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conférence sur l'Eucharistie

  • L'Eucharistie (7 et fin)

    Suite de la retranscription d'une conférence donnée par le Père Varillon en 1975. (Je vous invite à lire les 6 posts précédents avant d'aborder ce dernier post).

    La Présence réelle (suite)

    Seulement à ce niveau là le langage devient extrêmement difficile. On pourrait dire que ce qui demeure c'est l'aspect "phénoménal" [au sens philosophique du terme] du pain et du vin. Mais je ne me vois pas parler, dans une homélie ou un catéchisme, de l'aspect "phénoménal" du pain et du vin. L'être est ce que Dieu veut qu'il soit. Je suis membre du Corps du Christ, ça ne m'empêche pas d'être français, homme et non pas femme, etc. Autrement dit, toute ma réalité humaine, naturelle.. tout cela subsiste mais cela n'empêche pas que mon identité la plus profonde c'est d'être le Corps du Christ.

    En résumé si vraiment  le pain c'est l'homme, il ne faut pas dire : le Christ remplace le pain car cela voudrait dire que le Christ remplace l'homme ; il faut dire : c'est le pain donc l'homme qui devient le Corps du Christ, c'est l'activité humaine humanisante de l'homme que dans et par l'Eucharistie le Christ divinise pour nous faire devenir....(inaudible)

    Réponse du Père Varillon à des questions de l’auditoire

    A propos de l'intercommunion entre catholiques et protestants.

    Le Mystère de l'Eucharistie est lié à un ensemble doctrinal. Il faut être lucide et bien voir que sur nombre de points essentiels, catholiques et protestants n'ont pas encore une pensée commune. Il y a deux théories. Les uns disent : commençons par l'intercommunion c'est à dire vivons ensemble et vivons d'abord le mystère eucharistique : c'est une première manière d'envisager les choses. Il y a une autre manière qui consiste à dire qu'il n'est pas très honnête  de partager le Christ entre personne qui n'ont pas la même idée du Christ. En effet il y aurait un véritable contre-sens et peut être même une vraie malhonnêteté. Moi, je pencherai plutôt pour la première position. (...)

     

     

  • L'Eucharistie (6)

    La Présence réelle (suite de la conférence donnée par le père Varillon en 1975)

    (...)

    Présence réelle qui fait difficulté pour beaucoup et il faut bien reconnaître qu'il y a là, au plan de l'explication, quelque chose qui est un peu difficile et extrêmement mystérieux.

    Pour exprimer les choses, il y a un langage théologique. Le langage théologique classique vient du Concile de Trente et le mot que nous employons c'est le mot : " transsubstantiation". Comme les mots "conversion", "espèces", "apparence", le mot "transsubstantiation" est devenu inintelligible à tout le monde. Vous comprenez bien qu'à chaque époque de l'histoire nous entendons la Parole de Dieu à travers des cadres de pensée, à travers des conditions d'existence que nous recevons de la civilisation et de la culture. La véritable théologie procède d'un effort qui doit être constamment repris pour annoncer la foi de toujours dans le langage d'une culture mouvante. Toute culture qui vient au jour interpelle la foi. Cette culture interpelle l'Eglise, interpelle la foi. Vous parlez de "transsubstantiation, expliquez-vous ! Qu'est-ce que vous voulez dire ? Et il arrive que l'Eglise réponde avec des mots humains qui n'ont pas l'éternelle jeunesse de l'Evangile.

