Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Traversées christiques - Page 28

  • paradoxes 04

    Toutes les formules, toutes les précautions d'orthodoxie, tous les scrupules de conformité littérale, toutes les barrières en un mot sont impuissantes à sauvergarder la pureté de la foi. Si l'esprit vient à manquer, le dogme n'est plus qu'un mythe et l'Eglise n'est plus qu'un parti.

     

    Henri de Lubac - Paradoxes - Cerf 2007

  • paradoxes 03

    C'est se flatter que de croire qu'en reniant le progrès de son siècle on s'assure l'héritage de tous les trésors des siècles anciens.

    Pour échapper aux vieilleries qui se donnent pour la tradition, nécessité de remonter au plus lointain passé, _ qui se révèlera le plus proche présent.

    Henri de Lubac - Paradoxes - Cerf 2007

  • paradoxes 02

    La foi est abandon. Le croyant n'a pas à s'encombrer de théories. Qu'il s'en serve, rien de mieux. S'il veut penser sa foi, les théories lui sont indispensables. Il les veut solides et vraies. Mais qu'il se garde d'y rester attaché, comme au bien propre de son intelligence. La foi doit participer au privilège de la charité : elle ne cherche point à prendre son objet, à l'accaparer ; elle s'écoule en lui.

    Henri de Lubac - Paradoxes - Oeuvres complètes XXXI - Cerf, 2007

  • Monté aux cieux

    [85]

    Après avoir confessé la résurrection du Christ, le Symbole de la foi poursuit avec ces mots : " Qui est monté aux cieux et siège à la droite du Père".

    Qu'entendons-nous par l'ascension du Christ au ciel ? Il est particulièrement important de nous arrêter sur le sens de ce terme que les détracteurs de la foi commentent sans scrupule : selon eux, les chrétiens ont conservé une vision primitive d'un ciel pour ainsi dire "physique", en quelque sorte un lieu dans l'univers où siège Dieu.

    En réalité, cette approche n'a rien de commun avec la signification et la perception chrétienne du mot "ciel". Evidemment, le terme a été emprunté à la symbolique courante, répandue dans toutes les cultures, et en ce sens il faut l'analyser par analogie avec des mots tels que "haut" et "bas", "large" ou "étroit" etc. Car lorsque nous disons d'une action qu'elle est "basse" ou que nous parlons d'un "haut fait" , il est évident que l'on ne parle pas de situation [86] spatiale, mais qu'il s'agit d'une estimation morale et spirituelle de ces actions.

    Ainsi le mot "ciel", dans le langage de presque tous les peuples, avait en plus de son sens "naturel", une signification symbolique, spirituelle : il renvoyait à quelque chose de grand, de pur, d'illimité. Dans ses représentations originelles du monde et du cosmos l'homme prenait ce symbole à la lettre. La cosmologie primitive divisait l'univers en trois parties : le ciel, la terre, l'enfer. Tout naturellement, ce qui était sain, divin, élevé se trouvait au ciel, tandis que ce qui était mauvais, coupable, terrifiant se situait en enfer.

    Dans notre expérience physique du monde, le ciel est un "élément" splendide, lumineux, éthéré. Mais cette cosmologie n'a aucun rapport avec le christianisme, comme l'attestent les paroles de l'apôtre Paul qui appelle les chrétiens à "penser à ce qui est dans les cieux et non pas à ce qui est terrestre", ou encore comme dans cette exclamation de saint Jean Chrysostome : "que me vaut le ciel puisque je deviens moi-même ciel ?"

    Ainsi, toute tentative pour accuser les chrétiens de primitivisme ou de superstition naïve et anti-scientifique dans leur usage du mot "ciel" est une démarche non seulement inadéquate, mais malhonnête.

    Or ce mot, ce symbole, a, sans aucun doute une signification capitale dans la foi chrétienne. Il suffit de se reporter au récit de la Genèse. La Bible s'ouvre sur ces mots : "Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre". Le ciel, pour les chrétiens, n'est pas un autre monde mais une réalité qui lui est inhérente : il est, en quelque sorte, sa dimension verticale, spirituelle. Le ciel représente la pureté, la grandeur : c'est ce que le christianisme appelle chez l'homme son esprit, son âme.

    Les incroyants, les matérialistes nient l'existence de toute réalité spirituelle ici-bas. Pour eux, tout s'explique en partant de la matière, de lois purement physiques, impersonnelles.

    Pour un croyant ce n'est pas la terre, la matière, qui permet de comprendre le ciel, mais inversement le ciel qui révèle la terre et ce qui est terrestre, et qui donne un sens à la vie. Selon la foi chrétienne, l'homme créé à "  l'image et à la ressemblance divine" est le réceptacle du ciel sur terre. Il a été doté de raison, possède une conscience : par conséquent, il a le pouvoir d'accéder à la connaissance et de discerner le bien. Il est pourvu d'un esprit, et a donc la possibilité de concevoir la beauté, la perfection. Mais l'homme dans sa liberté, peut se détacher de ce qui est[87] céleste en lui, et décider de vivre uniquement de ce qui est terrestre, ou pour parler en termes imagés, il peut abaisser son regard, diriger sa vision spirituelle et son coeur vers le bas. C'est cela que le christianisme appelle le péché, la chute.

    Le christianisme croit et affirme que le Christ est venu nous sauver précisément du péché, de cette chute, de cette rupture avec le ciel.

    Par sa venue dans le monde, par son "incarnation", le Christ nous a de nouveau révélé "le ciel sur la terre", une manière de vivre tournée vers le haut, vers Dieu, c'est-à-dire vers tout ce qui est pur, sublime, bon, vrai et beau, vers tout ce que l'homme avait rejeté dans sa volonté de réduire la vie aux seules réalités terrestres. Le Christ nous a fait découvrir le ciel, Il nous a indiqué que le sens de la vie doit être une élévation, une ascension, une force, une vérité. Il a rempli non seulement toute la terre de la perfection céleste, mais aussi l'enfer, pour reprendre la symbolique primitive.

    Le Christ est descendu sur terre. Il est descendu aussi dans la mort. Mais avec le Christ, en Lui, le ciel fut restitué à l'homme dans sa mort comme dans sa vie. Il lui fraya le chemin de la victoire sur tout ce qui est uniquement terrestre et qui devait s'achever  sur les ténèbres désespérantes de la mort. Ayant tout accompli, le Christ "est monté aux cieux". Cela signifie que dans le Christ l'homme est associé à la vérité céleste : il retourne vers Dieu, vers la connaissance de Dieu, vers l'unique et véritable vie éternelle. Chaque fois que nous affirmons dans le Symbole de la foi qu'   "Il est monté aux cieux" nous parlons non seulement du Christ mais aussi de nous-mêmes. Si nous croyons en Christ, si nous sommes avec Lui, alors nous aussi nous sommes au ciel, ou du moins, notre foi, notre esprit, notre amour sont dirigés vers le ciel, vers le Christ, vers Dieu. Nous percevons le ciel comme notre vie véritable et dès lors notre vie terrestre devient riche de sens, se remplit de joie car en Christ elle s'est élevée et s'est transformée en une ascension. 

    Alexandre Schmemann - Vous tous qui avez soif - YMCA Press/F.X. de Guibert 2005.   

  • DSK et mes jeunes par le P. Guy Gilbert

     

    DSK et mes jeunes

    Mes jeunes connaissent arrestations, menottes et paniers à salades.

    Très jeunes ils y sont habitués. C’est parfois très valorisant pour eux, surtout quand leur

    interpellation est publique et se fait dans leurs quartiers.

    J’ai toujours eu une tendresse instinctive pour les puissants de la terre, qui chutent.

    Passer des palaces et des ors à un commissariat menottes aux poignets, dans le cas de

    DSK, c’est l’opprobre mondial, une honte planétaire.

    Quoi qu’il ait fait, je pense à ce qu’il représente pour sa famille, son parti et sa vie de

    responsable. C’est une grande souffrance.

    Comment peut-on afficher ainsi le visage de celui qui est d’abord «présumé innocent» ?

    C’est le système de communication américain. Et il est putride.

    Rien d’autre à ajouter.

    Les medias pourront en rajouter à l’infini.

    Notre solidarité pour la victime, s’il y en a une, est notre priorité absolue.

    Pour celui qui est tombé dans l’abîme, la seule réponse d’un chrétien est la prière et la

    méditation de cette phrase :

    « On est toujours plus grand que ses fautes ».

     

    Guy Gilbert

     

  • La Foi est-elle une morale ?

    [90]

    La foi est-elle une morale ? Cette question surgit en nous à la vue d'un double phénomène :

    a) D'abord ce que nous avons provisoirement appelé l'ère "post-chrétienne". Pendant vingt siècles, dans une bonne partie du monde, la diffusion de l' Évangile et l'implantation de l'Eglise ont fini par imprégner la conscience humaine, jusqu'à l'accoutumer à des réactions dont on peut dire, pour certaines d'entre elles du moins (goût de la liberté, sens de l'homme), qu'elles sont entrées dans les mœurs ; ce, nonobstant les nombreux accrocs que l'on peut constater, y compris dans l'Eglise; Or, ainsi que nous l'avons dit, cette éducation morale s'avère ne pas correspondre à une éducation théologale ; bien plus : la réussite éthique de l'évangélisation semble tourner parfois en obstacle à l'Evangile, c'est-à-dire à la conversion effective. Un fleuve puissant a déposé de bienfaisantes alluvions pendant deux millénaires, et voilà que le cours de ses eaux s'en trouve détourné.

    b) Ensuite, l'aveu d'un moralisme, qui sévit jusqu'à l'intérieur de l'Eglise. Il est clair que nous reprochons vivement aux éducateurs qui nous ont précédés d'avoir, en guise de christianisme, enseigné une pure morale, affreusement individuelle de surcroît, avec le culte pharisien de la bonne conscience. Un culte plus une morale étriquée, c'est cette religion stérile que Gaudium et spes (43 § 1) stigmatise chez certains fidèles... Depuis, nous avons réagi vivement ; mais les plus lucides savent bien que le coup de barre bénéfique donné en direction du social, loin de liquider le moralisme en question, l'a simplement fait changer de terrain et d'échelle : l'altruisme ne suffit pas à rendre l'homme théologal. Et le regain d'affection pour l'Ecriture laisse entier le problème de son utilisation : que demande-t-on au texte ? La conversion au Royaume à vie perdue, ou bien la solution immédiate du cas de conscience, à moins que ce ne soit la bénédiction de la solution déjà adoptée ? La généralisation de l'homélie, alliée au désir très légitime de coller au réel, fait de cette question un tourment hebdomadaire pour le prêtre : peut-on demander à l'Evangile du prêt-à-porter moral ? S'y trouve t-il une éthique sociale, opposable aux autres projets humains, en particulier une "politique" ? ... Toutes choses qui appellent une clarification.

    1. Le christianisme n'est pas d'abord une morale

    Cela, pour plusieurs raisons :

    A) La Parole de Dieu interpelle l'homme non pas au simple niveau de son agir, mais au plus profond de son "cœur", véritable enjeu du Royaume.

    Même si elle déclenche un "Que nous faut-il faire ?" (Lc 3,10) qui inverse la pente d'une vie pécheresse, la prédication exige avant tout une prise de position envers Jésus-Christ lui-même (Mt 16,15). Il en résulte non pas tant des devoirs particuliers qu'une disponibilité inconditionnelle à se laisser mener par un Autre (Jn 21,18), parce qu'il a aimé le premier (1 Jn 4,19) et s'est livré pour nous (Gal 2,10). Pour cette raison, le croyant se trouve d'abord comme Paul sur le chemin de Damas, immobilisé dans l'écoute   de son Seigneur, avant d'être propulsé sur les chemins du service. Il y a, à la racine de l'attitude chrétienne, une situation silencieusement auditive, en présence d'un Evénement sur l'échéance duquel nul n'a de prise, et qui atteint l'homme dans le sanctuaire même de sa liberté. La chose  est claire pour les apôtres, dont la foi, nous l'avons vu, demeure normative pour toute l'Eglise : le Christ ne leur présente pas d'abord une profession bien définie, avec des activités prospectivement établies et moralement réglées : il leur demande de Le suivre, de marcher avec Lui. Ce faisant, il réclame pour Lui ce qui est le propre de Dieu lui-même : émettre une Parole seigneuriale qui peut exiger de l'homme la remise de cette chose unique : sa vie. Il faudra assurer la permanence de cet événement.

