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jésus-christ

  • La Résurrection dans les Evangiles

    [141] Ecoutons, par contraste, le récit pascal, étonnament bref, du plus ancien évangéliste, Marc, qui, sans doute presque un siècle avant l'Evangile de Pierre, aux environs de l'an 70, a écrit l'histoire suivante où d'évidence la Résurrection elle-même est passée sous silence :

    "Quand le shabbat fut passé, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des aromates pour aller oindre le corps. Et de grand matin, le premier jour de la semaine, elles vont à la tombe, le soleil étant levé. Elles se disaient entre elles : " Qui nous roulera la pierre hors de la porte du tombeau ? " Et ayant levé les yeux, elles virent que la pierre avait été roulé de côté : or elle était fort grande. Etant entrées dans le tombeau, elles virent un jeune homme assis à droite, vêtu d'une robe blanche, et elles furent [142] saisies de stupeur. Mais il leur dit : " Ne vous effrayez pas. C'est Jésus le Nazarénien que vous cherchez, le Crucifié : il est ressuscité, il n'est pas ici. Voici le lieu où on l'avait mis. Mais allez dire à ses disciples et à Pierre qu'il vous précède en Galilée : c'est là que vous le verrez, comme il vous l'a dit." Elles sortirent et s'enfuirent du tombeau, parce qu'elles étaient toutes tremblantes et hors d'elles-mêmes. Et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur... (Mc 16,1-8)"

    C'est là que s'achève, de façon assez surprenante, l'évangile selon Marc. Les spéculations au sujet d'une autre finale de son évangile, peut-être perdue, sont oiseuses. Ce que l'évangile originel nous dit de la Résurrection tient dans ces huit versets, et, comparés à l'Evangile de Pierre, ils suffisent à montrer que tout ce qui se passe advient après la Résurrection. Marc se contente de témoigner de la Résurrection ; plus exactement, il annonce le message de la Résurrection qui alors ne produit ni étonnement ni joie "pascale", mais "crainte et tremblement" : "Et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur..." cela aussi peut rendre un son peu familier aux oreilles des fidèles, dans l'Eglise catholique du moins, car, des siècles durant, on a tout simplement omis de lire à Pâques cette dernière phrase par laquelle s'achève tout l'évangile, apparemment sous prétexte qu'elle ne convenait pas à la fête de Pâques. Il faut, de plus, observer que tout cela se produit devant quelques témoins, et, qui plus est, devant un groupe de femmes peu crédibles en ce temps-là en fait de témoignage. Le seul nom qui est partout identiquement transmis - même dans les évangiles plus tardifs - est celui de Marie de Magdala (les évangiles synoptiques ne disent pas un seul mot de Marie, mère de Jésus, ni sous la Croix ni dans les récits de la Résurrection) ; selon le tardif évangile de Jean également, Marie de Magdala est la seule qui, par piété, soit allée au tombeau pour oindre Jésus, le dimanche matin.

    Cette réserve des Evangiles canoniques à propos de la Résurrection n'inspire-t-elle pas plutôt confiance dans leur authenticité ? A l'inverse, l'intérêt dont témoignent les apocryphes pour les outrances et le sensationnel ne les rend-il pas plutôt suspects ? En tout cas, les témoignages canoniques sur Pâques ne portent pas sur la Résurrection comme événement, mais sur le Ressuscité comme personne. [143] Témoignages, notons-le bien, et non pas simples rapports. Dans leur ensemble, les récits de Pâques ne sont pas des documentaires neutres dûs à des observateurs impartiaux ; ce sont des témoignages en faveur de Jésus dus à des croyants au plus haut point intéressés et engagés. Ce sont par conséquent des documents moins historiques que théologiques ; non des procès-verbaux ou des chroniques, mais des témoignages de foi. (...)

                                                              A suivre...

    Hans Kûng - Vie éternelle ? Seuil , 1985

  • l'au-delà : la résurrection dans l'ancien testament

    [120] Or les différents passages de l'Ancien Testament qui parlent d'une soi-disant résurrection, ont un sens imagé, métaphorique, et, dans leur contexte biblique, ne peuvent être pris au sens propre.

    Quand donc le prophète Osée dit : " Après deux jours il nous fera revivre, le troisième jour il nous relèvera et nous vivrons en sa [121] présence", il n'entend pas par là la résurrection des morts, mais, de façon imagée, la guérison et la santé imminente du peuple d'Israël malade.

