandement de Dieu qui dit qu'il faut pratiquer la charité fraternelle.

    En d'autres termes, celui qui n'aimerait pas ses frères musulmans ne serait pas parfaitement obéissant à Dieu parce qu'il y aurait en lui un sentiment qui l'isolerait de ceux qui pratiquent cette obéissance. Un tel homme serait un menteur mais c'est le mensonge qui écarterait de lui la foi et non le fait pris en lui-même de ne pas aimer son prochain.  Ah j'aimerais que vous répondiez à la question : pourquoi est-ce que vous aimez votre prochain ? Est-elle différente de la raison pour laquelle le musulman aime son prochain et la raison pour laquelle VOUS chrétiens vous aimez ?  Est-ce que pour vous la charité fraternelle est un commandement de Dieu parmi d'autres commandements de Dieu ? Autrement dit est-ce que pour vous chrétien, la charité fraternelle est constitutive de la foi ? C'est là qu'il y a une différence assez considérable avec l'Islam.  Pour les musulmans la charité fraternelle est extérieure à la foi. Et les incroyants il faut les haïr pour Dieu (!). En d'autres termes, ce n'est pas l'homme simplement parce qu'il est homme que le musulman doit aimer mails le croyant en tant que croyant. En chrétienté, nous sommes dans un tel état de dégradation que nous aimons notre prochain parce que c'est un commandement de Dieu parmi les autres !

    Si un musulman perd la foi on le considérera comme membre de la communauté ; on le considérera comme politiquement musulman. Il n'y aura pas de rupture. On gardera une attitude extérieure de respect. En tout cas, la pression sociale ne permettra pas à l'apostat de traiter l'Islam comme par exemple Voltaire a traité le christianisme. C'est d'ailleurs là une situation qui évolue rapidement : ces dernières années, l'athéisme chez certains étudiants musulmans prend tout simplement la forme du communisme.

    Vous voyez donc que le dogme musulman représente un ensemble simple et extrêmement cohérent. C'est ici que se situe l'essentiel de notre propos. finalement, tout ce ramène à ceci : le Dieu de l'Islam n'est pas le Dieu du christianisme parce que le Dieu de l'Islam n'est pas Trinité. Si Dieu n'est pas Trinité, il est évident que Jésus ne peut pas être Dieu. Si Jésus n'est pas Dieu, la Révélation n'est pas pour l'Islam ce qu'elle est  pour les Eglises chrétiennes et du coup, la vision de l'Histoire n'est pas et ne peut pas être la même. Aucun compromis n'est possible. je dirais que le dialogue est nécessaire, bien sûr. Et autre chose le dialogue, autre chose le compromis. Aucun compromis n'est possible car la vision chrétienne de l'Histoire fondée sur la Révélation, elle-même fondée sur l'Incarnation, elle même fondée sur la Trinité, engage l'absolu de l'existence. J'en reviens toujours à la même chose : qu'est-ce que vous croyez ? Pourquoi êtes-vous chrétiens ? je crois que Dieu est Trinité ; je crois que Dieu s'est incarné ; je crois que la vocation de l'homme est de participer éternellement à la vie divine. Et ces trois choses se tiennent. Trois choses que l'Islam rejette purement et simplement. Le Coran rejette radicalement le dogme de la Trinité. C'est terrible mais l'Unité de Dieu est pour le Coran incompatible avec la Trinité des Personnes. ("Infidèle est celui qui dit que Dieu est Trinité" (sourate 5). En outre parler de "paternité divine" c'est un blasphème. Je crois qu'il y a chez Mahomet une impuissance métaphysique à concevoir la Trinité comme la perfection de l'Unique. Et je crois que tout est là. Pour nous chrétiens , la Trinité c'est la perfection de l'Unique car une Unité qui ne serait pas Trinité serait une plate Unité (a=a)

    Il y a des mystiques musulmans qui ont pressenti la Trinité. Si Dieu n'est pas Trinité nous ne pouvons pas dire que Dieu est Amour. Et si je devais choisir entre l'athéisme et un Dieu qui ne serait pas Trinité je choisirai l'athéisme ! Le plus grand des mystiques musulmans et le plus proche du christianisme est Al-Halladj qui fut flagellé, mutilé, accroché à un gibet puis décapité à Bagdad (en 922): c'était un mystique d'une prodigieuse érudition.  (A suivre...)

