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genèse

  • La politique et le prince du mensonge 1

    Dans cette période entre les deux tours des élections présidentielles j'ai trouvé intéressant de relire avec vous quelques textes de Jacques Ellul sur la politique. Avec Ellul c'est toujours "décapant". Il y aura chaque jour, jusqu'au dimanche du second tour (dans huit jours) une série de textes.

     

    La politique est diabolique. Le diable, le diabolos, c’est étymologiquement celui qui divise, qui sépare, qui désunit, qui rompt la communion, qui provoque le divorce, qui brise le dialogue. Le diable biblique, c’est celui qui a provoqué la rupture entre l’homme et Dieu, qui a utilisé des moyens multiples pour amener l’homme (dans la Genèse) à briser la communion qui caractérisait le rapport du Créateur et de la Création. Il a agi sur des tendances parfaitement naturelles et saines de l’homme: Dieu a créé celui-ci libre et il l’a chargé de diriger, de soumettre la création. Le diable induit de là l’homme à se déclarer indépendant à l’égard de Dieu, et à se vouloir autonome envers sa volonté. Et de même, il transforme le pouvoir donné par Dieu en volonté de puissance et de domination. Cette utilisation et cette déviation est typique de l’action diabolique qui transforme l’oeuvre de Dieu en son inverse, en prétendant l’accomplir. Et c’est aussi bien le passage de la politique, idéale, idéaliste, morale et communautaire en cette politique réelle que j’évoquais plus haut. Pour procéder à ce retournement, le diable agit, bibliquement par la séduction (Eve regarde «l’arbre », et voit de toute évidence qu’il est beau, bon, agréable, intelligent...) et par ce que l’on appelle souvent le mensonge (le diable, prince du mensonge) mais qui est plutôt l’utilisation de la vérité pour produire des effets inverses de ceux de la vérité. Ainsi dans le dialogue entre Eve et le Diable, celui-ci ne ment pas: il annonce bien qu’ils seront comme des dieux, décidant le bien et le mal, et qu’ils ne mourront pas. Mais il séduit en opérant un glissement de sens et de valeurs. La réalité devient vérité. Et la réalité place l’homme dans une situation différente de celle qu’il avait imaginée ou espérée au travers des miroitements et des réfractions multiples de la séduction diabolique.
    Or, aujourd’hui, concrètement dans nos sociétés, qu’est-ce qui est le prince du mensonge ? La politique, et j’irai jusqu’à dire seule la politique. La France est divisée en deux blocs, absurdement, car nous savons bien en effet que l’un et l’autre sont à très peu de choses interchangeables, et que c’est réellement bonnet blanc et blanc bonnet. Mais ce nonobstant la France est divisée. Il y a des vaincus et des vainqueurs, par étiquette politique. Rien d’autre qu’étiquettes! Il y a impérialisme blanc et rouge, prêts à se faire la guerre. Et qu’est-ce qui pousse les peuples, qui en général n’en ont pas l’idée spontanée, droit à la guerre: la politique. Qu’est-ce qui amène des gars du Texas à aller tuer des Vietnamiens ? Et des gars d’Estonie à aller tuer des Afghans ? La politique seule, qui prétend représenter l’intérêt général, les intérêts collectifs, la patrie et tout le tintouin. Il y a bien sûr, de toute évidence des groupes et des clans qui ne s’entendent pas, et des tribus et des familles, et des corporations qui sont hostiles les unes aux autres, cela ne tire pas à grande conséquence, au pire, des vendettas. Mais quand ces intérêts locaux sont pris en main par la politique, alors ils deviennent représentatifs de l’intérêt général ! Alors on passe aux drames collectifs où les innocents paient pour les coupables. Et en vain on parlerait des intérêts économiques qui sont plus fondamentaux: sans la structure, la stratégie, les appareils, les idéologies, tous politiques, les intérêts économiques ne sont rien et ne changeraient pas grand-chose. C’est la politique qui conquiert (je veux bien au profit de l’économique) les colonies et les marchés, c’est la politique qui mobilise les hommes pour des guerres rendues inévitables par les intérêts économiques. Et ce n’est pas toujours exact que la politique soit mue par l’économique, mais même ainsi, c’est elle qui est le diviseur par excellence: c’est la politique (et non l’économique, comme on le croit trop souvent!) qui est productrice de la division en classes, et qui organise la lutte de classes. Voyez l’incroyable difficulté des partisans à sortir de la politique. Les syndicats y sont inévitablement ramenés. Et lorsqu’une pensée ouvrière se veut à la fois révolutionnaire et hostile à la politique, comme fut l’anarcho-syndicalisme, elle ne réussit pas et ne peut durer longtemps. « Les progrès » du socialisme se font par la voie politique et non par la lutte des classes économiques. Et les anarcho-syndicalistes condamnant la politique avaient parfaitement vu ce caractère de diviseur quand ils affirmaient que le syndicalisme ne doit pas entrer dans la voie politique, parce que celle-ci ne produit que des divisions, et qu’elle entraînerait inévitablement l’éclatement de la classe ouvrière en «tendances» diverses.