    B) La foi intime bien une obéissance, mais celle-ci n'est pas d'abord d'ordre moral. [92]

    L'obéir qui découle de l'ouïr ne se confond pas avec aucun des préceptes particuliers de notre vie chrétienne : il en transcende la série. C'est pour ne l'avoir pas aperçu que bien des croyants posent incessamment le faux problème bien connu : " est-ce qu'on s'engage pour Dieu, ou bien pour les autres ?"  Comme si "la foi qui opère par la charité" (Gal 5,6) faisait nombre avec nos motivations morales ; comme si l'amour de Dieu et l'amour du prochain se juxtaposaient et se limitaient mutuellement, au point de nous forcer à choisir entre eux deux. Non : la charité est une plénitude englobante (Rom 13, 8-10). D'ailleurs, à y regarder de plus près, on s'aperçoit que l'obéissance de la foi est moins l'asservissement à une loi que la liberté envers toute loi : le croyant accepte la coulée brûlante de l'Esprit au creux de son cœur (Rom 5,5) , et c'est cette brûlure qui va provoquer en lui l'exigence, bien au-delà de toutes les codifications étriquées. On n'a jamais fini d'aimer. Il serait désastreux de s'éprendre de l'Evangile en l'interprétant comme un Ancien Testament, comme si le Christ, au lieu de nous libérer de la loi, en avait refondu une nouvelle édition revue et corrigée.

    C) Le chrétien se caractérise par la vie dans l'Esprit, non par la vie morale.

    La différence est de taille. La vie morale s'interroge sur le bien et le mal. La vie spirituelle, considérant le précepte comme une simple limite par en-bas, comme une cote d'alerte signalant un danger dans l'amour, comme un seuil au-delà duquel la charité se trouve certainement entamée, s'avance bien au-dessus de ce "minimum vital", qui est plutôt une frontière de mort. Elle progresse dès lors dans une région où n'existe pas de viabilité, et où elle doit, parmi les multiples possibilités de bien faire, se tracer le chemin rigoureusement inédit où il plaît à Dieu de la voir marcher en sa présence. Deux vies, deux esprits : la morale veut "bien faire" ; la vie spirituelle cherche à "plaire à Dieu" (Rom 12,1 sv), ce qui est précisément le sacerdoce baptismal. [93]

    Une comparaison peut aider à comprendre : pour faire une pièce musicale, une fugue par exemple, il faut commencer par étudier un traité de composition, et choisir une tonalité ; pourtant, en ré majeur, et en respectant l'art de la fugue, je puis imaginer des milliers de possibilités ; le chef-d'oeuvre relève, par-delà toute technique et toute correction, de l'inspiration personnelle survenant à un moment donné et par laquelle on se laisse prendre. C'est très exactement cela, la vie spirituelle : non pas contre la morale, mais au-delà. Comme l'a écrit magnifiquement le père G. Duvoisin : " La consécration de soi-même à l'oeuvre du Royaume est... une démission de soi ; elle exprime le passage qui s'accomplit d'une vie à dominante morale à une vie spirituelle : on n'est pas seulement soucieux de bien agir et d'être dévoué à la tâche, dans une action dont on demeure finalement le maître, mais on reçoit cette action du Seigneur, par son Esprit, dans son Eglise, à travers les hommes et les événements intérieurs et extérieurs : comme à la fois ce qui nous configure davantage au Verbe incarné, et nous met plus totalement et efficacement au service de l'Eglise." Tout y est. 

                                                                

    André Manaranche - Je crois en Jésus-Christ aujourd'hui -Seuil, 1968  

  • Un coeur nouveau

     A l'occasion de la béatification de Jean-Paul II, je mets en ligne cette belle homélie donnée à Paray-le-Monial, petite ville de Bourgogne où le Christ a révélé les trésors de son Coeur à sainte-Marguerite-Marie. Jean-Paul II effectuait une étape dans un pèlerinage qui l'avait conduit à Lyon, Taizé, Paray, Ars.

     

     

    " Je vous donnerai un coeur nouveau..." (Ez 36,26)

    1. Nous nous trouvons en un lieu où ces paroles du prophète Ezéchiel retentissent avec force. Elles ont été confirmées ici par une servante pauvre et cachée du Coeur divin de Notre Seigneur : sainte Marguerite-Marie. Bien des fois, au cours de l'histoire, la vérité de cette promesse a été confirmée par la Révélation, dans l'Eglise, à travers l'expérience des saints, des mystiques, des âmes consacrées à Dieu. Toute l'histoire de la spiritualité chrétienne en témoigne : la vie de l'homme croyant en Dieu, tendu vers l'avenir par l'espérance, appelé à la communion de l'amour, cette vie est celle de l'homme "intérieur". Elle est illuminée par la vérité admirable du Coeur de Jésus qui s'offre lui-même pour le monde.

    Pourquoi la vérité sur le Coeur de Jésus nous a-t-elle été confirmée singulièrement ici, au XVII e siècle, comme au seuil des temps modernes ?

    Je suis heureux de méditer ce message en terre de Bourgogne, terre de sainteté, marqué par Cîteaux et Cluny, où l'Evangile a modelé la vie et l'oeuvre des hommes.

    Je suis heureux de redire le message de Dieu riche en miséricorde dans le diocèse d'Autun qui m'accueille. Je salue cordialement Monseigneur Armand le Bourgeois, pasteur de cette Eglise, et son auxiliaire Monseigneur Maurice Gaidon. Je salue les représentants des Autorités civiles, locales et régionales. Je salue tout le peuple de Dieu ici rassemblé, les travailleurs de la terre et ceux de l'industrie, les familles, en particulier les associations qui animent leur vie chrétienne, les séminaristes qui commencent leur marche vers le sacerdoce, les pèlerins du Sacré-Coeur, notamment la Communauté de l'Emmanuel très attachée à ce lieu, ainsi que tous ceux qui viennent ici affermir leur foi, leur esprit de prière et leur sens de l'Eglise, dans les sessions d'été ou d'autres démarches communautaires.

    Et je voudrais être proche aussi de toutes les personnes qui, grâce à la télévision, suivent dans leur foyer cette célébration.

    2. " Je vous donnerai un coeur" : Dieu nous le dit par le prophète. Et le sens s'éclaire par le contexte. "Je verserai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés" (Ez, 36,25). Oui, Dieu purifie le coeur humain. Le coeur, créé pour être le foyer de l'amour, est devenu le foyer central du refus de Dieu, du péché de l'homme qui se détourne de Dieu pour s'attacher à toutes sortes d'idoles. C'est alors que le coeur est "impur". Mais quand le même lieu intérieur de l'homme s'ouvre à Dieu, il retrouve la "pureté" de l'image et de la ressemblance imprimées en lui par le Créateur depuis le commencement. 

    Le coeur, c'est aussi le foyer central de la conversion que Dieu désire de la part de l'homme et pour l'homme, pour entrer dans son intimité, dans son amour. Dieu a créé l'homme pour qu'il ne soit ni indifférent, ni froid, mais ouvert à Dieu. Comme elles sont belles les paroles du prophète : "J'enlèverai votre coeur de pierre, et je vous donnerai un coeur de chair" (Ez 36,26) ! Le coeur de chair, un coeur qui a une sensibilité humaine et un coeur capable de se laisser saisir par le souffle de l'Esprit Saint.

    C'est là ce que dit Ezéchiel : " Je vous donnerai un coeur nouveau, je  mettrai en vous un esprit nouveau...mon esprit" (Ez 36,26-27)

    Frères et Soeurs, que chacun d'entre nous se laisse purifier et convertir par l'Esprit du Seigneur ! Que chacun d'entre nous trouve en lui une inspiration pour sa vie, une lumière pour son avenir, une clarté pour purifier ses désirs !

    Aujourd'hui, je voudrais annoncer particulièrement aux familles la bonne nouvelle du don admirable : Dieu donne la pureté du coeur, Dieu permet de vivre un amour vrai ! 

    3. Les paroles du prophète préfiguraient la profondeur de l'expérience évangélique. Le salut à venir est déjà présent.

    Mais comment l'Esprit viendra-t-il dans le coeur des hommes ? Quelle sera la transformation  tant désirée par le Dieu d'Israël.

    Ce sera l'oeuvre de Jésus-Christ : le Fils éternel que Dieu n'a pas épargné, mais qu'il a donné pour nous tous, pour nous donner toute grâce avec lui (cf. Rm 8,32), pour nous offrir tout avec lui !

    Ce sera l'oeuvre étonnante de Jésus. Pour qu'elle soit révélée, il faudra attendre jusqu'à la fin, jusqu'à sa mort sur la Croix. Et lorsque le Christ "a remis" son esprit entre les mains du Père (cf. Lc 23,46), alors se produit cet événement : " Des soldats vinrent...ils vinrent à Jésus et voyant qu'il était déjà mort...un des soldats avec sa lance lui perça le côté, et aussitôt il en sortit du sang et de l'eau" (Jn 19,32-34).

    L'événement paraît "ordinaire". Sur le Golgotha, c'est le dernier geste dans une exécution romaine : la constatation de la mort du condamné. Oui, il est mort, il est réellement mort ! 

    Et dans sa mort, il s'est révélé lui-même jusqu'au bout. Le coeur transpercé est son ultime témoignage. Jean, l'Apôtre qui se tenait au pied de la Croix, l'a compris ; au cours des siècles, les disciples du Christ et les maîtres de la foi l'ont compris. Au XVII ème siècle, une religieuse de la Visitation a reçu de nouveau ce témoignage à Paray-le-Monial ; Marguerite-Marie le transmet à toute l'Eglise au seuil des temps modernes. 

    Par le Coeur de son Fils, transpercé sur la Croix, le Père nous a donné tout, gratuitement. L'Eglise et le monde reçoivent le Consolateur : l'Esprit Saint. Jésus avait dit : " Si je pars, je vous l'enverrai". Son coeur transpercé témoigne qu'il est parti. Il envoie désormais l'Esprit de vérité. L'eau qui coule de son côté transpercé est le signe de l'Esprit Saint : Jésus avait annoncé à Nicodème la nouvelle naissance "de l'eau et de l'Esprit". Les paroles du prophète Ezéchiel s'accomplissent : " Je vous donnerai un coeur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau." 

    4. Sainte Marguerite-Marie a connu ce mystère admirable, le mystère bouleversant de l'Amour divin. Elle a connu toute la profondeur des paroles d'Ezéchiel : " Je vous donnerai un coeur".

    Tout au long de sa vie cachée dans le Christ, elle fut marquée par le don de ce Coeur qui s'offre sans limite à tous les coeurs humains. Elle était saisie tout entière par ce mystère divin, comme l'exprime l'admirable prière du psaume de ce jour : 

    "Bénis le Seigneur, ô mon âme, bénis son nom très saint, tout mon être !" 

    "Tout mon être", c'est-à-dire "tout mon coeur" ! 

    Bénis le Seigneur !... N'oublie aucun de ses bienfaits ! Il pardonne. Il guérit. Il "réclame ta vie à la tombe". Il "te couronne d'amour et de tendresse".

    Il est bon et plein d'amour. Lent à la colère. Plein d'amour : d'amour miséricordieux, Lui qui se souvient "de quoi nous sommes pétris";

    Lui. Vraiment lui, le Christ.

    5. Toute sa vie, sainte Marguerite-Marie brûlait de la flamme vive de cet amour que le Christ est venu allumer dans l'histoire de l'homme.

    Ici, en ce lieu de Paray-le-Monial, comme jadis l'Apôtre Paul, l'humble servante de Dieu semblait crier au monde entier : "Qui pourra nous séparer de l'amour du Christ ?"

    Paul s'adressait à la première génération des chrétiens. Ils savaient ce que sont "la détresse, l'angoisse, la persécution, la faim, et même la nudité" (dans les arènes, sous les dents des bêtes), ils savaient ce que sont le péril et le glaive !

