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croire

  • Le sens de la Résurrection pour nous

    [161] (...)

    Que signifie cette Résurrection de Jésus pour moi ici et aujourd'hui ? Pour conclure très brièvement, je vais exposer cela en trois points.

    1. La Résurrection est une radicalisation de la foi en Dieu. Nous l'avons vu, croire en la Résurrection n'est pas croire à n'importe quelles bizarreries invérifiables ; cela n'oblige pas à croire à quelque chose " de plus " que de croire en Dieu. Non, croire en la Résurrection, ce n'est pas un supplément à la foi en Dieu ; c'est très précisément la radicalisation de la foi en Dieu, l'épreuve radicale que la foi en Dieu doit subir. Pourquoi ? Parce que je ne reste pas à mi-chemin avec ma confiance inconditionnelle, mais, logiquement, je vais jusqu'au bout. Parce que je crois ce Dieu capable de tout, et justement de cet extrême : la victoire sur la mort. Parce que, raisonnablement, j'ai confiance que le créateur tout-puissant qui appelle du néant à l'être est aussi capable d'appeler de la mort à la vie. Parce que j'ai confiance que le créateur du monde et de l'homme - et qui les maintient dans l'être - a encore un mot à dire au moment de la mort, par-delà les limites de tout ce que j'ai expérimenté jusqu'ici ; que le dernier mot lui appartient comme le premier, qu'il est le Dieu de la fin comme celui du commencement, l'Alpha et l'Oméga. Celui qui croit avec un tel sérieux, croit aussi à sa propre vie éternelle.

    2. La Résurrection est une confirmation de la foi en Jésus-Christ. Le chrétien ne croit pas d'abord "à" la Résurrection, au fait passé, mais "au" Ressuscité lui-même, à sa personne présente. Or celui qui a été ressuscité alors n'est autre que le Crucifié. Il ne peut pas y avoir Résurrection sans la Croix. Celui qui pense pouvoir sauter par-dessus la Croix pour la pure béatitude de la Résurrection tombe dans l'aveuglement de tous les illuminés et néo-illuminés de l'histoire du monde. Croire en la Résurrection, ce n'est pas pour des chrétiens, en avoir fini avec la souffrance, avec leur condition, avec les résistances, avec les contradictions, mais seulement être passé par tout cela. La Croix et la Résurrection renvoient donc toujours l'une à l'autre. La Croix ne peut être "surmontée" que dans la lumière de la Résurrection. La Résurrection ne peut être vécue qu'à l'ombre de la Croix. La foi en la Résurrection renvoie donc toujours à celui à qui le long cheminement n'a épargné, ni Croix, ni mort, ni tombeau.

    Annoncer que le Crucifié était vivant n'était rien moins qu'une évidence. Selon Paul, c'était une "folie", un "non-sens", quelque chose d'insensé, purement et simplement. Car c'était, en face [163] du fiasco, espérer contre toute espérance, maintenir que cet homme rejeté, condamné par les autorités légitimes, soi-disant maudit de Dieu, avait malgré tout raison ; et même que Dieu, au nom de qui ce pseudo-messie aurait été écarté, avait accepté et confirmé précisément cet homme. C'était donc dire que Dieu s'était prononcé en sa faveur, pour lui et non pour la hiérarchie des zélateurs qui croyaient à la Loi à la lettre et qui estimaient avoir accompli la volonté de Dieu. Croire en ce Ressuscité à la vie nouvelle, c'est donc redonner sens à la vie qu'il a suivie ; c'est, en un mot, s'engager sur les traces de cet être unique qui m'ordonne d'aller mon chemin, mon propre chemin selon ses indications. Ainsi, rétrospectivement et à la lumière de sa vie nouvelle, passe encore une fois devant moi tout ce pour quoi  ce Jésus de Nazareth a vécu et pour moi, vivant, il reste aujourd'hui encore et tout à la fois celui qui invite, exige et promet.