                                                                                                       A suivre...(demain)

                                                       Jacques ELLUL

  • Chemin vers Pâques (9)

    [29]

    C'est une des fonctions principales, et ingrates entre toutes, des Prophètes, dans l'Ancien Testament, que de mettre le doigt sur le péché de leurs contemporains, depuis Nathan qui reproche sa faute à David jusqu'à Jean-Baptiste qui, précurseur du Christ sur ce point plus que sur tout autre, dénonce l'injustice et l'hypocrisie  des Juifs de sa génération. Ce sont les prophètes qui en dévoilent la profondeur humaine et pour ansi dire théologale : le péché leur apparaît comme le mal de l'homme, le mal qui le vicie au plus intime de lui-même dans sa nature d'être "fait pour Dieu" et lui fait "manquer" son but, c'est-à-dire le mal qui s'oppose directement au salut ; et il se situe toujours pour eux au plan des relations de l'homme avec Dieu, qu'il soit exprimé en termes de souillure ou d'orgueil en face du Dieu trois fois saint (Isaïe), d'injustice [30] (Amos), de prostitution ou d'adultère (Osée), d'infidélité ou d'apostasie (Jérémie, Ezechiel), ou finalement, et plus habituellement, de manque de foi : parce que la foi est, pour eux, l'attitude juste de l'homme devant Dieu, et que le péché en prend exactement le contre-pied (cf. note en italique après ce texte).

    Cette profondeur humaine et théologale du péché, constatent les prophètes, Jérémie surtout, exclut la possibilité pour l'homme de s'en purifier et de s'en guérir, et même celle de ne pas pécher et de se convertir vraiment : l'habitude du mal a recouvert [31] les hommes comme d'une seconde nature, elle les a infectés jusqu'au coeur : " Un Ethiopien peut-il changer de peau ? Une panthère de pelage ? et vous, pouvez-vous bien agir, vous les habitués du mal ?" écrit Jérémie (13, 23), et encore : " comme un puits qui fait sourdre son eau, ainsi (Jerusalem) fait-elle sourdre sa méchanceté " (Jr 6,7), et : " Le péché de Juda est écrit avec un stylet de fer, avec une pointe de diamant, il est gravé sur la tablette de leur coeur " (Jr 17,1). Constatation effrayante, accompagnée de celle, non moins effrayante, de l'universalité du péché (cf. Is 9,16 ; Jr 5, 4-5 ; Ez 3,7 ; Mi 7,1 ; Ps 53, 2-4 et aussi Jr 2,20 ; Is 43,27)  

    Le péché a donc envahi l'humanité, il est entré "dans sa peau", il a infecté son sang, il a pénétré jusqu'à son coeur. Mais d'où cela vient-il ?

    Une telle question n'est pas le fait des Prophètes, mais de la réflexion sapientielle, et c'est un des auteurs de la Genèse, le "yahviste", qui, inspiré par l'Esprit, a donné l'essentiel de la réponse. Le récit de la chute, qu'il place à l'orée de l'Histoire du salut, a une immense portée ; il explique l'invasion du mal en notre monde, d'abord, mais il fait beaucoup plus ; car, du fait de l'intention de son auteur, il nous invite à ne voir dans tous les maux et tous les péchés de l'humanité que les fruits de cette racine amère ; c'est le même venin, inoculé par le serpent au Jardin d'Eden, qui empoisonne la vie de tous les hommes, et les péchés qui seront perpétrés tout au long de l'histoire seront les expressions multiformes d'un même vice, d'un même désordre. Le yahviste nous dévoile ainsi ce qu'est le péché dans son fond, et ce qu'il demeurera toujours essentiellement quelles que soient les formes extérieures dont il s'habillera.

                                                                    A suivre....

