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lévi

  • Scandale chez Lévi

    [33]  cf. évangile selon Marc, chapitre 2, versets 13 à 17 (Mc 2, 13-17)

    En sortant donc de Capharnaüm pour se rendre sur la rive du lac, Jésus passe devant l'octroi où se tient Lévi. Lévi est un employé chargé de percevoir, pour le fisc du roi Hérode Antipas, les taxes sur les marchandises qui passent la frontière voisine. Le système douanier d'alors n'était pas minutieusement réglementé comme celui d'aujourd'hui. Une sorte de "fermier général", comme on disait en France sous le règne de Louis XIV, avait acheté au roi Hérode le droit de percevoir les taxes, et il déléguait à des subalternes comme Lévi le soin de récupérer le capital engagé, avec une marge correspondant au service rendu. 

    Etait-ce parce qu'ils cédaient à une pression exercée par l'employeur ou à la tentation de profiter d'une position de force, toujours est-il que Lévi et ses collègues avaient la triste réputation de s'enrichir indûment. Ils en étaient alors d'autant plus détestés et méprisés. 

    De plus, manipulant de l'argent qui passe de main en main, de l'argent païen, ils étaient classés dans la catégorie des "impurs", c'est-à-dire des gens qui n'ont pas accès à Dieu, des gens par conséquent, avec qui on ne fraie pas, des gens qu'on laisse en marge, qu'on ne salue pas et qu'on n'inviterait sûrement pas à sa table. 

     (...)

    En passant devant l'octroi, Jésus voit Lévi. Il ne se contente pas d'enregistrer sa présence, il le voit. On peut imaginer que Jésus arrête un instant son regard sur Lévi, peut-être même que  leurs regards se croisent. Et Jésus saisit tout de suite sa condition de paria. Alors chose impensable pour Lévi et scandaleuse   pour les témoins bien-pensants de la scène, Jésus lui adresse la parole. Mieux, il l'appelle, lui [34] Lévi le méprisé et le rejeté, lui le "pauvre type", lui le "sale type". Il l'appelle à entrer dans le groupe des disciples, de ces gens qui accompagnent Jésus et partagent son existence errante, pour découvrir sous sa direction les mystères du Règne de Dieu.

    Jésus va même jusqu'à se laisser inviter chez Lévi, en compagnie d'autres gens du même acabit.

    (...)

    Les gens sérieux, "respectables" comme dit la traduction en français courant, lui en font pourtant le reproche : on ne se commet pas, protestent-ils, avec des gens qui se placent ouvertement en marge de la volonté de Dieu, des gens qui n'observent pas les règles élémentaires du pur et de l'impur, des gens qui ignorent délibérément la loi de Dieu. Bien pire : en acceptant de frayer avec eux, on se rend soi-même impur, on se situe donc volontairement dans le camp des adversaires de Dieu, dans le camp des "pécheurs", comme on disait.

    Des pécheurs : le grand mot est lâché. (...) Ainsi pour ces pharisiens qui s'appliquent à observer scrupuleusement les commandements divins, la loi de Dieu est devenue un moyen de juger : un moyen de se juger soi-même en règle (ou non) avec Dieu, mais aussi un moyen de juger les autres et de condamner ceux qui n'ont pas fait le même choix. s'arrogeant ainsi au nom de la loi divine le droit de juger les autres, ils se mettent à la place de Dieu, le seul juge. Ils sont si bien persuadés d'être en règle avec lui, d'être des justes, qu'ils ne peuvent s'imaginer que Dieu ait un autre point de vue que le leur. (...)

    [35] Une fois de plus Jésus surprend tout le monde par la position qu'il prend. Lui ne juge pas, il vient guérir et guérir en particulier les dégâts causés par les pharisiens et leurs émules de tous les âges et de toutes les civilisations. Au lieu de condamner et d'exclure, il appelle. A Lévi il fait cet honneur inouï de l'inviter à venir avec lui.

    Vous le remarquerez, pour prendre le contre-pied des pharisiens, Jésus ne passe pas dans le camp opposé, il ne prend pas le parti des collecteurs de taxes et des "pécheurs". Il ne leur donne pas raison contre les pharisiens. (...) Si les uns ont tort, les autres n'ont pas forcément raison. Pour Jésus (...) la solution ne consiste pas à prendre le parti opposé à ceux qu'il conteste. Jésus n'est jamais contre, il est avec. (...) Là où nous autres humains avons construit des murs infranchissables, Jésus ouvre des portes, une porte, la porte du Règne de Dieu.

    Suis-moi, dit-il ainsi à Lévi, le laissé-pour-compte. Cet appel est aussi simple et bref que chargé d'avenir pour celui qui l'entend. C'est le même appel auquel ont déjà répondu Simon et André, puis Jacques et Jean....

    Suivre Jésus, c'est d'abord devenir son élève, en étant là pour écouter ce qu'il dit et voir ce qu'il fait. Je pense que tout lecteur assidu de l'évangile est quelqu'un qui commence à suivre Jésus. Mais suivre Jésus, c'est aussi l'accompagner sur la route surprenante et imprévue du Règne de Dieu et partager avec lui non seulement les aléas de son existence, mais les  risques de son choix. C'est s'exposer, en particulier, à être rejeté - et peut-être condamné - comme lui par ceux qui n'admettent pas d'autre choix que celui qu'ils ont fait eux-mêmes ; par tous ceux qui détiennent une vérité et qui en font la vérité ; par tous ceux qui découpent l'humanité en deux camps, le leur et celui des méchants ; par tous ceux qui ne supportent pas d'être mis en cause, même par la troisième voie, celle du Règne de Dieu que Jésus vient suivre lui-même et proposer à tous. (...)

    [36] Il se leva, raconte l'évangile, et le suivit. Jusqu'alors Lévi était assis, immobile à la place qu'il avait choisie ou que les circonstances lui avait imposée, peu importe, assis en tout cas dans une situation où les autres le tenaient enfermé. Et puis Jésus est passé, et Lévi s'est levé. (...)

    Jean-Marc Babut - Actualité de Marc - Edition du Cerf, 2002, coll. lire la Bible