                                                               Père François Varillon

                                                                                                                                          

     

     

  • L'Islam - conférence de F. Varillon (5)

    Suite de la retranscription de la conférence du Père Varillon sur l'Islam

     (...)

    Je vous pose la question : qu'en pensez-vous ? 

    De même ce que Dieu envoie est bon parce que Dieu l'envoie, le jeûne de Ramadan pourrait être plus long ou plus court ; l'homme doit obéir sans raison, attention ! comprenez l'homme doit obéir sans raison bien cela veut dire que la seule raison de son obéissance est qu'elle est  un hommage que l'on rend à Dieu tout puissant. Je ne sais pas si ce soir il y a des musulmans dans cette assemblée, mais je souhaite ne pas trahir ce qu'il y a de meilleur dans la religion musulmane.

    Cette exaltation de la toute puissance de Dieu ne doit pas faire oublier que Dieu est très proche de l'homme... une sourate du Coran dit ceci (c'est très très beau) : " nous sommes plus près de Dieu que sa veine jugulaire". Par ailleurs, il ne faut pas trop se presser d'affirmer que l'Islam est fataliste et qu'il ne croit pas à la liberté humaine.   Je sais bien que de nombreux passages du Coran supposent incontestablement l'existence de la liberté. C'est très net notamment dans les versets sur la guerre sainte et dans les "Exhortations à bien agir". Ces versets sur l'existence de  la liberté et donc contre le fatalisme, sont mis en avant aujourd'hui par les penseurs musulmans qui veulent lutter contre le fatalisme paresseux. Il faut reconnaître certainement qu'il a été jadis le fait  de beaucoup de leurs coreligionnaires : ils s'appuyaient sur les textes qui soulignent la toute puissance de Dieu et qui disent : Dieu est Tout, Dieu sait tout, c'était donc écrit : inutile de se tracasser, les jeux sont faits. Les musulmans acceptent la décision de Dieu sans lui faire de reproches, par exemple la mort. [37:22]

    Le problème de la conciliation de la toute puissance de Dieu et de la liberté humaine, nous savons bien qu'il  n'est pas propre à l'Islam. Ce qui est vrai c'est que, dans sa lecture de la Bible, le Coran a tendance à multiplier les mentions de Dieu et à estomper les caractères humains. Une lecture comparée de la Bible et du Coran serait extrêmement instructive. Par exemple, dans le Coran c'est Dieu qui apprend à Adam les noms des créatures, dans la Bible c'est Adam qui nomme les créatures : il leur donne un nom (voir Gn 2 = Genèse chapitre 2) . C'est l'homme qui nomme les créatures. C'est très important quand on sait que dans le style biblique, nommer c'est affirmer  sa maîtrise sur l'objet,  Dieu seul est innommable : on ne peut pas maîtriser Dieu. Vous voyez donc que la différence entre les deux textes est considérable pour ce qui est de la valeur reconnue à l'homme. Dans le Coran c'est Dieu qui nomme, dans la Bible c'est l'homme. Autre exemple : dans le Coran, lorsqu' Abraham veut intervenir en faveur de Sodome, Dieu lui dit : rien à faire, tout est décidé, Sodome sera brûlé, il n'y a pas lieu d'intercéder;  et Abraham s'incline. Dans la Bible, il y a cette admirable intercession d'Abraham que vous connaissez (cf. Gn 18, 16-33), si humble et si touchante, que Dieu écoute jusqu'au bout. Eh bien ce passage pour le Coran est trop humain alors il le supprime.  Il faudrait aussi mettre en parallèle le récit des aventures de Joseph (voir Gn 37), tel qu'il est dans la Bible et tel qu'il est dans le Coran. Le Coran met sans cesse dans la bouche des personnages des prières, des invocations ; la Bible, elle, développe la situation de façon très humaine avec un sens discret mais aussi  fort de la présence de Dieu. Le récit biblique laisse subsister la fraîcheur et le naturel de ce qui est humain. Le Coran non : il biffe, il supprime. Et d'autre part, tout ce qu'il y a de cru dans la Bible, la présentation des hommes tels qu'ils étaient dans leur verdeur, la rudesse de leurs mœurs eh bien cela choque les musulmans : le Coran il  supprime !

