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Traversées christiques - Page 24

  • Jean Guitton parle de Marthe Robin

    (...) [30] Je passe maintenant, si vous le permettez, à un second aspect, qui est plus important.

    Cette petite paysanne [M.Robin] est une femme supérieure. Cela m'a frappé dès notre première rencontre, et plus encore à ma seconde visite. La maladie a concentré Marthe. Il faut que je vous rappelle un détail que j'avais omis : c'est que Marthe ne dort pas. Elle pense donc, sans arrêt. Elle est un cerveau - peut-être un des cerveaux les plus exercés de notre planète. Elle n'est que cerveau, mais c'est un cerveau réfléchi. Quand je dis qu'elle "réfléchit" ou qu'elle "médite", je prends ce mot dans le sens le plus originel. La [31] plupart d'entre nous disent qu'ils réfléchissent ou qu'ils pensent, ou encore qu'ils prient, mais leur pensée est un vague rêve ; leur prière n'est pas une méditation : c'est un ronronnement. Marthe approfondissait. Et cette petite paysanne française a longuement réfléchi aux moyens qu'elle pouvait avoir, malgré son immobilité, d'agir sur la planète.

    Alors, elle a compris qu'elle ne pouvait pas être seule, qu'elle avait besoin d'un compagnon qui lui apporterait non pas tant un secours matériel que la culture, qu'elle n'avait pas. Par cet ange, elle a pu acquérir, peu à peu un langage remarquable par sa netteté, sa fermeté, sa densité, son exactitude.

    Je vais vous étonner : savez-vous à qui je pense quand je suis avec elle ? J'ose à peine le dire ; je pense à Pascal. Elle est un esprit du même type, avec plus de simplicité. Ce qu'elle dit est net de contours, sobre, juste ; frappé. 

    Avec cela, une mémoire d'éléphant sur les petits détails. Et toujours ce qu'en France nous appelons "l 'esprit", et qui n'est pas amer, mais épicé d'humour et d'enjouement. 

    Marthe a une extrême défiance pour ce qu'on peut appeler le "merveilleux". Et pourtant ce merveilleux pousse autour d'elle comme une herbe folle, qu'elle voudrait couper. Elle ne peut l'empêcher de pousser : ceux qui sont autour d'elle cultivent cette ivraie.

    Mais à mon point de vue, le merveilleux chez Marthe est précisément qu'il n'y a pas de "merveilleux", au sens propre du terme. Ou plutôt, je puis, comme le conseille Husserl, mettre ce "merveilleux" entre parenthèses. Je ne retiens chez Marthe que sa pensée. Or, celle-ci est raisonnable. Elle est ingénieuse ; elle est efficace ; elle cherche le vrai bien des [32] hommes

    Jean Guitton - Portrait de Marthe Robin - Grasset, 1985

  • Confession ou psychanalyse (5)

    Suite de la conférence de François Varillon (S.J) sur la confession. Je vous recommande de lire les textes 1 à 4 avant d'entreprendre la lecture de ce post, du moins pour se pénétrer de toute la richesse de cet enseignement. (Retranscription à partir d'un enregistrement).

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    [reprise dernière phrase]

    Mais Osée, toujours sur l'ordre de Dieu, donne des noms, dont le sens symbolique laisse présager que le malheur va s’appesantir à la fois sur la vie conjugale d'Osée et sur le destin d'Israël. En effet, Gomer ne tarde pas à quitter son mari et à se prostituer de nouveau. Peut-être va t-elle exercer, au service d'un sanctuaire, la prostitution que les païens considéraient comme sacrée. Alors dans sa colère et dans sa souffrance, Osée continue d'aimer la femme infidèle. Elle s'est vendue. Il la rachète. Si, pendant un temps d'épreuve, elle consent à rester fidèle, tranquille au foyer, sans se prostituer, sans se livrer à aucun homme, Osée pardonnera tout et un jour Gomer, purifiée, aura de nouveau son rang d'épouse. Evidemment Osée ne peut pas réintroduire Gomer en son foyer en acceptant qu'elle continue à se prostituer : ce ne serait plus de l'amour, ce serait de la mauvaise complaisance. Ce serait une complaisance indigne. De même, Dieu ne peut pas pardonner à Israël en fermant purement et simplement les yeux sur son idolâtrie, sur sa débauche, sur son injustice. Il faut que Gomer soit éprouvée. Il faut qu'elle réfléchisse et qu'elle renonce librement à la volupté adultère.

    Elle le fait, et Osée rend à Gomer, purifiée et amendée, la joie du premier amour. C'est la prodigieuse révélation du pardon dans l'Ancien Testament. Ce n'est pas la première, il y avait déjà l'histoire de Joseph pardonnant à ses frères dans le livre de la Genèse.

    Mais je voudrais vous proposer de réfléchir à un autre texte de l'Ancien Testament. C'est le livre de Jonas. S'il faut vingt minutes pour lire Osée, il faut vingt-cinq minutes pour lire le livre de Jonas. Je pense que ça vaut la peine. Combien de temps passez-vous à lire Paris-Match ou l'Express ou d'autres hebdomadaires ? Nous avons un examen de conscience à faire vous savez, sérieux. Et c'est prodigieux le livre de Jonas. C'est une fable. Quand on pense que les enfants apprennent les Fables de La Fontaine, et ce sont des chefs-d'oeuvre, et les éducateurs chrétiens n'ont pas songé à leur faire étudier la fable de Jonas, comment ça se fait ? Alors on pourra bien composer des problèmes sur le sacrement de pénitence, on ignore la base, le fondement.

    Le Livre de Jonas c'est une fine satire ou une sorte d'apologue contre les Juifs qui étaient scandalisés par la patience de Dieu à l'égard des païens. Au fond, les Juifs sont ennuyés que Dieu aime Ninive. Mais Dieu aime Ninive. Ninive, la grande capitale. Alors un jour, Dieu dit à Jonas : je te donne l'ordre d'aller à Ninive, et là-bas, tâche de leur faire un beau sermon. Tu leur diras : les amis, il y a beaucoup trop de péchés dans votre ville, si elle ne se repend pas, Dieu fera éclater sa colère.

    Mais Jonas, au lieu d'aller à Ninive, prend la direction opposée. Au lieu de prendre le bateau pour Ninive, il prend le bateau pour Tarsis. Exactement comme si Dieu me donnait l'ordre de prendre le train pour Paris et que je prenais le train pour Lyon !

    Une tempête effroyable survient. Le capitaine qui est un "bien-pensant" demande à tous les passagers de prier. Et Jonas qui n'a pas la conscience tranquille - parce qu'il n'a pas obéi à Yahvé - va se cacher au fond de la cale. On finit par le trouver et on lui dit : pourquoi tu ne pries pas toi ? Alors les mariniers se disent les uns aux autres : on va jeter le sort afin de savoir d'où vient le mal. Il y a un coupable parmi nous. Il est responsable de la tempête. Et le sort tombe sur Jonas et on jette Jonas à la mer.