    Au XVII ème siècle, la même question retentit, posée par Marguerite-Marie aux chrétiens d'alors, à Paray-le-Monial. 

    En notre temps, la même question retentit, adressée à chacun de nous. A chacun en particulier, quand il regarde son expérience de la vie familiale. 

    Qui brise les liens de l'amour ? Qui éteint l'amour qui embrase les foyers ?

    6. Nous le savons, les familles de ce temps connaissent trop souvent l'épreuve et la rupture. Trop de couples se préparent mal au mariage. Trop de couples se désunissent, et ne savent pas garder la fidélité promise, accepter l'autre tel qu'il est, l'aimer malgré ses limites et sa faiblesse. Alors trop d'enfants sont privés de l'appui équilibré qu'ils devraient trouver dans l'harmonie complémentaire de leurs parents.

    Et aussi, quelles contradictions à la vérité humaine de l'amour, lorsqu'on refuse de donner la vie de manière responsable, et lorsque l'on en vient à faire mourir l'enfant déjà concu ! 

    Ce sont là les signes d'une véritable maladie qui atteint les personnes, les couples, les enfants, la société elle-même !

    Les conditions économiques, les influences de la société, les incertitudes de l'avenir, sont invoquées pour expliquer les altérations de l'institution familiale. Elles pèsent, certes, et il faut y remédier. Mais cela ne peut justifier que l'on renonce à un bien fondamental, celui de l'unité stable de la famille dans la libre et belle responsabilité de ceux qui engagent leur amour avec l'appui de la fidélité inlassable du Créateur et du Sauveur.   

     N'a-t-on pas trop souvent réduit l'amour aux vertiges du désir individuel ou à la précarité des sentiments ? De ce fait, ne s'est-on pas éloigné du vrai bonheur qui se trouve dans le don de soi sans réserve et dans ce que le Concile appelle "le noble ministère de la vie" ? Ne faut-il pas dire clairement que se rechercher soi-même par égoïsme plutôt que chercher le bien de l'autre, cela se nomme le péché ? Et c'est offenser le Créateur, source de tout amour, et le Christ Sauveur qui a offert son coeur blessé pour que ses frères retrouvent leur vocation d'êtres qui engagent librement leur amour.

    Oui, la question essentielle est toujours la même.

    Le danger est toujours le même : que l'homme soit séparé de l'amour !

    L'homme déraciné du terrain le plus profond de son existence spirituelle. L'homme condamné à avoir de nouveau un "coeur de pierre". Privé du  "coeur de chair" qui soit capable de réagir avec justesse au bien et au mal. Le coeur sensible à la vérité de l'homme et à la vérité de Dieu. Le coeur capable d'accueillir le souffle de l' Esprit Saint. Le coeur rendu fort par la force de Dieu. Les problèmes essentiels de l'homme - hier, aujourd'hui, demain - se situent à ce niveau. Celui qui dit : "je vous donnerai un coeur" veut mettre dans ce mot tout ce par quoi l'homme "devient plus". 

    7.  Le témoignage de beaucoup de familles montre assez que les vertus de la fidélité rendent heureux, que la générosité des conjoints l'un pour l'autre et ensemble vis-à-vis de leurs enfants est une vraie source de bonheur. L'effort de maîtrise de soi, le dépassement des limites de chacun, la persévérance aux divers moments de l'existence, tout cela conduit à unépanouissement dont on peut rendre grâce.

    Alors il devient possible de porter l'épreuve qui survient, de savoir pardonner une offense, d'accueillir un enfant qui souffre, d'illuminer la vie de l'autre, même faible ou diminué, par la beuté de l'amour.

    Aussi voudrais-je demander aux Pasteurs et aux animateurs qui aident les familles à s'orienter, de leur présenter clairement l'appui positif que constitue pour elles l'enseignement moral de l'Eglise. Dans la situation confuse et contradictoire d'aujourd'hui, il faut reprendre l'analyse et les règles de vie qui ont été exposées particulièrement dans l'exhortation apostolique Familiaris Consortio, à  la suite du Synode des Evêques, en exprimant l'ensemble de la doctrine du Consile et du magistère pontifical.

    Le Concile Vatican II rappelait que "la loi divine manifeste la pleine signification de l'amour conjugal, elle le protège et le conduit à son achèvement vraiment humain."

    8. Oui, grâce au sacrement du mariage, dans l'Alliance avec la Sagesse divine, dans l'Alliance avec l'amour infini du Coeur du Christ, familles il vous est donné de développer en chacun de vos membresla richesse de la personne humaine, sa vocation à l'amour de Dieu et des hommes.

    Sachez accueillir la présence du Coeur du Christ en lui confiant votre foyer. Qu'il inspire votre générosité, votre fidélité au sacrement où votre alliance a été scellée devant Dieu ! Et que la charité du Christ vous aide à accueillir et à aider vos frères et soeurs blessés par les ruptures, laissés seuls ; votre témoignage fraternel leur fera mieux découvrir que le Seigneur ne cesse d'aimer ceux qui souffrent.

    Animés par la foi qui vous a été transmise, sachez éveiller vos enfants au message de l'Evangile et à leur rôle d'artisans de  justice et de paix. Donnez-leur d'entrer activement dans la vie de l'Eglise. Ne vous déchargez pas sur d'autres, coopérez avec les Pasteurs et les autres éducateurs dans la formation à la foi, dans les oeuvre de solidarité fraternelle, l'animation de la communauté. Dans votre vie de foyer, donnez franchement sa place au Seigneur, priez ensemble. Soyez fidèles à l'écoute de la Parole de Dieu, aux sacrements et d'abord à la communion au Corps du Christ livré pour nous. Participez régulièrement à la messe dominicale, c'est le rassemblement nécessaire des chrétiens en Eglise : là, vous rendez grâce pour votre amour conjugal lié "à la charité du Christ se donnant lui-même sur la Croix"   ; vous offrez même vos peines avec son Sacrifice ; chacun, conscient d'être pécheur, intercède  aussi pour ceux de ses frères qui, de bien des manières, s'éloignent de leur vocation et renoncent à accomplir la volonté d'amour du Père ; vous recevez de sa miséricorde la purification et la force de pardonner vous-mêmes ; vous affermissez votre espérance ; vous marquez votre communion fraternelle en la fondant sur la communion eucharistique.  

    9. Avec Paul de Tarse, avec Marguerite-Marie, nous proclamons la même certitude : ni la mort ni la vie, ni le présent ni l'avenir, ni les puissances, ni aucune créature, rie ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu qui est en Jésus-Christ. 

    J'en ai la certitude...rien ne pourra.... jamais ! 

    Aujourd'hui, nous nous trouvons en ce lieu de Paray-le-Monial pour renouveler en nous-mêmes cette certitude : "Je vous donnerai un coeur..."

    Devant le Coeur ouvert du Christ, nous cherchons à puiser en lui l'amour vrai dont nos familles ont besoin. 

    La cellule familiale est fondamentale pour édifier la civilisation de l'amour. 

    Partout, dans la société, dans nos villages, dans nos quartiers, dans nos usines et nos bureaux, dans nos rencontres entre peuples et races,  le  "coeur de pierre", le coeur desséché, doit se changer en "coeur de chair", ouvert aux frères, ouvert à Dieu. Il y va de la paix. Il y va  de la survie de l'humanité. cela dépasse nos forces. C'est un don de Dieu. Un don de son amour. 

    Nous avons la certitude de son amour !

                                                                    Jean-Paul II  

     

     

     

      

  • Le Christ est ressuscité

    [195]

    La nuit de Pâques, après avoir fait en procession le tour de l'église, nous nous arrêtons devant les portes fermées : c'est là le tout dernier instant de silence avant la grande explosion de joie pascale. A ce moment-là, surgit toujours, consciemment ou inconsciemment, au fond de nous-mêmes, cette question que se posèrent aussi, selon le récit évangélique, les femmes myrrhophores, lorsqu'elles arrivèrent de grand matin au tombeau, alors que le "soleil s'était à peine levé" : "Qui nous roulera la pierre du tombeau ?". Et nous nous demandons toujours : le miracle aura-t-il lieu encore une fois ? La nuit deviendra t-elle , de nouveau, plus lumineuse que le jour ? Serons-nous encore envahis par cette joie inexplicable et affranchie de tout événement de ce monde, qui, durant toute cette célébration et les jours suivants, va résonner dans cet échange d'acclamations pascales : " Le Christ est ressuscité ! - En vérité, Il est ressuscité !"

    Cette minute arrive toujours... les portes s'ouvrent et nous pénétrons dans l'église baignée de lumière. Nous entrons dans ces mâtines pascales, débordantes d'allégresse. Mais dans notre âme demeure cette question : quel est le sens de tout cela ?  Que veut dire fêter Pâques en ce monde empli de  souffrance, de haine, de mesquinerie, de guerres ? Que signifie chanter : " Par la mort, Il a vaincu la mort " ? ou encore entendre ces paroles : " Il n'y a plus un seul mort dans les tombeaux", alors que la mort reste toujours, en dépit de toute la vaine agitation de ce monde, la seule certitude absolue sur la terre. Est-il possible que cette lumineuse nuit de Pâques, toute cette jubilation ne soient qu'une évasion éphémère du réel, un moment d'ivresse spirituelle, et que l'on retrouve ensuite, tôt ou tard, la grisaille de la vie, des réalités quotidiennes, avec toujours le même décompte des jours, des mois, des années qui filent inexorablement en se hâtant vers la mort et le néant ? Depuis longtemps on nous répète que la religion est leurre, opium, [196] invention pour aider l'homme dans sa pénible existence et qu'elle finit par se dissiper. Ne serait-il donc pas plus courageux, plus digne, pour lui, de renoncer à ce mirage, d'accepter la réalité simple et sensée ?

    Une première réponse approximative à toutes ces interrogations serait, probablement, la suivante : il n'est pas possible que tout cela ne soit qu'une simple invention ; ni qu'une telle foi, une telle joie lumineuse - depuis deux mille ans - ne soient qu'un délire, un mirage. Une telle illusion aurait-elle pu durer des siècles ? Cette réplique, certes, a du poids, mais n'est pas encore déterminante. Il faut avouer, en toute honnêteté, qu'il ne peut y avoir de réponse catégorique qui définisse ce qu'est la foi pascale, et qui puisse être énoncée sous la forme d'une démonstration scientifique. Chacun de nous ne peut, en l'espèce, que témoigner de l'expérience personnelle qu'il a lui-même vécue.  

    Lorsqu'on approfondit cette expérience réelle, on découvre soudain les fondements de tout l'édifice : on est ébloui par une lumière aveuglante qui véritablement fait fondre, comme la cire au feu, toutes les questions et les doutes. Quelle est donc cette expérience ? Je ne peux la décrire et la formuler que comme une rencontre avec le Christ vivant. Je crois en Christ, non pas, parce qu'il m'a été donné, une fois l'an, depuis ma tendre enfance, de participer à la célébration pascale, mais parce que ma propre foi est née d'une expérience du Christ vivant : c'est pourquoi Pâques peut exister, et, de même, cette incomparable nuit pascale peut enfin être remplie de lumière et de joie. C'est pour cette raison, aussi, que l'acclamation : "Le Christ est ressuscité ! En vérité Il est ressuscité !" retentie avec autant de force.

    Quand et comment est née ma foi ? Je l'ignore et ne m'en souviens pas. Je sais seulement que chaque fois que j'ouvre l'Evangile, que je lis des versets sur le Christ, entends Ses propres paroles, Son enseignement, je répète intérieurement, avec tout mon être et tout mon cœur, ce que dirent  ces gardes envoyés par les pharisiens pour l'arrêter, et qui étaient revenus sans l'avoir fait : " Jamais homme n'a parlé comme cet homme". Ainsi, ce dont je suis convaincu, en premier lieu, c'est que l'enseignement du Christ est vivant et que rien au monde ne peut lui être comparé. Cet enseignement parle du Christ, de la vie éternelle, de la victoire sur la mort, de l'amour qui est plus fort que la mort : or je sais que, dans [197] cette vie où tout paraît si difficile, si triste, la seule chose qui ne trompe jamais, qui ne nous abandonne jamais, c'est ce sentiment profond que le Christ est avec nous, avec moi. " Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviendrai vers vous ". Il revient : on sent qu'Il se tient là, dans la prière, dans un frémissement de l'âme, dans cette joie incompréhensible et pourtant si vivante, dans cette présence mystérieuse mais tellement perceptible, à travers les offices et les sacrements. Cette expérience vivante, cette connaissance et cette évidence grandissent sans cesse : le Christ est là, Sa parole se réalise. "Je serai avec celui qui m'aime... et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure." Dans la joie, dans la peine, au milieu de la foule ou dans la solitude, nous avons la certitude  de sa présence, nous ressentons la force de Sa parole, la joie que nous procure la foi en Lui.