    Il est donc certain que, relativement à la Bible l'Islam se fait de Dieu une idée moins humaine, sinon inhumaine. L'idée essentielle - je demande toute votre attention c'est extrêmement important à noter - car le dilemme auquel il ne faut pas qu'une pensée religieuse se laisse acculer c'est le dilemme suivant : ou Dieu ou l'homme ! Ce qu'on donne à Dieu on l'enlève à l'homme et réciproquement. C'est le dilemme mortel. Avec l'Incarnation, ce dilemme est impensable. Ou l'homme ou Dieu : qu'est-ce que ça veut dire ! C'est le même  qui est Dieu et qui est Homme et il s'appelle Jésus-Christ. [43:55]. La venue de Dieu dans l'humanité c'est une promotion de l'humanité mais si Dieu n'est pas Homme, ne devient pas Homme, l'humanité ne peut être qu'écrasée et irrémédiablement pécheresse face à la pire transcendance qu'elle affirme. Nous touchons le point essentiel de tout.

    L'Islam n'est cependant pas une religion froide. Dieu y apparaît bien comme le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob au sens où Pascal l'entend par opposition au Dieu des philosophes et des savants [cf. mémorial de Blaise Pascal du 23 novembre 1654]. Dans l'Islam il y a bel et bien un lien entre Dieu et l'homme. Ce lien c'est le prophétisme. Le Dieu de l'Islam n'est pas muet. Il parle aux hommes par ses prophètes et ses "envoyés". La doctrine musulmane distingue le simple prophète (nabi) et l'envoyé de Dieu (rasûl). Il y a beaucoup de prophètes mais quelques uns  seulement sont considérés comme des "envoyés" de Dieu. De tous les "envoyés" de Dieu, c'est Mahomet qui est le plus grand. La mission de Mahomet fut de redire une fois de plus qu'il faut se soumettre au Dieu unique et créateur. Mahomet a été envoyé en premier lieu aux Arabes, mais sa mission s'étend au monde entier. Dieu a enjoint à Mahomet de fonder une communauté de croyants [la oumma], c'est par Ismaël que Mahomet prétend se rattacher à Abraham [cf Gn 16,3]. Selon la tradition coranique Abraham lui-même vécut à la Mecque et y pria pour un futur prophète des Arabes. Abraham ne serait ni juif, ni chrétien mais "soumis à Dieu" c'est-à-dire musulman. C'est le sens du mot.

    Le cas de Jésus. Le cas de Jésus est également privilégié. [47:15]

                                                                                            F. Varillon s.j

                                                    A suivre...prochain post

                                                                              

     

  • L'Islam - conf de F. Varillon (4)

    Conférence de François Varillon (suite des posts précédents)

     

    L'Islam croit aussi aux prophètes, aux envoyés de Dieu. Et parmi ces prophètes et envoyés de Dieu, tout spécialement Mahomet. Mais la mission des envoyés de Dieu telle qu'elle apparaît aux Musulmans n'a pas été de faire évoluer la religion en l'approfondissant, en manifestant peu à peu des aspects inconnus du mystère de Dieu, non. Pour les Musulmans, l'Islam c'est la religion de toujours parce qu'elle est conforme à la nature humaine telle que Dieu l'a créée depuis le début de l'humanité jusqu'à nos jours, et bien sûr, les "vrais croyants" [vrais croyants pour les Musulmans] y ont adhéré : la nature humaine est immuable donc la religion est immuable aussi. La législation religieuse a bien dû subir quelques modifications, mais rien d'essentiel n'a été ajouté aux dogmes primitifs ; aucun mystère intrinsèquement surnaturel n'a été révélé : tout est resté au plan d'une religion naturelle. L'homme doit se soumettre à Dieu et à ses envoyés. Le mot même d'Islam signifie "soumission". L'islamique c'est le soumis. Le mot "islam" ne signifie pas seulement "soumission" il signifie aussi "salut". Musulman veut dire "soumis" et "sauvé".