    Dieu fit venir un gros poisson, un poisson qui engloutit Jonas. Dans le ventre du poisson, Jonas fait oraison. Il a le temps ! [rires de l'auditoire]. Et Jonas demande pardon à Dieu de lui avoir désobéi. Et Dieu lui pardonne. Dieu dit alors deux mots au poisson et le poisson crache Jonas sur la terre. Alors Dieu dit à Jonas : tu vois, je t'ai pardonné. Est-ce que tu vas maintenant m'obéir ? Je te réitère l'ordre d'aller à Ninive et d'y faire un grand sermon pour annoncer ma colère s'ils ne font pas pénitence. Alors cette fois Jonas obéit. Mais on sent bien qu'il est inquiet. Il voudrait se dérober. Visiblement, ce sermon  qu'il a à faire l'ennuie. Enfin, il fait son grand sermon dont voici le résumé : il y a beaucoup de péchés dans votre ville : encore quarante jours et Ninive sera détruite. A ce moment-là grand branle-bas dans la capitale. Tout le monde se met à jeûner, à se revêtir d'un sac du plus petit jusqu'au plus grand. Le roi lui-même enlève son manteau royal, se couvre d'un sac, quitte son trône, s’assoit sur la cendre, et il fait publier un décret ordonnant une pénitence générale.

    Qu'est-ce que vous voulez que Dieu fasse ?

    Naturellement Il pardonne à Ninive. Il ne met aucune de ses menaces à exécution. Alors Jonas est furieux et il dit à Dieu : je savais bien que tu allais passer. C'est toujours la même histoire ! Vous m'envoyez faire des sermons ; vous voulez que de votre part je profère des menaces, que je parle de votre colère. Croyez-vous que je ne commence pas à vous connaître ? Vous êtes un Dieu miséricordieux, vous pardonnez, vous êtes clément. C'est bien pour ça que je me suis enfui la première fois. De quoi est-ce que j'ai l' air ? J'annonce des choses terribles de votre part et puis, rien, vous pardonnez !  J'en ai assez de faire l'imbécile.

    Dieu lui dit : Jonas, as-tu raison de t'irriter ? Tu as tort d'être furieux !  

    Alors Jonas se met à bouder, et il va s'asseoir dans la banlieue, à côté des fortifs. Alors Dieu pousse la bienveillance jusqu'à faire pousser un ricin pour donner de l'ombre à Jonas. Mais à l'aube un ver pique le ricin  et le ricin sèche. Jonas est de plus en plus furieux. Il est en plein soleil. Il attrape la migraine. Et il dit : décidément la mort vaut mieux que la vie. Alors Dieu lui dit : fais-tu bien de t'irriter à cause de ce ricin ? Tu t'affliges au sujet d'un ricin pour lequel tu n'as pas travaillé et que tu n'as pas fait croître ; qui est venu en une nuit et qui a péri en une nuit. Et tu voudrais que moi je ne m'afflige pas au sujet de Ninive, la grande ville dans laquelle il y a plus de cent vingt mille hommes qui ne savent pas distinguer leur droite de leur gauche. Et des animaux en grand nombre. Et tu voudrais que je ne les aime pas ? Et tu voudrais que je ne leur pardonne pas ?

    C'est admirable. C'est admirable !

    Le péché de Jonas c'est de n'avoir pas participé à la joie de Dieu. La joie de pardonner.

    C'est le péché des pharisiens dans l’Évangile qui consiste à ne pas se réjouir avec Dieu du pardon accordé à Ninive repentie.  

    Moralité de tout cela : le cœur de Dieu est plus grand et plus large que le cœur de l'homme. Et c'est tout cela que nous retrouvons dans le Nouveau Testament  avec les trois paraboles du chapitre quinzième de saint Luc.

                                                                                  A suivre....

                                                            François Varillon  S.J

  • Confession ou psychanalyse (4)

    Suite de la conférence de François Varillon (S.J) sur la confession. Je vous recommande de lire les textes 1 à 3 avant d'entreprendre la lecture de ce post, du moins pour se pénétrer de toute la richesse de cet enseignement. (Retranscription à partir d'un enregistrement audio).

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    Alors ce qu' il faut bien comprendre c'est que le chrétien qui se laisse sérieusement interroger, interroger en profondeur, à la racine même de lui-même par le phénomène de la misère dans le monde, la misère ou la faim dans le monde ; le chrétien qui se laisse sérieusement interroger par l'absence de justice, sociale ou internationale, celui qui se laisse sérieusement interroger par le fait de la lutte des classes, par la guerre, par sa propre responsabilité dans la guerre, même si la guerre se déroule très loin au Vietnam ou ailleurs, ou la révolution comme au Chili ; il est inévitable que, lorsque cet homme essaye de mettre au point son engagement chrétien la liste des péchés qu'on lui présente dans les manuels est d'un faible secours. Il a l'impression que ça n'a rien à voir. Et il réclame, plus ou moins consciemment, que le sacrement de pénitence soit revalorisé dans son sens comme dans sa forme. On ne peut pas dire purement et simplement qu'il a tort. C'est évident. Voilà assez sommairement expliquées les causes d'un malaise qui se traduit par un abandon progressif du sacrement de pénitence, et par cette sorte de cette mise en concurrence du sacrement de pénitence et de la psychanalyse.

    Pour essayer d'y voir clair je vous propose de bien distinguer trois choses : 1°) La vertu de pénitence ; 2°) le sacrement de pénitence ; 3°) le rite du sacrement de pénitence.

    Trois choses à distinguer très soigneusement.

    1°) D'abord la vertu de pénitence.

    J'hésite à prononcer ce mot de "vertu", vous savez à quel point le mot est dévalorisé. Parler de "vertu" à des jeunes, ils vous envoient immédiatement promener ! On les comprend, tellement le mot a été affadi. C'est dommage. Parce que, ce qu'il faudrait, c'est redonner à ce mot son sens premier, son sens latin. La vertu c'est l'énergie ; "virtus" c'est la force, c'est le courage. C'est ça le sens premier du mot "vertu". Au fond, ce que nous appelons "vertu" c'est la vérité de notre relation à Dieu. Il faut être existentiel, concret, réel. La vie, elle est faite de relations. Parmi nos relations, il y a une relation privilégiée, c'est la relation à Dieu. Il faut que cette relation soit vraie, authentique. Or la vérité de notre relation à Dieu c'est que nous sommes des enfants pardonnés dans les bras d'un Père qui pardonne.

    Ce qu'on appelle la vertu de pénitence c'est la prise de conscience de cette relation entre l'homme et Dieu. Si je me présente devant Dieu comme un innocent, ma relation à Lui n'est plus une relation vraie. Et si Dieu n'est pas pour moi avant tout Celui qui pardonne, ma relation à Lui n'est pas une relation vraie. La plus profonde de toutes les réalités c'est la réalité du pardon divin. Nous pourrions dire que la réalité du pardon de Dieu c'est le coeur du coeur de la révélation judéo-chrétienne.