    Et je m'en vais vous proposer un texte : je vous lis le texte du Concile de Trente concernant la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie. Posez-vous la question : est-ce que je comprends ? Posez-vous cette question très sincèrement. Voici ce texte  : " Le Concile enseigne et professe que dans le Sacrement de l'Eucharistie , après la consécration du pain et du vin, Notre Seigneur Jésus-Christ vrai Dieu et vrai Homme, est présent vraiment, réellement et substantiellement sous l'apparence de ces réalités sensibles que sont le pain et le vin." Un peu plus loin, le Concile précise : "le Christ n'est pas seulement présent en signe, en figure ou par sa vertu, mais toute la substance du pain et du vin se trouve changée vraiment et réellement en la substance du Corps et du Sang du Christ cependant que demeurent les espèces ou les apparences du pain et du vin. Ce changement est appelé de façon très approprié : "transsubstantiation". " voilà. Tout cela est vrai ! rigoureusement vrai ! Mais à l'époque du Concile de Trente cela ne faisait pas problème, car la science n'était pas en ce temps là ce qu'elle est maintenant. Il y a le pain tel qu'il est sur notre table avec une certaine forme : c'est une flûte, ou un petit pain, c'est une couronne, une baguette, il est frais ou il est rassis, il a un certain poids, il a une couleur ou il est bien doré... : tout cela ce sont les apparences du pain. Qu'est-ce que de nos jours nous appelons la "substance" du pain ? c'est le pain tel qu'on peut l'analyser dans un laboratoire pour voir quels sont les éléments qui le constituent. Je n'ai pas de compétence particulière mais tout ce que je sais c'est que dans le pain il y a du gluten. Il n'y a pas que ça. Dans un laboratoire on analyse les éléments qui constituent le pain pour voir en quoi consiste la substance du pain. Et vous n'allez pas quand même imaginer que dans une hostie consacrée qui serait analysée chimiquement dans un laboratoire vous y trouverez le Corps du Christ. Jamais ! Jamais l'Eglise n'a prétendu une absurdité pareille ! Donc quand le Concile de Trente parlait de "transsubstantiation" (changement de substance) il ne s'agissait pas de la substance telle que nous l'entendons aujourd'hui. Qu'il s'agisse du pain tel qu'il apparaît sur notre table ou qu'il s'agisse du pain quand il est analysé dans un laboratoire c'est exactement la même chose. Ce n'est pas à ce niveau là que se situe la conversion du pain dans le Corps du Christ. Alors vous allez me dire : à quel niveau cela se situe ? La question est très difficile parce qu'elle est philosophique et que là c'est un mystère extrêmement profond. je pense que là il faut être très modeste et dire simplement : un être est ce qu'il est pour Dieu, en profondeur. La réalité profonde d'un être n'est pas sa réalité physico-chimique. Le pain et le vin sont réellement le Corps et le Sang du Christ, en profondeur, mais à un niveau qui n'a rien à voir avec la réalité physico-chimique. Entre catholiques et protestants la question de la présence réelle ne fait pas difficulté parce que si on a vraiment compris que la réalité la plus profonde dire que le Christ est réellement présent dans l'Eucharistie ou dire que sa présence est signifiée, c'est exactement la même chose. Alors je sais qu'il y a eu des controverses depuis la Réforme entre catholiques et protestants, à mon sens elle sont totalement périmées. L'important c'est de ne pas se tromper sur la signification du mot substance. Jamais saint Thomas d'Aquin n'imaginait une seconde qu'en analysant chimiquement une hostie consacrée on y trouverait le Corps du Christ. Jamais. Mais dans les siècles qui ont suivi la grande époque de la philosophie de saint Thomas d'Aquin il y a eu de la dégradation intellectuelle et les conflits se sont situés dans une zone tout à fait médiocre. Je reconnais qu'au plan pastoral, au plan de l'éducation de la foi, on ne sait pas trop comment s'exprimer. Je pense qu'il faut dire d'abord ceci : après la consécration, ce qui demeure ce sont les apparences sensibles du pain tel qu'il est sur notre table ainsi que leurs propriétés physico-chimiques (la substance physico chimique). Le changement se situe en une zone beaucoup plus profonde au niveau de ce que j'appelle "l'être et le signe" 

                                                                      A suivre...prochain post

                                                                      François Varillon s.j

     

  • L'Eucharistie (5)

     Suite du post précédent.

    Note : Retranscription d'une conférence de François Varillon (+ 1977). Les carmélites de Saint Sever ont un atelier de cassettes/CD : une grande partie des conférences du P. François Varillon peut être commandée chez elles. Le Père Varillon - spécialiste de Paul Claudel - c'est une voix. J'ai fait le choix de retranscrire quelques unes de ses conférences pour vous donner l'envie de poursuivre votre lecture avec les différents ouvrages qu'il a écrit ou votre écoute d'autres conférences enregistrées par les carmélites de St Sever (Calvados).

    ... qui s'est poursuivi par le travail du semeur, ensuite du moissonneur sans oublier tous ceux qui ont fabriqué les charrues, la moissonneuse-lieuse...travail qui s'est poursuivi avec le meunier, le boulanger, toux ceux qui ont fabriqué le pétrin : quelle histoire ! Quelle histoire contenue dans ce morceau de pain ! Voilà une feuille de papier : c'est pas une chose, c'est toute une histoire : c'était d'abord un arbre dans la forêt, et par une série de transformations successives le bois est devenu ce papier qui va servir à un usage humain ; ce papier sur lequel un grand écrivain écrira un chef d'oeuvre. Transformation de la nature par le travail et, du même coup, transformation des relations humaines car le travail n'est pas solitaire, le travail est lié à la communauté : les hommes travaillent ensemble. Eh bien, c'est cela que je porte sur l'autel et que le Christ va transformer en son propre corps. Autrement dit, le Christ transforme divinement ce que j'ai transformé humainement. Si vous ne transformez rien humainement, si vous ne travaillez pas, si vous ne vous efforcez pas de transformer les relations des hommes (soit les relations inter-personnelles, soit par le truchement des institutions politiques, économiques lesquelles conditionnent les relations des hommes entre eux, tout se tient), si vous ne transformez pas la nature par le travail ; si vous ne transformez pas les institutions sociales ou politiques par l'engagement institutionnel qu'est-ce que signifie l'eucharistie ? Car l'Eucharistie ce n'est pas le Christ tombé dans un morceau de pain !