    De même, lorsque, dans une vision grandiose, le prophète Ezéchiel (Ez 37, 1-6) voit la reviviscence des ossements desséchés : " La main de Yahvé fut sur moi, il m'emmena par l'esprit de Yahvé, et il me déposa au milieu de la vallée, une vallée pleine d'ossements. Il me la fit parcourir, parmi eux, en tous sens. Or les ossements étaient très nombreux  sur le sol de la vallée, et ils étaient complètement desséchés. Il me dit : " Fils d'homme, ces ossements vivront-ils ?" Je dis :" Seigneur Yahvé, c'est toi qui le sais." Il me dit : "Prophétise sur ces ossements. Tu leur diras : ossements desséchés, écoutez la parole de Yahvé. Ainsi parle le Seigneur Yahvé à ces ossements. Voici que je vais faire entrer en vous l'esprit et vous vivrez. Je mettrai sur vous des nerfs, je ferai pousser sur vous de la chair, je tendrai sur vous de la peau, je vous donnerai un esprit  et vous vivrez, et vous saurez que je suis Yahvé" Or, d'après le contexte de cette vision, il est incontestable qu'il n'est pas parlé ici de la résurrection des israélites défunts, mais du retour des déportés de Babylone, sortis du tombeau de leur prison, pour une vie nouvelle au pays d'Israël.

    Ou bien quand finalement la tardive "apocalyse d'Isaïe" parle des morts de Yahvé qui vivront, et les cadavres qui ressusciteront : " Tes morts revivront, tes cadavres ressusciteront. Réveillez-vous et chantez, vous qui habitez la poussière." Ici aussi il s'agirait de la figure d'un salut, de durée illimitée, à venir à la fin des temps, et pas nécessairement d'une vraie résurrection des morts. Cela ressort clairement d'Isaïe 26,14 : " Les morts ne revivront pas, les ombres ne se relèveront pas, car tu les as visités, exterminés, tu as détruit jusqu'à leur souvenir." Tous ces textes emploient donc l'idée de résurrection uniquement comme image, en particulier de la restauration nationale d'Israël. Des phrases isolées dans les Psaumes, dans les Chants du Serviteur de Yahvé et chez Job parlent, elles aussi, quand on les examine de près et, au plus, de façon imagée, d'une résurrection à la vie.

    Mais à l'époque perse, après l'exil à Babylone, parmi les Juifs, on se satisfait de moins en moins de la vieille réponse qui suivait  le principe de l'équivalence et de la rétribution, selon lequel argumentaient [122] aussi les amis de Job, disant que tous les comptes s'appurent pendant la vie entre la naissance et la mort. Cela devenait chaque jour plus évident ; chacun pouvait vérifier quotidiennement que, ni dans la vie du peuple, ni dans celle de l'individu, le bien ni le mal, ne sont suffisamment payés. Au méchant, il arrive souvent du bien, et au bon souvent du mal... Il n'est donc pas étonnant que, dans les deux siècles avant Jésus-Christ - certains textes bibliques parlent aussi de l'éventuelle implication de Dieu dans la détresse et les périls d'un chacun -, ait pu s'imposer de plus en plus nettement l'espoir que - contrairement à ce que pensait le sceptique Qohélet, quelques générations auparavant - on puisse encore attendre une justice totale, une satisfaction jamais obtenue jusqu'alors.

                                                            A suivre...

    Hans Küng - Vie éternelle ? - Ed du Seuil 1985

  • Témoin du Christ

    Etre témoin du Christ dans notre vie, c'est laisser toujours le Christ "passer devant", c'est-à-dire faire passer la foi, l'espérance, la charité avant notre intelligence, nos désirs et nos sympathies ou antipathies. Il faut que la foi soit toujours première et que nous ne croyions pas dans la mesure où nous avons "compris" - ce ne serait plus la foi. La foi, c'est une adhésion au mystère de Dieu parce que Dieu nous a donné sa lumière. Et nous adhérons dans l'obscurité, parce que la lumière de Dieu nous dépasse et excède la capacité naturelle de l'intelligence qui, par le fait même, en est aveuglée. La foi est une adhésion inconditionnelle, parce que nous adhérons à la lumière de Dieu. Nous savons qu'elle n'est pas irrationnelle, mais "super-intelligible". Nous savons que croire, ce n'est pas imprudent, mais "super-prudent"; Il faut donc toujours que la foi passe avant l'intelligence. Autrement, nous retombons dans un humanisme, nous ne sommes pas chrétiens, et nous ne rendons pas témoignage au Christ.

