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vérité

  • On demande des pécheurs 12

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [77]

    Voir ce qui est

    (...) En nous appelant à partager son amitié, Dieu ne nous appelle pas à l'illusion. Toute vie avec Dieu ne peut naître et exister que dans le désir de la lumière, parce que c'est une vie fondée sur un amour. Entrer en amitié avec Dieu, ce sera accepter qu'il prenne au sérieux l'éducation de notre bonheur et donc qu'il veuille nous faire sortir de l'illusion qui, à chaque instant, nous menace. Si le Christ, tout Fils de Dieu qu'il était, a commencé sa vie par la lutte, par le combat de la vérité dans les tentations au désert, et s'il l'a terminée par la bataille, par l'agonie, comment en serait-il autrement pour nous ?

    Il s'agit d'être réaliste. Le médecin, qui sait pourtant tout d'une maladie par ses symptômes extérieurs, a cependant besoin que le malade s'en explique, que le malade dise ce qu'il ressent, et qu'il en prenne conscience. 78 Que voulez-vous que fasse un médecin en face de celui qui ne veut pas se savoir malade ? Que peut faire un sauveur en face de celui qui ne veut pas sortir de sa prison ? Jamais le Christ ne cherche, dans ses rencontres avec les hommes, à dissimuler ce qui est faiblesse, péché, maladie. La première venue de Dieu dans une vie commence toujours par accroître la lucidité. Le Christ ne peut pas venir sans révéler ce qui est, simplement ce-qui-est. Comme la lumière, elle n'ajoute rien, mais elle fait voir la réalité. Il ne cache pas à la Samaritaine, à Pierre, à Marie-Madeleine, à Matthieu, au publicain, ce qu'ils sont : des êtres faibles et pécheurs. Quelle action de grâces qui est la sienne devant le centurion ou Zachée, quand ils acceptent la lumière ! Mais quelle déception devant les pharisiens qui ont des alibis !

    Le Christ n'est reçu que de ceux qui ont reconnu leur impossibilité à organiser seuls leur existence, c'est-à-dire de ceux qui ont admis que leur vie est dominée par la loi du péché et la loi du progrès. Nous ne sommes pas seulement des adolescents qui ont besoin d'apprendre à devenir des hommes, mais aussi des infirmes blessés, incapables, par conséquent, non seulement de trouver le salut, non seulement d'atteindre sans un long délai leur accomplissement d'une foi adulte, mais encore d'utiliser les moyens de leur guérison.

    Et Dieu pour nous guérir - merveilleuse délicatesse - propose de nous rééduquer, de nous sauver au cœur même de notre mal. Il ne tient pas compte du péché, il nous propose simplement de reconnaître, comme nous le pouvons, avec nos limites, ce qui a été. Reconnaître ce qui est, voilà l'aveu

    Dans la confession, Dieu nous demande simplement d'apprendre, en vérité, à quel point nous avons besoin de salut, car nous ne le savons jamais assez. Nous éduquer à voir ce qui est, voilà ce que vient faire la [79] confession. Et l'aveu nous oblige à faire naître en nous une humilité décidée à opérer des actes même peut-être très simples, aussi simples que, pour Naaman le général syrien, de se baigner dans le Jourdain, de se baigner dans la lumière de Dieu, de prendre Dieu et la vérité au sérieux.

    A suivre...

                  P. Bernard Bro, o.p

     

  • On demande des pécheurs 11

    Série de textes tiré du livre de Bernard Bro, O.P : "On demande des pécheurs" Cerf, Ed 2007. Première édition 1969

    (...)

    [75]

    Levée d'écrou : Dieu vient nous sortir de notre prison

    Nous pouvons nous demander enfin : Pourquoi avouer, pourquoi nous torturer à nous souvenir de ce qui fait notre honte et notre gêne ? A quoi bon devoir expliquer notre péché, puisque Dieu le connaît ? Ce serait si simple de pouvoir lui dire : " Mon Dieu, voyez clair dans tout cela, moi je ne vois pas clair. et puis, pardonnez-moi." C'est vrai, la démarche de la confession est pénible. "Le seul fait de faire cette démarche couvre, parfois à elle seule, toute la peine du péché " dit saint Thomas d' Aquin.

