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psalmiste

  • Prier les psaumes (5) : un chant nouveau

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    (...)

    Le chapitre précédent décrit le circuit de la Parole tel qu'il s'accomplit entre Dieu et le coeur de l'homme à l'écoute. La place de choix du psaume, dans cette " course glorieuse", est immédiatement évidente. Le psaume en effet surgit au moment même où le coeur du croyant à l'écoute, ayant capté la Parole de Dieu, l'exprime de nouveau sous forme de prière. Ce processus ne se déroule pas au niveau de l'intelligence, mais au niveau beaucoup plus profond du coeur, là où le centre de notre personnalité 86 écoute et s'approche de Dieu.

    "Dans le coeur" la Parole est écoutée, reçue et assimilée. Là aussi elle renaîtra en psaume et en prière. De la parole, priée dans le coeur de l'homme, le psaume procède. La parole du psaume est une Parole de Dieu, à l'origine elle est déjà chargée de l'Esprit de Dieu et comme telle envoyée à l'homme. Elle est écoutée et accueillie par l'esprit de l'homme pour s'accomplir et s'enrichir en dialogue, de l'esprit à l'Esprit, dans une nouvelle expérience de foi. Ainsi peut-elle, à travers le coeur de l'homme, se réexprimer et finalement revenir à  Dieu en chant de louange et d'action de grâce. Le psaume est donc plus qu'ailleurs dans la Bible, à la fois Parole de Dieu et parole de l'homme, surabondance de la Parole et surabondance du coeur : une demeure d'amour où l'Esprit de Dieu et l'esprit de l'homme sont très proches l'un de l'autre. Le point de contact entre les deux est la prière intérieure, dialogue réciproque entre Dieu et l'homme, liturgie silencieuse qui se célèbre sans cesse en tout coeur humain. Les formules principales de cette liturgie se trouvent dans les psaumes.

    Dans l'Ancien Testament ce processus a produit le psautier. Il a trouvé son achèvement en Jésus-Christ, Parole de Dieu faite homme, pierre angulaire des deux testaments et de la Bible. Des psaumes, Jésus a fait sa propre prière. Dans sa mort et dans sa résurrection, bientôt dans son retour, les psaumes atteignent leur signification la plus profonde. Jusqu'à Jésus, ils n'étaient qu'un résumé de l'Ancien Testament. En Jésus, ils sont changés d'eau en vin, ils passent de la lettre à l'esprit. Depuis Jésus, eux aussi chantent la bonne nouvelle, de l'évangile à l'apocalypse. Le Seigneur ressuscité est pour toujours l'unique psalmiste, sans cesse vivant et intercédant, 87 là-haut devant la face de son Père, ici-bas en toute liturgie que célèbre son Eglise. 

    Dans le Seigneur Jésus, la parole de l'homme est toujours Parole de Dieu. Ce que Jésus prêche coïncide avec ce qu'Il chante ; ce qu'il accomplit, avec ce qu'Il prie. Il est lui-même, par excellence, la Parole vivante, et, pour la même raison, Il est le psaume qu'on a jamais fini de réciter et de prier. Tous les sentiments humains qui affleurent dans le psaume ont donc déjà trouvé en Jésus leur achèvement. La tristesse ne va plus jamais sans la joie, le péché et le repentir ont déjà obtenu le pardon, le désespoir est le premier pas vers la confiance , la haine est l'envers d'un grand amour, éros désigne la force irrésistible d'agapè, la mort annonce déjà la vie. Ce qui ne veut pas dire que le côté  profondément humain de ces sentiments soit refoulé ou nié. Au contraire. Ils vont s'approfondissant et se font plus authentiques. L'esprit les dégage du chaos de la lettre et de la chair. En Jésus ils ont retrouvé le ressort le plus puissant de leur dynamisme. Ils y coïncident avec la Parole de Dieu, leur propre parole créatrice. Désormais ils ne parlent plus que de la venue du royaume de Dieu, de la puissance admirable et des signes qui l'accompagnent. L'Esprit dans lequel Jésus a prié les psaumes et les a recréés est répandu sur chaque baptisé. Celui-ci peut maintenant, dans le même Esprit et comme Jésus, s'approprier le psaume  et le chanter à nouveau. Pour lui aussi, les mots anciens se font vivants et s'accomplissent. La Parole se déploie en de nouvelles dimensions. De toutes parts, dans l'Esprit, elle s'approfondit et s'élargit. Elle se met à vibrer  de toutes ses harmoniques. Aussi  est-elle nécessairement parole poétique bien qu'elle dépasse toute poésie créée. Car elle n'est pas mesurée seulement 88 au pneuma, au souffle de vie d'un homme limité, mais au Pneuma de Dieu lui-même qui suscite et soulève toute vie et qui conduit partout l'histoire du salut à son achèvement.

