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messie

  • Année A - Troisème dimanche de Pâques

    Textes de la liturgie du jour : Ac 2, 14-28 - 1 P 1, 17-21 - Lc 24, 13-35

    Textes : P. Marie-Joseph Le Guillou, o.p.  -  L'Amour du Père révélé dans sa Parole, homélies année A - Ed : Parole et Silence, 1998

     

    125 Nous sommes tous semblables aux pèlerins d'Emmaüs. Nous rêvons tous et sans doute nous rêvons encore du triomphe d'un Messie qui se serait manifesté dans humilité et la souffrance mais qui serait glorieux, triomphant, nous entraînant dans son triomphe et nous faisant passer ainsi dans le mystère de Dieu. Oui, nous avons d'autant plus ce sens d'un Messie triomphant que notre image de Dieu nous paraît plus belle, plus grande, plus transcendante. Comment est-il possible que cela arrive ? Nous sommes déçus de ce qui se passe dans le monde et que nous attribuons au Seigneur. Alors, comme les disciples d'Emmaüs, " nous espérions qu'il serait le libérateur d'Israël ! Avec tout cela, voici le troisième jour qui passe depuis que c'est arrivé... lui, ils ne l'ont pas vu ". Nous sommes les pèlerins d'Emmaüs dans la mesure où nous ne reconnaissons pas le visage du Messie dans le visage du Ressuscité. En effet, il nous est nécessaire de reconnaître le visage du Seigneur qui bien sûr nous fera connaître la gloire. Mais le chemin par lequel il passe n'est pas du tout celui que nous aurions imaginé. Il en va de même pour chacune de nos vies. 

    Il faut que le Seigneur éclaire nos vies ; il faut qu'il vous éclaire en vous montrant et en vous découvrant combien vos cœurs sont lents à croire. Pour découvrir le visage du Seigneur, il n'y a qu'un moyen : écouter le Christ, le laisser lui-même nous expliquer les Écritures et nous montrer que la volonté du Père est que la réalisation de son dessein d'amour passe par la croix. " Ne fallait-il pas que le Messie souffrît pour entrer dans la gloire ? " C'est ce que nous avons du mal à comprendre. Cette formule signifie 126 qu'il s'agit bien du dessein de Dieu. Dieu lui-même à voulu que la manifestation de son amour se dévoile de cette façon. Nous aurions facilement imaginé une autre façon de sauver le monde ! Le Seigneur nous introduit par sa croix dans l'intelligence de sa Parole, dans l'intelligence du Mystère de Dieu et il nous y fait participer par l'Eucharistie.

    Laissons le Seigneur nous expliquer l’Écriture. Elle s'illumine à partir de la Résurrection et, si je puis m'exprimer ainsi, les évangiles sont à lire à l'envers, c'est-à-dire à partir de la Résurrection du Christ parce que c'est le lieu de la lumière, c'est le lieu de l'éclatement du mystère de Dieu. Plus classiquement, il faut lire les Écritures en partant de Moïse et des prophètes pour constater que tout conduit à Jésus-Christ, centre du monde, pivot du monde.

    L'heure essentielle de toute l'histoire du monde, c'est l'heure de la croix. Le visage du Seigneur se dévoile alors ; c'est le visage de celui qui est doux et humble de cœur, le visage de celui qui est venu sauver les hommes par son humilité, par sa pauvreté, et nous dévoiler sa présence incessante à son Père. Nous avons à écouter le Christ non pas tel que nous l'imaginons, non pas tel que nous le voudrions, mais tel qu'Il est.

