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vigile pascale

  • Le Christ est ressuscité

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    La nuit de Pâques, après avoir fait en procession le tour de l'église, nous nous arrêtons devant les portes fermées : c'est là le tout dernier instant de silence avant la grande explosion de joie pascale. A ce moment-là, surgit toujours, consciemment ou inconsciemment, au fond de nous-mêmes, cette question que se posèrent aussi, selon le récit évangélique, les femmes myrrhophores, lorsqu'elles arrivèrent de grand matin au tombeau, alors que le "soleil s'était à peine levé" : "Qui nous roulera la pierre du tombeau ?". Et nous nous demandons toujours : le miracle aura-t-il lieu encore une fois ? La nuit deviendra t-elle , de nouveau, plus lumineuse que le jour ? Serons-nous encore envahis par cette joie inexplicable et affranchie de tout événement de ce monde, qui, durant toute cette célébration et les jours suivants, va résonner dans cet échange d'acclamations pascales : " Le Christ est ressuscité ! - En vérité, Il est ressuscité !"

    Cette minute arrive toujours... les portes s'ouvrent et nous pénétrons dans l'église baignée de lumière. Nous entrons dans ces mâtines pascales, débordantes d'allégresse. Mais dans notre âme demeure cette question : quel est le sens de tout cela ?  Que veut dire fêter Pâques en ce monde empli de  souffrance, de haine, de mesquinerie, de guerres ? Que signifie chanter : " Par la mort, Il a vaincu la mort " ? ou encore entendre ces paroles : " Il n'y a plus un seul mort dans les tombeaux", alors que la mort reste toujours, en dépit de toute la vaine agitation de ce monde, la seule certitude absolue sur la terre. Est-il possible que cette lumineuse nuit de Pâques, toute cette jubilation ne soient qu'une évasion éphémère du réel, un moment d'ivresse spirituelle, et que l'on retrouve ensuite, tôt ou tard, la grisaille de la vie, des réalités quotidiennes, avec toujours le même décompte des jours, des mois, des années qui filent inexorablement en se hâtant vers la mort et le néant ? Depuis longtemps on nous répète que la religion est leurre, opium, [196] invention pour aider l'homme dans sa pénible existence et qu'elle finit par se dissiper. Ne serait-il donc pas plus courageux, plus digne, pour lui, de renoncer à ce mirage, d'accepter la réalité simple et sensée ?

    Une première réponse approximative à toutes ces interrogations serait, probablement, la suivante : il n'est pas possible que tout cela ne soit qu'une simple invention ; ni qu'une telle foi, une telle joie lumineuse - depuis deux mille ans - ne soient qu'un délire, un mirage. Une telle illusion aurait-elle pu durer des siècles ? Cette réplique, certes, a du poids, mais n'est pas encore déterminante. Il faut avouer, en toute honnêteté, qu'il ne peut y avoir de réponse catégorique qui définisse ce qu'est la foi pascale, et qui puisse être énoncée sous la forme d'une démonstration scientifique. Chacun de nous ne peut, en l'espèce, que témoigner de l'expérience personnelle qu'il a lui-même vécue.  

    Lorsqu'on approfondit cette expérience réelle, on découvre soudain les fondements de tout l'édifice : on est ébloui par une lumière aveuglante qui véritablement fait fondre, comme la cire au feu, toutes les questions et les doutes. Quelle est donc cette expérience ? Je ne peux la décrire et la formuler que comme une rencontre avec le Christ vivant. Je crois en Christ, non pas, parce qu'il m'a été donné, une fois l'an, depuis ma tendre enfance, de participer à la célébration pascale, mais parce que ma propre foi est née d'une expérience du Christ vivant : c'est pourquoi Pâques peut exister, et, de même, cette incomparable nuit pascale peut enfin être remplie de lumière et de joie. C'est pour cette raison, aussi, que l'acclamation : "Le Christ est ressuscité ! En vérité Il est ressuscité !" retentie avec autant de force.