    Dostoïevski raconte qu'en arrivant au bagne, il eut cette pensée : " Me voilà au bout du voyage : je suis au bagne ! Me voici au port pour de longues, très longues années. Voici mon coin ! J'y arrive le cœur broyé, plein d'appréhension et de défiance... Mais qui sait si, dans beaucoup d'années, au moment de quitter, je ne le 76 regretterai pas ! La pensée qu'un jour je regretterais ce lieu me remplissait d'une horreur angoissée." Or, pouvons-nous dire que nous savons à quel point nous sommes emprisonnés ? Et désirons-nous vraiment quitter nos prisons ? Il est en apparence tellement plus facile de s'en accommoder : " Au moment de le quitter, regretterai-je ce lieu ? " se demandait Dostoïevski, et pourtant c'était du bagne qu'il s'agissait. 

    Mais si fort est notre pouvoir d'aveuglement que nous nous habituons à tout. Dans l'étonnant dialogue inventé par Eschyle entre Prométhée et les filles de l'Océan, nous entendons la surprenante réponse du demi-dieu, crucifié sur son rocher, aux filles qui l'interrogent sur le plus grand don qu'il a fait aux hommes. Prométhée, enchaîné, énumère tout ce qu'il a fait de bien pour les hommes. Il leur a donné le feu qui a permis la fabrication des instruments du travail ; d'où est né l'intelligence technique, et par la suite la civilisation. " Mais, dit-il, je leur ai donné quelque chose de bien plus grand encore : je leur ai donné l'illusion qui leur fait oublier la mort et les fait vivre sans souci de leur véritable destin. " Et les filles de l'Océan approuvent : " Oui, tu as fait aux hommes un très grand don ".

    On nous répète que les sacrements nous donnent la vie même de Dieu, que les sacrements nous rendent maîtres de notre salut dans un admirable échange. Certes, mais à quoi bon, si l'on oublie que nous avons besoin en même temps d'être guéri de nos aveuglements, et que notre première difficulté est de sortir de notre état de malade et d'adolescent ? A quoi bon la liturgie, la pratique, les sacrements s'ils nourrissent en nous une autre sorte d'illusion... Or, justement, par la confession, il nous est proposé de sortir des prisons où nous tiennent nos illusions, nos habitudes et le poids de nos fautes. Mais elle ne le peut 77 qu'à une condition, en nous révélant la vérité. Si les sacrements sont toujours une action à deux, un dialogue, cela veut bien dire que le Christ, dans ce dialogue, nous renvoie toujours à notre conscience, ou plus exactement que le Christ a assez d'estime pour nous rendre responsables de faire la vérité. Il nous juge, en effet, assez dignes d'entendre des questions plus profondes que nous le pensions. Ces questions, imprévisibles parfois, vont nous obliger à aller plus loin dans la lumière, à voir toutes les méprises que nous commettons par rapport à notre conscience, à notre parole. La Parole de l'Autre, du Christ, n'a pas d'abord pour but d'arranger les choses, de nous bien entendre, mais de nous faire aller plus loin pour pouvoir porter les vraies questions de notre vie.

    A suivre...

                  P. Bernard Bro, o.p

     

  • quand la vérité devient répressive

    (...) il nous faut éviter ce divorce catastrophique du couple vérité-liberté. Et cela  nous concerne personnellement. La vérité de l'homme ne peut se trouver que dans une relation de liberté avec les autres et avec Dieu, une relation de liberté où se révèle la vérité. C'est la définition même de la foi évangélique : "La vérité vous rendra libres." On peut aussi dire : " La liberté vous rendra vrais, vraiment hommes."

    Dans notre monde, le divorce entre la vérité et la liberté est poussé très loin. Et quand il s'installe dans le coeur d'un homme, celui-ci est complètement déshumanisé. Alors la vérité devient répressive. Le concile de Vatican II a justement fait réfléchir et a favorisé l'élaboration de textes sur la liberté de conscience. Des résistances, il y en a eu ! Elles venaient d'une conception de la vérité conçue indépendamment de la liberté et sous des formes naïves qui ont subsisté pendant longtemps dans l'Eglise. Le pape Jean-Paul I er disait qu'il avait été, au départ, un peu réticent et presque scandalisé par certains textes conciliaires parce qu'il vivait de cette conception  très répandue selon laquelle la vérité a tous les droits, tandis que l'erreur n'a pas de droits. Elle n'a pas le droit de s'exprimer puisqu'elle est l'erreur !