    Oui, il a raison, quand il s'identifie aux faibles, aux malades, aux pauvres, aux défavorisés et même à ceux qui sont des ratés au regard de la morale ;

    il a raison quand il demande qu'on pardonne sans fin, qu'on se rende service les uns les autres sans tenir compte des hierarchies, qu'on donne sans contrepartie ;

    il  a raison quand il cherche à faire tomber les barrières entre frères et non-frères, entre les plus lointains et les plus proches, entre les bons et les méchants, et cela par un amour qui n'exclut de sa bienveillance ni l'adversaire ni l'ennemi ;

    il a raison quand il veut que les normes et les commandements, les lois et les interdits soient au service des hommes, quand il relativise les institutions, les traditions et les hierarchies par amour pour les hommes ;

    il a raison quand il assigne pour but à la volonté de Dieu, norme suprême, rien que le bien de l'homme ;

    et il a raison avec ce Dieu, son Dieu, qui fait siens les besoins et les espoirs des hommes, qui ne demande pas seulement mais donne ; qui n'opprime pas mais redresse ; qui ne punit pas, mais libère ; qui fait prévaloir sans réserve la grâce sur le droit.

    L'accueil de Jésus dans la vie de Dieu ne nous apporte donc pas la révélation de vérités complémentaires, mais révèle Jésus lui-même. Il a obtenu la confirmation définitive. Par là on comprend aussi pourquoi désormais l'engagement en faveur du règne de Dieu [164]  sur terre, tel qu'il l'a demandé durant sa vie, devient un engagement en sa faveur ; plus précisément, pourquoi l'engagement pour ou contre le règne de Dieu - et en raison de Pâques, d'une manière plus nette - dépendra de l'engagement pour ou contre lui, en qui le royaume de Dieu est déjà commencé et en qui l'attente prochaine est déjà comblée ! Pâques signifie donc aussi que celui qui appelle à la foi est devenu le contenu même de la foi, l'annonciateur est devenu l'annoncé, comme le dit la célèbre formule christologique. Cela signifie que le Jésus anéanti est, en tant qu'élevé maintenant à Dieu, la personnification du message du royaume de Dieu, son résumé symbolique si l'on peut dire. Au lieu de dire comme auparavant "annoncer le royaume de Dieu", on dira après Pâques, de manière de plus en plus nette : "annoncer le Christ". Et ceux qui espèrent dans le royaume de dieu et qui croient en Jésus-Christ se sont tout simplement appelés les "chrétiens". Celui qui a été éveillé à la vie et son Esprit, qui est l'esprit de Dieu, font qu'il est possible d'être chrétien.

    3. La Résurrection est le combat quotidien contre la mort. (...) de même qu'il n'y  a pas seulement une vie après la mort, mais aussi une vie avant la mort, de même il n'y a pas seulement mort à la fin de la vie, mais mort d'hommes pendant la vie. Il y a la mort par isolement entre les hommes, la mort par impuissance et par mutisme, la mort par anonymat et par apathie, la mort par dépérissement et par consommation. (...)

    Croire en la Résurrection 

    - n'est donc pas pousser à un optimisme béat dans l'espoir d'un happy-end ;

    - c'est plutôt attester très pratiquement que, dans ce monde de mort, la vie nouvelle de Jésus a ruiné l'empire universel de la mort, que [165] sa liberté s'est imposée, que sa voie conduit à la vie, que son Esprit, qui est l'Esprit de Dieu, est à l'oeuvre ;

    - c'est prendre le parti de la vie là où la vie est blessée, mutilée, détruite ;

    - c'est s'opposer pratiquement au dépérissement des rapports interhumains et sociaux et retirer à la mort quotidienne son aiguillon par l'entraide spontanée et l'amélioration structurtelle des conditions de vie ;

    - c'est, en anticipant avec confiance le royaume de liberté qui nous est promis, donner aux hommes espoir, force et envie d'agir, de sorte que la mort parmi nous n'ait pas le dernier mot. (...)

    [166] Un poème du pasteur et écrivain suisse Kurt Marti exprime bien ce que signifie l'espérance de la résurrection comme protestation contre la mort :

    Il conviendrait bien à maints seigneurs/Que la mort réglât tout, / Que la seigneurerie des seigneurs, / Que la servitude des serfs / Soient à jamais confirmées. 

    Il conviendrait bien à maints seigneurs / De rester seigneurs pour l'éternité dans leur cher tombeau privé, / Et que leurs serfs restent serfs / Dans leur pauvre fosse commune.

    Mais vient une résurrection / Autre, tout autre que nous ne pensions, / vient une résurrection / Qui dresse Dieu contre les seigneurs / Contre le seigneur des seigneurs : la mort.

