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sens de la vie

  • Année A - Troisème dimanche de Pâques

    Textes de la liturgie du jour : Ac 2, 14-28 - 1 P 1, 17-21 - Lc 24, 13-35

    Textes : P. Marie-Joseph Le Guillou, o.p.  -  L'Amour du Père révélé dans sa Parole, homélies année A - Ed : Parole et Silence, 1998

     

    125 Nous sommes tous semblables aux pèlerins d'Emmaüs. Nous rêvons tous et sans doute nous rêvons encore du triomphe d'un Messie qui se serait manifesté dans humilité et la souffrance mais qui serait glorieux, triomphant, nous entraînant dans son triomphe et nous faisant passer ainsi dans le mystère de Dieu. Oui, nous avons d'autant plus ce sens d'un Messie triomphant que notre image de Dieu nous paraît plus belle, plus grande, plus transcendante. Comment est-il possible que cela arrive ? Nous sommes déçus de ce qui se passe dans le monde et que nous attribuons au Seigneur. Alors, comme les disciples d'Emmaüs, " nous espérions qu'il serait le libérateur d'Israël ! Avec tout cela, voici le troisième jour qui passe depuis que c'est arrivé... lui, ils ne l'ont pas vu ". Nous sommes les pèlerins d'Emmaüs dans la mesure où nous ne reconnaissons pas le visage du Messie dans le visage du Ressuscité. En effet, il nous est nécessaire de reconnaître le visage du Seigneur qui bien sûr nous fera connaître la gloire. Mais le chemin par lequel il passe n'est pas du tout celui que nous aurions imaginé. Il en va de même pour chacune de nos vies. 

    Il faut que le Seigneur éclaire nos vies ; il faut qu'il vous éclaire en vous montrant et en vous découvrant combien vos cœurs sont lents à croire. Pour découvrir le visage du Seigneur, il n'y a qu'un moyen : écouter le Christ, le laisser lui-même nous expliquer les Écritures et nous montrer que la volonté du Père est que la réalisation de son dessein d'amour passe par la croix. " Ne fallait-il pas que le Messie souffrît pour entrer dans la gloire ? " C'est ce que nous avons du mal à comprendre. Cette formule signifie 126 qu'il s'agit bien du dessein de Dieu. Dieu lui-même à voulu que la manifestation de son amour se dévoile de cette façon. Nous aurions facilement imaginé une autre façon de sauver le monde ! Le Seigneur nous introduit par sa croix dans l'intelligence de sa Parole, dans l'intelligence du Mystère de Dieu et il nous y fait participer par l'Eucharistie.

    Laissons le Seigneur nous expliquer l’Écriture. Elle s'illumine à partir de la Résurrection et, si je puis m'exprimer ainsi, les évangiles sont à lire à l'envers, c'est-à-dire à partir de la Résurrection du Christ parce que c'est le lieu de la lumière, c'est le lieu de l'éclatement du mystère de Dieu. Plus classiquement, il faut lire les Écritures en partant de Moïse et des prophètes pour constater que tout conduit à Jésus-Christ, centre du monde, pivot du monde.

    L'heure essentielle de toute l'histoire du monde, c'est l'heure de la croix. Le visage du Seigneur se dévoile alors ; c'est le visage de celui qui est doux et humble de cœur, le visage de celui qui est venu sauver les hommes par son humilité, par sa pauvreté, et nous dévoiler sa présence incessante à son Père. Nous avons à écouter le Christ non pas tel que nous l'imaginons, non pas tel que nous le voudrions, mais tel qu'Il est.

    Nous le découvrons dans l'Eucharistie. Les disciples d'Emmaüs le reconnaissent à la façon dont il rompt le pain. Qu'est-ce que cela signifie pour nos vies ? Cela implique que nous soyons prêts à nous laisser transformer par le mystère de Dieu, par sa façon déconcertante de se révéler. Le Christ entre dans nos vies de façon déroutante. Nous voulons trop souvent construire nos propres vies. Mais Jésus Christ ne construit pas sa vie, c'est son Père qui la lui donne et nous n'avons pas à construire nos vies mais bien au contraire à laisser le Seigneur les construire. Il ne s'agit pas d'être passifs, il convient de faire tout ce qu'il faut, mais en même temps, il faut se laisser prendre 127 par le visage du Seigneur tel qu'il se dévoile dans les Écritures et dans les Évangiles.