    Le devoir de soumission est en effet le corollaire obligé de l'affirmation majeure du Coran : Dieu est le Tout Puissant. Et je crois qu'il faut dire que toute la religion est contenue dans le mot "obéir". Le musulman agit quand l'ordre d'agir lui est présenté au nom de Dieu, qu'il s'agisse de la vie courante, qu'il s'agisse de périodes de crise (comme sont par exemple les guerres saintes) ou qu'il s'agisse tout simplement du culte.(31:24). Un culte qui est fait de paroles, de gestes, inclinations, prosternations, jeûne (le ramadan). Evidemment ces paroles et ces gestes peuvent paraître tout extérieur et donner lieu à un ritualisme très matériel. Prenons garde : n'allons pas caricaturer une religion qui n'est pas la nôtre. En disant légèrement et superficiellement : il leur suffit de se prosterner le front contre la terre ou contre le sable, il leur suffit de réponde à l'invitation du muezzin cinq fois par jour...On pourrait croire que c'est très extérieur, oh pas du tout !  C'est autrement sérieux. Monsieur Roger Arnaldez [1911 - 2006] qui est le premier islamologue de France depuis la mort de Louis Massignon ; Mr Arnaldez qui a été assez longtemps professeur à la faculté des lettres de Lyon [de 1956 à 1968] et qui maintenant est professeur à la Sorbonne [1969-1978] explique les choses très bien, écoutez ça : " Dieu n'impose pas des devoirs trop difficiles. Non pas pour que la religion soit superficielle, mais pour que l'homme n'aie pas à fournir un effort où il pourrait croire qu'il offre à Dieu quelque chose. Ce serait détruire la religion que de s'imaginer qu'on peut donner quelque chose à Celui qui est le Créateur de toutes choses." Il y a, dans le culte musulman bien compris, un dépouillement qui réduit la part de l'homme au seul acte d'obéir.

    Je vous pose la question : qu'en pensez-vous ?  

                                                                          

                                                                       A suivre... prochain post.

  • L'Islam - conf de F. Varillon (3)

    Suite de la conférence.

    Le credo coranique comporte sept articles.

    1. je crois en Dieu ; 2. je crois à ses anges ; 3. je crois à son Livre ; 4. je crois à ses prophètes ; 5. je crois au dernier jour ; 6. je crois à la prédestination du Bien et du Mal de la part du très Haut ; 7. je crois à la résurrection après la mort.

    Le 1er article, je crois en Dieu, a trait à tout ce qui concerne la nature divine, à la vie intime de Dieu, et à son action dans le monde. Dieu a 99 noms. Le grand nom de Dieu, Allah, est le 100e qui couronne tous les autres. De tous ces noms le plus important c'est celui qui signifie l'unité : Dieu est Un. C'est le dogme fondamental du Coran, la pierre angulaire de son édifice religieux : Dieu est Un, il n'y a qu'un seul Dieu. En faisant reconnaître partout cette unicité de Dieu, Mahomet voulait faire cesser les luttes religieuses de l'humanité. Et cette affirmation de l'unicité de Dieu était à ses yeux la cause de la supériorité du Coran sur..... des autres religions. Lisez le Coran, vous verrez qu'il n'y a presqu'aucune page qui ne contienne la fameuse formule :  " Il n'y a point d'autre Dieu que Allah" Et la mission de Mahomet comme prophète est d'engager les Arabes à abandonner les divinités de la terre pour adorer un seul Dieu.  Il semble cependant que Mahomet ne soit pas arrivé d'emblée à professer l'unicité de Dieu. Il semble bien qu'il adora d'abord trois divinités. Et c'est probablement des influences juives et chrétiennes qui le poussèrent par la suite à rétablir la religion d'Abraham. Une sourate (un verset du Coran) précise qu'Abraham n'associait pas d'autres êtres à Dieu et qu'il mérita pour cela le titre de croyant et d'ami de Dieu.