    Mais la vérité et l'erreur ne sont pas sujets de droits, ce sont la femme et l'homme qui sont sujets de droits. Dire que la vérité a tous les droits ne veut rien dire. La vérité n'est pas un sujet juridique ni même un sujet à quelque titre que ce soit. Le sujet, c'est l'homme. C'est dans le coeur de l'homme que la vérité se concrétise et se déploie, grâce à la liberté, et c'est la liberté qui rend vrai. Sinon, tous nos beaux discours aboutissent à des conclusions totalitaires.... (pp 56-57)

    P. Ganne - Etes-vous libre ?  - Ed Anne Sigier 2008 - ISBN 978-2-89129-556-7

     

  • Voilà la cecité du monde

    Les hommes aiment leurs oeuvres ; peu importe qu'elles soient bonnes ou mauvaises, ce qui les intéresse, c'est qu'elles viennent d'eux. Nous voyons cela aujourd'hui : beaucoup de théologiens ne cherchent plus la vérité ; ils cherchent à construire un système original qui vient d'eux.

    Sans le dire explicitement, ils pensent ceci : " la vérité, personne ne peut l'atteindre, il vaut donc mieux ne pas la chercher ; tandis que ce qui vient de nous, nous pouvons en être sûrs". Beaucoup d'hommes, aujourd'hui, cherchent ce qui vient d'eux et disent : c'est mon oeuvre, regardez, elle est magnifique." Ils ne se posent pas la question de savoir si c'est bon ou mauvais, si c'est conforme ou non à la volonté du Père et au message du Christ.

    Voilà la cécité du monde qui ne regarde plus que l'efficacité et la réalisation d'une oeuvre.

    Cette efficacité-là va directement contre le mystère de la fécondité - et c'est là sans doute, une des plus grandes luttes du monde d'aujourd'hui. Si nous regardons l'Evangile et l'Apocalypse avec attention, nous voyons qu'elle est annoncée. Le mystère de la fécondité est lié à l'amour, et donc à la finalité ; alors que la réalisation des oeuvres, si nous ne regardons que ce qui vient de nous, est liée à l'efficacité : parce que leurs oeuvres étaient mauvaises. Ils ont aimé leurs oeuvres avant tout, sans se demander si elles étaient bonnes ou mauvaises ; et en aimant leurs oeuvres, ils ont aimé les ténèbres et refusé la lumière. Si nous aimons trop nos oeuvres (que nous pensons être admirables), nous ne sommes plus capables de recevoir la lumière.

    (...) il faut oeuvrer dans la vérité, c'est-à-dire qu'il faut toujours oeuvrer avec le souci de coopérer avec le Christ ; que ce ne soit pas notre oeuvre, mais l'oeuvre du Christ.

    M.D Philippe - Suivre l'Agneau t.II - Ed. St Paul 1999 / pp. 93-94 - ISBN : 2 85049 7819

  • Devant Pilate

    (...) À propos de cela, le silence du Christ devant Pilate est très "parlant". Pourquoi se tait-il ? Parce que c'est une tactique devant un juge ? Peut-être. Mais surtout parce que les accusations  sont tellement fausses, tellement basses, qu'il n'y a rien à dire. Devant un certain degré de calomnie, ce n'est même plus la peine de répondre. Il se tait parce que ce qu'il veut indiquer est au-delà des mots. S'il avait argumenté il aurait réduit la relation à son Père au niveau de la valeur des arguments qu'il utilisait pour en parler. Mais il avait accosté dans ces terres où il n'y a plus de mots et c'est précisément parce qu'il ne peut plus rien dire, qu'il se tait, donc qu'il dit la vérité. Vous imaginez Jésus faisant une plaidoirie devant Pilate ? Ça aurait été du toc, du kitsch, elle aurait sonné faux. Ce n'est pas possible. S'il veut montrer qui il est, il ne peut que se taire, parce que ce qu' il a à évoquer, ce n' est pas « J'ai la  Vérité» - parole de toutes les tyrannies - mais « Je suis la Vérité ». Une vérité qui se livre, qui se met à hauteur d'homme, à la hauteur où l'homme se détruit, donc, sur la croix. Cette attitude ne se dit pas, elle se prend, parce que la dire, serait du théâtre. La faire en silence - seule expression possible de la vérité - résume sa propre vie. C' est très vrai, vous savez, les rares choses auxquelles on croit vraiment, on n' a que sa vie et sa mort pour les montrer. Pas de manière aussi ultime ou aussi tragique que le Christ, mais il arrive des moments où il faut savoir se taire. Je crois par exemple que devant des malades qui souffrent beaucoup, devant des drames humains, la seule vraie position, c' est le silence. Non pas un silence par absence, mais un silence par ouverture. « Tu ne pourras comprendre ce que j'ai à te dire que si tu mets tes pieds dans mes pas. »

