"Le Seigneur est-il vraiment au milieu de nous, ou bien pas?" Après le fulgurant passage de la mer Rouge, après la solennelle présence de Dieu sur le Sinaï, Israël n'aurait-il pas eu des raisons de s'imaginer que son chemin vers la Terre promise dût être un chemin triomphal, un pèlerinage joyeux et facile? Je pense à un psaume qui chante: «0 Dieu, quand tu sortis à la face de ton peuple, quand tu foulas le désert, la terre trembla ... Tu répandis, Dieu, une pluie de largesses ... Tu ouvris aux captifs la porte du bonheur» (Ps 68). Ainsi chantent les liturgies, ainsi les poètes inspirés transforment-ils en épopée magnifique le dur et douloureux Exode. Mais sur le chemin, les choses sont moins simples et moins glorieuses. La terre ne tremble pas du tout, elle est coupante aux pieds de qui trébuche sur ses cailloux; les pluies de largesses sont séparées par d'énormes temps de sécheresse; la porte du bonheur à peine entrouverte semble se refermer sur une nuit épaisse, et l'on se demande si l'entrebâillement qu'on en a vu n'est pas une illusion. «Le Seigneur est-il vraiment au milieu de nous, ou bien pas?» «Es-tu celui qui doit venir, demandera-t-on à Jésus, ou bien pas? Ses paroles sont-elles vraiment dignes d'une absolue créance, ou bien pas? L'Esprit s'occupe t-il vraiment de son Église, ou bien pas?
Laissez, laissez la tentation épuiser toutes ses variations. A quoi servirait-il de vouloir en étouffer la voix s'il est vrai que sa morsure vous a atteint? Il est nécessaire de passer par l'épreuve, d'entendre ces murmures qu'on nous souffle, que nous nous soufflons à nous-même. Oui, nous avons soif et nous nous demandons si vraiment Jésus-Christ est capable d'étancher cette soif. Nous avons soif de plus de justice dans le monde, et nous nous demandons si l’Évangile est vraiment capable de nous en inspirer la réalisation. Nous avons soif de communion et de fraternité, et nous nous demandons si l'Église rassemblée visiblement au nom du Christ, et si les sacrements du Christ, sont vraiment capables de les instaurer à la mesure de notre soif. Nous avons soif d'un élargissement de notre conscience à la mesure des dimensions infinies du monde, et nous nous demandons si le Dieu chrétien est encore assez grand pour être vraiment notre Dieu. Nous avons soif de devenir profondément nous-même, d'échapper aux insupportables perturbations psychiques qui empoisonnent notre existence, nous avons soif de la vraie paix et de la vraie vie, et nous nous demandons si les promesses du Christ ont vraiment été tenues. «Le Seigneur est-il vraiment au milieu de nous, ou bien pas?»
Albert-Marie Besnard - Il vient toujours - Cerf 1979 pp. 42-44