    Le Coran donne des preuves philosophiques de l'existence de Dieu, elles sont très élémentaires, il n'y a pas à s'en étonner le moins du monde, dans la Bible il n'y en a pas. Par exemple nous lisons ceci : " Si Dieu est créateur, on ne peux lui associer les génies qu'il a créés, puisqu'ils sont créés ils ne sont pas créateurs " ou encore :   "La pluralité des dieux entraînerait la discorde parmi eux et la supériorité des uns sur les autres. Chaque dieu s'emparerait de sa création et les uns seraient plus élevés que les autres." Mahomet n'a pas présenté ce dogme de l'Unicité de Dieu comme une révélation nouvelle. Non. Il pense avoir simplement éliminé le polythéisme arabe et cela d'autant plus facilement que l'idée d'un Dieu Unique ne s'était jamais complètement effacée en Arabie et qu'elle restait sous-jacente aux croyances communes.

     Les attributs de Dieu sont distincts de son nom. Les attributs de Dieu découlent de l'essence de Dieu. On distingue 8 attributs de Dieu : 1. Dieu est le Vivant. "Il est le vivant, il ne meurt pas, sa vie est éternelle, immuable" Selon l'enseignement du Coran, la vie de Dieu suppose l'indépendance de l'être divin. 2. Le deuxième attribut de Dieu c'est l'omniscience. Il sait tout, il entend tout. Dieu est instruit de tout ce que nous faisons : "pas une feuille ne tombe sans qu'il n'en ai connaissance...", "sa science embrasse tout". 3. Le troisième attribut c'est la toute-puissance. Toute puissance aussi bien dans l'ordre physique, que dans l'ordre moral. [en christianisme, la puissance de Dieu est la puissance de l'Amour, et ça change tout]. Dieu ne peut pas tout. Pour Mahomet, Dieu peut tout. 4. Le quatrième attribut c'est la vue 5. Le cinquième attribut : l'ouïe. 6. sixième attribut : la parole. La moindre lettre du moindre mot du Coran est parole de Dieu. Le Coran est la parole de Dieu incréé. Pour l'Islam, la parole de Dieu est un Livre, pour les chrétiens la Parole de Dieu est un Evénement (l'Incarnation) ou, plus exactement : une Personne : la Personne même de Jésus-Christ. 7. Le septième attribut de Dieu c'est la volonté. Il veut aider les hommes en leur expliquant clairement ses volontés, en leur rendant son joug léger. Dans le Coran la volonté de Dieu est liée à sa toute puissance. 8. Enfin, le huitième attribut de Dieu c'est sa puissance créatrice.

    Cette liste nous semble fastidieuse. Nous avons là une théologie qui est bien élémentaire. Je dirai presque que c'est du bon sens sauf ! ce qui concerne le Livre.  Et pourtant, les quelques textes que j'ai cités montrent que le Coran se fait de Dieu une idée très haute. Il est clair d'ailleurs que l'enseignement de Mahomet sur Dieu trahit l'influence du judaïsme et même du christianisme, quoi qu’à un degré moindre. Mahomet recourt à des images et à des comparaisons simples, très simples pour exprimer des notions simples qu'il ne pouvait pas trouver dans le polythéisme des anciens arabes. Et je dirai que la simplicité  du dogme musulman explique sans doute pour une large part sa puissance de séduction : c'est très simple. Les grands thèmes de l'Unicité absolu de Dieu, de la toute puissance, de la bonté de Dieu reviennent à toutes les pages du Coran : c'est très simple.

    L'Islam croit aussi aux prophètes, aux envoyés de Dieu... 

