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alliance

  • Les récits de la Passion 04

    Textes tirés du livre du P. Xavier Léon-Dufour  - " Le pain de la vie" - Seuil 2005

     

    77 La parole sur la coupe

    En ayant pris une coupe et rendu grâces il la leur donna en disant : " Buvez-en tous car ceci est mon sang de l'alliance qui sera versé pour la multitude pour le pardon des péchés." (Mt)

    Dans une parole, de densité exceptionnelle, Jésus récapitule le sens et la portée de son existence. Il a annoncé sans 78 faiblir le règne de Dieu, au point d'être désormais affronté à une mort imminente ; il a constitué autour de lui un groupe de disciples fidèles. En cette heure dernière, il lui faut, avec les siens, situer le présent et l'avenir dans le dessein d'amour de Dieu. Deux mots vont résumer cela : alliance et sang versé

    D'abord, nous n'avons plus l'annonce simple du "règne" de Dieu, mais l'alliance, un mot qui évoque le long itinéraire d'Israël au cours de l'histoire et qui dit la présence de Dieu au peuple élu : préparé avec Noé (Gn 9, 8-17), promise à Abraham (Gn 15, 9-21 ; 17), réalisé au Sinaï (Ex 19-24 ; Jos 23,16), promise à David et à sa descendance (2 S 7, 5-16), souvent transgressée par le peuple infidèle, enfin promise "nouvelle" pour un jour à venir (Jr 31). Au terme de son existence, Jésus proclame que l'alliance avec Dieu est définitivement renouée, c'est-à-dire que la vie éternelle lui est déjà donnée et qu'il la communique à ses disciples en leur offrant la coupe à boire. Or, cette vie vient à travers la mort, tel avait été le message culminant qu'il leur avait été enseigné. 

    Et voici voici le second terme capital de la parole, le sang versé : Jésus va verser son sang, étant condamné à mort par ceux qui ont refusé son annonce ; pour maintenir celle-ci jusqu'au bout, il accepte la mort violente, il se livre totalement. Or cette mort devient salut non seulement pour lui, mais pour la multitude. On pense à ce que Jésus disait à ses disciples ; accepter de perdre son existence, c'est la sauvegarder. Ici, il faut éviter de renverser les données du problème. Jésus offre une révélation non pas sur la mort qu'il faudrait rechercher, mais sur la vie qui jaillit à travers la mort. Différence fondamentale car, à inverser les éléments, on aboutit à lier l'effet de la mort au seul salut du péché, à ce qu'on appelle la "réparation", alors que l'objectif est la vie pleine. 

    Avec la parole sur la coupe, c'est la notion même de sacrifice qui doit être révisée : l'eucharistie est essentiellement un "sacrifice de louange" par lequel les disciples du Christ glorifient Dieu d'avoir en Jésus fait triompher la vie sur la mort.

  • la libre initiative du Père

    85. Il est exact que le christianisme n'est pas le fruit d'un effort humain, qu'il n'est pas une " religion " au sens où Marx dit que "c'est l'homme qui fait la religion " : il est le résultat d'une libre initiative du Père, qui veut entrer en communion avec nous, ainsi que le rappelle la constitution Dei Verbum, n° 2.

    Il est vrai, du même coup, que le lieu privilégié de la manifestation de notre Dieu, ce n'est pas d'abord le cosmos (comme dans les religions naturalistes), ni même la conscience (comme dans les piétismes), mais bien l'histoire humaine, où se manifeste à nous le Fils unique devenu chair. La foi est l'accueil de cet événement;

    Il est vrai, par conséquent, que le lien instauré entre le Père et chacun de nous n'est pas un sentiment inné de sujétion à une Grandeur, mais une Alliance, c'est-à-dire un amour rencontré et accueilli, une prédilection impossible à déduire ; l'homme religieux éprouve une déférence pour la puissance qu'il soupçonne, le chrétien se reconnaît choisi par une Tendresse insoupçonnée.

    Il est vrai encore que la foi authentique est un acte libre, personnellement consenti, une réponse consciente à une vocation perçue, et non une pure intégration de fait à une religion "sociologique" ; une adhésion plus qu'une adhérence. Vatican II se félicite d'ailleurs de ce que la société nouvelle "exige une adhésion 86. de plus en plus personnelle et active à la foi" (Gaudium et spes n° 7.3). 

    Il est vrai, enfin, que le Christ instaure la critique de la religion, qu'il dépasse la scission du sacré et du profane, qu'il établit le culte en esprit et en vérité, c'est-à-dire le sacerdoce spirituel que le croyant offre lui-même en tous temps et en tous lieux, par l’exécution amoureuse de ses moindres gestes quotidiens. La constitution Lumen Gentium vient aussi de le rappeler (n° 10 et 34). Il est vrai que le Christ  ne vient pas créer un homme religieux : il se présente comme l'Homme tout court, dans sa vocation intégrale (Gaudium et spes, n° 11.1 ; 57.1) ; qui le suit ne devient pas un autre homme, mais plus véritablement homme (ibid., n° 41.1)

    André Manaranche - Je crois en Jésus-Christ aujourd'hui - Seuil, 1968 

     

  • une rencontre, une demande, une offre

    Pourquoi faut-il que nous, qui brandissons en morale sociale la fameuse "dignité de la personne" , nous succombions parfois, à l'intérieur de l'Eglise, à un collectivisme exagéré ? La référence à la personne ne serait-elle qu'un argument à usage externe ? Il n'y a de foi véritable que chez un homme capable de se dire tout bouleversé : " Il m'a aimé et il s'est livré pour  moi " (Ga 2,20)

    L'Alliance n'est pas une convention collective, par laquelle le Père aurait consenti à aimer ceux qui entreraient dans les clauses d'un certain accord, et se trouverait ainsi aimer un chacun "par conséquent", comme la simple application d'une Tendresse en vrac décidée au sommet. La vie chrétienne ne se joue pas avec des mots d'amour passe-partout, ni avec des péchés tarifés au barème pénitentiel : elle est une aventure strictement inimitable, une histoire non pareille.