    Vous savez que les païens avaient pressenti la grandeur du pardon. Les païens avaient un mot dont il est très dommage qu'on ne l'emploie plus guère dans la langue française : le mot "magnanimité". On a écrit il n'y a pas tellement longtemps une thèse de doctorat sur la "magnanimité". Etre magnanime c'est être à la fois courageux et être compatissant. Ce qu'on appelle la "grandeur d'âme" implique à la fois le courage et la compassion. Nous trouvons cela chez les païens. Lorsque Thésée a délivré des prisonniers du labyrinthe il élève un autel à la ....... (inaudible). Et dans l'Iliade, Achille est grand par son courage, bien sûr, mais aussi et surtout par sa compassion pour le vieux père de celui qui a tué son ami. Bossuet écrit : "Lorsque Dieu formait les entrailles de l'homme il y mit premièrement la bonté." Or Dieu a fait l'homme à son image, c'est donc Dieu d'abord qui a des "entrailles". C'est bien dommage que les fidèles ignorent que derrière les mots que nous utilisons si souvent : "miséricorde", "pitié" : Seigneur prends pitié ! O Christ prends pitié! derrière tous ces mots-là il y a une racine qui signifie "utérus", "matrice", "sein maternel". Quand nous disons : Seigneur prends pitié, cela veut dire : "souviens toi que tu as des entrailles de mère". C'est une invocation à la maternité presque "physique", "viscéral" de Dieu.

    Ce qui est au cœur de la révélation chrétienne c'est la révélation du pardon divin. Alors ce que j'appelle la vertu de pénitence c'est la prise de conscience de cette réalité qui est la plus profonde de toutes les réalités, à savoir que nous sommes des enfants pardonnés dans les bras d'un Père qui a des "entrailles" de mère  et qui nous pardonne. C'est toute la Bible !

    Alors je préfère vous donner quelques textes de l'Ancien Testament, parce que tout le monde connaît les textes de l'Evangile : la brebis perdue, la pièce de monnaie égarée, le fils prodigue qui revient, l'insolvable sans entrailles en saint Matthieu (ch.18). Je préfère vous indiquer quelques grands textes de l'Ancien Testament parce que, avant de parler du sacrement de pénitence,  il faut comprendre ce qu'est LA pénitence.

    Pénitence est un mot qui traduit assez mal le grec "metanoïa" qui signifie : "changement de mentalité", changement de vie, retournement intérieur. Métanoïa : c'est le mot qu'emploie Jean-Baptiste au début de l'Evangile. Nous traduisons : "faites pénitence". cela veut dire : "retournez-vous" ! "changez de manière d'être" ! "changez de perspective"  : c'est cela qui rend possible la pardon divin.

    Eh bien, parmi les textes de l'Ancien Testament, il y a d'abord le prophète Osée.

    Avez-vous lu le prophète Osée ?

    Vous en avez pour vingt minutes, pas plus. Il est proprement inouï que des catholiques n'aient pas lu le prophète Osée : je dis bien vingt minutes, pas plus. C'est prodigieux. C'est à partir du drame personnel d'Osée que Dieu nous révèle la profondeur de son pardon. Le livre d'Osée c'est une prophétie en actes. Ce ne sont pas des paroles. C'est la vie même d'Osée qui a une valeur prophétique. Il a une femme, une femme qui s'appelle Gomer. Et c'est une femme qui est portée à la prostitution. Osée a peur qu'elle transmette à ses enfants ses mauvais penchants. Alors il hésite à l'épouser. Alors Dieu intervient et lui dit : "épouse cette femme et ton mariage aura une valeur d'enseignement", ton mariage avec cette femme portée à la prostitution aura un sens prophétique. Osée épouse Gomer. Gomer lui donne des enfants. Mais Osée, toujours sur l'ordre de Dieu, donne des noms, toujours symboliques, qui laissent présager que le malheur va s’appesantir."  (32:11)

                                                                          A suivre prochain post.

                                                       François Varillon

     

     

     

  • accueillir notre grâce baptismale

    "Tout l' agir du chrétien est d'accueillir et de faire resurgir dans une conscience existentielle cette grâce baptismale qui est en quelque sorte enfouie dans les profondeurs de son existence corporelle."

                                                  Jean Lafrance

     

                                                                                (ND D'Acey 09.09.84)

     

     

  • Confession ou psychanalyse (3)

    Je poursuis la retranscription de la conférence du Père Varillon. Si vous n'avez pas suivi depuis le début, je ne peux que vous inviter à lire "Confession ou psychanalyse" 1 et 2.

     

    Vous comprenez bien que de nos jours, nous connaissons mieux qu'autrefois la part de la subjectivité et de tout ses conditionnements. Tous ses conditionnements que  précisément, à la suite de Freud, la psychanalyse étudie.  Aujourd'hui, nous savons beaucoup mieux qu'autrefois que l'homme n'est pas seulement nature, mais histoire. Il n'est pas seulement ce qu'il est : nature, nature humaine, mais histoire, dynamisme, en mouvement. En marche. En marche vers des valeurs que l'on ne peut pas atteindre d'un seul coup.

    Et c'est pourquoi nous sommes beaucoup plus sensibilisés qu'autrefois à l'orientation d'une vie. L'orientation, c'est cela qui est intéressant. Comment une vie est-elle orientée ? Est-ce qu'elle est orientée vers le triomphe des valeurs : justice, liberté, fraternité...? C'est à cela que l'homme moderne s'intéresse,  beaucoup plus qu'à une nomenclature d'actes envisagés isolément, à part de la trame vitale dont ils font partie.

    C'est l'orientation d'une vie qui importe.

    Etes-vous dans la bonne direction ? Marchez-vous d'un pas allègre vers cette bonne direction ? Et qu'en cours de route il y ait des chutes, des faux pas :  ça n'a pas tellement d'importance.  C'est l'orientation qui importe.

    Et d'autre part, nous avons appris, grâce aux travaux de la psychologie et de la psychanalyse, nous avons appris à ne pas être "chosistes" : nos actes ne sont pas des choses.

    Nous avons appris à considérer chacune de nos décisions ou de nos actions  comme ayant sa part de valeur et de non-valeur. Autrement dit, dans chacune de nos actions, il y a une part de lumière et une part de ténèbre. Nous ne croyons plus qu'il y ait des actes purement lumineux et des actes purement ténébreux. Nous répugnons, toujours grâce aux travaux de la psychologie et de la psychanalyse, à classifier systématiquement les actes humains dans des catégories sans nuances d'actes bons ou d'actes mauvais. Nous hésitons à dire : ceci est un péché, cela n'en est pas un. Nous disons beaucoup plus volontiers : dans tel acte il y a du péché, des éléments de péché, ou, comme dit très bien Claudel "une température continuelle de péché", même dans nos actes les meilleurs et les plus généreux. Et réciproquement :  aucun de nos péchés n'est purement péché.