    Albert Rouet - J'aimerais vous dire - Bayard 2009, pp. 134-135

  • critères bibliques de la vérité

    Dennis Gira :

    Que peut-on dire de la vérité en tant que chrétien? Est-ce que la Bible nous donne quelques critères pour voir plus clair dans ce domaine?

    Albert Rouet :

    Je pense qu'il faut que nous, chrétiens, restions extrêmement  prudents dans ce domaine. Le fait qu'il y ait quatre Évangiles nous permet de voir que, sur ce problème de la vérité, la Bible suit une tout autre approche, qui mérite aujourd'hui une grande attention. Il me semble que la Bible, sur la question de la vérité, avance trois propositions.

    Tout d'abord, la vérité biblique n'est pas abordée de manière philosophique, elle est abordée de manière existentielle, comme une histoire. Cette histoire est une  histoire qui ne boucle pas sur elle-même,  mais elle est l'histoire d'une promesse. Dieu qui a agi hier, agit aujourd'hui et va agir demain. Cette promesse de Dieu déroule donc un temps linéaire de telle manière qu'il ne peut pas contenir à lui seul toute la promesse. Ce qui veut dire conjointement deux choses: il y a bien une réalité qui se révèle, qui est bénéfique, mais en même temps cette  vérité reste voilée. Il se produit, dans certains livres de théologie, un véritable viol de la vérité parce qu'on la dénude, on veut l'exposer toute entière. Or, plus on l'expose tout entière, plus on l' objective. La Bible nous dit au contraire que plus Dieu se révèle plus Il se cache. Ce qu' Il révèle  c' est qu'il est plus grand que les mots, au-delà des mots, plus grand que les expressions. C' est donc  son mystère qu' Il révèle,  ce côté inépuisable du don qu' Il fait de lui-même. La conséquence en est que la vérité apparaît bonne: je t'ai sorti d' Egypte, je t'ai ramené d'exil, je suis allé te chercher sur les champs de bataille. C'est une vérité qui n'a pas peur de se salir les mains. Dieu est allé chercher l'humanité dans la violence, il est allé la chercher dans l'inceste, il est allé la chercher dans l'adultère, il est allé la chercher partout. C'est une vérité prodigieuse qui est jour la nuit et ombre le jour, c'est-à-dire une vérité capable de se donner sans se dévoiler. Et la révélation est aussi un voilement qui se renouvelle. Ce n'est pas simplement un retour à la vérité qui sort du puits. Cette première caractéristique manifeste donc un respect profond de la vérité, toujours présentée comme bénéfique, permettant de vivre. Hors de cela, vous assimilez la vérité à des choses pas toujours très utiles. Il y a beaucoup de vérités inutiles, de vérités qui ne font pas vivre. Dans la Bible, reste ce qui fait vivre. Donc la vérité doit montrer son caractère existentiel, créateur. C'est pour cela qu'il se présente toujours une espérance et un avenir qui s'ouvre.  

    Pour découvrir la deuxième proposition que la Bible nous dit sur la question de la vérité, il faut faire un peu d'hébreu! Dans cette langue, vérité et fidélité se disent avec le même mot emet, lequel vient d'un verbe qui veut dire « creuser les fondations », construire une maison, s'appuyer sur quelqu'un, donc faire confiance et croire. Cela donne également le mot arabe amouna (la sécurité, l'assurance), donc des termes de protection et qui montrent que celui qui parle, en l'occurrence Dieu, n'abandonnera pas l'homme. Il est extraordinaire de voir que la Bible nous montre un Dieu qui proteste, qui s'emporte mais qui est passionné de l'homme. À travers tout cela, un Dieu fidèle. (...)

    Albert Rouet - J'aimerais vous dire - Bayard 2009, pp.125-127