     

    Marie-Dominique Philippe - Suivre l'Agneau (t1) - 1 ère édition, 1978. 3 ème tirage : Ed St Paul 2005 pp.153-154 (ISBN : 2-35117-001-6)

  • Le Seigneur est-il au milieu de nous ?

    "Le Seigneur est-il vraiment au milieu de nous, ou bien pas?"  Après le fulgurant passage de la mer Rouge, après la solennelle présence de Dieu sur le Sinaï, Israël n'aurait-il pas eu des raisons de s'imaginer que son chemin vers la Terre promise dût être un chemin triomphal, un pèlerinage joyeux et facile? Je pense à un psaume qui chante: «0 Dieu, quand tu sortis à la face de ton peuple, quand tu foulas le désert, la terre trembla ... Tu répandis,  Dieu, une pluie de largesses ... Tu ouvris aux captifs la porte du bonheur» (Ps 68). Ainsi chantent les liturgies, ainsi les poètes inspirés transforment-ils en épopée magnifique le dur et douloureux Exode. Mais sur le chemin, les choses sont moins simples et moins glorieuses. La terre ne tremble pas du tout, elle est coupante aux pieds de qui trébuche sur ses cailloux; les pluies de largesses sont séparées par d'énormes temps de sécheresse; la porte du bonheur à peine entrouverte semble se refermer sur une nuit épaisse, et l'on se demande si l'entrebâillement qu'on en a vu n'est pas une illusion. «Le Seigneur est-il vraiment au milieu de nous, ou bien pas?» «Es-tu celui qui doit venir, demandera-t-on à Jésus, ou bien pas? Ses paroles sont-elles vraiment dignes d'une absolue créance, ou bien pas? L'Esprit s'occupe t-il vraiment de son Église, ou bien pas?

    Laissez, laissez la tentation épuiser toutes ses variations. A quoi servirait-il de vouloir en étouffer la voix s'il est vrai que sa morsure vous a atteint? Il est nécessaire de passer par l'épreuve, d'entendre ces murmures qu'on nous souffle, que nous nous soufflons à nous-même. Oui, nous avons soif et nous nous demandons si vraiment Jésus-Christ est capable d'étancher cette soif. Nous avons soif de plus de justice dans le monde, et nous nous demandons si l’Évangile est vraiment capable de nous en inspirer la réalisation. Nous avons soif de communion et de fraternité, et nous nous demandons si l'Église rassemblée visiblement au nom du Christ, et si les sacrements du Christ, sont vraiment capables de les instaurer à la mesure de notre soif. Nous avons soif d'un élargissement de notre conscience à la mesure des dimensions infinies du monde, et nous nous demandons si le Dieu chrétien est encore assez grand pour être vraiment notre Dieu. Nous avons soif de devenir profondément nous-même, d'échapper aux insupportables perturbations psychiques qui empoisonnent notre existence, nous avons soif de la vraie paix et de la vraie vie, et nous nous demandons si les promesses du Christ ont vraiment été tenues. «Le Seigneur est-il vraiment au milieu de nous, ou bien pas?»  

    Albert-Marie Besnard - Il vient toujours - Cerf 1979 pp. 42-44

  • Qui est Jésus ?

    Jésus s'oppose aux divers systèmes sociaux qui, à son époque, faisaient des exclus. Comme Dieu rempli de compassion pour son peuple opprimé en Égypte - J'ai vu la misère de mon peuple, dit-il à Moïse dans le Buisson-, il se solidarise avec tous les pauvres: il se rend proche des malades, fait leur place aux enfants à qui l'on ne donne pas la parole ou qu'on rabroue, attire l'attention sur le geste de la veuve indigente qui donne de son nécessaire. Dans les Béatitudes, il fait même des pauvres les premiers bénéficiaires du Royaume de Dieu. Bien plus, il s'identifie à eux: toute action en faveur de celui qui est nu, affamé, isolé, rejeté, rejoint directement le Fils de l'homme, comme l'affirme la parabole du Jugement dernier (Mt 25, 31-46).