    Dans tout acte vertueux il y a une température de péché : le repli sur soi, l'égoïsme, le fait de se mettre en avant, et à l'inverse, aucun péché n'est purement péché. Dans tout péché il y a une part de valeur. Cela concorde parfaitement avec la doctrine de saint Thomas d'Aquin : il n'y a pas de péché à l'état pur.

    Alors vous comprenez que dans cette optique d'une morale dynamique des valeurs, on ne peut plus juger sa propre conduite à la manière légaliste du pharisien de l'Evangile : il ne trouvait rien à se reprocher. Cet homme (pour qui le Christ s'est montré très sévère) avait réellement respecté son code, le code des prescriptions, le code des défenses, c'est un homme qui était pur aux yeux de la Loi et le Christ nous dit qu'à ses yeux, il est foncièrement pécheur.

    Celui qui prend les valeurs comme critère de moralité ne peut plus être pharisien. Mais par contre alors, tout en se sachant pécheur, il risquera de ne rien trouver de précis à accuser en confession selon le code établi. Perpétuellement, j'entends des hommes, des femmes me dire : " faut-il que je me confesse car je ne sais pas quoi vous dire : je ne sais qu'une chose c'est que je suis égoïste dans toute ma vie."

    L'égoïsme est répandu partout. Selon le code très précis des prescriptions et des défenses il n'y a rien de particulier.   [à suivre]

                                                                    Père Varillon

  • il y a humanisme et humanisme

    " (...) 42. C'est un humanisme plénier qu'il faut promouvoir. Qu'est-ce à dire sinon le développement intégral de tout l'homme et de tous les hommes ? Un humanisme clos, fermé aux valeurs de l'esprit et à Dieu, qui en est la source, pourrait apparemment triompher. Certes l'homme peut organiser la terre sans Dieu, mais sans Dieu il ne peut en fin de compte que l'organiser contre l'homme. L'humanisme exclusif est un humanisme inhumain. Il n'est donc d'humanisme vrai qu'ouvert à L'Absolu, dans la reconnaissance d'une vocation, qui donne l'idée vraie de la vie humaine. Loin d'être la norme dernière des valeurs, l'homme ne se réalise lui-même qu'en se dépassant. Selon le mot si juste de Pascal : "l'homme passe infiniment l'homme"

    Extrait de la  Lettre Encyclique "Populorum Progressio" Paul VI -  26 mars 1967

  • le chemin la vérité et la vie

    "L'écoute des évangiles, la connaissance la plus approfondie et la plus rigoureuse des paroles évangéliques est insuffisante et trompeuse sans le regard fixé sur le personnage vivant, sans la contemplation directe du Seigneur. La valeur irremplaçable des évangiles, le signe de leur authenticité, c'est précisément qu'ils interdisent toujours de séparer les mots prononcés de celui qui les dit, les paroles de la Parole. "

                                                                                           Jacques Guillet s.j

  • Confession ou psychanalyse (2)

    Extraits tirés d'une conférence du Père Varillon.

    C'est toujours l'image d'un Dieu législateur qui légifère en vertu d'une autorité dont il est jaloux : c'est Dieu, il a bien le droit de légiférer. Et quand il légifère eh bien il faut obéir aux lois qu'il a édictés. Et ce Dieu législateur tient une comptabilité rigoureuse de nos actes pour récompenser comme pour punir, bref nous ne sommes pas tellement loin du Dieu de l'Inquisition ! Alors est-ce que cette conception de Dieu qui était très fréquente hier, chez nos parents, chez nos grands-parents [NDLR : cette conférence a été donnée autour des années 1972-1975] et plus encore chez nos arrières grands-parents, est-ce que cette conception d'un Dieu législateur n'a pas laissé chez les fidèles d'aujourd'hui comme chez certains confesseurs d'ailleurs de vieux réflexes dont on a beaucoup de mal à se débarasser alors que la conscience, la conscience moderne, la conscience des hommes d'aujourd'hui qui vivent avec leur temps. Je parle des hommes sérieux bien sûr, je ne parle pas de ceux qui veulent à tout prix être "dans le vent" comme on dit. Je parle des hommes véritablement sérieux mais qui sont tributaires de la culture de leur temps, de notre temps.

    Ils découvrent de plus en plus que la véritable morale c'est une morale des valeurs. La justice est une valeur, la liberté est une valeur, la fraternité est une valeur. Alors si une certaine éducation infantile - et c'est celle que j'ai reçue quand j'étais jeune - nous a habitué à apprécier notre conduite en nous référant à une liste de péchés, à une liste d'obligations : ceci est permis, ceci est défendu. Tu as fait ce qui est défendu donc tu es coupable et tu dois t'en confesser. Et cela, nous le savons bien, avec une insistance particulière et parfois maladive il faut bien le dire, sur les questions sexuelles. Bref, un code détaillé de péchés mortels ou véniels ; un catalogue des actions bonnes et des actions mauvaises ; des actions permises et des actions défendues. Eh bien, tout cela apparaît aujourd'hui à la fois comme trop minutieux et pas assez exigeant. Les deux. Si l'on disait simplement : c'est trop minutieux alors il faudrait tenir pour suspects ceux qui voudraient........ cette minutie. Mais ils disent en même temps que ce n'est pas assez exigeant et que de tels catalogues de ce qui est permis et de ce qui est défendu risquent d'engendrer à la fois un scrupule névrotique et un moralisme confortable. Et il est bien évident que scrupule névrotique et moralisme confortable sont incompatibles avec un christianisme vrai, un christianisme profond, car enfin ce que nous appelons les exigences de Dieu ce n'est pas autre chose que nos propres exigences, ce que nous exigeons si nous voulons être véritablement des hommes. Le Christ en nous révélant Dieu nous révèle à nous mêmes, et il nous dit ce que sont, en profondeur, nos propres exigences que souvent nous connaissons très mal parce que nous vivons à la surface de nous-mêmes. Et que vivant à la surface de nous-mêmes, nous ne sommes pas tellement soucieux d'être authentiquement des hommes.

                                                                   A suivre....

        François Varillon

    Vous pouvez écouter ses conférences audio grâce à l'atelier des Carmélites de Saint-Sever (Calvados) www.atelierducarmel.com :

    http://www.atelierducarmel.com/nv/index/fr_catalogue1_0_8_0_5.html?panier[237]=0

     

  • Confession ou psychanalyse (1)

    Extraits tirés d'une conférence du Père Varillon.

