Dennis Gira :
Que peut-on dire de la vérité en tant que chrétien? Est-ce que la Bible nous donne quelques critères pour voir plus clair dans ce domaine?
Albert Rouet :
Je pense qu'il faut que nous, chrétiens, restions extrêmement prudents dans ce domaine. Le fait qu'il y ait quatre Évangiles nous permet de voir que, sur ce problème de la vérité, la Bible suit une tout autre approche, qui mérite aujourd'hui une grande attention. Il me semble que la Bible, sur la question de la vérité, avance trois propositions.
Tout d'abord, la vérité biblique n'est pas abordée de manière philosophique, elle est abordée de manière existentielle, comme une histoire. Cette histoire est une histoire qui ne boucle pas sur elle-même, mais elle est l'histoire d'une promesse. Dieu qui a agi hier, agit aujourd'hui et va agir demain. Cette promesse de Dieu déroule donc un temps linéaire de telle manière qu'il ne peut pas contenir à lui seul toute la promesse. Ce qui veut dire conjointement deux choses: il y a bien une réalité qui se révèle, qui est bénéfique, mais en même temps cette vérité reste voilée. Il se produit, dans certains livres de théologie, un véritable viol de la vérité parce qu'on la dénude, on veut l'exposer toute entière. Or, plus on l'expose tout entière, plus on l' objective. La Bible nous dit au contraire que plus Dieu se révèle plus Il se cache. Ce qu' Il révèle c' est qu'il est plus grand que les mots, au-delà des mots, plus grand que les expressions. C' est donc son mystère qu' Il révèle, ce côté inépuisable du don qu' Il fait de lui-même. La conséquence en est que la vérité apparaît bonne: je t'ai sorti d' Egypte, je t'ai ramené d'exil, je suis allé te chercher sur les champs de bataille. C'est une vérité qui n'a pas peur de se salir les mains. Dieu est allé chercher l'humanité dans la violence, il est allé la chercher dans l'inceste, il est allé la chercher dans l'adultère, il est allé la chercher partout. C'est une vérité prodigieuse qui est jour la nuit et ombre le jour, c'est-à-dire une vérité capable de se donner sans se dévoiler. Et la révélation est aussi un voilement qui se renouvelle. Ce n'est pas simplement un retour à la vérité qui sort du puits. Cette première caractéristique manifeste donc un respect profond de la vérité, toujours présentée comme bénéfique, permettant de vivre. Hors de cela, vous assimilez la vérité à des choses pas toujours très utiles. Il y a beaucoup de vérités inutiles, de vérités qui ne font pas vivre. Dans la Bible, reste ce qui fait vivre. Donc la vérité doit montrer son caractère existentiel, créateur. C'est pour cela qu'il se présente toujours une espérance et un avenir qui s'ouvre.
Pour découvrir la deuxième proposition que la Bible nous dit sur la question de la vérité, il faut faire un peu d'hébreu! Dans cette langue, vérité et fidélité se disent avec le même mot emet, lequel vient d'un verbe qui veut dire « creuser les fondations », construire une maison, s'appuyer sur quelqu'un, donc faire confiance et croire. Cela donne également le mot arabe amouna (la sécurité, l'assurance), donc des termes de protection et qui montrent que celui qui parle, en l'occurrence Dieu, n'abandonnera pas l'homme. Il est extraordinaire de voir que la Bible nous montre un Dieu qui proteste, qui s'emporte mais qui est passionné de l'homme. À travers tout cela, un Dieu fidèle. (...)
Albert Rouet - J'aimerais vous dire - Bayard 2009, pp.125-127