    C'est là, la seule réponse possible, la seule preuve. "Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui vit ? Pourquoi pleurez-vous sur la tombe du Seigneur immortel ?" (...) Car Pâques n'est pas la commémoration d'un événement passé, mais une rencontre réelle, dans la joie et le bonheur, avec Celui en qui notre cœur a reconnu depuis longtemps la vie et la lumière du monde.

    La nuit pascale témoigne que le Christ est vivant parmi nous et que nous vivons avec Lui. Elle est un appel à voir, dans le monde et dans notre existence, l'aube du jour mystérieux de Son Royaume [198] lumineux. "Aujourd'hui le printemps embaume, chante l'Eglise, et la nouvelle création est en liesse..." Elle exulte dans la foi, l'amour et l'espérance. "C'est le jour de la Résurrection, rayonnons en cette solennité, embrassons-nous les uns les autres, appelons-nous frères ! Pardonnons à ceux qui nous haïssent à cause de la résurrection, afin de pouvoir chanter : le Christ est ressuscité des morts ; par la mort Il a vaincu la mort ; à ceux qui sont dans les tombeaux Il a donné la vie !"

    Le Christ est ressuscité !

    Alexandre Schmemann - Vous tous qui avez soif -  Ed. Oeil/ YMCA-PRESS, Paris 2005.

    Le père Alexandre Schmemann (1921-1983) fut un homme d'Eglise d'une envergure exceptionnelle, à la fois missionnaire, historien, théologien et prédicateur. formé à l'Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge de Paris, il dirigea, à New-York, le Séminaire Saint-Vladimir. Né dans l'émigration, ayant vécu sa jeunesse en France, de culture russe autant que française, il n'a pas connu son pays d'origine, mais il lui est resté très attaché. Pendant trente ans, il n'a pas cesser d'adresser chaque semaine à l'intention  des auditeurs d'Union soviétique, par le canal de Radio Liberty, des prédications spirituelles et théologiques.

    "Cela faisait longtemps qu'avec un grand plaisir spirituel, j'écoutais les prédications du père Alexandre et je m'étonnais à quel point son art de prédicateur était authentique, actuel, élevé..." Alexandre Soljenitsyne

    Autre ouvrage publié du P. Alexandre Schmemann : "L' Eucharistie, sacrement du Royaume" Ed. Oeil/YMCA-PRESS 

     

  • Chemin vers Pâques (24)

    [55]

    Gethsémani

    (...) Nous le contemplons à Gethsémani prostré comme un pauvre homme. Celui qui a dit : " Le Père et moi nous sommes un "(Jn 10,30), celui qui a dit : " Ma nourriture, c'est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé " (Jn 4,34), pour lui, à ce moment-là, pour sa conscience d'home, le Père est comme n'étant pas.

    Et que me dit l'Evangile ?

    Il me dit premièrement que Jésus éprouve la souffrance de vouloir être seul et de ne pas pouvoir rester seul. Vous pourrez prendre le récit, soit dans saint Matthieu 26, 36-46, soit dans saint Marc 14, 32-42, soit dans saint Luc 22,40-46, peu importe. Vous pouvez aller d'un évangile à l'autre. Saint Marc notamment indique nettement que Jésus allait et venait du groupe des apôtres, qui se sont endormis au rocher, au rocher où il aura sa sueur de sang. Un va-et-vient. Quand il est dans la solitude, il ne peut pas la supporter et il va trouver les apôtres. Et, quand il est auprès des apôtres, une urgence secrète le renvoie à la solitude. Tout pèse : et la solitude et [56] la société des hommes. (...)

    Deuxième chose que me dit l'Evangile : " Il tombait." Marc emploie l'imparfait de la répétition. Il faut traduire : "Il chancelait, il titubait, il ne pouvait se tenir debout, il ne faisait que tomber." Il a sur lui le poids de tout le péché du monde ; tout cet égoïsme que j'ai découvert en moi, tout cet égoïsme que j'ai lu sur la carte du monde dans la méditation du Règne (voir la note ci-dessous), tout cela, lui qui n'est pas pécheur, il le vit. Il a pris tout le péché sur lui. Il est en tout semblable à nous, sauf la responsabilité d'être pécheur. (...)

    Mystère insondable. Songez que, dans le premier chapitre de l'évangile de saint Jean, vous trouverez ensemble les deux mots Verbum et agnus. Jésus est le Verbe de Dieu, Dieu-Verbe, et en même temps il est l'agneau qui porte le péché du monde et qui ne l'enlève qu'en le portant, parce qu'il ne joue pas la comédie. (...) [57] Dans L'annonce faite à Marie (Paul Claudel), on voit Violaine baiser le lépreux. Le lépreux est purifié et c'est elle qui est devenue lépreuse. C'est absolument cela. Pour nous purifier de la lèpre, le Christ devient le lépreux de l'humanité. Toutes les controverses avec les confessions protestantes ou réformées sont venues de ce que les protestants n'ont jamais pris cela en vérité, en profondeur. Ils ont parlé de Jésus revêtu d'un manteau. Non, ce n'est pas un manteau qui le recouvre, c'est son être même dans sa profondeur.

    Troisièmement, l'Evangile emploie des mots que je dois méditer. "Jésus éprouve un dégoût, une nausée". Je sais ce que c'est que la nausée. J'essaie de réaliser ce qu'a pu être la nausée du Christ, la nausée d'être devenu le péché du monde. L'Evangile me parle aussi de honte et puis de peur. Si je n'ai jamais connu la honte, j'ai certainement connu la peur, la peur de mourir, la peur de souffrir, la peur viscérale, la peur de l'homme qui redoute la souffrance.

    Quatrièmement, l'Evangile me dit que, dans tout cela, titubant, allant et venant, comme l'homme dans le plus total désarroi, rempli de nausée, de honte et de peur, il prie et " il prie en répétant toujours la même parole - eumdem sermonem dicens (Mt 26,44 dans la traduction latine de la Vulgate). Nous avons de la peine, nous, à prier dans la difficulté, dans le désarroi, dans le dégoût. C'est à ce moment-là que nous avons le plus de peine à prier. Il faut que notre difficulté à prier soit notre prière même. Et que dit-il dans cette prière ? C'est la prière absolument parfaite, le modèle de toute prière. Une prière à deux temps, qui ne sont pas successifs mais simultanés. Le premier temps, c'est le cri humain. On pourrait presque dire le cri de l'animal, le cri de la bête qui a peur. "Que ce calice s'éloigne de moi !"  Et que le Christ ait dit cela pour nous est beau. Cela signifie que nous pouvons le dire  nous aussi, que nous pouvons pousser le cri humain, le cri de l'animal qui a peur : "Que ce calice s'éloigne !" C'est légitime, c'est permis, c'est humain. De même que Jésus a pleuré au tombeau de Lazare, pleuré sur Jérusalem, il dit " Que ce calice s'éloigne !". Mais en même temps : " Que ta volonté soit faite !" Pour nous, il existe toujours un décalage entre les deux, plus ou moins ; pour lui les  [58] deux sont simultanés. Son cri devient le cri filial. En même temps qu'il exprime sa peur d'homme, il est complètement soumis à la volonté du Père : " Que ta volonté se fasse !", le fiat de Jésus avec Dieu. 

    Je réfléchis. Dans ma vie, il y aura des moments où je ne pourrai pas dire autre chose que fiat, où ma prière ne sera pas une méditation avec des idées   mais simplement ce murmure, peut-être même à peine articulé, un fiat dans la profondeur, à peine perceptible par nous, mais perceptible par Dieu.

    "Alors, me dit l'Evangile, à ce moment-là, un ange lui apparut." Qu'est-ce que cet ange ? Peu importe le genre littéraire, cet ange est à la foi la présence et l'absence du Père. Il est la présence du Père parce qu'il vient de la part du Père, et il est l'absence du Père parce qu'il n'est pas le Père, il n'est qu'un ange.

    Présence, absence. Le clair-obscur où Dieu nous est présent comme absent, comme caché. Nous connaissons, nous en avons l'expérience ; ce sont de véritables expériences spirituelles de notre vie. Parce qu'il y a cette présence-absence, le Christ n'est pas désespéré, il ne peut pas être désespéré. Cette absence-présence du Père nous dit que, dans le plus profond désarroi, il n'est pas désespéré. Un peu comme dans ces tableaux de Rembrandt ou des paysagistes hollandais, sombres, les arbres tendus dans la tempête, déchiquetés, il y a une lumière quelque part. On ne sait pas où est la source lumineuse, mais il y en a une, suffisamment pour que les ténèbres ne soient pas totales. L'ange signifie que l'âme de Jésus est dans les ténèbres les plus profondes, mais il y a un point lumineux qui empêche le désespoir, un tout petit point, ce que les mystiques appellent "la cime de l'âme". D'autres disent "le fond de l'âme". Cela suffit pour qu'on ne soit pas désespéré. Et cela suffit pour que Jésus, au moment où Judas apparaît à l'entrée du jardin, ait la force d'aller au-devant de lui et de se tenir debout. le petit point lumineux qui suffit pour qu'on ait le courage de se tenir debout et de faire son travail. 

    Alors je m'unis à tous ceux qui tomberont, qui sont dans les ténèbres. (...) [59] Tout en m'unissant à tous ceux qui souffrent dans le monde - ce Christ qui est en agonie jusqu'à la fin du monde (cf. Blaise Pascal, Pensées) -, je pense au moment dans ma vie où, peut-être, j'en serai là et où je n'aurai qu'une ressource : croire que le Christ a agonisé plus que moi et que son agonie me donne le pouvoir de me tenir debout, de sourire aux hommes et de faire mon travail.

     

    ---------------------------------------------------------------------------------

    Note :

    François Varillon, jésuite, donne les Exercices spirituels de Saint Ignace à des retraitants, par conséquent la terminologie employée est celle des Exercices. La méditation du "Règne" ouvre la deuxième semaine des Exercices n° 91-100.  

     

    François Varillon - La Pâque de Jésus - Ed Bayard, 1999

     

  • Chemin vers Pâques (23)

    [44]

    Lavement des pieds

    Le lavement des pieds n'est pas d'abord un enseignement moral, mais d'abord le dévoilement d'un mystère. Le christianisme est bien au-delà de la morale. Certes, il implique une morale, mais en lui-même, il est bien au-delà. Aussi je vous propose de lire cette scène du lavement des pieds en la commentant par le grand texte de la lettre de saint Paul aux Philippiens sur la kénose (Phil 2,5-9); C'est là que se trouve le mot ekenôsen, en latin exinanivit : il s'est anéanti. C'est la révélation de l'humilité de Dieu. Et si j'ai choisi cette scène, c'est parce qu'elle nous fournit l'occasion de revenir sur la vérité du fondement, l'humilité de Dieu (Cf. "Vivre le christianisme" de F. Varillon et les cinq instructions sur le fondement). La toute puissance, la force, qui s'incline devant ce qui est le plus petit, le plus faible. La puissance de Dieu n'est en aucune manière la puissance telle qu'on l'entend dans le monde. En aucune manière. Jamais. C'est la force spirituelle, la puissance spirituelle, qui consiste à s'incliner librement devant ce qui est le plus petit. Ici je déclare mon impuissance à dire mieux les choses. Il faut réaliser au-dedans de soi que la puissance infinie de Dieu, c'est son humilité infinie. Cette puissance dont aucun homme, dont aucun ange n'est capable, même le plus grand. Le plus grand ange, qui vous voit et qui voit Dieu, est impuissant, lui, à s'incliner librement et en toute vérité devant ce qui est le plus faible et le plus petit. C'est cela, la puissance de Dieu  et il n'y en a pas d'autre. C'est une puissance infinie d'abaissement. L' Incarnation est l'humilité éternelle de Dieu. Voilà pourquoi Jésus est l'esclave... Il naît pour révéler ce qu'est la puissance de Dieu, qui est la puissance d'être le serviteur du plus petit. En dehors de là, il n'y a pas de spiritualité, il n'y a qu'un Dieu Jupiter qui est je ne sais quoi ou quelle cause du cosmos ; on dira tout ce qu'on voudra. Cela n'a rien à voir avec Dieu, rien. Et, une fois de plus, je m'interroge en me demandant s'il m'est possible en toute vérité d'avoir une relation d'amour avec un autre Dieu que ce Dieu-là.  