    Au fondement de cette aventure, il y a une rencontre : " Jésus passait ", [46] une demande instante : " Maître, où demeures-tu ? ", et une offre acceptée : " Venez voir" ( Jn 1, 35-39). Il y a dès lors une expérience continue, qui n'hésite pas à se formuler comme un contact véritable : " Nos mains ont touché le Verbe de vie " ( 1 Jn 1,1). Sentiment douteux auquel on s'abandonne délicieusement ? Certes pas. Mais difficile apprentissage de la conversion, c'est-à-dire de la livraison inconditionnelle de notre vie - l'unique bien que nous possédions - pour que le Christ l'investisse ; le consentement à ce qu'il devienne le véritable Sujet de notre propre  biographie : " Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ  qui vit en moi " (Ga 2,20).  Avec toutes les péripéties qui jalonnent l'histoire d'un amour. Comment le fait de parler de "foi implicite", ou de "christianisme sans le savoir" ne serait-il pas l'aveu consternant d'une totale inexpérience de Dieu  ?

    C'est dans cette aventure que les mystères chrétiens, au lieu de demeurer les articles glacés d'un Credo, deviennent des réalités vivantes. Croix, Création, Trinité : ces mots seront toujours de l'archéologie, de la spéculation ou de l'algèbre pour qui n'expérimente pas sa communion particulière avec la Passion, pour qui n'éprouve pas la contingence de toute créature dans une mise en disponibilité sans réticence, pour qui ne reçoit pas son existence comme une vocation signifiée par le Père au Fils, et à lui-même par l'Esprit.

    Aucun activisme se suppléera à cette expérience dont il atteste souvent la dangereuse raréfaction.

     

    André Manaranche - Je crois en Jésus-Christ aujourd'hui - Seuil, 1968  

  • Sauvés mais encore ?

    Le christianisme est une religion de salut : Dieu sauve. Mais comme le salut est habituellement compris  comme un sauvetage, Dieu risque de n'apparaître que comme un sauveteur, dont l'intervention serait conditionnée par le mal dont il nous délivre : misère, perdition, péché.

    Avec comme conséquence que sans le mal Dieu n'aurait plus rien à nous dire ni plus rien à faire. Combien d'hommes et de femmes n'ont plus rien à demander à Dieu, un Dieu dépanneur, quand tout va pour le mieux dans leur vie ? Au point d'ailleurs que des chrétiens charitables de leur entourage se chargent alors de leur montrer que tout ne va pas si bien. Comme si l'Evangile ne pouvait rien leur apporter tant qu'ils " s'en sortent " très bien tout seuls.

    Le combat contre le mal, sous toutes ses formes, parce qu'il fut le combat de Jésus, est bien l'une des dimensions fondamentales de l'existence chrétienne. Mais d'abord parce que le mal, la souffrance, l'injustice, le péché, est contraire au projet de Dieu sur l'homme et sur le monde, un projet plus radical, plus originel, que le mal et le péché. (...)

    Dans la Bible, le salut, c'est beaucoup plus qu'un sauvetage. C'est tout ce que Dieu entreprend pour nous faire vivre et revivre. Bien sûr Dieu délivre, Dieu libère, mais lorsqu'Israël fait mémoire de l'exode, de la sortie d'Egypte, de la victoire sur la mer, sur la mort et sur Pharaon, il prend bien soin de souligner que le Seigneur l' " a fait sortir " du  pays de servitude que pour le " faire entrer " dans le pays de la promesse " où coulent le lait et le miel ". La libération n'est pas un but en soi. Sortir d'Egypte pour tourner en rond dans le désert n'aurait pas de sens. Le projet de Dieu c'est l'alliance : " Je serai votre Dieu et vous serez mon peuple. "  (...) Et nous aussi, aujourd'hui, lorsque nous répétons que Dieu sauve, nous pensons trop exclusivement à ce dont il nous sauve, sans prendre conscience suffisamment de ce vers quoi il nous sauve.

    (...) il y a ce dont nous sommes sauvés, le mal et la mort auxquels nous sommes arrachés, et il y a ce vers quoi nous sommes sauvés, la vie, ce qui nous est promis et donné. Ce n'est pas parce qu'il est dans l'esclavage que Dieu choisit Israël, mais parce que c'est son peuple et pour en faire son peuple, alors même qu'il est en esclavage. Ce n'est pas parce que nous sommes pécheurs que Dieu, aujourd'hui encore, vient nous chercher et nous tend la main. C'est parce qu'il tient à nous et qu'il veut que nous tenions à lui, alors même que nous sommes empêtrés dans le péché.

    Jean-Noël Bezançon - Dieu n'est pas bizarre - Bayard/Centurion, 1996 pp.22.23.24