    Mon père qui était dans l'industrie du papier me racontait à quel point il avait été impressionné à l'Exposition de Paris en 1897, l'année où l'on avait inauguré la Tour Eiffel. Et, il y avait sur le Champs de Mars la galerie des machines  et l'on assistait à tous les stades de la fabrication du papier. A un bout de la galerie, il y avait un tronc d'arbre qui arrivait de la forêt et à l'autre bout le papier. Et mon père - qui était un professionnel - me disait à quel point cela l'avait intéressé d'assister à la transformation de la nature : le bois en papier. Je lui répondais : remplace le papier par le pain et tu comprendras ce qu'est l'Eucharistie. Et je lui disais : imagine au bout de la galerie les sacs de blé arrivés de la campagne : ils sont déjà le fruit du travail et, à l'autre bout de la galerie le pain sortant du four du boulanger. Alors le pain sorti du four du boulanger on le mangera dans des repas humains qui excluront encore plus qu'ils ne rassembleront. Et le pain sur l'autel le Christ le transformera en son propre corps. Ce que nous avons transformé en pain par notre vie, le Christ le transforme divinement.

    Pour aider à faire comprendre j'aime bien rappeler cette anecdote.

    Il s'agissait de religieuses d'un style assez "antique" qui étaient toutes heureuses de me montrer une petite brochure composée pour faire comprendre le mystère de l'Eucharistie à des enfants. Elles étaient très fières : "regardez mon père comment on fait des choses merveilleuses...." Sur la première page il y avait une hostie dessinée puis, entre la première et la seconde page, il y avait une tirette ; et on disait aux enfants de tirer ! L'enfant tirait et l'hostie s'en allait. Et à la place de l'hostie on voyait apparaître le Christ ! 

    Je les ai regardés et je leur ai dit :

    - " Mais avez vous passé un contrat avec le parti communiste ? Le parti communiste se sert de vous mes soeurs pour favoriser le marxisme !"

    - "Mais comment mon père, qu'est-ce que vous voulez dire ? " 

    - " Qu'est-ce que vous racontez aux enfants ?! Le Christ qui vient remplacer le pain !? Le pain c'est l'homme, c'est le travail de l'homme. Et vous dites que le Christ vient remplacer l'homme, autrement dit Dieu s'est fait homme pour remplacer l'homme !? Alors il y a de quoi être marxiste pour le coup."

    - " Mais comment mon père, je ne comprends pas "

    - " Mais vous êtes purement et simplement hérétique, ma sœur."

    - "Mais enfin, vous exagérez ! "

    - " Pardon ma sœur !    Le concile de Trente a refusé le mot de "substitution : il n'est pas vrai que le Christ se substitue au pain. L'usage du mot "substitution" est hérétique. Le mot que le concile de Trente a adopté c'est le mot conversio : c'est le pain qui est converti en le Corps du Christ. C'est le pain, c'est-à-dire l'homme, qui devient le corps du Christ. J'ai un peu l'impression que beaucoup de chrétiens s'imaginent que les choses se passent ainsi. Ne dites jamais que le Christ vient remplacer l'homme. Jamais ! Le Christ vient diviniser l'homme. Nous sommes sur terre pour être divinisés, pour devenir ce qu' Il est. Mais nous ne pouvons devenir ce qu' Il est que si nous accomplissons notre tache humaine. Et la tache humaine ce sera toujours le travail qui transforme la nature et puis l'action institutionnelle qui transforme les relations des hommes entre eux par le biais des institutions."

    Alors  les pauvres sœurs - je ne sais plus bien comment ça s'est terminé - mais elles étaient bien embêtées. Elles étaient un peu moins fières.  C'est en étant pleinement humain qu'on devient divin, par la grâce de Dieu bien sûr. Ce n'est pas nous qui devenons Dieu : c'est Dieu qui se donne pour nous transformer en Lui. Vous comprenez alors que le signe de la nourriture est fondamental.