    Nous le découvrons dans l'Eucharistie. Les disciples d'Emmaüs le reconnaissent à la façon dont il rompt le pain. Qu'est-ce que cela signifie pour nos vies ? Cela implique que nous soyons prêts à nous laisser transformer par le mystère de Dieu, par sa façon déconcertante de se révéler. Le Christ entre dans nos vies de façon déroutante. Nous voulons trop souvent construire nos propres vies. Mais Jésus Christ ne construit pas sa vie, c'est son Père qui la lui donne et nous n'avons pas à construire nos vies mais bien au contraire à laisser le Seigneur les construire. Il ne s'agit pas d'être passifs, il convient de faire tout ce qu'il faut, mais en même temps, il faut se laisser prendre 127 par le visage du Seigneur tel qu'il se dévoile dans les Écritures et dans les Évangiles.

    " Reste avec nous " disent les disciples d’Emmaüs. Pour cela, lisez-vous l’Évangile ?  Lisez-vous quelquefois un évangile d'un bout à l'autre sans vous arrêter pour vous entraîner à reconnaître le visage du Christ ? Passez-vous un temps de prière plus ou moins long pour rencontrer le Christ  ? Pensez-vous que l'Eucharistie soit cet acte par lequel le Christ nous fait entrer dans son propre mystère en nous dévoilant son visage et en nous faisant participer à la gloire de son Père ? Oui, Jésus-Christ nous fait participer au mystère de sa Résurrection. C'est pour cela, comme nous dit l'apôtre Pierre, que nous ne vivons pas comme des gens sans but, mais comme des gens dont le sens de la vie est éclairée, illuminé par le sang précieux du Christ, par l'Agneau sans défaut et sans tache, discerné dès avant la fondation du monde. Voyez comme tout est pris dans le mystère d'amour du Seigneur : tout est là !

    Dans l'Eucharistie, nous avons à découvrir que nous croyons en Dieu par le Christ dans l'Esprit Saint. Nous croyons que le Père a ressuscité Jésus d'entre les morts et qu' Il lui a donné la gloire. Cette gloire, nous la connaîtrons. Nous sommes pris dans un élan d'amour qui nous déborde de partout, qui nous dépasse. Le mystère du Seigneur est un mystère ineffable, étonnant, c'est un mystère qui devrait, à chaque instant nous émerveiller. Dieu est merveilleux : Il organise les choses infiniment mieux que nous les aurions imaginées, de tout autre façon. Le Seigneur fait irruption dans nos vies à sa manière qui lui est unique. Il nous connaît chacun par notre petit nom. Il nous connaît de l'intérieur et il guide, si nous nous laissons faire, chacun de nos pas.

    En ce jour où nous sommes avec les pèlerins d'Emmaüs, nous demanderons au Seigneur de découvrir le sens de nos vies à la lumière de Dieu, 128 dans l' Écriture et dans l'Eucharistie. Que nous ayons les yeux de notre cœur illuminés, alors nos yeux s'ouvriront et nous reconnaîtrons le Seigneur. Nous pourrons entrer dans le mystère de Dieu, non pas un petit moment, mais toute notre vie parce qu'il l'imprégnera. Nous sommes dans l'ordre lorsque nous sommes suspendus à Dieu, que nous tenons à Dieu et que nous le regardons. Laissons-nous faire et nous découvrirons le visage du Seigneur et celui de nos frères qu'il nous donne gratuitement pour que nous les aimions. Amen !

      

     

     

     

     

     

  • Les récits de la Passion 03

    Textes tirés du livre du P. Raymond E. Brown - " Lire les Évangiles pendant la Semaine sainte et à Pâques " - Cerf 2009

     