    [45]

    Tout à l'heure au cours de la liturgie, vous lisiez ce qui est écrit : "Dieu tout-puissant et miséricordieux..." Il faut comprendre ainsi : " Dieu dont la puissance est la miséricorde." Il n'y a pas une puissance et une miséricorde.  (...)

    Jésus est l'esclave, il entre en esclavage, il est au plus bas, à genoux devant les hommes. C'est cela sa puissance. Allez donc vous mettre à genoux devant quelqu'un. Pour cette puissance d'aimer, il faut la toute-puissance infinie. C'est cela, la kénose. La part qui ne peut pas être ravie à Dieu, c'est le regard de Jésus agenouillé devant les apôtres. En Jésus agenouillé devant les apôtres, avec son linge autour des reins et qui frotte les pieds des apôtres, pleins de poussière, et qui les regarde de bas en haut, à ce moment là Dieu commence à nous être révélé dans sa vérité. C'est cela, le Dieu de vérité (...) il n'y a pas d'autre Dieu possible (...). Ou cela est vrai, ou c'est l'athéisme qui est la vérité.

    Ce n'est pas par des raisonnements qu'on arrive à comprendre cela. Il faut contempler et il faut revivre par le dedans. La puissance d'aimer est un anéantissement de soi. Et Jésus dit à Pierre : " Si je ne te lave pas, tu n'auras pas de part avec moi. Car la vie éternelle que je suis venu apporter aux hommes, c'est cette vie-là. C'est cela qui sera la vie éternelle et qui constituera la béatitude." Or, moi, je cherche la béatitude dans un autre genre de puissance. Non seulement moi, mais tout le monde pécheur. Le message que nous avons à livrer au monde est là. (...)

    F. Varillon - La Pâque de Jésus - Ed Bayard 1999

  • Chemin vers Pâques (22)

    [22]

    La mort, commencement d'une résurrection.

    J'attire votre attention sur ce point : la résurrection est à l'intérieur même de la mort. Le Christ monte à sa résurrection. Evidemment, au plan de l'histoire, au plan du phénomène, comme diraient les philosophes, cela ne vient qu'après trois jours. Mais faites bien attention, il ne ressuscite pas trois jours après. Ce qui se passe trois jours après, c'est qu'il se fait voir ressuscité... Il n'y a pas une mort suivie d'une résurrection. C'est la mort même qui est le passage en Dieu.

    Si notre résurrection n'est pas totale à l'heure de notre mort, après avoir rendu le dernier soupir, c'est le commencement d'une résurrection. Mais le commencement de la résurrection est immédiat. On ne fait pas antichambre. Une âme séparée dans l'antichambre pour attendre de reprendre son corps à la fin du temps, cela est de la mythologie pure et simple. Qu'est-ce que cette âme séparée de son corps ? Saint Thomas d'Aquin a buté sur cette question. On ne peut pas dire cependant que nous ressuscitons totalement à notre mort, car notre résurrection ne peut être totale que lorsque tous nos frères seront assis à la table du Père de famille, comme nous l'avons médité dans la parabole des chômeurs (cf. F. Varillon, Le message de Jésus, p. 179-194); ce qui veut dire que notre mort inaugure une nouvelle histoire, qui est l'histoire de notre résurrection. Elle commence et elle ne sera pleinement [23] achevée qu'à la fin des temps, quand le monde entier sera devenu le corps du Christ. Car la véritable identité du monde, c'est d'être le corps du Christ. Et cela en profondeur, avant d'être un ensemble de protéines, ou de tout ce que vous voudrez. (...) Dans son dernier livre, que je vous conseille beaucoup, le père Martelet (Gustave Martelet - Résurrection, eucharistie et genèse de l'homme, Desclée, Paris 1972) montre bien que ce qui nous est donné dans l'eucharistie, sous forme d'un petit morceau de pain et de vin, c'est le monde dans son identité la plus profonde. Le monde est le corps du Christ et il ne le sera pleinement qu' à la fin des temps.

    F. Varillon - La Pâque de Jésus -  Ed. Bayard 1999 

  • Chemin vers Pâques (21)

    [20]

    La troisième pâque de l'histoire est la nôtre. Il y a autant de pâques qu'il y a d'actes libres, d'élections, pour prendre le mot des Exercices [voir les Exercices spirituels de st Ignace, surtout les numéros 169-188), de décisions où l'on meurt à son égoïsme. Le fond des choses, c'est que chacune de nos décisions a une structure pascale. Chacune de nos décisions est une mort. Il faut mourir à son égoïsme, au regard sur soi, au souci de soi, pour s'occuper des autres tout simplement. C'est donc une mort ; notre foi est que cette mort est une résurrection.

    Tout est dans la décision, tout est là. Et quand nous disons que c'est la décision qui nous construit pour la vie éternelle, c'est vrai en rigueur de termes. Et cette décision a nécessairement une structure pascale. C'est une mort et c'est un passage au Christ. A tout instant, dans chacune de nos décisions, nous passons au Christ pour vivre éternellement d'une vie christifiée. Cela est la base de toute l'éducation de l'enfant : valeur du don, valeur de la décision, mourir à soi-même.

    Ne faisons pas les malins. Les chrétiens n'ont pas le privilège de la mort à soi-même. Il faut y aller doucement. Nous employons ce mot-là que d'autres n'emploient pas. (...) [21] (...) Nous n'avons absolument pas le monopole, mais nous croyons - et c'est cela  le message de l'Evangile - qu'en mourant à soi-même on passe au Christ, on vit de la vie même du Christ, on est christifié, on est divinisé. Et cette foi devrait nous donner l'énergie de nous trouver au premier rang toutes les fois qu'il faut mourir à soi-même pour faire un peu plus de justice et un peu plus de bonheur sur terre. Le scandale, c'est que notre foi, qui est la foi en la résurrection, c'est-à-dire dans le passage au Christ au coeur même de nos décisions, que cette foi-là ne nous donne pas l'énergie d'aller toujours au premier rang de ceux qui mènent le combat fraternel humain.

    Voilà qui répond à des tas de questions qui nous sont posées : qu'est-ce que la foi ajoute ? On entend cela continuellement. Les jeunes demandent : " Ca résout quoi la foi au Christ ?" Il n'y a pas autre chose à répondre. Croire que toute mort est une résurrection, et pas n'importe quelle résurrection, mais le passage au Christ même, à sa vie pour l'éternité. C'est cela qui devrait faire que les chrétiens aient toutes les initiatives, qu'ils soient au premier rang du combat. (...)

    Mais quand il s'agit de sacrifice, autrement dit de mort à soi-même, c'est maintenant. Je ne passerai pas au Christ après ma mort, j'y passe dans chacune de mes décisions. [22] Et à la mort, qu'est-ce qui se passe ? A la mort, je découvre que je suis devenu Christ par toute ma vie. Voilà ce qu'on peut dire pour comprendre le mystère pascal. Il ne faut pas séparer notre vocation à la divinisation de ce mystère de mort et de résurrection.

    François Varillon - La Pâque de Jésus - Ed Bayard 1999

     

  • Chemin vers Pâques (20)

    [19]

    Le deuxième passage est la pâque du Christ, celle que nous méditons en ce moment. Lui qui est l'homme, l'homme en plénitude, lui passe à son tour. Là, ne faisons pas d'éloquence, prenons les mots mêmes de saint Paul (Phil 2,6-7) : Il passe de la vie en forme d'esclave (forma servi) à la vie en forme de Dieu (forma Dei). La vie en forme d'esclave, c'est sa vie de peines. Il a pleuré, il a eu chaud, il a eu froid, il a souffert de la mort de Lazare... Entre la vie en forme d'esclave et la vie en forme de Dieu, il y a un désert. Ce désert, [20] c'est le Calvaire. Jésus ne peut monter à la vie en forme de Dieu, à son introduction au coeur de la Trinité, qu'en montant au Calvaire. Tout est là, vous le sentez bien. Au plan de ce qu'on éprouve, c'est la montée au Calvaire, les souffrances ; au plan de la réalité profonde des choses, c'est la montée à la vraie vie, la vie divine.

    Dans l'Eucharistie, le pain "meurt" à son état de pain. il est très vrai que ce n'est plus du pain. Cela ne signifie pas que le pain est remplacé par le corps du Christ  ; ce serait un mépris de l'homme, comme nous l'avons médité. [Quand elle grandit] la petite fille n'est pas remplacée par une femme, la chenille n'est pas remplacée par un papillon, le grain de blé n'est pas remplacé par un épi. C'est le pain qui devient le corps du Christ, c'est l'homme christifié. C'est cela, le mystère de mort.

    François Varillon - La Pâque de Jésus - Bayard Ed. 1999

  • Chemin vers Pâque (19)

    [17]

    Pâque veut dire passage, passage par la mort, par le seuil de la mort. Il y a trois pâques dans l'histoire : la pâque des Hébreux ; la pâque du Christ que nous méditons en ce moment et notre pâque à nous.

    La pâque des Hébreux

    Dans la catéchèse courante, on raconte aux enfants des tas de petites histoires, mais on les laisse ignorer le livre de l'Exode, cela est scandaleux. Or il est extrêmement facile, me semble t-il, d'en rendre accessible l'essentiel à de jeunes enfants.

    Voilà donc des Hébreux qui sont une minorité opprimée en Egypte. Ils travaillent sous le fouet, avec un maigre salaire, leur portion d'oignons - les fameux oignons que l'on voit encore pendre de nos jours dans les petites baraques, comme en France on vend des marrons en hiver. Les Arabes qui n'ont pas d'argent achètent quelques sous, quelques centimes d'oignons. Un jour, le pharaon décida d'augmenter les cadences. Dans le monde moderne, tout le monde sait ce qu'est l'augmentation des cadences. (...) Augmentation des cadences [18], c'est-à-dire plus de travail sans augmentation de salaire. Le pharaon décida que les Hébreux transporteraient non seulement les briques pour la construction des maisons, mais qu'il leur faudrait aussi trouver de la paille et la transporter. On fabriquait les maisons avec des agglomérés de brique, de paille et de terre sèche. Oppression, donc.

    Moïse interrogea Yahvé en lui disant : " C'est intolérable. Ton peuple est opprimé." Et Yahvé répondit : " Oui, tu as raison, c'est intolérable. Je ne veux pas que mon peuple soit un peuple d'esclaves. J'ai entendu la clameur qui monte de mon peuple, le cri des opprimés..." C'est  l'esclavage. Alors Yahvé dit : " Tu vas prendre la tête de la colonne et tu vas les faire passer - pâque, c'est-à-dire passage - dans la terre que j'ai promise à tes Pères, la terre de Canaan et qui est la terre de la liberté. Je veux que mon peuple soit un peuple libre. " L'Evangile ne peut pas  être entendu par un peuple qui n'est pas libre, ce n'est pas possible. 

    Poussons un peu plus loin si nous voulons pouvoir dialoguer avec nos contemporains. Qu'est-ce que c'est que la liberté d'un peuple ? C'est toujours deux choses : l'indépendance politique et la prospérité économique. Quand l'une des deux manque, le peuple n'est pas un peuple libre. Or la terre de Canaan sera une terre d'indépendance politique et Dieu interviendra toutes les fois que l'indépendance politique sera menacée par les Assyriens, les Babyloniens, les Egyptiens... Prospérité économique : c'est la terre où coulent le lait et le miel (Cf. Ex 3,8) dit la Bible.

