La vraie solitude, ce n’est pas l’absence des hommes, c’est la présence de Dieu. (…)
A celui qui consent cette rencontre solitaire avec Dieu, Dieu donne en surplus la solitude de l’homme. Il nous fait comprendre que, soustraction faite de ses dons, de ses impulsions, de ses vouloirs, il ne reste plus qu’une sorte de pâte commune faite d’un même néant et d’un même péché où l’homme ne voit dans les autres hommes qu’un triste et monotone prolongement de lui-même.
(…)
Nos minuscules solitudes sont aussi grandes, aussi exaltantes, aussi saintes que tous les déserts du monde, elles sont habitées par le même Dieu, le Dieu qui fait la solitude sainte.
Solitude de la rue noire qui sépare la maison du métro, solitude d’une banquette où d’autres êtres portent leur part du monde, solitude des longs couloirs où coule le flot courant de toutes les vies en route vers une nouvelle journée. Solitude de quelques minutes où, accroupi devant le poêle, on attend la flamme du petit bois avant de mettre le charbon ; solitude de la cuisine devant la bassine aux légumes. Solitude à genoux sur le plancher que l’on frotte, dans l’allée du jardin où l’on cherche un pied de salade. Petites solitudes de l’escalier monté et descendu cent fois par jour. Solitudes des longues heures de lessive, de raccommodage, de repassage. Solitudes que nous pourrions redouter et qui sont l’évidement de notre cœur : aimés qui s’en vont et qu’on voudrait garder ; amis que l’on attend et qui ne viennent pas ; choses qu’on voudrait dire que personne n’écoute, étrangeté de notre cœur parmi les hommes.
Madeleine Delbrel – « Nous autres, gens des rues » Seuil 1966