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discernement

  • Illuminer la monotonie de nos jours

    " Durant ce mois de janvier où Père Jérôme mourut, nous lisions, au réfectoire, la vie de saint Séraphim de Sarov, du Père Lassus, dominicain [voir note].

    Plusieurs frères dirent : " C'est comme Père Jérôme..."

    La réponse est celle-ci : oui et non !

    Le starets Séraphim, c'est un saint selon le génie russe, slave. Il avait des visions, des locutions intérieures, il lisait dans les cœurs ; il était visité, consulté, considéré, connu. Rien de cela chez Père Jérôme, c'est une sainteté tout en nuances et en effacement, selon le génie de notre vocation cistercienne proprement occidentale. Père Jérôme parlait peu, se livrait moins encore ; le cercle de ses proches était volontairement restreint : sa communauté, ses fils spirituels, ses élèves, sa famille, sa nièce Anne, quelques amis, des religieuses et des prêtres. 

    A tous, il ne parlait que de ce qu'il vivait : Jésus-Christ.

    Il ne disait que Jésus-Christ. C'est-à-dire la prière, la lecture des livres saints; la charité fraternelle la plus immédiate, la plus silencieuse et la plus discrète, donc la plus efficace.  

    Mais surtout la prière. La prière à haute dose, devant le Saint-Sacrement, qui a été toute sa vie. Il a vécu cela avec infiniment d'intelligence et de souplesse dans la monotonie des jours qu'il n'a jamais voulu casser, car il savait trop bien que cette monotonie n'est pas un obstacle à la vie spirituelle mais qu'elle est, bien au contraire, le ressort caché de la rencontre authentique avec Dieu.

    Cette route interminable, plate et longue, de la vie chrétienne la plus exigeante avec ses épreuves variées - et elles ne lui ont pas manqué -, il l'a vécue durant presque soixante ans  et il y a trouvé le bonheur et la joie. Il en a si bien puisé qu'il a su en trouver pour lui-même et en donner à ceux qui venaient à lui, tant qu'ils en ont maintenant en surabondance...

    Il y a aujourd'hui parmi les chrétiens une pénurie de Pères spirituels. On préfère recourir au psychologue, au psychiatre ou aux groupes d'échanges. C'est pourtant d'un Père spirituel que les moines ont le plus besoin. Non seulement les moines, mais tout homme qui veut vivre vraiment. Hélas ! il ne faut pas croire que ceux qui se présentent à la porte des monastères (ou d'autres communautés) trouveront immédiatement, et en grand nombre, des hommes capables de les conseiller et de les guider. Il ne suffit pas de passer pour un spirituel patenté pour l'être; tout au contraire, l'une des caractéristiques les plus sûres, la garantie d'un Père spirituel authentique, c'est d'être enfoui au cœur même du milieu dans lequel il vit : papillon qui se confond avec la feuille ou l'écorce sur laquelle il est posé et que seul l’œil averti distingue (...) 

    Cette vie d'intimité avec le Christ n'est pas l'exclusif des moines dans le monastère, elle est offerte par Dieu à tous les baptisés. Certes, le moine  y est invité par un appel radical, mais chaque chrétien, avec l'eau de son baptême, reçoit une invitation analogue :

    Ne rien préférer à Jésus

    Suivre inconditionnellement Jésus

    Se lier étroitement à Lui.

    Si aujourd'hui, hommes et femmes - sous la conduite d'un Père spirituel, à cause  des embûches du chemin - osaient retrouver cette route terrible et facile, facile et terrible, du même coup, ils retrouveraient la paix du cœur et le bonheur.