    Note du P. C. Richard :

    "Mal de l'homme, le péché est-il aussi le mal de Dieu ? L'Ancien Testament (A.T) affirme à plusieurs reprises que le péché ne saurait atteindre Dieu en Lui-même : car il est le Saint, et transcende infiniment toutes ses créatures (cf Jr 7,19 ; Jb 33, 5-8 et 22,3 ; 1 Sm 15,29). Et le Nouveau Testament (N.T) , apparemment, reprend à son compte cet enseignement, par exemple en 1 Jn 1,5 : " Dieu est Lumière, en Lui il n'y a pas trace de ténèbres." Cette parole n'est-elle pas l'affirmation de l'absence en Dieu de tout genre de mal, y compris celui de la souffrance ? Effectivement la raison semble nous persuader que le Dieu éternel et absolument parfait ne peut être en Lui-même atteint par aucun mal, que son bonheur est nécessairement infini et sans mélange. Pourtant de très nombreux passages de l'A.T parlent de la jalousie de Dieu, de sa colère ou de sa déception en présence du péché de l'homme, ainsi que de son repentir de l'avoir créé ; et tous ces sentiments comportent une part de souffrance. Anthropomorphisme, si l'on veut, mais comment parler de Dieu sans anthropomorphisme ? Et le N.T ne fait que confirmer cette mystérieuse révélation ; que l'on pense par exemple à l'attente angoissée du père de l'enfant prodigue (Lc 15) ou à la "colère de l'Agneau" (Ap) ; saint Paul affirme même explicitement que chacun a la possibilité de "contrister le Saint Esprit" (Eph 4,30). Mais surtout le Christ souffrant sur la Croix est manifestement, au regard de la foi chrétienne, un sommet de la révélation de ce qu'est Dieu en Lui-même. Ce n'est pas seulement au niveau de son humanité que Jésus a souffert : la croix est inscrite au plus intime du Mystère même de Dieu. Malgré le paradoxe, il faut donc affirmer : il n'y a pas, même en Dieu, d'amour sans souffrance. (...) La transcendance de Dieu c'est la transcendance de l'amour, d'un amour sans aucun mélange de retour sur soi ou d'égocentrisme. C'est dire que, si Dieu souffre, c'est uniquement du mal que l'homme se fait à lui-même (...) Une telle souffrance ne peut donc aucunement être apaisée par une oeuvre humaine, aurait-elle été accomplie par Jésus lui-même, qui aurait pour fin d'expier l'offense ou de faire "réparation". Elle ne s'apaisera que dans la mesure où le mal sera supprimé dans l'homme que Dieu aime, comme la souffrance d'une mère angoissée ne s'apaise qu'avec la guérison de son enfant malade. On ne peut donc pas appuyer sur le mystère de la souffrance de Dieu les théories juridiques de la rédemption, sous quelque forme qu'elles se présentent, quand elles avancent que l'offense faite à Dieu par le péché exige en justice une "réparation" ou une "satisfaction" adéquate, laquelle serait la condition du pardon de Dieu et du salut de l'homme. (Cf. Père Varillon, l'humilité de Dieu et La souffrance de Dieu, Le Centurion 1974 et 1975)

     

    Claude Richard - Il est notre Pâque - Cerf , 1980  

    Claude Richard a été abbé de l'abbaye cistercienne Notre-Dame de Timadeuc, près de Rohan.

  • La symbolique du mal (1/3) : est-ce que les serpents marchaient ?

    154. C'est malheureusement, sous sa déformation augustinienne que la théologie de Paul a fini par se généraliser dans l'Eglise occidentale. La scolastique, bien connue pour sa manie de questionner jusqu'au bout, en a tiré les conséquences les plus baroques ( ce qui nous rend service, d'ailleurs, indirectement), cependant qu'elle aggravait la situation par son chosisme et son statisme. Le concile de Trente n'a pas pu raisonner autrement que dans ce cadre ; et, même s'il ne l'a pas expressément canonisé, il a contribué à l'affermir : la polémique luthérienne n'était pas pour arranger les choses, d'ailleurs...

    Aujourd'hui, sous la poussée de la critique - nous en avons parlé au commencement - la problématique s'avère toute différente. Nous pouvons la caractériser par un quadruple déplacement d'accent :

    1) De l'individualité supposée d'Adam à la personne de Jésus-Christ :

    Nous avons appris désormais, grâce à une meilleure exégèse, et surtout grâce à une interprétation de la symbolique du mal, à dé-mytho-logiser le récit de la Genèse, c'est-à-dire à ne pas bâtir un raisonnement (logos) sur une représentation (mythos). Nous laissons derrière nous, avec beaucoup d'humour, ces questions invraissemblables qui nous accaparaient jusqu'à présent, et qui interrogeaient sur la situation antérieure au péché d'Adam : " Est-ce que Adam était mortel avant sa faute ? Est-ce que les serpents marchaient ou volaient, avant que le péché d'Adam ne les ait condamnés à ramper ? Les panthères mangeaient-elles de la paille avant la chute ? Les ronces n'ont-elles apparu sur terre que depuis la 155. transgression ?, etc." Dorénavant, nous apprécions le péché, l'adam, en contemplant Jésus-Christ, et non pas en inventoriant un hypothétique "avant la faute". Nous christologisons le péché originel, comme toute réalité; seul le Sauveur le révèle, le juge et le détruit : il nous le livre pardonné, nous délivrant ainsi de toute culpabilité morbide. Hors de lui, nous ne pouvons pas comprendre ; nous risquons même de sombrer dans la désespérance.