    Cela ne veut pas dire que Jésus limite ses solidarités à la seule catégorie sociale de ceux que nous appellerions aujourd'hui les défavorisés.Il fut reçu à la table de personnes influentes, compta parmi elles des sympathisants - pensons à Nicodème -, et fut enterré dans le tombeau d 'un homme riche devenu son ami, Joseph d'Arimathie. Loin de mépriser les riches, Jésus entend s'adresser aussi à eux pour en faire ses disciples (voir Mc 10, 17-23). Il sait aussi se montrer attentif à l'égard de ceux dont la vie se pervertit dans l'injustice du fait de l'argent, comme les publicains qui exploitaient souvent les gens en percevant les impôts (pensons à Zachée, Lc 19). Bref, Jésus refuse toute exclusion, y compris celle de l'hérésie, comme en témoignent ses rapports avec les Samaritains, car il reconnaît en tout homme un égal et un frère, puisqu'il est né du même Dieu Père.

    L'ouverture de Jésus à tous ne l'empêche pas de prendre parti et d'une façon telle que cela inquiète les dirigeants qui redoutent son influence et le tiennent pour dangereux. Jésus ne préconise donc pas un universalisme douceâtre qui laisse tout faire ou conduit à la résignation devant l'état des choses. Prenant le parti des petits, il dénonce les systèmes qui oppriment, y compris celui d'une application rigoureuse et systématique de la Loi de Dieu. Jésus ne méprise pas cette Loi ; il en suit les prescriptions, participe aux célébrations du sabbat, fréquente le Temple, etc. Parce qu'il s'adresse à des communautés où vivent de nombreux judéo-chrétiens, Matthieu met particulièrement en valeur le respect de Jésus pour la sainte Torah. Ce que Jésus rejette c'est une pratique de la Loi qui refuse à certaines personnes toute possibilité d'entrer en relation avec Dieu dans le cadre de la vie religieuse d'Israël. En effet, certains légistes de l'époque accordent tellement d'importance à la pureté rituelle que beaucoup de personnes se trouvent exlues de la vie du peuple de Dieu ; du fait même de leurs occupations les plus quotidiennes, elles se trouvent en effet en contact avec des populations païennes, ce qui les rend religieusement impures si bien que les rigoristes les considèrent comme des "pécheurs" . Certains pharisiens se scandalisent de ce que Jésus mange avec ces gens, - ainsi après l'appel de Lévi, un publicain -, parce qu'ils estiment que ses fréquentations qui rendent impur manifestent de façon trop voyante une solidarité qui les choque.

    La Loi est pour l'homme, non l'homme pour la Loi, et Jésus dénonce l'emprise d'un système religieux qui, dans certaines de ses déformations, peut faire oublier à qui il est destiné. C'est le cas dans l'épisode des vendeurs chassés du Temple (Mc 11, 15-19 et par.), c'est aussi l'un des messages de la parabole du bon Samaritain : dans la crainte de devenir impurs, les desservants du sanctuaire s'écartent du blessé, laissé pour mort au bord de la route (Lc 10, 1 30-32).

    Bernard Rey - La discrétion de Dieu - Cerf 1997, pp.54-56

  • l'évangile vécu

    Philippiens 2, 1-11

    (...) Faites-vous naturaliser dans l’Évangile.

    Comme le souligne Paul en chantant l'exaltation auprès du Père de celui qui s'est ainsi mis tranquillement à la dernière place (comme le dirait si bien Charles de Foucauld), c'est cette vie-là qui serait notre vraie vie, qui assurerait notre joie, qui comblerait notre soif d'accomplissement. Cette vie-là, et non pas celle que nous menons si souvent et où nous sommes, selon la description de l'apôtre, intrigants et vantards, assurés d'être supérieurs aux autres et décidés à le leur faire sentir, préoccupés de nous-mêmes plus que des autres, revendiquant d'être pareils à Dieu en prétendant nous passer de lui, et décider par nous-même du bien et du mal comme Adam sous la suggestion du serpent.

    Voudriez-vous donc avec moi jouer aux portraits ? Un jeu très sérieux, vous vous en doutez. Il consiste à se souvenir de toutes les personnes que nous avons rencontrées et qui, d'une manière qui ne nous avait pas toujours frappés sur le moment, réalisaient au moins partiellement le portrait du Christ humble et serviteur. Car cette race existe bel et bien parmi nous. Il y a de tels êtres. Ils ne se recrutent pas forcément parmi les pratiquants les plus assidus. (...)