    Quand et comment est née ma foi ? Je l'ignore et ne m'en souviens pas. Je sais seulement que chaque fois que j'ouvre l'Evangile, que je lis des versets sur le Christ, entends Ses propres paroles, Son enseignement, je répète intérieurement, avec tout mon être et tout mon cœur, ce que dirent  ces gardes envoyés par les pharisiens pour l'arrêter, et qui étaient revenus sans l'avoir fait : " Jamais homme n'a parlé comme cet homme". Ainsi, ce dont je suis convaincu, en premier lieu, c'est que l'enseignement du Christ est vivant et que rien au monde ne peut lui être comparé. Cet enseignement parle du Christ, de la vie éternelle, de la victoire sur la mort, de l'amour qui est plus fort que la mort : or je sais que, dans [197] cette vie où tout paraît si difficile, si triste, la seule chose qui ne trompe jamais, qui ne nous abandonne jamais, c'est ce sentiment profond que le Christ est avec nous, avec moi. " Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviendrai vers vous ". Il revient : on sent qu'Il se tient là, dans la prière, dans un frémissement de l'âme, dans cette joie incompréhensible et pourtant si vivante, dans cette présence mystérieuse mais tellement perceptible, à travers les offices et les sacrements. Cette expérience vivante, cette connaissance et cette évidence grandissent sans cesse : le Christ est là, Sa parole se réalise. "Je serai avec celui qui m'aime... et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure." Dans la joie, dans la peine, au milieu de la foule ou dans la solitude, nous avons la certitude  de sa présence, nous ressentons la force de Sa parole, la joie que nous procure la foi en Lui.

    C'est là, la seule réponse possible, la seule preuve. "Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui vit ? Pourquoi pleurez-vous sur la tombe du Seigneur immortel ?" (...) Car Pâques n'est pas la commémoration d'un événement passé, mais une rencontre réelle, dans la joie et le bonheur, avec Celui en qui notre cœur a reconnu depuis longtemps la vie et la lumière du monde.

    La nuit pascale témoigne que le Christ est vivant parmi nous et que nous vivons avec Lui. Elle est un appel à voir, dans le monde et dans notre existence, l'aube du jour mystérieux de Son Royaume [198] lumineux. "Aujourd'hui le printemps embaume, chante l'Eglise, et la nouvelle création est en liesse..." Elle exulte dans la foi, l'amour et l'espérance. "C'est le jour de la Résurrection, rayonnons en cette solennité, embrassons-nous les uns les autres, appelons-nous frères ! Pardonnons à ceux qui nous haïssent à cause de la résurrection, afin de pouvoir chanter : le Christ est ressuscité des morts ; par la mort Il a vaincu la mort ; à ceux qui sont dans les tombeaux Il a donné la vie !"

    Le Christ est ressuscité !

    Alexandre Schmemann - Vous tous qui avez soif -  Ed. Oeil/ YMCA-PRESS, Paris 2005.

    Le père Alexandre Schmemann (1921-1983) fut un homme d'Eglise d'une envergure exceptionnelle, à la fois missionnaire, historien, théologien et prédicateur. formé à l'Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge de Paris, il dirigea, à New-York, le Séminaire Saint-Vladimir. Né dans l'émigration, ayant vécu sa jeunesse en France, de culture russe autant que française, il n'a pas connu son pays d'origine, mais il lui est resté très attaché. Pendant trente ans, il n'a pas cesser d'adresser chaque semaine à l'intention  des auditeurs d'Union soviétique, par le canal de Radio Liberty, des prédications spirituelles et théologiques.

    "Cela faisait longtemps qu'avec un grand plaisir spirituel, j'écoutais les prédications du père Alexandre et je m'étonnais à quel point son art de prédicateur était authentique, actuel, élevé..." Alexandre Soljenitsyne

    Autre ouvrage publié du P. Alexandre Schmemann : "L' Eucharistie, sacrement du Royaume" Ed. Oeil/YMCA-PRESS