    (...) Il est vrai à la lettre que les cabinets de psychothérapie et de psychanalyse sont assiégés. Pour ce qui est de la confession, les catholiques qui ne l'ont pas abandonnée complètement s'interrogent sur son utilité ou sur sa nécessité. On sent bien que, de toute manière, elle leur ait à charge.  Et plus d'un, pour des raisons qui ne sont pas des raisons de facilité, des raisons de laissez-aller moral, verraient d'un bon œil la suppression du sacrement de pénitence. Nous entendons fréquemment des propos dans le genre de celui-ci : " pourquoi faut-il aller raconter ses péchés à un homme plutôt que de les confesser directement à Dieu, puisque ce qui compte, après tout, c'est la conversion intérieure." Il y en a qui redoutent que la confession ne soit une façon de se déculpabiliser à bon compte, une sorte de pratique magique et routinière de "vider son sac". C'est ainsi qu'un jeune homme de 25 ans disait récemment : " C'est tout de même trop facile, on commet des péchés, on va voir le curé dans sa boite, on lui raconte quelques histoires et le tour est joué, on repart à zéro. Dans ce cas, autant aller trouver une machine automatique, une machine à absolutions."

    Les uns redoutent les confesseurs rigoristes, voire scrupuleux,  qui traitent le cas qu'on leur présente un peu comme ils le faisaient au temps de leur jeunesse cléricale, dans les exercices de séminaire, comme s'ils avaient devant eux  un péché en quelque sorte abstrait et non pas un homme pécheur dans sa complexité vivante. Les autres redoutent tout autant les confesseurs débonnaires  qui débitent une exhortation toute faite qui n'a pas de lien avec l'accusation qu'ils ont entendue et des problèmes réels du pénitent. Il semble bien que la confession telle qu'elle se pratique encore actuellement dans l'Eglise, soit devenue une pierre d'achoppement pour des catholiques de plus en plus nombreux. Disons donc qu'il y a un malaise. 

    Alors la première chose à faire c'est de chercher les causes du malaise.

    Je pense qu'il faut laisser de côté tout ce qui serait orgueil, relâchement, absence d'esprit de sacrifice, refus d'humiliations. Il y a un peut-être un peu de tout cela. Mais je pense tout de même qu'il y a quelque chose de plus profond. Et c'est là que nous commençons à saisir qu'il peut y avoir une sorte de concurrence entre le sacrement de pénitence et la psychanalyse ou, plus généralement, la psychothérapie. En effet, la conscience humaine a évolué dans le sens d'une découverte progressive d'un Dieu qui n'est pas d'abord Juge mais qui est d'abord Père. On comprend très mal que la pénitence soit traditionnellement présentée comme un "tribunal" ; c'est  une expression qui était classique autrefois : "le tribunal de la pénitence". Ce mot de "tribunal" évoque à la conscience un contexte juridique et même policier qui relève d'un âge révolu Le mot "tribunal" fait penser à un Dieu autoritaire qui dicte des lois. Et des lois plus ou moins arbitraires : c'est comme ça parce que c'est comme ça. Des lois auxquelles il faut obéir minutieusement si l'on veut gagner le ciel et éviter l' enfer.

                                                                                A suivre...

     

                                            Père François Varrillon  

     

     

     

     

     

     

  • Le quart d'heure de prière (4)

    [21] Bergson a montré que les personnes les plus précieuses et les plus parfaites de l'humanité étaient les mystiques, à cause justement de leur vie de prière. Mais nous, comme chrétiens, nous savons de plus qu'il y a le Corps mystique de Jésus, et que cette unité entre les hommes dépasse de beaucoup ce que la raison peut nous dire (...)

    [24] Le bon Dieu ne nous demande qu'une toute petite tâche au point de vue de notre travail. Mais ce tout petit travail, si humbe soit-il, prend une valeur universelle par la prière et l'amour que nous y attachons.  

    [25] Nous devons veiller à être fidèles à ce petit quart d'heure, au moins, de prière, comme un acte de foi dans l'amour de Jésus. Nous devons veiller à ce rôle que nous avons par rapport à l'ensemble de l'univers...

     

    P. Thomas Philippe - Le quart d'heure de prière - St Paul éditions religieuses, 2008

  • Le quart d'heure de prière (3)

    La spiritualité chrétienne est tellement différente de la spiritualité stoïcienne, par exemple ! Certaines personnes (mais elles sont rares) pourront réserver chaque jour un petit quart d'heure pour un exament de conscience, uniquement d'un point de vue moral. Le petit quart d'heure dont je vous parle se place à un point de vue très différent : c'est très bien de venir chaque jour en face de soi, mais si c'est pour constater  chaque jour qu'on est rempli de défauts et d'infidélités, si c'est pour sentir chaque jour qu'on est incapable de suivre le règlement qu'on s'est soi-même donné, c'est très décourageant !

    Au contraire, la parabole des ouvriers de la onzième heure est tellement réconfortante : nous sentons bien que nous avons raté toute notre journée, nous sentons que nous n'avons rien fait de ce que Dieu voulait, mais nous croyons que dans cet humble quart d'heure de prière, Dieu peut tout rattraper par sa miséricorde.

    Ou encore mieux, nous pensons au bon larron, et à la fin de notre misérable journée, à la mort de cette journée, nous pouvons toujours dire : " Mon Dieu, aie pitié de moi !" Cette journée alors peut être la meilleure, parce que Dieu peut nous donner une grâce qui répare tout ce que nous avons pu faire de mal, et nous rendre plus humbles que si tout avait été bien à nos yeux.

    Cet acte de foi nous empêche par là-même de tomber dans un des dangers les plus forts actuellement : le dégoût de soi-même, et le découragement. Ce petit quart d'heure de prière concilie tout à fait le sentiment d'être un pauvre pécheur et la certitude que notre personne, dans ce qu'elle a de plus profond, de plus secret, est connue et aimée de Dieu.

                                                                                    A suivre au prochain post...

    Père Thomas Philippe - Le Quart d'heure de prière - St Paul Editions religieuses

  • Le quart d'heure de prière (2)

    Suite du post du 13 mars 2011

     

    Le "moi" et notre vraie personne

    Un des pauvres lots de notre nature humaine, c'est de sentir toujours notre moi. Nous ne savons pas comment il s'est constitué, mais dès que nous réfléchissons un tout petit peu, nous n'avons aucune difficulté à découvrir qu'il y a en nous un énorme moi égoïste, un moi égocentrique, jouisseur, vaniteux, dominateur, un moi qui veut toujours tout ramener à lui...

    Et dès que nous cherchons un peu à aimer Jésus, nous souffrons terriblement de ce moi. C'est lui le grand obstacle à la vie intérieure, bien plus que toutes les conditions extérieures dans lesquelles nous pouvons nous trouver. Socrate déjà le disait : " convertis-toi toi-même !"

    Avant que le bon Dieu nous ait touchés, nous étions peut-être beaucoup moins tiraillés par ce moi... Notre moi nous faisait souffrir uniquement par les désagréments sociaux qu'il pouvait  nous attirer. Mais dès que l'Esprit Saint se donne un peu à nous, nous souffrons de notre moi, et cela prouve que nous n'y sommes déjà plus attachés. 