    Voici par exemple ceux qui ne se vantent pas, mais qui font le travail, et il est bien fait. Dans toute famille, en toute communauté, il y en a. S'il n'y en avait pas, quel chaos ce serait ou quel foyer glacial ! Ils ne rechignent pas, ne se dérobent pas : ce qui doit être fait est fait. Au jour le jour, chaque chose à son moment. Ainsi fut, je pense, Marie à Nazareth, ainsi sont d'innombrables mères de famille, d'innombrables anonymes au dévouement inlassable, d'innombrables êtres qui sont occupés à servir les autres, sans même penser qu'ils pourraient au moins tirer gloire du titre de serviteur, aujourd'hui si fiévreusement recherché par l'opinion chrétienne. On ne songe même pas à les remercier parce qu'ils agissent avec une telle justesse que tout sous leurs mains semble aller de soi. (...)

    Évoquons aussi ceux qui ne proclament pas à tort ou à travers  les louanges de l'amour, mais qui aiment "en acte.... et véritablement".  Ils sont ainsi : ils aiment et ça rayonne d'eux. (...) Comme il y aurait encore à dire ! Par exemple à évoquer ceux  qui auraient bien des raisons de désespérer de la vie, ou de leur santé, ou de leur réussite, ou de leur conjoint, mais qui tiennent bon, nullement par résignation ou lâcheté, mais en sachant ce qu'ils font. Et encore  ceux qui auront peiné pour un certain résultat , et ce sont d'autres qui s'en attribuent la gloire. (...)

    J'ai rencontré de tels êtres. Pas très nombreux, mais ils m'ont toujours donné envie d'essayer de leur ressembler, et j'estime que ce sont eux qui sont la vraie gloire de l'homme. A la manière de Jésus.

     

    Albert-Marie Besnard - Du neuf et de l'ancien - Cerf 1979. pp 52 et sv.

  • Fascination du rêve

    D'où viennent ces rêves ? Quelle qualité, quelle consistance ont-ils ? Faut-il n'y voir que la sentimentalité propre à tous les frustrés de la terre ? De même que les midinettes, à travers les romans-photos qu'elles feuillettent dans le métro, imaginent l'amour idéal avec l'homme  riche et beau qu'elles ne rencontreront jamais, de même les peuples déchirés de conflits, soûlés de guerres, épuisés de querelles, se prennent à rêver la paix qui ne viendra peut-être jamais, jamais...

    Des observateurs fins psychologues ajouteront que de tels rêves constituent une utopie pernicieuse. Jamais le loup n'aimera l'agneau autrement que pour le manger, car c'est sa nature de loup. Jamais une société ne deviendra une cité harmonieuse dont ne cesse de parler la race des utopistes. Rêver à l'impossible, soupirer vers l'irréel, c'est très dangereux. Car les cœurs et les esprits, liquéfiés par l'émotion, ne voient plus alors les vrais problèmes, ne réagissent plus correctement. Se prendre à l'idylle de loups qui habitent avec les agneaux, c'est ne même plus avoir l'idée de veiller et de se battre pour qu'au moins un équilibre soit maintenu entre les loups et les agneaux, pour qu'au moins un droit protège les faibles et qu'une justice imparfaite mais ferme mette des bornes aux excès de l'injustice. 

    Jésus savait cela. Il ne laissera guère ses disciples succomber au rêve doux et amollissant de la paix paradisiaque. Il ne leur cachera pas la réalité qui les attend. Il leur annoncera en clair : ma venue n'apportera pas la paix mais des conflits (il le disait, bien sûr, en le regrettant) ; " je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups". Voilà peut-être le sens où s'accomplit la prophétie d'Isaïe ("le loup habitera avec l'agneau") : les artisans de paix, qui ont entendu la voix de Jésus, ne cherchent plus à partir pour un pays paradisiaque. Ils ne croient guère qu'ils réussiront à faire de leur pays un paradis. Mais une paix les habite, ils témoignent de la paix et ils œuvrent pour la paix. Dès aujourd'hui. Par une énergie venue d'en haut.

    Albert-Marie BESNARD - Du neuf et de l'ancien - Ed. du Cerf, 1979. pp. 8-9