    Il reste quelques mots à dire sur la Présence réelle.  

     

                                       A suivre...

                             P. François Varillon

          

                                                                

     

  • L'Eucharistie (4)

    Suite du post précédent.

    Note : Retranscription d'une conférence de François Varillon (+ 1977). Les carmélites de Saint Sever ont un atelier de cassettes/CD : une grande partie des conférences du P. François Varillon peut être commandée chez elles. Le Père Varillon - spécialiste de Paul Claudel - c'est une voix. J'ai fait le choix de retranscrire quelques unes de ses conférences pour vous donner l'envie de poursuivre votre lecture avec les différents ouvrages qu'il a écrit ou votre écoute d'autres conférences enregistrées par les carmélites de St Sever (Calvados).

     

    Car nos repas humains ne peuvent signifier qu'une fraternité limitée et qui est déjà réalisée alors que l'Eucharistie c'est l'exigence de travailler à une réconciliation qui n'est pas faite. Je me rappelle - après les événements de mai 68 - certains syndicalistes ouvriers : "moi je veux bien communier à côté d'autres syndicalistes même s'ils n'appartiennent pas aux mêmes syndicats que moi  mais il m'est absolument impossible de communier aux côtés du patron". Alors vous voyez comment l'Eucharistie pourrait être faussée. Si l'Eucharistie n'est que le couronnement d'une entente qui existe déjà au plan humain ; je ne sais pas quel est l'avenir des paroisses dans l'Eglise mais ce que je puis dire c'est que le grand avantage de la paroisse c'est qu'il y a là des hommes de tous les milieux, de toutes les conditions, de tous les âges et de toutes les options politiques et cela c'est normal. L'Eucharistie prend son véritable sens lorsque sont côte à côte, à la table sainte, le patron, le cadre, l'ingénieur, l'ouvrier, le paysan, l'homme d'un certain âge, les jeunes et ainsi de suite, tous les hommes dont il est évident qu'ils ne sont pas réconciliés, et qu'on les retrouvera, demain lundi, opposés les uns aux autres dans les combats humains : combats professionnels, combats politiques, combats syndicaux.

    Un des plus beaux souvenirs de ma vie c'est cette réunion à Lyon, il y a une dizaine d'années [donc dans les années 1960]. il y avait là (dans cette entreprise Rhône-Poulenc) des ingénieurs, des cadres supérieurs, des agents de maîtrise, des employés, des ouvriers. Et pendant deux heures on avait discuté ferme sur les problèmes de l'entreprise. On avait discuté ferme assez fraternellement bien sûr mais sans aboutir à un résultat. Et lorsque nous allions nous séparer un ouvrier s'est levé tout d'un coup pour dire : écoutez ! nous sommes quand même des chrétiens ; c'est en tant que chrétiens que nous nous sommes réunis, nous n'allons pas nous séparer comme ça ; si vous le voulez bien nous allons dire le  Notre Père. Tout le monde s'est levé et ces hommes, qui un quart d'heure avant s'opposaient les uns aux autres au plan temporel, au plan des problèmes industriels, problèmes de l'entreprise, tous les hommes ont dit le Notre Père. L'idéal aurait été qu'au lieu de dire le Notre Père, on célèbre l'Eucharistie.  L'Eucharistie sur place. L'Eucharistie célébrée avec des hommes et des femmes dont les intérêts étaient - sur le plan humain - divergents. Alors autant je veux bien que l'on célèbre des eucharisties domestiques, autant cela peut permettre de retrouver un certain sens communautaire et fraternel de la célébration eucharistique, autant je pense qu'il faut quand même faire attention car, au terme, il pourrait y avoir une déviation assez grave.

    Il est assez triste de penser qu'un certain nombre de chrétiens "assistent" à la messe (assiste : cet horrible mot) ou prétendent participer à la messe sans comprendre que cela n'a un sens que s'ils s'y engagent à se sacrifier pour travailler à la réconciliation des hommes. "Nous proclamons ta mort Seigneur Jésus" cela veut dire : je m'engage à mourir. Mourir à mon égoïsme, mourir à tout ce qui maintient les privilèges.  "Nous célébrons ta Résurrection" : m'engageant à mourir (et tout de suite ! ce soir ! demain !) pour qu'il y ait plus de justice et d'amitié vraie entre les hommes, c'est là du même coup que je ressuscite, c,est-à-dire que je passe à la vie divine. Lorsque nous avons parlé de la Résurrection, vous vous souvenez, nous avons dit qu'elle ne se produit pas après la mort. La résurrection ce n'est pas un transfert dans un beau jardin. C'est à l'intérieur de chacune de nos décisions que nous mourons à notre égoïsme et que nous passons à la vie divine. C'est pour cela que toute eucharistie est une eucharistie du travail. Naguère la JOC, la JAC, avait rendu cela assez sensible en instituant des messes du travail. Certains d'entre vous ont peut être connu cet extraordinaire congrès de la JOC au Parc des Princes à Paris où pendant toute la nuit on a préparé l'eucharistie qui devait être célébrée à l'aube. Et on a vu des ouvriers, des ouvrières de tous les corps de métier, concourir pour construire l'autel où devait se célébrer l'eucharistie.