     

                                                                                              A suivre

     

     

  • L'Islam - conf de F. Varillon (2)

    Suite de la conférence.

    Mais ils n'affirment pas pour autant que l'histoire ait  un contenu. L'Islam proclame la transcendance de Dieu mais nie l'Incarnation. Dès lors, même au plan de la Création, le Dieu chrétien diffère profondément du Dieu musulman. Je dis bien : même au plan de la Création. On serait tenté de penser : le christianisme et l'Islam croient au même Dieu créateur mais ensuite ils sont différents parce que  le christianisme croit en l'Incarnation et l'Islam n'y croit pas. Autrement dit croire en l'Incarnation ou n'y pas croire ne changerait en rien la manière d'envisager le mystère de la Création. Je crois que penser ainsi serait une grave erreur. Pour  le christianisme, c'est le mystère de l'Incarnation qui éclaire le mystère de la Création. La foi chrétienne en l'Incarnation modifie l'idée qu'on peut se faire de la Création. Pour celui qui croit à l'Incarnation, le mystère de la Création nous dit quelque chose du mystère de Dieu, du mystère de l'intériorité divine c'est-à-dire de la Trinité. Nous dirons tout à l'heure que l'affirmation d'un Dieu Trinité est pour l'Islam le blasphème majeur. Le christianisme qui affirme que Dieu est Trinité, c'est-à-dire un éternel échange d'amour entre Trois Personnes, le christianisme croit que la gratuité de la Création procède de la gratuité de cet amour qui est intérieur à Dieu lui-même. Parler de la Création à partir d'un Dieu absorbé en soi, parler d'un Dieu créateur comme d'un Infini sans amour c'est aller devant des difficultés telles qu'il sera presque impossible de ne pas réintroduire dans l'idée de création cet émanantisme que précisément la Bible exclut radicalement. L'Islam se garde de réintroduire cet émanantisme qui est propre à toutes les religions asiatiques, mais il ne le fait qu'en se contentent d'affirmer purement et simplement l'absolu transcendance de Dieu, une transcendance qui n'est pas une transcendance d'amour. J'y reviendrai parce que c'est là la différence essentielle entre le Dieu de l'islam et le Dieu du christianisme. Et c'est là raison pour laquelle je vous parle de l'islam avant de vous parler du judaïsme. Il eut été plus logique de commencer par le judaïsme. Mais avec l'Islam on voit beaucoup plus clairement que le mystère de la Trinité est la clef de tout et que toutes les insuffisances des religions non chrétiennes se ramènent à la négation ou la méconnaissance de la Trinité. A cause de cette différence essentielle, parce que tout se tient, il n'est pas possible d'identifier le Dieu créateur de Mahomet et le Dieu créateur de Jésus-Christ. Pour le chrétien qui va au fond des choses, la gratuité de l'acte créateur n'est concevable que s'il on admet la gratuité des échanges d'amour qui constitue la vie éternelle de la Trinité. Pour l'islam, l'essence de la religion c'est la proclamation de la transcendance de Dieu. Et l'Histoire n'a pas de contenu. L'Histoire c'est plutôt le lieu d'une perpétuelle dégradation  du monothéisme que le rôle des prophètes est de ramener à sa pureté. Le judaïsme pense que l'Histoire représente un dessein d'amour de la part de Dieu, mais le judaïsme reste tourné vers la venue à venir du Messie qui est le signe de cet amour. La venue du Messie marquera la fin du temps. Pour les chrétiens, l'événement essentiel : l' Incarnation  est situé au centre du temps. Et le temps s'articule comme une histoire qui comporte des étapes successives et qui prend ainsi valeur et signification.

    Nous pouvons maintenant ouvrir le Coran.

                                                                                     A suivre...

     

  • L'Islam - conf de F. Varillon (1)

    Retranscription d'une conférence donnée par le père François Varillon dans les années 1970.