    15 Les causes de la mort de Jésus

    L'exacte responsabilité des autorités juives dans la mort de Jésus est une question compliquée. La tradition juive ancienne du Talmud de Babylone admet sans ambages la responsabilité juive dans la "pendaison" de Jésus, la veille de la pâque, "parce qu'il égarait Israël" (Sanhedrin 43a). Cependant des écrivains juifs modernes ont rejeté tout ou partie d'un implication juive dans la crucifixion. On avance fréquemment l'argument suivant : la procédure légale du Sanhédrin décrite dans les évangiles ne concorde pas avec la loi juive exposée dans la Michna et ne peut refléter la réalité. Mais la Michna, qui date des environs de 200 de notre ère, est la codification écrite de la loi orale des Pharisiens ; or au temps de Jésus, ce sont les prêtres sadducéens, et non les Pharisiens, qui avaient la haute main sur le Sanhédrin et ils rejetaient la loi orale, prétendant s'appuyer sur la seule loi écrite de l'Ancien Testament. Le procès de Jésus tel que le racontent les évangiles ne violent pas la lettre de la loi écrite. On ne peut donc pas si 16 facilement nier pour des raisons techniques toute responsabilité juive. En tout cas, cela nous remet en mémoire que si, durant son ministère, Jésus a été en discussion avec les Pharisiens, les Juifs qui ont le plus directement participé à sa condamnation à mort sont les prêtres, peut-être mis en colère par ses critiques prophétiques du Temple. 

    On peut fouiller plus avant, recherchant de quelle façon et jusqu'à quel point les prêtres et le Sanhédrin furent impliqués. Un distingué commentateur juif, Paul Winter, a voulu donner la priorité au récit lucanien (évangile de Luc) du procès de Jésus parce que, à la différence de Marc et de Matthieu, Luc  ne rapporte aucune convocation de témoins et aucune condamnation à mort de Jésus par des Juifs. Mais le fait que Luc ne rapporte pas de sentence de mort ne signifie nullement que, dans son esprit, les chefs juifs fussent dégagés de toute responsabilité dans la mort de Jésus, car ailleurs, il parle de leur rôle avec insistance (Ac 2,36 ; 4,10 ; 5,30 ; 7,52 ; 10,39 ; 13, 27-29). Cependant, à la différence du jugement en bonne et due forme par le Sanhédrin réuni dans la nuit, comme le rapportent Marc et Matthieu (ce dernier précisant que le Grand Prêtre était Caïphe), en Luc il n'y a que des questions informelles posées par le Sanhédrin dans la matinée. Quant à Jean, il ne rapporte aucune session du Sanhédrin après l'arrestation de Jésus, mais seulement un interrogatoire de police, dirigé par le Grand Prêtre Hanne (18,19-24).

    17 Confusion supplémentaire : Jean 18, 3.12 indique que, parmi ceux qui avaient arrêté Jésus, il y avait, outre des policiers juifs envoyés par le Grand Prêtre, des soldats romains avec leur tribun. Les soldats romains n'auraient pas pris part à cette action sans l'ordre ou au moins la permission du préfet ; ainsi donc, si l'information de Jean est exacte, Pilate devait savoir d'avance qu'on arrêtait Jésus et peut-être même l'avoir ordonné. 

    Il n'est pas impossible que Pilate ait entendu des rumeurs selon lesquelles Jésus serait le Messie (le roi oint de la maison de David, que beaucoup de Juifs attendaient) et qu'il ait aidé les autorités juives du Sanhédrin à l'arrêter, voulant qu'elles fassent une enquête sur lui. Certains, faisant partie de ces autorités, auraient déjà nourri des inquiétudes religieuses et de l'hostilité à l'égard de Jésus (craignant par exemple qu'il ne soit un faux prophète). Mais ils auraient pu expliquer qu'ils ne faisaient  qu'obéir aux ordres en remettant Jésus aux autorités romaines qui décideraient, parce que Jésus, interrogé, n'avait pas nié être le Messie. (Notez bien que je dis " n'avait pas nié " ; la réponse de Jésus à la question " es-tu le Messie ?" diffère d'un évangile à l'autre : " Je le suis ", en Marc ; " Tu le dis" en Matthieu ; " Si je vous le dis, vous ne me croirez pas" en Luc ; voir Jn 10, 24-25) De tout temps, les gens religieux ont obtenu ce qu'ils voulaient par l'intermédiaire des autorités séculières agissant pour leurs propres intérêts. 