    C'est dire que la protestation qui naît de l'espérance de la résurrection est en même temps une protestation contre une société dans laquelle, sans cette espérance, la mort devient un moyen dévoyé de maintenir des structures injustes. Ce n'est pas de subordination  ni de supériorité qu'il est ici question, mais bien de domination et de servitude qui ont un effet mortel aussi bien pour les seigneurs que pour les serfs.

     L'espérance de la résurrection des morts devient ici critique d'une société marquée par la mort, une société où les "seigneurs" - les grands et les petits, les séculiers et les religieux - peuvent impunément exploiter leurs "serfs", impunément parce qu'ils s'érigent eux-mêmes sur cette terre en autorité, en norme, en vérité, de manière à supprimer  toute instance supérieure de justice, toute superio auctoritas. L'espérance de la résurrection réclame cette justice ; elle devient ainsi, pour les   [167] hommes, un ferment critique et libérateur : elle déstabilise les rapports de forces qui, ici et maintenant, se croient définitifs et elle fait apparaître de manière significative des rapports de service diamétralement opposés, où est "élevé" seulemnt celui qui s'est "abaissé", où non seulement l'intérieur doit servir le supérieur mais où le supérieur lui aussi doit servir l'inférieur. (...)

     

    Hans Küng - Vie éternelle ? Ed. du Seuil, 1985

     

  • décentrement de soi

    La foi identifiée à un acte de liberté privilégie l'attitude intérieure sur l'adhésion extérieure. Jésus, à la suite des prophètes, a opposé la droiture de conscience et la pureté d'intention à l'hypocrisie d'une religion ritualiste. La Parole que Dieu nous adresse en son Fils appelle à croire tout simplement en l'amour dont elle témoigne, un amour efficace, capable de recréer l'humain jusqu'à le rendre digne de Dieu pour la vie éternelle. Cet amour divin, décentré de lui-même, se donne à chacun(e) d'une manière unique. Il est descendu au plus profond de la perdition pour ouvrir à la lumière le plus ténébreux. D'une parole, il relève sans le briser le roseau froissé et, de son souffle, il éveille la mèche qui faiblit (cf. Is 42,3). Croire, c'est alors prier, être présent à quelqu'un, écouter, accueillir. C'est offrir sa vie à celui qui en est le sens, la justification et le fondement ultime.

    Il ne faudrait pas déduire de cela que la qualité de l'acte de foi se mesure à la ferveur sensible de la prière. Il se vit au contraire à travers tous les états de la conscience, des plus heureux aux plus sombres en passant par cette banale aridité que la fidélité appelle à traverser humblement. Il n'est pas synonyme par exemple de certitude paisible, car l'angoisse du doute n'empêche pas de le poser. La décision de croire peut en effet passer par des heures plus difficiles lorsque l'épreuve fait basculer la vie dans le non-sens. Croire, c'est alors parfois perséverer sans but dans l'ouverture du coeur. Et pourtant, la prière comme acte de foi met réellement en relation avec Dieu tel qu'il est en lui-même, par-delà les modalités de sa présence et de son action. Elle est communion avec lui dans la foi quelle qu'en soit l'expérience sensible. Elle est relation d'amitié, dialogue, jeu incessant de la liberté, du désir et de l'intelligence. Elle est parfois silencieux abandon du cœur à la Parole qui l'habite.

    Certes, nous espérons connaître cette douce dilatation intérieure, cette libération de la source des larmes, cette paix incompréhensible et donnée. Nous aspirons à ce sentiment de plénitude qui surgit parfois dans la joie d'exister, la certitude d'être. Cependant, nous ne devons jamais nous attacher à quelque forme d'expérience, car la foi, en tant que relation à l'Autre, est décentrement de soi. Accueillir la Parole, c'est consentir plus  radicalement à certaines heures, à cette perte qui est au cœur de l'annonce évangélique : « Appelant à lui la foule en même temps que ses disciples, il leur dit : Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même, qu'il se  charge de sa croix, et qu'il me suive. Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l'Évangile la sauvera » (Mc 8,34 s). Le renoncement qu'implique la marche à la suite de Jésus peut être directement le fruit d'un choix positif comportant exigences et ruptures. Il peut se vivre aussi plus prosaïquement en accueillant avec foi les épreuves qui affectent notre vie matérielle ou affective. Il peut enfin concerner directement notre relation à Dieu à travers l'expérience de la nuit spirituelle. Jean de la Croix insiste sur cette purification continuelle de la foi comme condition de son authenticité.

    Olivier Rousseau - L'inconnu en chemin - DDB, 2008. pp 85-86