     

    Il y a un fond commun aux trois grandes religions qui sont issues d'Abraham : le judaïsme, l'islam et le christianisme. Ces trois religions issues d'Abraham sont monothéistes, c'est-à-dire qu'elles croient en un Dieu unique qui est le créateur du monde. Unicité de Dieu (Un seul Dieu), transcendance de Dieu, création du monde par Dieu : c'est par là que le monothéisme se distingue des spéculations les plus hautes de la Grèce et de l'Inde dans lesquelles les frontières de l'absolu et du relatif, de l'Un et du Multiple ne sont jamais tout à fait nettes, en sorte qu'on ne sait jamais bien si le monde ne se résorbe pas en Dieu ou si Dieu ne se dissout pas dans le monde. Nous oublions parfois à quel point l'affirmation biblique de la Création du monde par un Dieu unique et transcendant est original. Original par rapport aux conceptions philosophiques de la Grèce antique et aux conceptions religieuses de l'Orient. La déclaration initiale de la Bible : "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre"  s'oppose de la manière la plus  nette à toute forme de panthéisme ou d'émanantisme (émanantisme, du mot latin signifiant s'écouler - comme si le monde s'écoulerait  de Dieu lui-même ). L'affirmation biblique c'est l'affirmation d'une distinction radicale entre le monde et Dieu. Si le monde se distingue radicalement de Dieu, il est l'oeuvre d'une volonté libre. Et si Dieu est une volonté libre il est une Personne. Le Dieu d'Abraham donc le Dieu du judaïsme, de l'islam et du christianisme n'est pas un principe impersonnel dont le monde serait une émanation nécessaire comme le ruisseau émane nécessairement de la source et comme le rayon ou la nappe de lumière émane nécessairement du foyer lumineux. Le philosophe grec Anaximandre, ouvrant les bras comme pour embrasser la totalité de l'univers, s'écriait :  "tout cela est Dieu". D'autres, bien sûr,  éviteront de déifier la nature comme telle mais ils ne pourront voir en elle qu'un reflet, un reflet de l'éternel principe...reflet manifesté de l'essence non manifestée.

    La Bible dit tout autre chose : elle dit : Dieu est, Dieu est personnel, Dieu veut que le monde soit. Le monde commence d'être, le monde est une réalité distincte de Dieu : voilà l'idée biblique qui est commune au christianisme, au judaïsme et à l'islam. Les conséquences de cette idée sont considérables.  La Bible affirme que Dieu contemplant son ouvrage vit qu'il était bon. En effet, la distinction entre le Créateur et la Création entraîne que l'univers n'est pas une sorte de dégradation du divin mais au contraire, une réalité en croissance ou, s'il on préfère, "en genèse". Pour beaucoup de philosophies et de religions, ce monde multiple, complexe, dans lequel nous sommes plongés est un éparpillement de Dieu, un éloignement par rapport à l'absolu, comme le fleuve qui, en s'éloignant de la source, finit par se perdre dans les sables. Donc finalement, pour ces philosophies, le monde, ce monde est un mal. Et c'est pourquoi disait Platon, il faut s'évader de ce monde d'ici-bas vers là-haut. Un pessimisme radical affecte ces philosophies et ces religions : le temps n'est qu'illusion et vieillissement. Le processus platonique est négatif. Le devenir n'est qu'écoulement, dispersion : nous allons vers la mort. A l'inverse, l'idée biblique de Création - dont je répète qu'elle est commune au christianisme, au judaïsme et à l'islam - implique que le temps a de la valeur. Il est non pas une dispersion et une dégradation, mais une maturation, une parturition, une invention. Non pas une chute de l'absolu au néant mais une montée du néant à l'absolu. Prenez les images évangéliques que vous connaissez bien : l'image de l'arbre qui croît, de la graine qui fructifie, du ferment qui fait lever la pâte etc. : toutes ces images expriment bien l'essentiel positivité du réel. Disons en termes modernes que la Bible révèle que le monde est essentiellement une Histoire. L'islam, comme le judaïsme et comme le christianisme, affirme ce Dieu unique et Créateur. (7:36)

                                                                     A suivre....