    Il faut faire attention à de telles subtilités de peur que la lecture liturgique des récits de la Passion ne soit à l'origine d'accusations simplistes de culpabilité. Comme je le signalerai en étudiant les récits l'un après l'autre, Matthieu ("tout le peuple", 27,25) aussi bien que Jean ("les Juifs", tout du long) généralisent de façon hostile, de sorte que la participation à l'exécution de Jésus va au-delà même de l'ensemble des autorités juives. A partir de là, quelques théologiens chrétiens célèbres (Augustin, Jean Chrysostome, Thomas d'Aquin, Martin Luther) ont émis des déclarations sur le devoir des chrétiens de haïr ou de 18 châtier les Juifs parce qu'ils ont tué le Seigneur ! Les craintes modernes d'un antijudaïsme qui serait la conséquence des récits de la Passion ne sont donc pas sans fondement. Une des solutions proposées a été de retirer les passages "antisémites" des lectures liturgiques  de la Passion ; c'est une sorte de réaction à la "ne pas dire du mal, ne pas voir le mal, ne pas entendre le mal". Mais retirer les passages choquants est une façon de faire dangereuse qui permettra aux auditeurs de la version expurgée d'accepter sans réfléchir tout ce qui est dans la Bible. Les récits "améliorés" par excision perpétueront l'idée fausse que tout ce qu'on entend dans la Bible doit toujours être imité parce que c'est "révélé" par Dieu et que tout ce que fait ou pense un auteur sacré est garanti par l'inerrance. A mon avis, il vaut mieux continuer à lire les récits de la Passion entiers pendant la Semaine sainte, sans les soumettre aux coupures qui nous semblent bonnes, et faire suivre cette lecture d'une prédication qui explique avec force que semblable hostilité entre chrétiens et Juifs ne peut se poursuivre aujourd'hui, qu'elle est contraire à notre compréhension fondamentale du christianisme. Tôt ou tard, les chrétiens auront à affronter les limitations qu'imposent aux Ecritures les conditions dans lesquelles elles ont été écrites. Ils devront bien comprendre que certaines attitudes dont témoignent les Ecritures sont certainement explicables à leur époque mais ne peuvent être acceptables si on les adopte aujourd'hui. Ils doivent tenir compte du fait que Dieu a donné sa révélation dans des mots humains. Les chrétiens rassemblés qui écoutent la lecture de la Passion, pendant la Semaine sainte, n'en auront conscience que si on prend la peine de le leur préciser. Lire les passages  qui  ont une consonance antijuive 19  sans les commenter est irresponsable et détourne d'une juste compréhension de la mort de notre Seigneur.

    A suivre...

  • Du côté du Cénacle

    36. Thomas qui n'était pas au cénacle tout à l'heure, approcha tardif, dense, livré au deuil mais non pas au désespoir. Haïr les illusions lui fortifiait le corps et lui réjouissait le coeur :  mieux valait un messie mort qu'un faux messie. Il était le seul apôtre à recueillir des denrées et des nouvelles sans souci de l'heure ni du lieu. On ne savait ce qu'il portait dans son sac. Il passa le long du maître immobile dont il prit la phosphorescence pour un lampadaire. Thomas dut frapper à la porte du rez-de-chaussée. Les camarades étaient-ils endormis ? Enfin ils déverrouillèrent la chambre et il en eut un qui descendit ôter les barres de la porte d'en bas. Thomas eut le temps de maugréer au risque d'indisposer les voisins que réveillaient ses tambourinades. Pierre lui dit, en ouvrant : " Doucement, mon vieux. 

    - Que faisiez-vous donc là-haut ? demanda Thomas.

    - Le maître vient de sortir.

    - Quoi ? 

    - Comme je te dis."

    Dans l'escalier Thomas entendit le brouhaha des autres. Quand il entra  au 37. cénacle on l'assaillit : "Jésus sort à l'instant. Tu aurais dû le croiser.

    - Vous avez eu vite fait de remettre les barres et les verrous."