    Et de même à la campagne ces "messes de la terre" où les fruits de la terre, les fruits du travail de l'homme, étaient offerts à Dieu. Nous ne consacrons pas du blé et du raisin mais du pain et du vin. Le blé et le raisin sont déjà les fruits du travail de l'homme, c'est bien ce que nous disons dans la prière de l'offertoire.  Mais le pain n'est pas seulement fruit de la terre, il est aussi le fuit du travail des hommes. En fabriquant du pain, l'homme transforme la nature pour la rendre véritablement humaine. Et c'est ce pain qui est de la nature transformée par le travail de l' homme, que nous portons  sur l'autel pour qu'il devienne le corps du Christ. Ce qui veut dire que le Christ ne se rend pas présent en "tombant" du ciel dans un morceau de pain (comme s'il fallait porter du pain sur l'autel pour qu'il sache où se mettre ! Pas du tout.) c'est tout le travail de l'homme, toute l'activité transformante de l'homme que nous portons sur l'autel et qui s'achève dans une transformation dans le corps du Christ. Personnellement j'aime beaucoup, quand j'en ai le loisir, arriver à la sacristie un peu en avance et faire une courte méditation sur le morceau de pain, l'hostie que je prends dans la boite et que je tiens dans mes mains. Je regarde ce morceau de pain et je dis :  ce n'est pas un caillou, ce n'est pas une chose, ce n'est pas un objet, ce morceau de pain c'est toute une histoire qui a commencé par le travail du laboureur. 

                    A suivre....prochain post.

                    François Varillon s.j

                                                                      

  • L'Eucharistie (3)

    Suite du post précédent. Retranscription d'une conférence orale donnée dans les années 1970.

     

    Et il n'y a pas tellement longtemps que l'on avait dans notre vocabulaire : " assister à...." " assister à la messe." ! L'assistance à la messe ! C'est effrayant ! L'emploi de ce mot était vraiment  le signe qu'on y comprenait plus rien ! Car on assiste à une cérémonie, bien sûr, mais qu'est-ce que ça veut dire "assister à un repas" ? On n'assiste pas à un repas on participe à un repas. Les gens n'y comprennent plus rien.

    Une tendance se fait jour à l'heure actuelle de célébrer l'Eucharistie par petits groupes : on appelle cela des "eucharisties domestiques", qui sont célébrées sur une table d'une salle-à-manger, à la fin d'une réunion où on a étudié l'évangile ensemble. Notez que je n'y vois aucune difficulté et que toutes les fois qu'on me demande de célébrer l'eucharistie à la fin d'une réunion sur la table de la salle-à-manger, je le fais très volontiers. Il y a là quelque chose de véritablement fraternel qui aide à comprendre le sens communautaire de l'Eucharistie. Seulement il faut prendre garde à ceci : est-ce que l'Eucharistie existe pour célébrer une fraternité qui est déjà là ou pour nous dire l'exigence d'une fraternité qui n'est pas encore là et qu'il s'agit de réaliser en retroussant ses manches pour travailler à faire un monde plus fraternel ? 