    " Reste avec nous " disent les disciples d’Emmaüs. Pour cela, lisez-vous l’Évangile ?  Lisez-vous quelquefois un évangile d'un bout à l'autre sans vous arrêter pour vous entraîner à reconnaître le visage du Christ ? Passez-vous un temps de prière plus ou moins long pour rencontrer le Christ  ? Pensez-vous que l'Eucharistie soit cet acte par lequel le Christ nous fait entrer dans son propre mystère en nous dévoilant son visage et en nous faisant participer à la gloire de son Père ? Oui, Jésus-Christ nous fait participer au mystère de sa Résurrection. C'est pour cela, comme nous dit l'apôtre Pierre, que nous ne vivons pas comme des gens sans but, mais comme des gens dont le sens de la vie est éclairée, illuminé par le sang précieux du Christ, par l'Agneau sans défaut et sans tache, discerné dès avant la fondation du monde. Voyez comme tout est pris dans le mystère d'amour du Seigneur : tout est là !

    Dans l'Eucharistie, nous avons à découvrir que nous croyons en Dieu par le Christ dans l'Esprit Saint. Nous croyons que le Père a ressuscité Jésus d'entre les morts et qu' Il lui a donné la gloire. Cette gloire, nous la connaîtrons. Nous sommes pris dans un élan d'amour qui nous déborde de partout, qui nous dépasse. Le mystère du Seigneur est un mystère ineffable, étonnant, c'est un mystère qui devrait, à chaque instant nous émerveiller. Dieu est merveilleux : Il organise les choses infiniment mieux que nous les aurions imaginées, de tout autre façon. Le Seigneur fait irruption dans nos vies à sa manière qui lui est unique. Il nous connaît chacun par notre petit nom. Il nous connaît de l'intérieur et il guide, si nous nous laissons faire, chacun de nos pas.

    En ce jour où nous sommes avec les pèlerins d'Emmaüs, nous demanderons au Seigneur de découvrir le sens de nos vies à la lumière de Dieu, 128 dans l' Écriture et dans l'Eucharistie. Que nous ayons les yeux de notre cœur illuminés, alors nos yeux s'ouvriront et nous reconnaîtrons le Seigneur. Nous pourrons entrer dans le mystère de Dieu, non pas un petit moment, mais toute notre vie parce qu'il l'imprégnera. Nous sommes dans l'ordre lorsque nous sommes suspendus à Dieu, que nous tenons à Dieu et que nous le regardons. Laissons-nous faire et nous découvrirons le visage du Seigneur et celui de nos frères qu'il nous donne gratuitement pour que nous les aimions. Amen !

      

     

     

     

     

     

  • Règle de saint Benoît

    Comme je l'ai déjà noté, dès l'entrée en communauté, une ambiance nous saisissait, celle créée par une référence habituelle à la Sainte Règle, la Règle de saint Benoît. Et cette référence venait d'abord et naturellement du Père Abbé, Dom Chautard, dès le premier entretien avec lui, dès les premières auditions de ses allocutions au chapitre. Il ne présentait pas la Règle de saint Benoît comme un règlement de maison, mais comme le manuel fondamental de nos aspirations religieuses et des conditions de notre réussite, comme le livre où nous trouverions définitivement notre identité. En contrepartie, cette sainte Règle, inspiratrice de l'orientation de la communauté, conférait à tous, même aux plus novices, une dignité immédiate : celle de "chercheur de Dieu". Un jeune homme peut se faire moine "s'il cherche vraiment Dieu". Cette citation, tirée de la sainte Règle, je l'ai entendue de la bouche de Dom Chautard dès les premières heures de mon arrivée, et ensuite, un nombre incalculable de fois, mêlée à un nombre incalculable d'autres citations. Il citait d'ordinaire  le texte de la Règle en latin; et le latin de saint Benoît, en effet, abonde en formules qui décrivent, en trois ou quatre mots, une attitude spirituelle fondamentale et résolue. 