    Ils ne surent que répondre. Thomas vit leur rêverie en débandade et haussa les épaules. Il avait jeté son sac dans un coin. Pierre y alla voir : c'étaient des pissenlits. " Tu n'as quand même pas été les chercher entre les pavés du Temple ?

    - Presque. En tout cas j'ai appris que les gardes se seraient endormis au sépulcre la nuit dernière et que le corps aurait été enlevé pendant leur sommeil. L'affaire va monter au gouverneur et, bien sûr, c'est nous qu'on accuse. Vous choisissez donc mal vos plaisanteries : quiconque vous entendrait irait témoigner que vous avez récupéré le cadavre."

    Jude montra le plat où Jésus avait laissé des arêtes. " Macabre", fit Thomas haussant à nouveau les épaules.

    Pendant ce temps-là Jésus avait regagné des terrains de banlieue qu'éclairait une lune encore pleine mais déjà dans son décours. Un carré de choux bleus qui 38. avaient passé l'hiver semblait les casques d'une cohorte terrée là pour guetter les pas du messie. Jésus restait mécontent. Il venait de cacher à des hommes, avec plus de patience qu'autrefois, l'ennui d'être avec eux, mais un sursaut d'âme... Il se retrouvait dans un dédale de jardins où il butait contre des arrosoirs oubliés.

    De basses traînées de nuées sombres rôdaient en débris sous la lune qui en argentait les rebords. Un vent humide titillait de vieux épouvantails. Jésus, en passant devant une baraque dont la porte était arrachée, y aperçut les lueurs métalliques des archanges. Il s'arrêta devant ces présences sans visage. Elles se mirent au garde-à-vous, Michel dans ses reflets de fer, Gabriel dans ses éclats de vif-argent, d'autres, derrière eux, solaires comme l'or ou brasilleux comme le cuivre. Leur luminescence emplissait la bicoque et filtrait à l'extérieur entre les planches. 

    Il les fit sortir et se ranger par bataillons. Dieu ! qu'il s'en était entassés dans cet étroit poste de garde. C'étaient les troupes de son Père, gardiennes et exécutrices des suprêmes intentions. Elles étaient 39. à la fois l'intelligence agile et les destins comminatoires. Elles demeuraient sans cesse dans la confidence d'un Dieu qui retenait ou lâchait à sa guise leur violence. Il les passa en revue, l'oeil sévère, le cheveu court, le coeur impavide. Il s'attarda en vain, avec parfois une ombre de malveillance, à suspecter ici où là un point de rouille : même l'ange de Gethsémani ne portait pas trace d'oxydation. (...)    

       

    Jean Grosjean - Le Messie - Gallimard 1974 

                                    

     

  • Les pèlerins d'Emmaus

    21. (...)

    " De quoi parlez-vous ? " Il n'avait plus la courtoisie de déguiser les questions dont il savait la réponse.

    Les deux voyageurs s'arrêtèrent outrés, outragés presque : "Tu es bien le seul passant du pays qui ne soit pas au courant.

    - Eh bien, dites. "

    Ils eurent honte. On reprit la route. Cléopas finit par répondre qu'il s'agissait 22. d'un Nazaréen qui était venu délivrer Israël et, comme d'habitude, Israël s'était défait de sa chance : " Nos chefs et nos prêtres ont éliminé celui qui usurpait trop bien leur rôle. Ca fait maintenant le troisième jour qu'il est mort et que le monde est retombé dans son ornière. De bonne heure ce matin les femmes sont venues dire qu'il était vivant  et deux de nos camarades sont allés vérifier que la tombe était vide, mais lui, bien sûr, ils ne l'ont pas vu."

