J'ai renoncé au Dieu tout-puissant de ma foi sereine, mais c'est pour retrouver le Dieu partageant la passion de l' l'humanité, au sein de laquelle il reste le Vivant, celui en qui je mets mon espérance. Dès maintenant, il m'invite à inscrire la vie là où est la mort, car telle est la destinée qu'il a promise à sa création : un avenir de vie quand toute mort sera détruite. Comme le révèle le mystère pascal, Dieu se tait parce qu'il me laisse la parole, parce qu'il me confie sa Parole : son silence, il nous revient de le rompre.
Pourquoi Dieu, qui a ressuscité Jésus, a-t-il renoncé à intervenir pour faire cesser le mal ? La question est souvent posée en ces termes. Mais, en définitive, sommes-nous certains que Dieu ait renoncé à intervenir ? Il n'intervient pas à la façon des puissants de ce monde, trop souvent guidés par leurs intérêts, parce que sa force est celle de l'amour. Peut-on affirmer qu'il n'intervient pas, quand on voit le centurion se convertir au pied de la Croix ? quand on contemple Jésus se faisant auprès du Père l'avocat de ses ennemis ? En exprimant cette prière : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font », Jésus dit sa foi et son espérance car il exprime sa certitude que le Père est capable d'intervenir, non pas en le faisant descendre de la croix, mais en transformant le cœur de ceux qui sont en train de le mettre à mort. En cet instant ultime de sa vie sur terre, Jésus affirme encore l'amour du Père pour tous les hommes, et il en est le témoin tragique en versant son sang pour la multitude.
Cette méditation révèle combien est tenace l'image d'un Dieu fort, perçu comme celui qui dépanne. Par cette représentation, nous donnons à penser que Dieu est oisif quand il n'y a pas de secours à déclencher quelque part. Mais est-ce là le Dieu dont Jésus est venu témoigner? En le sommant d'agir, nous nous comportons comme si nous avions oublié qu'il est par excellence le Vivant qui de toute éternité et à chaque instant agit car il est le Créateur et le Sauveur.
Autrement dit, notre véritable problème n'est pas tant de faire intervenir Dieu, que de nous ouvrir à son action, y compris au sein de notre liberté et à sa présence toujours offerte : dans les Écritures, dans le silence de la prière, auprès de tous ceux qui sont en quête de solidarité et de fraternité. Dieu a besoin de personnes pour rencontrer et soulager les démunis, à visage découvert. Encore faut-il qu'il y ait de par le monde des hommes et des femmes de bonne volonté pour l'accueillir en leur cœur.
Ce n'est pas Dieu qui nous manque, c'est nous qui lui manquons. En nous donnant son Fils et son Esprit, il nous a tout donné : il s'est donné à nous. A nous de l'accueillir, en nous remettant entre ses mains, tout en tendant les nôtres à nos frères dans le besoin. Souvent d'ailleurs ces deux gestes se confondent, s'il est vrai que ce qui est fait au plus petit d'entre les siens, c'est à lui que nous le faisons (Mt 25,40).
Bernard Rey - La discrétion de Dieu - Cerf 1997, pp.139-141