    Dom Chautard vivait, si j'ose dire, au cœur de la sainte Règle. Il se montrait, sincèrement, son serviteur et son admirateur, avant d'être, par fonction, son interprète. Aussi pour lui, comme pour nous ses fils, ce fut un digne couronnement de son enseignement et de ses exemples lorsque, en 1931, je crois, un moine, jeune encore, prieur de l'abbaye de Chimay, vint nous prêcher la retraite annuelle. Ce moine s'appelait Dom Godefroid Belorgey.

    A cette époque, les prédications se donnaient dans notre actuel scriptorium. Au milieu de la salle, il y avait une chaire surélevée de deux marches, et les religieux prenaient place devant cette chaire , sur des bancs disposés en travers, entre la chaire et le fond. Les prédicateurs aiment, paraît-il, avoir un auditoire bien rassemblé.

    Lorsque je vis, assis dans cette chaire, ce moine de belle prestance, noblement drapé dans une belle coule blanche, ce qui nous changeait des jésuites  en soutane noire que nous avions entendus les années précédentes, lorsque je le vis promener sur nous un regard tranquille et faire face à notre auditoire, avec la perspective de trois instructions par jour pendant une semaine, je devinai que quelque chose d'essentiel allait se passer. Et, en effet, il y en eut beaucoup plus et beaucoup mieux que tout ce que j'attendais. J'avais appris déjà que la Règle de saint Benoît est une source de doctrine spirituelle  ; et voilà qu'elle devenait un océan. 

    Il y avait, à cette époque, dans l'abbaye de Chimay, un véritable renouveau de la spiritualité enseignée par saint Benoît, et sous l'égide de l'Abbé, Dom Anselme Le Bail, ce renouveau s'exprimait dans une doctrine   et devenait ainsi communicable. Ce furent les thèmes et les consignes de cette doctrine que nous ont transmis, avec une conviction et un talent émouvants, le Prieur  de Chimay. 

    Je suppose qu'il dut commencer par commenter le texte qui, selon l'école de Chimay, donne la clef de toute la spiritualité bénédictine, cette première parole de Dieu à celui qui fut son premier ami en la terre, le patriarche Abraham : " Marche en ma présence, et tu seras parfait" ; c'est-à-dire : " Marche en ma présence", et tout est dit ; car dès 143. lors, tout se mettra en sa juste place, tout ira vers ton Bien  suprême : tes espoirs, tes désirs, tes actions; ta capacité d'aimer. Que Dom Belorgey était passionnant à écouter, et persuasif ! Quelle harmonie profonde entre son enseignement et ses aspirations monastiques de toujours !

    A l'issue de la conférence dans laquelle il avait expliqué le quatrième degré d'humilité, c'est-à-dire l'aridité dans l'oraison, sa signification, sa valeur d'épreuve et de grâce, et la nécessité de la persévérance, Dom Chautard attendit que le prédicateur eût quitté la salle, puis, se levant, il nous dit à tous d'une voix grave et pénétrée d'émotion : " Voilà ce que j'attendais depuis longtemps. Mes enfants, voilà ce qu'il faut retenir et pratiquer. Tout le sens de notre vie est là." Pareille approbation est unique dans la carrière de Dom Chautard. (...)

    Je ne puis exposer ici cet enseignement immense et attirant, mais je puis dire l'effet que j'en ressentis, en écoutant Dom Belorgey : la conviction et la joie de bénéficier d'une merveilleuse aubaine. Si la Règle de saint Benoît possède pareille plénitude, si elle enseigne cette spiritualité-là, celle que montrait Dom Belorgey, c'est pour moi une chance inestimable d'être instruit et guidé par elle. (...)

    Bien souvent, depuis, j'ai pu comparer, par des lectures, cette doctrine de saint Benoît avec d'autres doctrines spirituelles. Celles-ci présentent volontiers une prédominance psychologique : analyse du moi, de ma sensibilité, de mes égoïsmes et de mes conflits. Analyse culpabilisante. Pitié ! ne faisons pas de la vie intérieure un complexe de plus ! Cette psychologie ne fait pas avancer d'un pas vers notre grand Dieu. Nous avons bien plutôt besoin de regarder le chemin qui mène à Lui, et pour cela qu'on nous montre ce chemin. "En avant ! Allons, faites ce petit parcours, sous le regard de Dieu. Voilà, c'est bien ! Voyez comme c'est facile sous le regard de Dieu. Et voilà l'esprit de saint Benoît : faire du chemin vers Dieu et avec Dieu, du chemin, et encore du chemin. (...)