    L'amour de Jésus nous découvre ce moi, et nous donne le désir qu'il meure, pour que naisse notre vraie personne d'enfant de Dieu. Or c'est la prière, et la prière uniquement, qui peut former notre vraie personne, profondément. 

    La prière, en effet, repose sur cette foi que la grâce de Dieu est enfouie au plus profond de nous-mêmes dans la conscience d'amour du tout petit enfant. Cette grâce s'enracine en nous avec les trois vertus théologales : la foi, l'espérance, et la charité qui nous mettent directement en rapport avec Dieu et permettent au Saint Esprit d'intervenir en nous par ses dons.  (...)

                                                                            Suite au prochain post... 

     Le quart d'heure de prière - P. Thomas Philippe - Ed St Paul, 1994

    (Le P. Thomas Philippe (+) est à l'origine de l'Arche avec Jean Vanier)

  • Quelques paroles d' Ozanam (4)

    L'ordre de la société repose sur deux vertus : justice et charité. Mais la justice suppose déjà beaucoup d'amour ; car il faut beaucoup aimer l'homme pour respecter son droit qui borne notre droit et sa liberté qui gêne notre liberté. Cependant la justice a des limites ; la charité n'en connaît pas. Notre devoir à nous, chrétiens, est de faire... que l'égalité s'opère , autant qu'elle est possible, parmi les hommes...que la charité fasse ce que la justice  seule ne saurait faire !

     

                                  Frédéric Ozanam (1813-1853)

    pour aller plus loin :

    http://www.nouvellecite.fr/Prier-15-jours-avec-Frederic.html

     

     

  • Paroles d'Ozanam (3)

    Nous sommes tous comme les ouvriers des Gobelins qui, suivant les plans d'un artiste inconnu, s'appliquent à assortir les fils de diverses couleurs sur le revers de la trame. Ils ne voient pas le résultat de leur travail. C'est seulement quand tout est terminé qu'ils peuvent admirer à l'aise ces fleurs, ces figures, ces scènes splendides et dignes des palais des rois. Ainsi de nous : nous travaillons, nous souffrons ici-bas sans en voir le terme ni le fruit. Mais Dieu le voit, et quand il nous relève de notre tâche, il montre à nos regards émerveillés ce que Lui, le grand artiste invisible et présent partout, a fait de toutes ces fatigues qui nous semblent si stériles, et Il daigne placer dans son grand palais ces faibles oeuvres de nos mains.

                                                 Frédéric Ozanam (1813-1853)

    pour aller plus loin :

    http://www.nouvellecite.fr/Prier-15-jours-avec-Frederic.html

     

  • Quelques paroles d'Ozanam (2)

     

    Il faut mettre la main à la racine du mal, et par de sages réformes diminuer les causes de la misère publique.

     

                                                                Frédéric Ozanam (1813-1853)

     

    pour aller plus loin :

    http://www.nouvellecite.fr/Prier-15-jours-avec-Frederic.html

     

  • Quelques paroles d'Ozanam (1)

    La question qui divise les hommes de nos jours n'est plus une question de formes politiques, c'est une question sociale, c'est de savoir qui l'emportera de l'esprit d'égoïsme ou de l'esprit de sacrifice ; si la société ne sera qu'une grande exploitation au profit des plus forts ou une consécration de chacun pour le bien de tous et surtout pour la protection des faibles. 

     

                                                                               Frédéric Ozanam (1813-1853) 

     

    pour aller plus loin :

    http://www.nouvellecite.fr/Prier-15-jours-avec-Frederic.html

     

  • La politique et le prince du mensonge (6)

    (suite et fin du post précédent)

     

    Ce n’est donc pas de façon artificielle et gratuite que nous avions choisi ce terme de démoniaque, il ne s’agissait nullement de «dramatiser » la question. Ce que nous avons montré ce n’est pas la différence entre l’idéal, ou la théorie, et puis une pratique, ce n’est pas davantage la reconnaissance des nécessités de la pratique politique: il y a bien plus. Il y a une certaine «structure» du démoniaque, qui rend compte de phénomènes réels dont rien ne peut expliquer de façon naturaliste et positiviste, l’existence et l’importance.

    Il y a une dimension en profondeur de cette superficie. Comment pouvons- nous nous prêter à cela? Telle est la question. Or, j’ai reconnu que la structure du politique actuellement correspond trait pour trait à cette structure du démoniaque. Mais réciproquement ne pourrait-on pas aussi généraliser, et banaliser : après tout n’est-il pas possible de dire aussi bien: l’économie est démoniaque, l’argent est démoniaque, la science, la technique, etc. J’ai fait pas mal d’études critiques au sujet de la technique, je me suis toujours gardé de dire qu’elle était démoniaque ou diabolique. Ceci parce que, autant que faire se peut, je tiens à garder un sens relativement précis aux mots. Si le démoniaque correspond à ce que la Bible nous en dit (et c’est mon choix) explicité par Castelli entre autres, si l’on ne prend pas ce mot à la légère pour signifier un peu globalement ce qui est désagréable, ou injuste, ou mauvais, alors on ne peut pas l’appliquer actuellement à d’autres domaines que le politique, car aucun ne comporte l’ensemble des caractères et leur réciprocité. La science n’est pas (en tant que telle) productrice de mensonge et falsificatrice. L’économie n’est pas «l’horrible indéfini, le sens de ce qui est définitivement dénaturé ». Je dirais par contre que certainement l’argent a été la puissance démoniaque par excellence au XIXe siècle, par exemple, ce que Marx a parfaitement dénoté, mais aujourd’hui, il a été si bien, souvent dénoncé, mis à jour, connoté comme démoniaque, que celui-ci s’est déplacé. Lorsque le Prince du mensonge est mis à jour, il disparaît. II cesse d’exercer sa puissance dans le lieu qu’il avait choisi pour élire d’autres domaines, pour employer de nouveaux miroirs. Nous sommes passés du démoniaque que de l’argent au démoniaque de la politique. C’est notre progrès et notre questionnement.