    Le danger de ces "eucharisties domestiques" où l'on est quelques uns, très amis, très fraternels, en général du même milieu, j'ajouterais : en général de la même tendance politique, sauf exception ; l'Eucharistie célébrée entre gens qui au plan humain pensent la même chose autrement dit qui sont déjà liés entre eux par la culture, le milieu social, l'option politique. Que penseriez-vous d'une eucharistie qui ne serait que le couronnement de cette fraternité déjà réalisée au plan humain ? A la limite, le sens de l'Eucharistie serait faussé. Car l' Eucharistie n'est pas le couronnement d'une fraternité qui est déjà là, c'est l'exigence profonde d'une fraternité qui n'est pas encore là et qu'il s'agit justement de réaliser par le sacrifice de notre vie. En ce sens il faut dire que l'Eucharistie est la "critique permanente de nos repas humains." Pourquoi ? Parce que nos repas humains ne rassemblent qu'un tout petit nombre d'hommes et excluent le plus grand nombre. Supposez que vous réunissez chez vous pour un repas de fête une vingtaine de personnes : ce sera déjà pas mal et un gros travail pour la cuisinière, mais les autres ? Les autres sont exclus. Allons plus loin. Le morceau que vous mangez d'autres ne le mangent pas ; vous vous l'appropriez. Vous me direz que la remarque est enfantine : pas du tout. La remarque veut dire que lorsque nous vivons en France dans une société d'abondance il y a des millions et des millions d'hommes qui meurent de faim, c'est ça ce que ça veut dire.  Alors quand on comprend les choses c'est là que ça devient tout à fait sérieux. Et cela veut dire que, sur le plan humain, il n'y a pas de rassemblement sans exclusion. Vous excluez beaucoup plus que vous ne rassemblez. Par conséquent le repas humain - le repas de tous les jours ou le repas du dimanche ou le repas de fête  - est le signe d'une fraternité très limitée qui est déjà réalisée : gens du même milieu, de la même culture.

    Figurez-vous que j'ai été alerté lorsque, au cours d'une réunion d'hommes et de femmes très fraternels, n'est-ce pas, on avait commencé la soirée par le repas, le repas humain et puis, après le repas, on avait travaillé sur un texte d'évangile et on avait décidé de terminer la réunion à 11 heures du soir par l'Eucharistie. Pourquoi l'Eucharistie ? A quoi bon puisqu'au début de la soirée nous avons pris déjà un repas ensemble ? Pourquoi faire intervenir un deuxième repas ? Est-ce que le premier repas n'est pas déjà le signe de notre fraternité ? On n' invite pas à sa table des gens qui sont nos ennemis ! Alors pourquoi doubler le repas humain que nous avons pris à 8 heures du soir par un second repas que l'on prend à 11 heures du soir où l'on va faire intervenir le Christ : qu'est-ce que c'est que cette doublure ? A quoi bon ? Alors j'ajoute : la remarque m'a alerté. Cela m'a aidé à faire comprendre que le repas humain c'est un repas qui exclut beaucoup plus qu'il ne rassemble. Le repas humain signifie une amitié, une fraternité déjà réalisée alors que l'Eucharistie signifie l'engagement que nous devons prendre pour travailler à réaliser une fraternité qui n'est pas du tout réalisée ! Car vous ne me ferez jamais croire que tous les hommes du monde sont réconciliés : la fraternité universelle n'existe pas. Elle n'existe même pas dans notre propre famille. Elle n'existe même pas dans notre immeuble, probablement.  Il faut la faire. Et si le Christ mort et ressuscité intervient c'est afin de nous fournir l'énergie nécessaire [par la participation à sa propre Vie] pour travailler à la réconciliation universelle de tous les hommes. Là nous pouvons le faire. Les uns à une échelle très modeste, d'autres à une échelle beaucoup plus importante qui sera économique, sociale ou politique. Alors vous comprenez ce que je voulais dire en disant : l'Eucharistie est la critique de nos repas humains. 

                     A suivre....

                     François Varillon s.j

  • L'Eucharistie (2)

    Suite du post précédent. Retranscription d'une conférence enregistrée dans les années 1970.

     