    (...) Une règle religieuse, qui prétend guider la vie spirituelle doit remplir plusieurs conditions : elle doit se fonder sur les Saintes Écritures; elle doit être ferme; elle doit conduire jusqu'au but; elle doit enfin avoir la garantie de l'expérience des anciens, et donc avoir, sans faillite, traversé les siècles. Ces conditions ne sont-elles pas remplies par la règle de saint Benoît ? Vraiment, aucune règle de vie ne m'aurait aussi profondément engagé et soutenu, cette règle telle qu'elle fut si efficacement expliquée par des maîtres comme Dom Chautard et Dom Belorgey.

     

    Père Jérôme, Écrits monastiques, Editions du Sarment, 2002 

  • le serpent, la pomme et la chute

    Quelle est l' origine du mal dans le monde ? Comment l'expliquer ?

    Nous rencontrons le mal quotidiennement en regardant le monde. La télévision nous montre des actes de terrorisme; nous y voyons meurtres, tyrannie et injustice.

    Mais il n'y a pas seulement le mal qui saute aux yeux et qui soit le fait de Hitler, Staline, Mao ou Pol Pot. Il existe aussi le mal dans sa banalité, au cœur du quotidien. Le mal existe dans les entreprises où l' on harcèle des hommes qui s'en trouvent épuisés psychiquement. Dans le voisinage, on ridiculise des hommes et on les catalogue; on trouve, chez des jeunes gens, la fascination du mal et leur fixation sur lui.

    Le phénomène du satanisme se ranime précisément en même temps et il se manifeste, par exemple, dans des formes avilissantes, agressives, fortement sexualisées et brutales d'une musique rock satanique. Quand des jeunes gens ne trouvent aucun sens à leur vie, ils voient souvent dans l'identification avec le mal l'unique issue. Parfois, ils désespèrent du bien. Ils s'identifient avec le mal, pour affirmer leur force et leur valeur. Mais avec le temps, une telle identification les rend malades. Cependant, il ne faut pas que nous considérions seulement le satanisme. C'est toute la société qui souffre de cette fascination du négatif. Les médias nous parlent essentiellement plus du mal que du bien. Manifestement, on s'intéresse davantage à ce qui détruit les repères de l'humain qu' à ce qui est riche de valeur et d'humanité.

    D' où vient le mal qui nous nargue de tant de manières ? La Bible tente de nous expliquer de façon imagée, avec l'histoire de la chute originelle, comment le mal vient dans le monde. Dieu a créé le monde bon. Pourquoi le mal existe-t-il ? La Bible nous parle du serpent qui séduit l'homme. Mais c'est une image qui ne répond pas à notre ultime question. Pourquoi et d'où vient le serpent ? Est-il envoyé par Dieu ? 

     Le mal demeure un mystère. Nous pouvons nous livrer à des réflexions rationnelles qui nous expliquent le mal. Mais finalement, nous ne pouvons pas le saisir. Selon une explication, l'homme est libre et il peut abuser de sa liberté. Avançons une autre explication: l'homme ne peut supporter de ne pas être comme Dieu. Il n'a pas voulu accepter d' être dépendant de Dieu. C'est une vexation narcissique de ne pas être lui-même Dieu. En conséquence, le mal vient dans le monde, parce que l'homme s'est pris pour Dieu ou pour une idole.

    La psychologie tente de donner une autre explication. Pour elle, le mal résulte d'une évolution manquée et d'un traitement déficient des blessures de la petite enfance. Le mal surgit, quand les besoins instinctifs, en réaction à des frustrations excessives, prennent des formes qui menacent la vie commune. Un enfant blessé transmet à d'autres ses blessures. Qui ne travaille pas sur ses blessures, réagit sur autrui.

    Parfois le mal est la haine du père, qui se retourne contre n'importe qui. Il peut être si destructeur qu'il cause la perte de tout un peuple, comme on l'a vu dans l'histoire de bien des tyrans.

    Toutes ces explications nous laissent pressentir quelque chose du mystère du mal. Mais il demeure rationnellement insoluble.

     

    Anselm Grün - Réponses aux grandes questions de la vie - DDB 2009 pp. 92-94