                                                                                   Jacques ELLUL

  • La politique et le prince du mensonge (5)

    (suite du post précédent)

     

    Mais il y aurait un pas de plus à faire pour comprendre la politique: elle est actuellement le lieu du démoniaque. Je ne développerai pas ce point l’ayant entièrement explicité ailleurs. Je me borne à rappeler mes conclusions. La politique est le lieu de l’illusion totale de notre société. Mais au-delà de mes analyses d’autrefois, il faut souligner que: la politique est l’art de généraliser les faux problèmes, de donner de faux objectifs et d’engager de faux débats. Faux par rapport à la vie concrète des hommes concrets, faux par rapport aux tendances socio-économiques effectives que la politique n’atteint jamais. Dans cette fausse orientation, la politique mobilise toutes les énergies, elle engage le tout en généralisant le faux. Tout se joue constamment sur de faux problèmes élaborés et proposés par la politique comme seuls vrais et finissant par les imposer comme tels. Cet illusoire doit être combiné avec le mécanisme de la médiatisation politique. La politique devient médiatrice universelle, la médiatrice obligée entre l’individu et le corps social. On ne peut agir sur le corps social que par la voie politique. Elle est investie d’une légitimité à priori pour la direction de notre société. Elle institue un corps de médiateurs normalement validés. Elle institue une médiation politique. Tout ce qui se produit est traduit en langage politique, et devient par là explicable et compréhensible. La médiation politique s’exprime enfin dans la transposition de la volonté particulière à la volonté générale, intérêt général, etc. Et cette médiation qui joue sur tous les registres finit par se faire accepter par tous et pour le tout. Car là est encore le démoniaque politique, le moyen est substitué à la vérité, la médiation se substitue au tout et remplace tout. Et le dernier pas à faire, c’est le constat bien banal que l’Etat moderne se veut sauveur: nous sommes passés au stade de l’Etat-Providence. Mais ceci est dépassé par l’Etat porteur de Salut. Ce qui est «mensonge» se déclare « porteur de salut ». Telle est la puissance de la dissolution.

    Si nous combinons l’illusoire total avec la médiation obligée, nous arrivons d’une part à une organisation de la non-réalité, d’autre part à l’anti-médiation du corps social, ce qui sont les deux caractères dominants de la politique actuelle. Ce n’est donc pas à proprement parler la prétention à une médiatisation qui est attestation du démoniaque, mais d’une part la confiscation de la médiatisation (exclusive de toute autre) associée, d’autre part à l’illusoire, c’est-à-dire produisant une médiatisation de Rien à Rien, d’un mensonge à une illusion, cependant que cela même engage le tout de l’homme et tous les hommes de cette société. Nous avons là un caractère spécifiquement démoniaque. Comme les autres caractères de la politique. Le Démon est celui qui en outre prend possession intérieure de l’homme, qui effectue les promesses d’accomplissement d’une volonté de Dieu supposée, et qui, à cause de ses promesses et de réalisations « d’évidence », se substitue à Dieu. Il est en tout l’imitation inverse du divin. D’autre part, il est indispensable de se référer au Démoniaque dans l’Art de E. Castelli. « Communier sans en appeler au Christ veut dire croire à une suffisance que seul le démoniaque peut insuffler », «l’horrible indéfini : le sens de ce qui est définitivement dénaturé ». « La façade d’une face — anticipation allégorique de la foule, prélude au concept de Tous, c’est-à-dire de Personne. » «La Puissance de dissolution... » Voilà cinq formules de Castelli, explicitant le démoniaque et que nous retrouvons clairement dans la politique où nous avons rencontré tous les aspects qui caractérisent le démoniaque: le mensonge et l’illusion, la création d’un univers intégralement falsifié, l’évidence d’une promesse d’accomplissement de la volonté humaine, la communion suffisante, le sens dénaturé, la façade d’une face... Nous pourrions continuer.

    Enfin la politique possède un pouvoir d’absorption, d’assimilation, irrésistible. Les anarcho-syndicalistes français de 1900 avaient totalement raison quand ils démontraient que la politique pervertit, en elle- même, par elle-même, toutes les intentions, tous les projets. Quand ils affirmaient que les socialistes, dès l’instant où ils commençaient à faire de la politique, continuaient à tenir un discours socialiste, mais avaient une pratique anti-socialiste et que les révolutionnaires entrant dans le champ politique cessaient immanquablement d’être révolutionnaires, Ces affirmations de 1880 se sont toutes exactement confirmées: Millerand, A. Briand, Paul-Boncour, Clémenceau, tous socialistes et révolutionnaires sérieux et convaincus, sont, au pouvoir, devenus en tout l’inverse de ce qu’ils avaient promis. Et de même le chrétien est pris dans le dilemme tragique, ou il cherche à rester chrétien et fera une politique stupide (Carter), ou il sera un politique efficace mais cessera fondamentalement, radicalement d’être chrétien. Rocard a raison d’affirmer l’incompatibilité essentielle des deux.

                                                                                     A suivre....

                                                                                                          Jaques ELLUL

  • La politique et le prince du mensonge (4)

    (Suite du post précédent)

     

    Combien de milliers de fois ai-je lu ces phrases écrites en transe, par exemple «Le capitalisme est le Mal absolu ». Et c’était écrit par un chrétien. Mais tout autant: «Le communisme est le Mal absolu.» L’accusation sans aucune possibilité de pardon, de mitigation, de conversion. Une fois que vous avez été communiste, vous ne pouvez pas changer, vous restez toujours sous le poids de l’accusation satanique. Il n’y a rien de bon et d’estimable dans l’adversaire. Seule son élimination radicale peut être un remède. La solution. Et cela c’est la politique qui l’a inventé. J’entends aussitôt une protestation: «N’est-ce pas plutôt la religion? » N’avons-nous pas connu l’Inquisition, les excommunications, les conversions par violence et contrainte... Je réponds radicalement là-dessus: oui, parfaitement la religion est devenue satanique chaque fois qu’elle a été prise en main par la politique. L’inquisition atroce n’a pas été celle de l’Eglise mais celle pratiquée au compte de l’Etat, pour lui et souvent par lui. L’extermination des Cathares est bien plus le fait du roi, qui s’est servi de l'Eglise, que de celle-ci. L’Inquisition ne devient extrême qu’entre les mains du roi du Portugal, du roi d’Espagne, de la république de Venise. Jusqu’à ce qu’elle devienne instrument d’une politique, l’excommunication n’est rien d’autre qu’un « remedium animi ». Et les conversions forcées, qui les a provoquées?

    Qui a converti les Saxons par la violence ? Charlemagne. Qui a converti les Indiens par la violence ? Les conquistadores (alors que les chrétiens qui ne se mettaient pas au service de la politique pratiquaient au contraire la défense de la personne et des coutumes de ces Indiens). L’esprit d’accusation, de division d’un bien et d’un mal qui doit être extirpé est toujours le produit de la politique.