    Oui, mais entre l'Egypte de l'esclavage et la Palestine de la liberté s'étend un désert, immense, le désert du Sinaï, et ce désert doit être franchi. Tel est le désert, impossible de le contourner (...) Pas de métro, pas d'avion. Il faut traverser le désert. Quarante ans. Un chiffre symbolique évidemment, c'est-à-dire un temps très long. Nous retrouvons ce chiffre symbolique avec les quarante jours du carême, les quarante jours de Jésus au désert au commencement de sa vie publique... C'est la reprise des quarante ans, c'est-à-dire du temps très long de la traversée du désert.

    [19] Plus les Hébreux avancent dans le désert, plus ils ont le sentiment d'aller vers la mort. Ils tombent d'ailleurs comme des mouches. Une véritable retraite de Russie où ils sont affrontés non pas à la neige, mais au soleil et à la calcination. Ils ont faim et il faut le miracle de la manne. Ils ont soif et il faut que Moïse fasse jaillir l'eau du rocher avec sa baguette. Il y a le miracle des cailles. Et leur tentation c'est de regretter leurs oignons, comme le grain de blé qu'on enfonce en terre regrette son petit bonheur de quatre sous dans son grenier, et comme la chenille commence par regretter sa vie de chenille et la petite fille sa vie d'enfant.

    Alors, c'est la révolte. Ils veulent revenir en arrière. Claudel a transposé cela dans son Livre de Christophe Colomb. Lorsqu'au milieu de l'océan il n'y a plus à manger, plus rien à boire, etc., les soldats de Christophe Colomb se révoltent  et veulent revenir en arrière et ne pas découvrir le Nouveau Monde, qui est le symbole de la vraie vie.

    On ne peut pas court-circuiter le désert. On ne peut pas échapper à la mort comme seuil de la vraie vie. C'est le thème du désert, qui est fondamental dans la vie. (...)

    C'est la première pâque de l'histoire, le premier passage de la vie présente à la vie divine.  

    Francois Varillon - La Pâque de Jésus - Bayard Editions 1999

  • Chemin vers Pâques (18)

    [70]

    " Pour moi, je ne me glorifierai (voir note plus loin) que dans mes faiblesses" (2 Co 12,15)

    " Pour moi, que jamais je ne me glorifie, sinon dans la Croix du Christ" (Ga 6,14)

    La Croix du Christ est donc la manifestation de la faiblesse de l'homme. Le Fils de Dieu, en se solidarisant avec l'humanité déchue, s'est revêtu de faiblesse ; mais, alors que les hommes s'efforcent sans cesse de se cacher leur propre déchéance, Jésus, en prenant sur Lui leurs infirmités et en acceptant jusqu'au bout leur condition, a exposé et pour ainsi dire affiché sur la Croix cette condition de faiblesse. " Il a été crucifié dans sa faiblesse, dit encore saint Paul, mais Il est vivant par la puissance de Dieu ; et nous [71] aussi, nous sommes faibles en Lui, mais nous serons vivants avec Lui par la puissance de Dieu" (2 Co 13,4) ; c'est dire que si la vie du Christ ressuscité, et la nôtre en Lui, sont la manifestation de la puissance de Dieu, la Croix, elle, est la manifestation  la faiblesse  de l'homme, et du Christ Lui-même ; c'est dire que ce n'est qu'en Lui, en Lui crucifié, que l'homme peut pleinement reconnaître sa faiblesse ("nous sommes faibles en Lui"), comme ce n'est qu'en Lui, en Lui vivant et glorifié, qu'il peut reconnaître la puissance de Dieu et se confier à elle pour recevoir d'elle la vie éternelle.

    Jésus crucifié, pour saint Paul et pour les premiers chrétiens qui avaient contemplé l'horrible spectacle de cette mort infâme, c'est l' homme réduit à la plus totale impuissance, paralysé, isolé, réprouvé, condamné, exsangue, prêt à sombrer dans la mort : c'est la révélation de la condition de faiblesse de l'homme, et de ce que le salut ne peut lui venir que de Dieu.  

    (...)

    Saint Jean, sans doute, voit déjà dans le Crucifié la gloire du Ressuscité; mais comme on l'a noté plus haut, cette gloire, Jésus ne l'a pas de lui-même. Il doit la demander et la recevoir de son Père (Jn 7,39 ; 8,54 ; 12,16.23 ; 13,31.32 ; 17,1.5). Il s'avance vers le supplice en pleine liberté, en pleine majesté, comme le Seigneur et le Maître ; mais il n'en prend pas moins d'abord l'attitude de l'esclave, et ne fait rien que par obéissance : c'est la condition pour que le Père soit avec Lui (Jn 8,29, cf. 15,10), Lui qui seul finalement parle et agit en Jésus (cf. Jn 14,10) (...) Enfin on ne peut [72] guère douter que la parole mise par saint Jean sur les lèvres de Pilate quand celui-ci présente aux Juifs leur Roi flagellé, couronné d'épines et revêtu de pourpre, soit à double sens, comme souvent dans le quatrième évangile : " Voici l'homme" (Jn 19,6) signifie en même temps : voici celui dont vous réclamez la mort, et voici l'image de l'homme réduit par le péché à la plus pitoyable condition ; on retrouve ici exactement la perspective paulinienne selon laquelle le Christ souffrant et humilié est la révélation même de la déchéance humaine. Plus qu'aucun autre auteur du Nouveau Testament, saint Jean met en lumière la divinité de Jésus. Son message n'en reste pas moins d'abord et essentiellement l'annonce du salut dans la Pâque du Fils de l'homme, impliquant pour Lui le passage d'une condition d'esclave à une condition glorieuse ; aussi, à ses yeux, confesser que Jésus est "venu dans la chair" (1 Jn 4,2, cf. 1 Jn 5,6), c'est-à-dire dans l'infirmité et l'indigence de la condition de créature, n'est pas moins fondamental que de croire que " Jésus est le Fils de Dieu" (1 Jn 5,5)  (...) 

    NOTE :

    La situation de l'homme par rapport au salut est fonction, selon saint Paul, de ce en quoi il "se glorifie". Aussi ce terme exprime quelque chose de tout à fait fondamental dans sa vision du mystère du salut. Les termes grecs, toujours du même radical, dont il use ici et que l'on traduit le plus souvent pas "se glorifier " évoquent l'attitude de fierté, d'orgueil, de gloriole quelque peu euphorique résultant du sentiment d'assistance et de sécurité qu'éprouve celui qui peut s'appuyer sur du solide. (...) Il y a ceux qui mettent leur confiance en eux-mêmes, dans leurs oeuvres, dans leur pratique ou même dans leur connaissance de la Loi (voire en Dieu, mais en Dieu considéré comme débiteur de l'homme, cf. Rm 2,13 !), mais tout cela c'est se confier dans la chair (voire se glorifier dans sa honte, Ph 3,19 !) ; ceux-là s'appuient sur le néant et tournent le dos au salut. Et il y a ceux qui mettent leur confiance en Dieu ou dans le Seigneur (1 Co 1,31) c'est-à-dire dans sa puissance (dans sa sagesse, dans sa grâce) ou, ce qui revient au même mais exprime la chose plus fortement, dans leur propre faiblesse (qui peut alors être habitée par la force du Christ ou de Dieu, 2 Co 12,5.9), ou encore , ce qui revient toujours au même, dans la Croix du Christ (expression suprême de la faiblesse de l'homme, Ga 6,14) : ceux-là s'appuient sur Celui qui ne trompe pas, ils ont trouvé la vraie voie du salut.

     

    Claude Richard - Il est notre Pâque - Cerf , 1980  

     

    Claude Richard a été abbé de l'abbaye cistercienne Notre-Dame de Timadeuc, près de Rohan

  • L'appel à la nation ivoirienne de l'archevêque d'Abidjan (RCI)

    La situation de la Côte d'Ivoire actuellement me conduit à répercuter l'appel lancé par Mgr Jean-Pierre Kutwa à ses concitoyens.

    Portons dans notre prière nos frères ivoiriens. Que cessent les massacres dont sont responsables les "deux camps" et que le pays retrouve sa paix.

     

    Nous, Ivoiriens et Ivoiriennes, avions véritablement cru que l’élection présidentielle nous sortirait de la situation de ni paix, ni guerre, que nous vivions depuis une décennie. Cet espoir a été de courte durée. Le rêve que nous caressions d’une Côte d’Ivoire pacifiée et plus prospère que jamais, s’est brisé, nous laissant sur le palais et dans le cœur, un goût amer.

     

    Des difficultés de tous genres ont vu le jour, la situation socio-politique n’a cessé de se dégrader dangereusement. Des quartiers entiers et des villages se sont vidés de leurs populations. Ici et là, des familles entières ont repris le chemin de l’exode, abandonnant leurs maisons, dans la plus grande précarité, ou trouvant par bonheur, refuge dans certains lieux de culte ou dans des sites de fortune aménagés à la hâte, à cet effet, aux prises avec l’angoisse et le désarroi. On ne compte plus les cas de destruction de biens matériels quand ils ne font pas l’objet de pillages systématiques ou de convoitises sordides ignobles.

     

     

    Ce qui est en jeu derrière ce spectacle désolant ou outrageusement affligeant, c’est la vie, la vie humaine bafouée, banalisée, dépréciée détruite sans vergogne et sans discernement. Oui, on tue, on tue et on tue par balles, à l’arme blanche, par le feu et que sais-je encore ! C’est le lieu de vous inviter à deux efforts d’une grande nécessité :

     

    A) Le respect de la vie

    B) Notre devoir de protéger la vie.

     

    A) Le respect de la vie :

     

    Point n’est besoin d’argumenter longuement pour comprendre que la vie est sacré, et à ce titre, nous nous devons de tout faire, pour éloigner d’elle le spectre de la mort. Respecter la vie, c’est en définitive, respecter Dieu lui-même. Jésus-Christ, Fils de Dieu et Dieu lui-même s’identifiera à la vie : « Je suis le chemin, la vérité, la vie » (Jn 14, 6).

    Dieu dans son amour pour nous, nous fait don de la vie et n’a de cesse de nous appeler à la vie. En retour et avec un esprit filial, nous nous devons de lui en être reconnaissant. Lui être reconnaissant, c’est d’abord aimer cette vie. C’est aussi soigner et rechercher constamment les moyens de protéger cette vie en nous et chez les autres.

     

    En ces heures sombres et difficiles que nous traversons, gardons à l’esprit et dans le cœur ce caractère sacré de la vie et ne ménageons pas nos efforts pour la protéger coûte que coûte. 

    B) NOTRE DEVOIR DE PROTEGER IMPERATIVEMENT LA VIE

     

    Dieu nous a donné un monde à transformer et des frères à aimer. Le 5ème commandement de Dieu nous dit : « Tu ne tueras pas » (Exode 20,13). L’épisode de l’assassinat d’Abel par son frère Caïn, nous interpelle à plus d’un titre : « Caïn se jeta sur son frère Abel et le tua. Le Seigneur reprit : Qu’as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie de la terre vers moi » (Genèse 4, 8. 10).

     

    Voilà pourquoi je vous lance cet appel pressant :

     

    1- Aux deux Leaders Politiques Protagonistes :

    · Pour l’arrêt immédiat des tueries, des agressions et autres formes de violences ;

    · Pour donner une instruction urgente à leurs états majors et militants pour l’apaisement des cœurs ;

     

    2- Aux Populations :

    · Pour rejeter la violence sous toutes ses formes, éviter de répandre les rumeurs et entretenir les suspicions ;

     

    3- Aux Médias :

    · Pour éviter les discours, propos et écrits haineux et l’incitation à la violence ;

     

    4- A toutes les Confessions Religieuses :

    · Afin de sensibiliser leurs fidèles à la culture de la paix, de la tolérance et de la non violence et de prier pour la conversion des cœurs des Ivoiriens et de tous ceux qui habitent la Côte d’Ivoire ;

     

    5- A toutes les Forces Militaires et Para-Militaires :

    · Pour assurer la sécurité des personnes et des biens et la protection de toute la population dans les différents quartiers, villages et les villes de l’intérieur, afin d’éviter les comités d’auto-défense qui transforment les jeunes en justiciers prompts à des exécutions extrajudiciaires ;

     

    6- A l’Union Européenne :

    · Afin qu’au nom du droit à la santé, elle lève l’embargo sur les médicaments.