    Aussi n'est-il plus possible de lire et encore moins de prier le psaume selon la lettre. Le prier selon la lettre serait, au sens le plus strict du mot, une contradiction dans les termes. Un psaume ne peut être psaume - et non un document qui relève de l'archéologie - que dans la mesure où il vit, c'est-à-dire dans la mesure où l'Esprit dans notre coeur le prie de nouveau.

                                                         A suivre...

     

    André Louf - Seigneur apprends-nous à prier - Ed. Lumen Vitae - ISBN 2-87324-000-8

  • Prier les psaumes (3) : une parole d'hommes

    82.

    (suite)

    La parole du psaume a mûri en premier lieu dans un coeur d'homme et elle est née sur des lèvres humaines. Les sentiments qu'elle éveille ne nous sont pas étrangers, même s'il arrive que le langage imagé où elle s'exprime ne soit pas immédiatement intelligible. C'est tout de même l'homme qui s'y révèle, comme en toute poésie, l'homme au-delà des races, des frontières, des époques, l'homme éternel qui sommeille dans notre coeur et que nous ne laissons monter à notre conscience que progressivement, et encore seulement en partie.

    Ici réside pour une part la force mystérieuse de la parole poétique des psaumes, qui saisit tout homme avec tant d'impétuosité. Elle ne s'adresse pas seulement, en nous, à l'homme devenu conscient ; au plan de l'inconscient, elle peut remuer les terres encore inexplorées de sa personnalité plus profonde, au point où il s'exprime librement mais encore inconsciemment, face aux autres hommes et face à Dieu. Pour autant, nous n'acceptons pas tout ce que le psaume ébranle en nous et éveille à la vie. Le psalmiste est un homme blessé par le péché et qui clame sa souffrance et son désespoir devant Dieu. Il crie son angoisse, sa désespérance, sa colère, sa haine, et n'éprouve visiblement aucune envie de dissimuler ces sentiments. Le lecteur, vingt siècles plus tard, n'est généralement pas conscient que son coeur abrite encore toutes ces passions. Plus il s'identifie aux normes courantes du groupe où il vit - surtout si ces normes sont évangéliques - plus il éprouve de difficulté à se reconnaître  dans ces sentiments païens. Plus rarement il a confessé son péché devant Dieu, plus insupportables sont ces mots trop humains qui brûlent ses lèvres.

    [83]

    Le malaise que le lecteur moderne éprouve en priant certains psaumes se situe en partie à ce niveau. Chaque génération a ses tabous propres, qui se déplacent régulièrement. L'irritation avec laquelle l'homme moyen réagit à tel ou tel thème de prière dans les psaumes, elle aussi se déplace.

    La question se pose de savoir si le procédé qui consiste à refouler tous ces sentiments, et par conséquent à en biffer l'expression dans les psaumes, est psychologiquement sain. La dynamique interne qui s'exprime dans les psaumes par ces sentiments ne doit peut-être pas se perdre. Ne peut-on mieux l'orienter et même s'en servir au profit d'une croissance saine de l'homme et de son développement positif ? Bien sûr, ces sentiments révèlent d'abord le pécheur que chacun reconnaît en soi et avec lequel il doit se réconcilier. Mais cette réconciliation une fois obtenue entre l'homme et lui-même, entre l'homme aussi et Dieu, la dynamique de ces sentiments ne peut-elle être infléchie et orientée vers le bien ? Si oui, les antiques paroles des psaumes, qui jadis exprimaient des sentiments par trop primitifs, peuvent évoluer avec l'homme et acquérir un sens nouveau et plénier. D'ailleurs ce que le poète humain chante dans le psaume n'est pas le dernier mot de celui-ci, car le souffle de vie qui inspire ses paroles lui vient finalement d'ailleurs et de plus grand que lui.  

                                                                                      A suivre...

    André Louf - Seigneur apprends-nous à prier - Ed. Lumen Vitae - ISBN 2-87324-000-8