    L’accusation majeure de notre temps est toujours issue d’un politique, fondée sur des motifs politiques, aboutissant à la mort dans le politique. La vue admirable de Koestler dans Le Zéro et l’infini fait éclater cela à l’évidence. Et de même que c’est la politique qui se fait prendre pour l’universel, et détrône Dieu, en réciproque, elle est productrice de l’accusation absolue. Ce qui est la contre-façon rigoureusement inverse de la justice divine. Ce n’est donc pas image littéraire facile, mais vue en profondeur de la politique, de la déclarer satanique, construite par le Satan, et implantée au coeur des hommes par le Satan. Ici encore, d’ailleurs, cela se greffe sur des sentiments spontanés humains, celui de l'auto justification et celui de l’expulsion de l’ennemi pour se purifier. La catharsis. L’homme a toujours besoin de se sentir juste, et jusqu’ici, c’était le rôle de la religion de lui offrir les moyens de la purification, entre autres par le sacrifice. Les grandes religions classiques ont disparu, et n’ont plus de pouvoir par manque de foi. Mais le besoin de l’homme reste aussi intense, le besoin d’être à ses yeux et aux yeux des autres, pur et légitime dans son existence. Et la voie, la seule qui lui soit maintenant offerte est celle de l’accusation, de la découverte politique du bouc émissaire désigné par la politique. Tout le mal est concentré dans cet autre, dissemblable, tout le mal va être expulsé lorsque cet autre sera expulsé ou, mieux, détruit. L’adversaire devient ennemi. L’ennemi devient l’incarnation absolue du mal. Et seul son anéantissement nous garantit non pas une simple victoire politique, mais le paradis, la justice, la liberté. Intégré moi-même dans le groupe des justes, je ne puis que partager leur justice. Or, tout repose sur l’accusation. C’est-à-dire l’oeuvre de Satan. Il n’y a pas simplement une structure, une organisation politique, il n’y a pas un simple effet psychologique, nous devons aller plus loin: précisons cependant que bien entendu le Diable ou Satan n’est pas un personnage, une figure située en un certain lieu donné, une volonté personnifiée ayant un objectif. Je dis que bibliquement partout où il y a rupture ou accusation il y a plus qu’un simple phénomène sociologique ou psychologique, il est impossible d’en expliquer et ramener tous les effets, par ou à du socio-psycho, etc. Il y a plus. Il y a une dimension spirituelle du domaine divin, il y a une dimension extra-humaine. Il y a une puissance inanalysable, qui rend la chose si effroyable. Et c’est ce qui est alors désigné par le Diable ou Satan. Maintenant, dans le monde où nous sommes, la politique est l’incarnation du Satan biblique.

                                                                                                                à suivre

                                                                              Jacques ELLUL


     

  • La politique et le prince du mensonge (3)

    suite du post précédent

     

     

    Je pourrais prendre d’autres exemples: quand il y a un sentiment de distinction entre des gens de race ou de couleur différentes, et des moeurs jugées étranges, et des coutumes ou des costumes curieux, cela n’empêche pas les gens de s’entendre. Ils sont aptes à se reconnaître. Jusqu’au moment où ces différences sont saisies par la politique, alors les dissemblances deviennent affaire tragique, les différences sont des motifs d’exclusion, alors naît le racisme. La provocation du racisme est toujours une création politique, à partir de sentiments naturels d’opposition qui n’empêchaient pas de coexister, parfois avec des heurts mais qui n’étaient jamais irrémédiables. Ainsi la politique rend les différences meurtrières, les conflits irréversibles, les oppositions d’idées irréparables. C’est-à-dire la vraie division diabolique.

    Mais il faut sans doute ici préciser deux choses : je n’ai jamais voulu d’un unitarisme, d’une identification, de la reproduction indéfinie par un moule d’un seul type humain ou social. J’ai toujours lutté contre la production en série et pour les pluralismes. J’ai toujours dit que le dialogue se fonde inévitablement sur la différence. Donc quand j’accuse la politique d’être diabolique, ce n’est en rien au nom de l’unité ! Mais la division diabolique est celle qui n’est fondée sur rien de vrai, qui conduit à refuser le pluralisme, la coexistence, la reconnaissance de l’autre, le respect des opinions multiples, l’arrangement de relations humaines bricolées, l’attention à tous les intérêts multiples et divergents. Et si vous me dites que c’est justement cela qui définit la politique libérale, je vous renvoie à la pratique de ce libéralisme politique, et vous verrez qu’il est aussi diviseur que les autres politiques.

    La seconde remarque porte sur le fait que mon accusation ne concerne ni la philosophie ni la théologie. C’est-à-dire que je ne prétends pas ainsi caractériser la politique en soi, éternelle, perdurable, considérée en métaphysique. Je parle, comme toujours, hic et nunc, le temps présent. La politique depuis trois cents ans, occidentale, mais qui maintenant a envahi et convaincu le monde, si bien que la politique africaine ou asiatique est exactement entrée dans cette même catégorie. Le diabolique a pris des formes diverses au cours de l’histoire, actuellement le diable, le diviseur, c’est la politique. Elle seule. Et dans son diabolisme, on la voit corrompre le droit, mentir sur la justice, provoquer les fausses espérances (les lendemains qui chantent...), engager l’homme dans des ruptures sans issues. Car tel est bien le diabolique: dramatiser, rompre irrémédiablement, faire entrer dans des impasses. Et tout cela par la voie de la séduction, de la promesse, de l’illusion. N’oublions pas que l’arme par excellence de toute politique, c’est la propagande. Et que celle-ci est le mensonge en soi. Le Prince du mensonge s’exprime aujourd’hui dans la propagande, créatrice de passion et de fausses évidences, d’engagement passionnel et d’aliénation intérieure. Et le mensonge majeur aujourd’hui, c’est la célèbre formule: « Tout est politique », ou encore: « Les peuples ne peuvent s’exprimer que par la voie politique », ou encore: « Si on n’agit pas politiquement, on ne fait rien.» Ces trois formules absurdes sont l’expression même du mensonge du Prince du mensonge exactement et totalement incarné aujourd’hui dans la politique. La politique aujourd’hui, c’est le Diable.

    Mais elle est aussi et en même temps, le Satan. Bibliquement Satan et le Diable ne sont pas identiques (pas plus que Lucifer, qui d’ailleurs n’existe pas dans les textes bibliques et est une invention très postérieure). Le Diable, donc, le diviseur par moyen de séduction. Le Satan, c’est l’accusateur. Devant Dieu se tient celui qui en permanence accuse, accuse les hommes par exemple, mais Dieu aussi ! Et partout où il y a accusation (même légitime, même fondée, même judicieuse), il y a oeuvre de Satan. Il y a le Satan lui-même. Leur point de rencontre, c’est évidemment que tous deux par des voies différentes sont la négation de l’amour et de la communion, la négation et la destruction et la corruption de l’amour. Or, aujourd’hui où se situent les grandes accusations, qui désigne tel autre, tel groupe comme le Mal absolu ? Qui joue le rôle de procureur mondial, qui met en accusation une classe, un peuple, une race? Exactement et uniquement la politique. Nous avons vu que dans le diabolique, il y a une certaine corrélation du politique et de l’économique. Mais pas ici. Le satanique est du politique à l’état pur. II n’y a plus aucune raison, il n’y a plus aucune mesure, il n’y a plus aucune considération humaine qui puisse jouer. L’autre est accusé de tout le mal qui se produit, il est porté au niveau du Mal absolu, avec la certitude que si on arrive à l’éliminer, aura lieu enfin la purification, la libération. Accusation du communiste, ou du bourgeois, ou du nègre, ou du colonialiste, ou du capitaliste, ou du nazi, ou du juif...

                                                                                                A suivre....

     

                                     Jacques Ellul