     

    Je voudrais terminer cet appel en vous invitant à méditer l’âge d’or dans le Livre d’Isaie 11,6-9. Ce que Dieu annonce avec le monde animal de façon métaphorique, est possible pour l’homme, est réalisable, sinon Dieu ne l’aurait pas proposé à l’homme : « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau. Le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l’ours auront même pâture, leurs petits, même gîte. Le lion comme le bœuf mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra. Sur le trou de la vipère, le jeune enfant y étendra sa main. Il ne se fera ni mal, ni destruction sur toute ma montagne sainte. »

     

    Que Dieu guérisse nos cœurs et nous élève tous pour une vie fraternelle et heureuse.

     

    Fait à Abidjan, le 21 mars 2011

     

    + Jean Pierre KUTWÃ

     Archevêque d’Abidjan

  • Chemin vers Pâques (17)

    [61]

    Le salut est libération du péché, mais plus précisément encore de la mort, conséquence du péché. Pour le Christ, le salut est délivrance de la mort physique et temporelle, qui, dans la pensée des auteurs du Nouveau Testamment, est la conséquence du péché originel et l'expression de la condition de déchéance causée par ce péché ; pour tous les autres hommes le salut est délivrance et de la mort physique et temporelle, et de la mort "spirituelle" et perpétuelle, de la damnation ou de la perdition, de la seconde mort comme l'appelle l'Apocalypse, qui est la conséquence ultime du péché originel moyennant la libre ratification de celui-ci par le péché personnel ; mais le salut des hommes n'est rien d'autre qu'une participation à celui du Christ, comme nous aurons à le montrer. La résurrection n'est pas autre chose : victoire sur la mort physique pour le Christ, victoire sur la mort physique et libération de la mort-perdition pour les autres hommes ; car on sait que, dans le Nouveau Testament et chez saint Paul en particulier, le terme de résurrection implique et signifie aussi le renouveau de la vie dans l'Esprit après la libération du péché (cf. Ep 2,5-6) ; mais la résurrection "totale" des hommes n'est rien d'autre qu'une participation à celle du Christ. Quand Dieu sauve - ou ressuscite - l'homme, en effet, Il le libère de l'emprise du péché et de la mort pour autant que l'un et l'autre l'avaient atteint ; en ressuscitant Jésus, Dieu Le sauve et Le libère non pas du péché lui-même qui ne l'avait jamais atteint ni moins encore de la damnation, mais bien de la mort et de son pouvoir (Ac 2,24) [62] et de cette condition misérable et mortelle, conséquence du péché, que le Fils de Dieu avait assumé en se faisant homme dans une chair en tout semblable à la nôtre.

    Le salut est aussi accès et participation à la vie divine, car il n'est pas d'autre accomplissement pour l'homme, il n'est pas d'autre épanouissement ni d'autre bonheur véritables. Le salut implique donc un changement radical de condition d'existence, et l'accès à une condition de gloire qui n'est finalement rien d'autre qu'une communion à l'Etre et à la Vie mêmes de Dieu. Ce changement de condition et cet accès à la gloire divine se sont accomplis pour le Christ Jésus avant de se réaliser pour les autres hommes ; et la condition glorieuse  qui est celle du Premier "sauvé de la mort" est l'archétype de celle de tous les sauvés (cf. Ph 3,21 ; 1 Co 15, 47-49 etc.) Mais la résurrection est précisément cela : elle est le "passage" ou le terme du passage de la condition mortelle à la condition immortelle et glorieuse, elle est accès à la sphère divine, elle implique ce que la Tradition appelle la divinisation ; et c'est pourquoi les affirmations de la résurrection sont très fréquemment accompagnés de mentions de glorification, d'exaltation, de session à la droite de Dieu, de transformation ou de prise de possession par l'Esprit de Dieu. Et cela est vrai aussi bien pour le Christ que pour les chrétiens.

    Ainsi, dans le Nouveau Testament, les concepts de salut et de résurrection convergent et se recoupent pratiquement ; on peut affirmer que "la résurrection de Jésus est elle-même le salut de Dieu accordé à Jésus" ; et la formulation la plus primitive de la foi selon laquelle "Dieu a ressuscité Jésus d'entre les morts" signifie bien que Jésus a été sauvé, au sens le plus propre du terme, et que c'est Dieu qui a opéré ce salut.

    Les termes "sauver", ou "ressusciter", ne sont pas d'ailleurs, tant s'en faut, les seuls qui expriment dans le Nouveau Testament le mystère du salut de Jésus par Dieu. C'est Dieu qui L'a exalté affirme Pierre ( Ac 5,31 ; cf. 2,33), qui l'a surexalté (hypérypsôsén), renchérit Paul (Ph 2,9) ; c'est Dieu qui a tout mis sous ses pieds, et jusqu'au dernier ennemi, la Mort (1 Co 15,26-27) ; c'est Dieu aussi qui L'a glorifié (édoxasén) (Ac 3,13, cf. Rm 8,17 ; Jn 13, 31-32, etc.) La première épître de Pierre dit encore que "mis à mort  selon la chair [63], (Jésus) a été vivifié selon l'Esprit" (1 P 3,18). Saint Paul, citant une hymne chrétienne va jusqu'à dire que Jésus a été "justifié dans l' Esprit" (1 Th 3,16). Jésus lui-même, citant le psaume 117, affirme que sa résurrection, qui devait faire de Lui la "pierre de faîte", serait "l'oeuvre du Seigneur" (Mt 21,42)

     

    Claude Richard - Il est notre Pâque - Cerf , 1980  

     

    Claude Richard a été abbé de l'abbaye cistercienne Notre-Dame de Timadeuc, près de Rohan

     

  • Imitation de Jésus-Christ : signification

    [127]

    Il n'y a pas que la parole de Jésus à avoir valeur de révélation salvifique. Tous les actes de toute sa vie, sa mort et finalement sa personne elle-même sont révélation de Dieu. C'est pourquoi le regarder, le contempler dans les mystères de son existence a pour nous valeur de salut. Car la révélation procède en Jésus à travers ce que l'on peut appeler, dans un vocabulaire plus tardif, "la cause exemplaire". Sans doute ce thème a-t-il été desservi dans la tradition par l'hérésie pélagienne et les théories d'Abélard et des Sociniens qui réduisaient l'acte de salut à la valeur d'un "bon exemple" à suivre. Mais ces excès ne doivent pas nous faire oublier de reconnaître l'exemplarité unique de la vie de Jésus. Il est exemple au sens le plus fort de ce mot, un exemple qui exerce une causalité de conversion qui lui est propre.

    La réflexion du centurion au pied de la croix est déjà l'expression de cette valeur transformante et libérante de l'exemple : " Vraiment cet homme était Fils de Dieu" (Mc 15,39), ou : " Vraiment cet homme était juste" (Lc 23,47).

    A travers la variante de deux formules, le centurion montre qu'il a été atteint par l'exemple de Jésus donné dans sa mort et que son cœur a été changé. Cette manière de mourir lui a révélé le mystère de Dieu et de la véritable justice, bien différente de celle dont il était l'exécuteur. La liberté du Christ a transformé sa propre liberté : son exemple a été pour lui grâce de salut. Le quatrième évangéliste, qui insiste beaucoup sur le "voir" et présente la passion selon un mode contemplatif, nous propose la scène du sang et de l'eau comme le [128] témoignage de ce qu'il a vu et y lit l'accomplissement de la prophétie de Zacharie : " Ils regarderont celui qu'ils ont transpercé " (Jn 19,37 citant Za 12,10). Pour lui ce "voir" est ordonné au "croire".

    Dans les épîtres, l'exemple du Christ est l'objet d'une invitation à l'imiter. Saint Paul introduit ainsi la grande hymne christologique de l'épître aux Philippiens : "Ayez entre vous les sentiments qui étaient dans le Christ Jésus " (Ph 2,5). La geste d'abaissement et d'élévation du Christ, vécue dans la désappropriation complète, est ce que les chrétiens se doivent d'imiter. Dans un contexte analogue la première épître de Pierre est encore plus explicite dans son exhortation : " Le Christ a souffert pour vous, vous laissant un exemple, afin que vous suiviez ses traces " (1 Pi 2,21) 

     

    Bernard Sesboüé - Jésus-Christ l'unique médiateur - Ed Desclée - Paris 2003 - ISBN : 2-7189-0972-2

     

     

     

  • Pédagogie de la révélation

    [59]

    (...) le langage chrétien repose sur une double conversion de sens d'un vocabulaire venu de l'expérience humaine traditionnelle et utilisé dans les diverses religions. La pédagogie de la révélation consiste à transformer le sens de ces mots, à les purifier de leurs connotations malsaines, conséquences du péché de l'homme, et à les charger d'une valeur nouvelle afin de leur faire dire ce qui est proprement révélé et donné par Dieu. Ce processus de conversion de sens prend corps dans un peuple et passe par la conversion  de celui-là à la foi. Mais une telle conversion est fragile, car elle est toujours portée par un peuple menacé par le péché. Or le sens nouveau et converti contredit ou heurte le sens spontanément inscrit non seulement dans l'histoire passée des religions, mais encore dans le présent de l'inconscient collectif. Aussi le danger est-il grand, dès que l'on veut expliquer et commenter ces mots, en théologie ou en pastorale, de le faire à la lumière de schèmes non convertis qui fonctionnent sans que l'on s'en rende compte. Du même coup on vient à les "déconvertir", ou même à les pervertir, et à leur faire affirmer des choses scandaleuses qui n'ont rien à voir avec le scandale paulinien de la croix. Le charisme de l'infaillibilité de l'Eglise nous garantit sans doute que jamais la foi elle-même n'est tombée dans cette perversion. Mais on ne peut pas dire la même chose de certains discours exégétiques, théologiques et pastoraux.

    Deux schèmes non convertis : la compensation et la peine vindicative

    Nous sommes tous habités par le schème anthropologique extrêmement fort de la compensation. Il suffit, pour s'en convaincre, d'interroger [60] la conscience populaire. Ce schème véhicule l'idée qu'il doit y avoir une correspondance aussi exacte que possible entre le mal commis et sa réparation. Cette correspondance se traduit par l'imposition d'un châtiment censé soit réparer le mal commis en le supprimant (par exemple une restitution), soit si la chose n'est pas possible, constituer une souffrance de valeur équivalente à la souffrance causée à la victime, ou éventuellement d'une valeur équivalente, mais contraire, au plaisir retiré du mal commis. Subir le châtiment, ce sera donc expier. Cette conception suppose que les droits de la justice doivent être vengés, et dans l'idée de compensation sommeille toujours la notion de "peine vindicative". Toutes ces idées dominent, consciemment ou inconsciemment et en vertu d'un consensus tacite inné, dans l'éducation des enfants  et l'exercice de la justice humaine. Par exemple, les peines de prison ont bien une valeur vindicative, même si l'on insiste sur la nécessaire protection de la société et leur portée médicinale (rééducation du délinquant, son changement de vie).

    Ce schème anthropologique ne doit pas être méprisé, car il a une valeur sociale réelle ; il commande l'équilibre des échanges dans les relations humaines et il permet la régulation de la violence dans les sociétés. Mais ce schème a été spontanément projeté par la conscience ancestrale dans le domaine des rapports entre l'homme et Dieu. C'est la forme négative du do ut des [expression latine : je donne pour que tu donnes... note de l'auteur du blog].  Les droits de Dieu doivent être vengés par une forme de compensation objective du péché commis, châtiment onéreux ou sacrifice, pour que l'homme retrouve sa bienveillance. Immédiatement transposé et insuffisamment attentif à la transcendance, un tel schème pense Dieu à l'image de l'homme. Il voit en lui un super chef d'Etat, chargé de faire régner l'ordre du monde comme celui d'une société, avec les mêmes moyens. Et comme tout homme est pécheur, le Dieu peint à l'image de l'homme aura inévitablement des traits pécheurs.