     Le Christ, Lui, parce qu'Il est Dieu et parce qu'Il est sans péché peut renoncer à son existence naturelle et historique. Il peut mourir au monde des hommes sans cesser d'être pour l'humanité l'Epoux qui se donne. Et tout est là. Le Christ est donc le seul à pouvoir accomplir le vœu suprême de l'Amour c'est-à-dire se faire la véritable nourriture de l'humanité, réaliser la fusion, sans confusion, et devenir vraiment, en rigueur de termes, la chair de notre chair. Cela revient à dire que les épousailles ne peuvent se réaliser en plénitude  que dans l'union que le Christ réalise avec nous dans l'Eucharistie. Et le mariage devra essayer, autant qu'il est possible ici-bas, de se modeler (c'est ça le mariage chrétien) sur les épousailles que le Christ réalise avec l'humanité lorsqu'il se fait sa nourriture et qu'il devient vraiment la chair de sa chair. Si j'insiste là-dessus très fortement c'est que il y a une tendance, à l'heure actuelle, à se contenter, quand il s'agit de l' Eucharistie, du symbolisme du repas, c'est-à-dire le fait que l'on est ensemble et que l'on partage un repas fraternel. Remarquons qu'il est très important qu'il y ait un repas fraternel et l'Eucharistie c'est bien un repas fraternel. Seulement ce n'est pas n'importe quel repas.  Ce n'est pas seulement l'union des hommes entre eux à l'occasion d'un repas, c'est l'union de chacun avec le Christ qui a pour conséquence nécessaire l'union des hommes entre eux. Or, une certaine tendance à l'heure actuelle, très dangereuse, consiste à mettre tellement l'accent sur l'union des hommes entre eux qu'on finit par oublier que cette union des hommes entre eux ne peut être quelque chose de solide et d'efficace que si c'est l'union de chacun avec le Christ. On risque d'abolir le "vertical" au profit de "l'horizontal". Ce qu'on appelle le "vertical" c'est l'union au Christ ; ce qu'on appelle l' "horizontal" c'est l'union des hommes entre eux. La réalité c'est que le vertical et l'horizontal ne peuvent pas être séparés. Et vous comprenez pourquoi l'Eucharistie c'est le sacrement du mystère de la Mort et de la Résurrection du Seigneur ; car si le Seigneur Jésus n'était pas mort  Il ne pourrait pas être nourriture. Le fond du mystère eucharistique c'est que le Christ mort et ressuscité se fait notre nourriture pour devenir (beaucoup plus radicalement qu'une étreinte qui rapproche un instant  deux corps) la chair de la chair de l'humanité. Et l'humanité qui reçoit le Corps du Christ est entraînée dans ce mystère de Mort et de Résurrection de telle sorte qu'en recevant l'Eucharistie nous nous engageons à mourir à tout ce qui est égoïsme et limitations humaines et à travailler du même coup  à la réconciliation des hommes entre eux. Voilà le fond des choses qu'il ne faut pas oublier et que certains risquent de mettre en sourdine. L'Eucharistie est un repas, bien sûr, mais un repas dans un contexte pascal : Pâques c'est la Mort et la Résurrection du Seigneur. D'ailleurs la nouvelle liturgie nous permet de bien comprendre les choses puisque nous disons, explicitement, aussitôt après la consécration : "Nous proclamons ta mort Seigneur Jésus ; nous célébrons ta Résurrection et nous attendons ta venue dans la Gloire." Le pain et le vin sont consacrés c'est-à-dire qu'ils deviennent le Corps et le Sang du Christ en liaison avec la Passion : "au moment d'être livré et d'entrer librement dans sa Passion Jésus prit du pain, le bénit, le rompit et le donna en disant : ceci est mon corps". Car si le Christ n'était pas allé jusqu'au bout de l'amour c'est-à-dire la mort, Il ne pourrait pas se donner à nous en nourriture et réaliser du même coup ce qu'aucun mariage humain  ne peut réaliser c'est-à-dire la véritable fusion sans confusion de deux en un. Dans le mystère de l'Eucharistie il y a donc deux dominantes : c'est une manducation et une manducation ensemble.  Manducation c'est-à-dire intimité "conjugale" avec le Christ ; "manducation ensemble" c'est-à-dire communion avec autrui en vue de la réconciliation des hommes dans l'amour. Au lieu de dire "nous allons communier" car le mot risque d'être un peu abstrait disons donc : nous allons manger le Christ "ensemble". Alors c'est sur "ensemble" qu'il s'agit de ne pas se tromper. On mange "ensemble" c'est vrai mais ce n'est pas l'ensemble qui se réalise dans un repas ordinaire. Autrement dit le lien qui unit les convives n'est pas leur volonté commune d'être ensemble. Il n'y a pas d'eucharistie authentique sans un engagement profond à mourir à son égoïsme pour travailler à l'union des hommes entre eux.

    Le lien qui unit les convives n'est pas le lien qui unit les convives dans un repas ordinaire (la volonté d'être ensemble et de manger ensemble).  Quand il s'agit de l'Eucharistie c'est le Christ lui-même qui unit les chrétiens. La célébration eucharistique n'est pas un acte individuel. C'est un acte communautaire, c'est un acte social, c'est très vrai, c'est incontestable. Mais n'allons pas pour autant mettre en doute la transcendance de l'origine et de la signification  de l'Eucharistie : c'est le Christ qui convoque au repas fraternel.  

    C'est un fait que beaucoup de nos contemporains ne comprennent plus grand chose à l'Eucharistie. Le geste tout simple du repas que l'on prend ensemble est devenu - sous la pression de l'impératif du nombre - une cérémonie, pour un peu un spectacle.