                                                                     à suivre...

    André Manaranche - Je crois en Jésus-Christ aujourd'hui - Seuil 1968

     

     

  • Le souffle de vie

    Le verset 7 du chapitre 2 du livre de la Genèse nous donne un des récits de la création de l'homme par Dieu. Le texte est court. Il est facile de le citer entier. "Dieu modela l'homme avec la glaise du sol ; puis, il insuffla dans les narines de l'homme une haleine de vie et l'homme devint un être vivant." Si l'on a le bon sens d'accueillir ce texte pour ce qu'il est, non pas un récit qui se prétendrait scientifique, mais une composition symbolique, on ne peut que s'émerveiller en découvrant la portée des moindres mots. Il faut s'arrêter surtout sur le verbe "modeler". L'homme contemporain, bénéficiaire des découvertes les plus récentes de l'astrophysique et de la paléontologie, pourra en effet, s'il a tant soit peu gardé ou recouvré le sens du symbolique, s'émerveiller de l'utilisation du verbe "modeler" dans ce texte. Ce verbe évoquera pour lui le déroulement des milliers de millénaires au cours desquels le cosmos, à partir d'un foisonnement initial d'énergies, puis de quarks et de leptons, de mésons, protons, photons, électrons et neutrons, a été pétri en forme d'atomes et de molécules pour accéder enfin un jour à l'émergence des protozoaires et cellules vivantes...

    Et quel fantastique résultat de ce modelage avec l'apparition un jour de la vie, d'abord dans le monde végétal puis dans la prodigieuse variété des animaux ! Tel est bien, résumé symboliquement à travers l'emploi du verbe "modeler", le merveilleux travail mené par Dieu ! L'homme, en tant que glaise pétrie, est l'aboutissement de cette longue opération de modelage. C'est donc au terme de ce long processus d'évolution aboutissant à la vie animale que le texte biblique nous invite à voir apparaître enfin l'homme modelé avec la glaise du sol. Mais ce bipède sommet de la vie animale, n'est vivant que de la vie biologique au même titre que les autres grands primates tels le chimpanzé ou le bonobo ! Ici prend sens la seconde partie du récit de la création de l'homme par l'auteur biblique. Dans les narines de ce primate, fruit et terme de l'évolution de la matière, voici que Dieu "insuffle une haleine de vie". Il est essentiel de bien saisir que cette "haleine de vie" communiquée par Dieu n'est autre que le souffle de sa propre vie divine. L'homme, déjà vivant de la vie animale qu'il tenait de la glaise du sol devient ainsi, comme l'ajoute le texte, un "être vivant". Comprise au sens biblique, cette formule signifie que ce primate qui jusque-là n'était vivant que d'une vie biologique sujette à la mort est devenu vivant de la vie de Dieu.

    (p.23-24)

  • la création du monde

    L'approfondissement de l'idée de création est le fait d' exilés, dépouillés de tout et qui n'ont pas oublié leur origine lointaine. D'une multitude d'esclaves, Dieu a fait un peuple en les libérant d'Égypte, voilà pourquoi maintenant des « rescapés des nations» (Is 45, 20), il peut faire une colonne en marche pour un nouvel exode vers la terre les ancêtres. Le peuple vit avec la mémoire vive que de la mort et du chaos, Dieu peut « appeler à l'existence ce qui n'existe pas » (Rm 4, 17). Et pourquoi cela? Parce qu'il est le Dieu vivant souverainement libre: il n'a pas besoin de l'univers pour être Dieu, s'il crée c'est parce qu'il aime. 

    Quand ils écrivent le premier chapitre du livre de la Genèse, les rédacteurs sont habités par cette foi. Pour évoquer la création de l'univers, ils utilisent alors le verbe créer - en hébreu bara' - que le prophète de l'Exil avait utilisé pour annoncer le renouveau de son peuple. Ce verbe, traduit habituellement par créer, signifie littéralement faire du nouveau, de l'inattendu. A lui seul, il exprime la liberté du Créateur qui de rien peut faire du neuf, et cela « pour rien », si l'on peut dire, gratuitement. Il s'ensuit que notre monde ne détient pas en lui-même la clé de sa destinée ultime : les savants peuvent nous dire de mieux en mieux « comment il marche », mais ils se refusent à dire pourquoi et pour quoi il existe. On ne peut donc déchiffrer le sens de la création en la contemplant. Prétendre lire dans le monde les intentions secrètes de Dieu sur lui, ce serait lier nécessairement le Créateur à sa création, ce serait nier son altérité par rapport au monde et porter atteinte à sa transcendance. 

    Bernard Rey - La discrétion de Dieu - Cerf 1997, p.19