    "Votre cœur se réjouira et votre joie, nul ne vous l'ôtera" Jean 16,22

     

    Père Nicolas, moine de Sept-Fons, disciple du Père Jérôme dans

    Père Jérôme, Écrits monastiques, Editions du Sarment, 2002 

     

    note : "Le staretz Séraphim de Sarov (joie et lumière) " par le père Louis-Albert Lassus - Editions F.X de Guibert (O.E.I.L)  

  • l'aveugle que je suis

    "Viens à Jésus avec ton cœur" : attention ! je ne parle pas de sentiments que l'on s'ingénie à éprouver, je n'invite pas à se faire un faux Jésus adorable à partir de nos désirs idéalistes ou de nos illusions délirantes. Viens à Jésus avec ton cœur : comme l'aveugle guéri s'en est approché, c'est-à-dire aie le courage de voir, de tout voir, de ne pas ciller devant la réalité, celle de toi-même et celle du monde, et celle de Dieu qui agit en toi-même et dans-le monde. Et ayant vu, aie le courage de vivre sans pécher contre la lumière.

    C'est dur, d'oser voir. C'est une épreuve. C'est une épreuve de deux manières. D'abord parce qu'il faut soutenir la découverte de tout ce que nous aurions préféré ne jamais apprendre. Le  premier spectacle qu'a eu sous les yeux l'aveugle guéri, ce furent les hochements de tête des badauds, la lâcheté de ses parents, les trognes des notables qui grenouillaient à qui  mieux mieux pour étouffer la vérité. Spectacle effarant, digne sans doute du pinceau d'un Jérôme Bosch ou d'un Goya ! La bêtise, la méchanceté, l'incompréhension, l'injustice humaines ne se rencontrent pas sans douleur. Ou simplement, quand on a vingt ans, la complexité du monde, le désordre des choses, le malheur des êtres, l'absurdité de tant d'existences, l'inévidence du rôle qu'on peut jouer. Comment ne pas sombrer dans un pessimisme semblable à celui que notait dans son journal un auteur dramatique: « J'ouvrais les yeux le matin avec, c'est exact, un vrai plaisir de voir la lumière du jour : je me levais et, au bout de quelques minutes, comme un manteau de plomb, la lassitude écrasait mes épaules. Et derrière tout, cette pensée : je ne vis pas, la vie s'en va ; et, à l'intérieur de chaque  fruit, le noyau inévitable de l'angoisse, de l'idée de mort ... C'est comme si  je voyais, en plein jour, la nuit, la nuit mêlée au jour : le soleil noir de la mélancolie » (Ionesco, Journal en miettes, pp. 135-136)

    Seuls les yeux du Ressuscité, de Celui qui a triomphé de toutes les ténèbres que les hommes accumulent sur eux-mêmes, peuvent nous donner  de voir non plus la nuit jusqu'en plein jour, « le soleil noir de la mélancolie », mais bien plutôt, comme le dit un psaume, « le jour jusqu'en pleine nuit » (Ps 139,12), « le soleil de justice », c'est-à-dire le bien à l'œuvre même au milieu du mal, la vie à l'œuvre au milieu de la mort, l'espérance à l'œuvre au milieu du chaos.

    Après cette première épreuve, il faut en subir une seconde. Elle consiste à oser se voir soi-même. Ce que l'on a reconnu provoquer dans le monde tant d'affreuses injustices ou de pitoyables malheurs, il faut en déceler le virus actif dans notre propre cœur. Jésus reproche à ses adversaires de prétendre voir clair, alors que l'aveuglement les tient: c'est cela qui les perd. Quand on  accepte de voir les mécanismes de ses propres lâchetés, de ses propres vanités, de ses propres peurs, de ses défenses contre l'appel à l'amour véritable d'autrui, alors on découvre ses zones d'aveuglement et petit à petit on commence à leur échapper. Tel est bien le sens authentique de  la pénitence féconde.

    Alors, déjà le cœur, le cœur vivant se nourrit  d'un sang neuf. Débarbouillé de ses mensonges, il  redevient disponible pour l'avenir, pour la rencontre, pour la communication, pour la joie. « Viens à Jésus avec ton cœur et il te donnera ses yeux. » Heureux celui qui, ayant commencé de voir toutes choses avec les yeux de Jésus, ne pèche plus jamais contre la lumière; il sera lui-même lumière pour les autres.

     

     Albert-Marie Besnard - Il vient toujours - Cerf 1979 pp. 54-57