                         A suivre...prochain post

                         François Varillon s.j

  • L'Eucharistie (1)

    Retranscription d'une conférence orale donnée par François Varillon (années 1970).

     

    Ne vous attendez pas à ce que je vous fasse un exposé complet sur l'Eucharistie.  Il est impossible d'envisager en une heure tous les aspects de ce mystère qui est vraiment le mystère central de notre foi qui résume tout. Mais je suis obligé de choisir un certain nombre de points  les plus importants  me semble t-il à l'heure actuelle, étant donné les tendances qui peuvent se faire jour ici où là dans l'Eglise et qui risqueraient soit de minimiser, soit de fausser le sens de l'Eucharistie. Mon exposé sera très  classique mais je vais m'efforcer d'exprimer les choses  les plus traditionnelles en un langage qui soit accessible à tous.

    La première chose qu'il faut dire c'est que l'Eucharistie est essentiellement une nourriture. C'est le Sacrement du Christ qui se donne lui-même en nourriture aux hommes pour les transformer en lui-même. Dans la nourriture ordinaire, c'est la nourriture qui se transforme en nous. C'est ce que nous mangeons qui devient notre chair et notre sang. Dans l'Eucharistie, et étant donné qu'il s'agit de Dieu lui-même, c'est l'inverse qui se produit : c'est le Christ qui nous transforme en lui-même pour que nous devenions ce qu'il est. L'Eucharistie est un sacrifice parce que le Christ fait don de lui-même en nourriture. Et c'est un sacrement parce que le Christ se rend présent sous le signe d'une nourriture. Il est très important de ne pas oublier que c'est véritablement là l'essentiel :  nourriture c'est le mot clé. Toute réflexion sur l'Eucharistie qui ne prendrait pas pour point de départ cette réalité du Christ qui se donne en nourriture risquerait d'être faux.  Je pense que la meilleure manière de comprendre les choses c'est de comparer l'Eucharistie au mariage. La comparaison entre l' Eucharistie et le mariage est quelque chose de traditionnel  dans l'Eglise. On n'imagine pas le nombre d'écrivains de l'Antiquité, du Moyen-âge qui ont écrit pour faire comprendre le rapprochement entre la mariage et l' Eucharistie. Pour bien comprendre ce qu'est le mariage il faut penser à l'Eucharistie. Et quand on parle de l'Eucharistie, pour bien comprendre ce qu'elle est, il faut penser au mariage. En effet, l'Eucharistie comme le mariage est un mystère d'union, d'union dans l'amour et par l'amour. Le dessein fondamental de Dieu quand il crée c'est de s'unir tous les hommes dans l'amour pour leur faire partager sa vie propre. Ce qu'on peut exprimer en disant que si Dieu crée c'est afin d'épouser l'humanité. Le dessein d'épouser l'humanité est déjà présent au cœur de l'Acte créateur. Et si Dieu s'incarne et s'il devient un homme dans la personne du Christ c'est afin de réaliser ce dessein. Dessein d'union. Or le vœu profond, le désir profond  de l'amour conjugal ne s'arrête pas à l'étreinte de deux corps qui restent extérieurs l'un à l'autre. Dans l'amour conjugale, on réalise bien sûr cette étreinte amoureuse de deux corps, mais les deux corps restent inévitablement extérieurs l'un à l'autre. Le vœu profond de l'amour ce n'est pas seulement cette étreinte qui laisse les corps l'un en dehors de l'autre. Le désir profond qui est au cœur de l'amour c'est la fusion. La fusion de deux en un. Une fusion sans confusion. Evidemment nous n'analysons pas toujours ce que nous éprouvons dans le désir amoureux. Le véritable désir qui est dans l'amour c'est cette fusion dans laquelle chacun ne veut exister que pour se laisser "consommer" par l'autre en devenant "sa nourriture" et - comme dit saint Paul - en devenant la chair de sa chair. En réalité, ce désir profond de l'amour ne peut jamais s'accomplir ici-bas pour ne faire qu'un en rigueur de terme avec celui ou avec celle que nous aimons. Entrer dans l'amour c'est toujours entrer dans la souffrance sans oublier que c'est toujours entrer dans la joie. La joie d'aimer est supérieure à toute autre joie. Il est inutile d'insister tellement c'est évident. Entrer dans l'amour c'est toujours enter dans la souffrance parce que l'amour ne peut pas être parfaitement achevé ici-bas. La mort naturelle n'accomplit pas l'amour, elle y met au contraire un obstacle puisqu'on disparaît, que l'autre -celui ou celle qu'on aime, n'est plus là. 

                   A suivre...

                   François Varillon s.j