    Jésus mesurait leur tristesse. Il aurait dû en effet dormir longtemps avec les dieux dans les principes, mais il n'avait pas su s'y résoudre. Il avait refusé toutes les lois et toutes les raisons, il n'avait accepté que le retour à la source. La mort était une piètre révolution, ses inconsciences pouvaient bien rester souterraines, mais pas cette première fois qu'on a vu, dans l'eau, les nuées du ciel passer sur le monde. Jésus n'avait pas été jusqu'au boutiste, c'était contre son gré qu'il était allé si loin dans la malchance, mais elle l'avait ramené à un matin et il était pris d'une grande douceur en même temps que d'une 23. fièvre mal contenue. Il était attentif à un grain de poussière dans l'air, à une ombre d'odeur qui passe, mais il ne supportait plus guère la lenteur de marche des hommes et leurs ruminations lourdes. Il retrouvait sa promptitude de la mer de Tibériade, la nuit où ses apôtres avaient ramé contre le vent et qu'il avait marché sur les vagues et que la barque qu'il avait touchée  avait instantanément été rendue au rivage d'en face à travers la tempête. Ainsi se mit-il à traverser les Ecritures ; car il n'y a pas tant de choses écrites qu'on le croit, les gros livres ne sont rien ni les oeuvres complètes, mais seuls quelques récits, leur tremblante lumière sur nous, Abraham qui, couché à l'entrée de sa tente, va sombrer dans la sieste en regardant un petit nuage blanc errer au-dessus des sables... " C'était aujourd'hui, dit Jésus. D'ailleurs Abraham n'a pas d'autre fils que ce Nazaréen dont vous parliez. Ceux qui se disent juifs ne le sont pas, ils mentent. 

    Cléopas était désarçonné. " Il nous suffirait, dit-il, que vienne l'heure de Dieu. 24.

    - N'est-elle pas venue déjà ?

    - Mais à venir encore.

    - A quoi bon supputer les époques ? Chaque jour est aujourd'hui.

    (...)

    Ils arrivèrent à Emmaüs. Les deux disciples n'allaient que là, mais le messie en marche ne s'arrête pas à un bourg. Les deux hommes eurent peur. Ils auraient voulu demeurer à Emmaüs sans rompre la conversation. Ils retinrent l'inconnu, ils lui dirent qu'il n'y avait plus d'avenir, que le soleil commençait à redescendre : "Le brin d'herbe rallonge déjà sa mince ombre sur le sol ; les jeunes feuilles des trembles vont frémir jusqu'à la nuit. "

    Le messie voulut bien être las. Pourquoi refuser la sombre paix d'une auberge ?  25. Il s'assit entre ses compagnons. Il se taisait. On entendit le patron grommeler dans la cour. On voyait aller et venir, dans la salle, deux servantes, à moins que ce ne fût la même dont différaient les profils. La table se chargea de godets : olives, feuilles de thym, tiges d'oignon. Le messie se taisait toujours. On apporta le pain. Le messie le prit, le partagea et pâlit : il savait qu'on ne mange que pour la mort. A ce trouble les deux hommes le reconnurent. Mais au moment qu'ils le reconnaissaient, il n'était plus là. Chacun d'eux ne voyait plus que l'autre et la déception de l'autre. Alors ils réglèrent le repas à peine entamé et ils retournèrent vers la ville d'où ils étaient venus. En chemin ils s'aperçurent de ce qu'ils étaient quand Jésus était avec eux et ils redécouvrirent leur propre coeur. (...)

     

    Jean Grosjean - Le Messie - Gallimard 1974 

       

     

  • Jésus marchait sous les étoiles

    7. Jésus marchait sous les étoiles. Il ne se réhabituait à vivre qu'avec précaution. Il ne fréquentait encore que des tombes et son passage en réveillait les hôtes. Si insignifiants qu'ils aient été, ils avaient eu son expérience de naufrage. Ils se levaient prêts à lui faire escorte, mais il les congédiait gentiment, les laissant empotés dans leur résurrection. Beaucoup par une vieille habitude ou pour retrouver leur veuve et leur orphelin voulurent aller en ville, mais les portes étaient fermées et ces revenants qui pouvaient traverser les murs ne l'osaient pas. Ils gardaient dans des replis d'âme le respect de la matière et piétinaient désoeuvrés le long du rempart.