    Or la révélation judéo-chrétienne nous dit que Dieu n'est pas comme l'homme : elle convertit radicalement ce schème en annonçant que le Dieu juste et saint est celui qui justifie (rendre juste) le pécheur au lieu de se venger de lui, qu'il est un Dieu de pardon et de miséricorde, de manière inconditionnelle. V. Jankélévitch l'avait bien compris quand il écrivait : " Aristote lui-même a connu le don, mais la Bible seule a vraiment connu le pardon" [V. Jankélévitch, Le pardon, Aubier, p. 167.] Car Dieu n'exige rien d'autre que la conversion du cœur, l'abandon du péché et le retour à la voie de justice ; et en ce domaine lui-même, il donne ce qu'il ordonne, puisque l'homme ne peut se convertir que sous sa grâce. Que cette conversion soit onéreuse à l'homme, cela vient de son attachement objectif au péché, qui lui [61] demande un renversement d'attitude toujours pénible ; qu'elle s'exprime dans des actes concrets de réparation, cela vient de ce que l'homme est corps vivant dans le temps, et qu'une conversion sincère se doit de prendre corps aussi dans le temps et de nier le péché par tous les moyens possibles. Tout cela se trouve parfaitement exprimé dans la parabole du prodigue. " Tuer le veau gras et donner un festin en l'honneur du repenti, dit encore Jankélévitch, c'est là l'inexplicable, l'injuste, la mystérieuse fête du pardon". 

    Il est difficile de contester que le schème de la compensation, toujours grevé de celui de la peine vindicative, n'en soit venu à s'infiltrer subrepticement dans les théologies du salut. Le développement des théories juridiques de la rédemption, où il est question d'imputation ou de substitution pénale en est un exemple évident. Pourtant le mystère de la croix ne peut contredire la parabole de l'enfant prodigue. Il est vrai que la reprise par l'Ancien et le Nouveau Testament de tout un vocabulaire, utilisé analogiquement et objet d'une conversion profonde, semblait côtoyer de si près le schème de la compensation, que celui-ci a donné prétexte à ces interprétations  "déconverties". La chose est manifeste pour le terme d'expiation. De même, combien de théologies de la rédemption ont-elles cherché dans l'histoire des religions une définition du sacrifice, afin de rendre compte de celui du Christ ? L'idée de compensation pénale parasite alors l'interprétation du caractère souffrant  et sanglant de la mort de Jésus. Les termes théologiques de la tradition chrétienne de satisfaction et de substitution en sont venus à véhiculer, l'un l'idée d'une équivalence entre mal et souffrance, l'autre celle de quelqu'un qui "paie" à la place de l'autre. (...) Sur ce point René Girard a raison : l'homme accuse Dieu d'être vindicatif et violent, parce qu'il lui attribue ce que son inconscient  pécheur estime nécessaire. Or la rédemption est l'oeuvre de l'amour divin et aucun texte biblique ne peut être justement interprété dans le sens d'une justice commutative ou d'une justice vindicative.

    Bernard Sesboüé - Jésus-Christ l'unique médiateur - Ed Desclée - Paris 2003 - ISBN : 2-7189-0972-2

     

  • Chemin vers Pâques (14)

    [38]

    Le salut est divinisation gratuitement reçue : vouloir s'approprier, comme une proie, l'égalité avec Dieu, c'est exactement tourner le dos au salut. Et l'on s'éloigne du salut dans l'exacte mesure où l'on prétend se sauver soi-même.

    Mais ce qui rend le drame plus tragique encore, ce qui rend le salut tout à fait impossible au pécheur, c'est l'esclavage auquel le réduit son péché. Le péché en effet réduit l'homme en esclavage. C'est là l'enseignement du Seigneur : " Tout homme qui commet le péché est un esclave" (Jn 8,34 ; cf. Rm 6,17 ; 2 P 2,19

    Il est aisé de comprendre pourquoi. 

    Chaque acte humain, on le sait, les actes peccamineux comme les autres, incline la faculté par laquelle il est accompli, engendre un commencement d'habitude - ou plus  précisément d'habitus -, ou accentue l'habitus déjà contracté, de telle  sorte que les actes contraires en sont rendus plus difficiles, les actes semblables plus aisés. La répétition de ces actes finit par rendre les actes contraires quasi impossibles. Les actes volontaires d'ailleurs n'en sont pas moins volontaires et spontanés : ils le sont davantage. Cette plus grande spontanéité est une plus grande liberté quand il s'agit d'actes conformes à la vraie nature de l'homme, d'actes qui l'orientent vers Dieu ; elle ne fait que souligner la responsabilité de l'esclavage dans [39] lequel l'homme s'enferme  et s'enferme de plus en plus quand il s'agit de péchés, d'actes qui détournent l'homme du Dieu pour lequel il a été créé.

    Dans la vie présente, l'homme est un être en marche, en genèse, en croissance. Cette genèse, au plan psychologique et spirituel, s'accomplit dans la formation progressive des habitus, par la répétition des actes ; mais c'est le redoutable privilège de l'homme de pouvoir, grâce à sa liberté, orienter comme il veut son agir, et, par là, de pouvoir choisir lui-même les habitus qui le structureront (ceci d'ailleurs dans le cadre de certains déterminismes et, pour ce qui est de l'agir et des habitus vertueux, non sans le secours de la grâce divine) : il est comme une glaise encore molle ayant pouvoir de se façonner (ou de se faire façonner) comme elle l'entend ; mais chaque marque qui lui est faite la solidifie un peu plus, jusqu'à ce que le visage soit définitivement fixé : la liberté est le merveilleux et dangereux pouvoir qu'à l'homme de se fixer, de se donner une orientation et un visage éternel.

    Quand les actes sont péchés, quand l'orientation dans laquelle l'homme s'engage est opposée à dieu, quand les habitus sont vicieux, chaque moment, chaque pas rend le retour à Dieu et le salut plus difficiles. La vitesse de la chute, dirait-on, est uniformément accélérée. Le fer des chaînes resserre de plus en plus son étreinte.

    Cet esclavage est le commencement de l'enfer. L'enfer lui-même ne sera rien d'autre que le péché continu, toujours actuel, et toujours aussi spontané, enfonçant le damné toujours plus profondément dans l'incapacité de se retourner vers Dieu, en qui seul pourtant est le salut, et dont la privation est pour l'homme perdition et damnation : là aussi, là surtout, le péché est orgueil, révolte et fermeture par rapport à Dieu, refus de son secours et de son Amour, d'un Amour qui pourtant demeure lui-même toujours actuel, gratuit et fidèle, infini.

    Le pécheur est donc esclave de son péché, et plus précisément de ses habitus peccamineux, et bien incapable de se libérer lui-même de son esclavage, pourtant librement choisi et toujours aussi spontanément voulu.

    Mais, dira-t-on, tous n'ont pas péché ! Tous ne se sont pas rendus esclaves d'habitus peccamineux ! L'enfant, qui n'a pas encore d'activité proprement consciente et libre, et n'a pas pu encore acquérir de penchants mauvais, n'est donc pas esclave ! Hélàs, la Parole de Dieu nous enseigne que le péché a envahi [40] l'humanité entière (cf. Rm 3,9-20 ; 5,12), qu'il est devenu pour elle comme une seconde nature (on pourrait dire une "condition" de naissance), que tous les hommes sont enfermés sous sa domination (Rm 11,32 ; Ga 3,22).

    L'esclavage de l'homme par rapport au péché n'est donc pas seulement individuel, il est universel et collectif. Mais l'esclavage collectif n'est pas d'une nature différente de celui de chaque homme particulier. Il s'agit ici encore d'habitus peccamineux.

    En effet l'humanité entière est comme un seul homme, comme un immense vivant, qui a commencé aux origines de l'histoire et qui emplit le monde habité, dont chaque personne humaine est un membre. Comme un seul homme : car tous sont solidaires, d'une solidarité physique, psychique, morale, spirituelle, mystérieuse certes mais extrêmement réelle, dont la profondeur justement a été manifestée d'abord dans le mystère du péché et devra l'être ensuite et surtout dans celui du salut ; comme un seul homme : car l'activité de chacun influe sur l'ensemble, marque et incline l'humanité entière, et engendre en elle des habitus ou accentue ceux qui sont déjà contractés. 

    Chaque homme n'est donc pas incliné au péché seulement par ses propres habitus peccamineux, mais aussi  par ceux de l'humanité entière ; chaque homme n'est pas esclave seulement des vices qu'ont engendrés en lui ses péchés personnels, mais aussi de ceux qui viennent des péchés de ses semblables, et plus spécialement de ce "péché de nature" qu'est le péché originel. Car, quelle que soit la théorie que l'on veuille adopter au sujet du péché originel et de sa transmission, il faut reconnaître qu'il est en chaque homme à l'origine d'une propension au péché qui est aussi un habitus vicieux. (...) [41]

    Tel est donc le cercle vicieux, tel est l'esclavage dans lequel l'homme s'est lui-même enfermé. L'habitus ou les habitus mauvais qui l'enchaînent, le rendent incapable, par lui-même, d'agir bien, l'établissent dans une condition de faiblesse radicale par rapport à tout bien (cf. l'homme "charnel" dans Rm 8, 3.5-8)  , et redoublent ainsi l'impossibilité dans laquelle il était déjà, par nature, d'atteindre le salut. [42] Le salut est donc impossible aux hommes, il est possible seulement à Dieu. Le Seigneur Jésus l'a Lui-même très nettement enseigné dans l'Evangile. Son affirmation conclut la scène de l'appel et du triste départ du jeune homme riche, en Mc 10, 24-27. "Mes enfants, dit Jésus à ses disciples, comme il est difficile d'entrer dans le royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou de l'aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume de Dieu ! " Il est intéressant de noter que c'est à l'occasion d'un refus de Le suivre dû à la richesse, que le Christ donne cet enseignement : cette richesse est le symbole de la suffisance de l'homme, principal obstacle à un salut qui requiert avant tout la pauvreté du coeur. Les disciples, alors, "restèrent interdits", nous dit l'Evangéliste, ... et il y avait de quoi ! Aussi "ils se demandèrent les uns aux autres : mais alors, qui peut être sauvé ? " Jésus, bien loin d'édulcorer une affirmation imagée mais déjà parfaitement claire, insiste, au contraire, et "fixant sur eux son regard", comme pour souligner plus fortement la portée de ses paroles, leur dit : " Pour les hommes, c'est impossible, mais non pour Dieu : car tout est possible pour Dieu."

     

     

    Note 1 : " La libération en quoi consiste le salut ne peut s'accomplir que par une puissance capable de vaincre les habitus vicieux qui entraînent l'homme au mal : cette puissance ne peut être que celle de Dieu, qui seul peut réorienter vers le bien la liberté de l'homme - sans pour autant lui faire violence ; plus précisément, cette puissance est celle de l'Esprit Saint, donné par Dieu à ceux qui sont les membres du Christ, et qui vainc en eux la force du péché en les recréant selon Dieu et en les animant de la vie du Fils de Dieu. Le mystère du salut, qui  est un mystère de libération du péché, est donc finalement le mystère du don par le Père, dans le Christ, de l'Esprit Saint."

    Note 2 : " L'homme est comme un être naturellement transparent à la Lumière divine mais qui, en la refusant, s'est plongé lui-même dans les ténèbres ; chasser ces ténèbres de l'homme et l'illuminer ne sont qu'un seul et même effet de l'invasion de la Lumière ; c'est la même grâce qui libère du péché et divinise. Cette doctrine est tout à fait classique, mais il est important de la garder présente à l'esprit quand on réfléchit au mystère de la Rédemption : considérer le péché à part de la divinisation risque d'entraîner à la "chosifier", et de conduire, du fait même, à une représentation juridique de la rédemption (paiement d'une dette). En réalité, rédemption et divinisation sont aussi gratuites l'une que l'autre, car ce ne sont que les deux faces d'une même oeuvre de l'Amour divin. "  

     

    Claude Richard - Il est notre Pâque - Cerf , 1980  

     

    Claude Richard a été abbé de l'abbaye cistercienne Notre-Dame de Timadeuc, près de Rohan