    Jésus errait sous des constellations qui n'avaient jamais tourné si lentement. Il 8. se rappela la nuit où il avait supplié son Dieu entre les oliviers et où les Romains l'avaient mené, les mains liées, chez le pape juif, les astres étaient plus pressés de changer de position. C'était l'ancien monde sans instant et maintenant l'instant était énorme. Il l'avait su dès qu'il s'était assis dans le sépulcre pour délier ses bandelettes. L'angoisse disparue lui avait laissé l' âme démobilisée. Il n'était sorti des ténèbres que pour rencontrer la nuit. Il avait enjambé les corps endormis des gardes que les criailleries juives avaient obtenues d'un colonial pleutre, mais il était délivré des hâtes. Il sentait que vivre n'avait été qu'une aventure raisonnable auprès de la hardiesse de revivre. Merveilleusement mal sûr, il s'égarait à tâtons dans la campagne. A peine si, à la longue, ses regards illuminèrent par-dessous les bribes de nuées qui traînaient dans le ciel. (...)

    Jean Grosjean - Le Messie - Gallimard 1974 

  • C'était le commencement de l'été

    Au temps de mes saisons dans le Sahara, j'ai fait la connaissance d'un Juif très pieux, sûrement mort depuis, car s'il vivait il aurait aujourd'hui cent trente ans. Il me parlait de sa petite enfance. Il était né sous la tente au milieu d'une nombreuse famille qui avait encore la structure primitive du clan. Il faut avoir vu ces tentes fabriquées avec des peaux de bêtes cousues, qui évoquent nos cirques ambulants ou ce qu'on appelle un "chapiteau", capables d'abriter pour la nuit ou la sieste deux ou trois cents personnes, toute une maisonnée patriarcale, avec en plus les chamelets et les poulains, les ânons et les agneaux, trop tendres pour supporter le poids du soleil ou les froidures de la nuit.

    Mon vieil ami me racontait que, tout enfant, il dormait dans le giron de sa grand-mère qui le réchauffait, le rassurait et, le jour, lui enseignait les rudiments. Le rabbin ne passait que de temps en temps pour circoncire les bébés mâles, bénir les mariages, pour rappeler les Dix Informations [les Dix Commandements ou les Dix Paroles, NDLR] dictées jadis sur le mont Sinaï et gravées par Moïse sur la pierre, pour affirmer à ces nomades perdus dans l'immense désert qu'ils faisaient bien partie de la race élue dont surgirait un jour le Messie. Une paix infinie régnerait alors dans les coeurs et parmi les peuples, le lion dormirait avec la gazelle sans lui faire de mal.

    Une nuit, le garçon fut réveillé par un irrépressible besoin de faire pipi. Il se dégagea doucement des bras de la vieille, souleva le bord de la tente, se glissa et se retrouva dehors. C'était le commencement de l'été, l'air était doux, le ciel illuminé de milliards d'étoiles qui, au désert, semblent à portée d'échelle. Les chevaux et les chameaux respiraient tranquillement. Cette paisible nature était si accueillante, avec une saveur de miel et de lait, pleine d'une promesse et d'un fruit déjà si mûr que le petit garçon fut frappé d'enthousiasme.

    L'espérance lui monta à la tête comme une fièvre brutale. Il retourna sous la tente, réveilla d'autorité sa grand-mère et lui dit à l'oreille : " Viens dehors ! C'est si beau ! Ne serait-ce pas cette nuit que le Messie va venir ? " Et la vieille irritée de répondre : " Oublie le Messie ! Apprends à compter ! "

    A la fin du récit, mon vieil ami pleurait. Il était de ces Juifs pieux et fidèles qui dépensent leur vie à espérer le Messie et qui  n'apprendront jamais à compter. Quand on en a rencontré un, on ne l'oublie jamais.

     

    R.L Bruckberger - " La Révélation de Jésus-Christ "- 1983